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Cornell University.
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CORNELL UNIVERSITY LIBRARY
924 067 622 070
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Date Due
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HISTOIRE
PROCEDURE CRIMINELLE
EN FRANCE
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HISTOIRE "■'^''/■■^^'■'iv
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PIlOCEDim& ^MMINELLE
EN FRANCE
ET SPECIALEMENT DE LA PROCEDURE INQUISITOffiE
DEPUIS LE Xlll^ SI&CLE JUSQU'A NOS JOURS
A.^SMEIN
PROPESSEUR AGRESE A LA FAODLTE DE DROIT DE PARIS
OUVRAGE COURONNE
PAR l'aCADEMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES
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1
PARIS
L.
L.IROSE ET FORCEL
Libraires - fiditeurs
22, RUE SOUPFLOT, 22
188 2
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37]
^ojz. C 17
PREFACE.
L'ouvrage que nous publions a ete couronne>
par I'Academie des Sciences morales et politiques.
Nous le donnons tel h peu pres qu'il lui fut pre-
sent^; nous I'avons simplement soumis a un tra-
vail de revision pour le rendre moins indigne de
la distinction qu'il a obtenue : nous avons combl^
quelques lacunes , complete plusieurs chapitres ,
retouche certains passages ; enfin , nous avons pris
un nouveau titre. Lorsque nous presentames notre
m^moire h I'Academie, au mois de septembre 1880,
nous I'avions intitule : Histoire de I'Ordonnance
de 1670 et de la procedure inquisitoire en France.
Le titre que nous lui donnons aujourd'hui nous
VJ ' PREFACE.
parait mieux indiquer la port^e de notre travail ,
et tracer plus exactement ses veritables propor-
tions. L'Academie avait mis au concours , pour le
prix Bordin , le sujet suivant : « Exposer I'His-
toire de rOrdonnance criminelle de 1670; recher-
cher quelle a et^ son influence sur I'administration
de la justice et sur la legislation qui lui a succede
k la fin du xviif siecle. » Mais la fagon dont nous
avons congu le sujet (et nos juges nous ont donne
raison) d^passait de beau coup la lettre , sinon
I'esprit de ce programme. Nous avions tache d'ex-
poser et de justifier notre idee dans la preface que
voici :
Faire Fhistoire d'une loi disparue , ce n'est pas dire seulement
comment elle fut redigee, appliquee, et plus tard abrogee : il
faut encore rechercher I'origine du droit qu'elle contenait ; il faut
se demander si elle n'a rien transmis aux! legislations plus jeunes
qui lui ont succede. Ici, comme dans le monde physique, s'im-
pose la necessite des filiations. Quand , en particulier, il s'agit
d'un Code qui a longtemps vecu , on pent affirmer que le legis-
lateur a trouve autour de lui , epars et incomplets peut-etre , les
elements, dont il a compose son corps de lois; il a donne une
forme nouvelle, il a reforme , mais la matiere qu'il faconnait etait
deja creee.
Cela s'applique exactement a I'Ordonnance de 1670, qui fut le
Code d'instruction criminelle de I'ancienne France. Sous son em-
pire, le pays vecut pendant cent vingt annees, et, en realite, elle
n'introduisait point une procedure nouvelle. Le systeme qu'elle
r^glait s'etait lentement forme en France, comme il s'etait deve-
PREFACE. vij
loppe chez les nations voisines. Sous la pression continue de
causes puissantes, la procedure accusatoire, orale et publique du
Moyen-Age etait peu a peu devenue inquisitoire, ecrite et secrete.
Cette evolution , commencee au xiii° siecle, etait terminee au xvi^ ;
rOrdonnance de 1539 avait fixe tous les points importants et ar-
rete les grandes lignes. Les commissaires de Louis XIV ne feront
guere que preciser le droit anterieur, et dans les conferences
qui precederent la redaction de rQrdonnance de 1670, on a soin,
quand un article «est nouveau, » de le faire observer. Cependant
I'Ordonnance de 1670 ne fut point une simple copie d'un tableau
un peu terni par I'^ge ; elle innova sur certains points , et quel-
ques-unes de ses innovations furent des rigueurs nouvelles ajou-
tees aux anciennes severites. C'etaient les consequences dernieres
d'un systeme logiquement deduit. Toute institution tend a accu-
ser avec une nettete toujours plus grande les caracteres, bons ou
mauvais , qui font son originalite ; c'est comme un esprit intime
qui la pousse en avant : Spiritus intus alit; mais il est une tension
extreme qu'elle ne saurait depasser sans se briser. Cette derniere
limite, la procedure inquisitoire I'atteignit dans I'Ordonnance de
1670 ; desormais pour elle la croissance est fmie; I'avenir, Ci'est le
declin.
L'Ordonnance de 1670 fut, avons-nous dit, le Code d'instruc-
tion criminelle de I'ancien regime; cette idee doit nous arreter
un instant. Si avant elle la procedure inquisitoire , ecrite et
secrete, s'etait completement developpee deja, les Ordonnances
n'en avaient fixe que les principes fondamentaux ; elles n'en
avaient point determine les details. Le nouveau Code combla
cette lacune ; et pour la premiere fois la loi presenta une exposi-
tion systematique et complete de la procedure criminelle. Des-
cendant jusqu'aux menus details , I'Ordonnance regla de pres la
tache du juge; c'est meme dans ces dispositions pratiques, dont
plusieurs ont passe textuellement dans nos Codes , qu'apparait
la sagesse des commissaires qai I'ont redigee.
En fixant ainsi la procedure criminelle, I'Ordonnance de 1670
Viij PREFACE.
rimmobilisa et lui assura peut-Stre une plus longue duree. Non-
seulement la jurisprudence avail moins de prise sur elle et il
fallait la main du legislateur pour la mettre en pieces, mais
le Code , qui la contenait , en vieillissant devenait de plus en
plus venerable , et nous verrons qu'aux yeux des criminalistes
du xviii" siecle il etait entoure d'une inviolable majeste.
Comme tous les Codes, I'Ordonnance de 1670 fit naitre une
interpretation savante et precise; les comnientaires s'eleverent
derriere elle ; la jurisprudence criminelle , toute pratique avant
elle , devint vraiment scientiflque.
Cependant un grand travail se faisait dans les esprits. Les
besoins avaient disparu , sous I'empire desquels les hommes des
xiv°, xv° et xvi" siecles avaient elabore cette forme de proces :
les idees qui I'avaient rendue chere aux hommes du xvii" siecle
s'effacaient aussi. Un nouvel ideal se levait au fond des ames. Le
xviii" siecle s'est appele lui-meme le siecle de la Raison , et en
effet, c'est a la raison seule qu'il s'adressait pour juger les insti- ,
tutions. La procedure de I'Ordonnance lui parut absurde, inique
et cruelle , des lors elle etait condamnee. Avant de jeter a bas le
vieil edifice, on le repara cependant; les edits de 1780, de 1788,
la loi de 1789 conservent I'ancienne ossature. Mais depuis bientot
cinquante ans les yeux etaient tournes vers i'Angleterre : c'est
la procedure criminelle anglaise, surtout la procedure par jures,
que I'Assemblee constituante introduit en France ; c'est elle
qu'organisent successivement la loi de 1791 et le Code des de^
lits et des peines. Cependant la lulte n'etait pas finie entre
I'ancien principe et le nouveau. Au bout de quelques annees,
sous I'influence de causes que nous aurons &, etudier, la vieille
tradition rfeprend son empire. L'Ordonnance de 1670 est bien
pres de rentrer dans nos lois , et si elle reste acquise au passe ,
elle introduira pourtant dans le Code d'instruction criminelle
la portion la meilleure de ses dispositions et quelques-unes de
ses rigueurs.
Tel est le chemin que nous nous proposons de parcourir. Notre
PREFACE. IX
travail se divise naturellement en trois parties : la procedure cri-
minelle avant I'Ordonnance de 1670; — rOrdonnance de 1670;
— les lois de I'epoque intermediaire et le Code d'instruction cri-
minelle.
Dans notre premiere partie , nous ne remontons point aux
premieres origines de la procedure criminelle en France; nous
partirons du xm° siecle : a cette epoque on trouve encore , intaCte
dans ses grandes lignes, I'ancienne procedure accusatoire, et
les premieres formes de la procedure inquisitoire se developpent
deja.
Apres ces quelques mots d'introduction , on nous
permettra de reproduire un passage du rapport
presents sur le concours a I'Academie, par M. Da-
reste, au noni de la section de Legislation; et nous
exprimons ici a I'eminent rapporteur toute notre
reconnaissance.
«... Reste le memoire n° 2 , qui I'emporte de beaucoup sur les
trois autreS , et dans lequel le sujet propose par I'Academie est
traite avec une grande superiorite dans toutes ses parties. Ce
memoire forme un volume de 720 pages, in-^", et porte deux de-
vises dont la premiere est tiree de Virgile , et dont la seconde est
empruntee au vieux criminaliste Ayrault.
« L'auteur prend la procedure inquisitoire a son origine au
xni° siecle; il montre la justice royale se substituant a la justice
feodale, la poursuite par le ministere public a I'accusation privee ;
enfln , la preuve par temoins au combat judiciaire , au serment,
au jugement de Dieu. II suit et apprecie avec autant de discerne-
ment que de savoir le developpement historique des institutions
criminelles, et arrive ainsi jusqu'a I'Ordonnance de 1670, qui
X PREFACE.
devait en etre le Code definitif. L'auteur du memoire a fait de la
preparation et de la discussion de cette Ordonnance un reeit
exact et interessant. II a analyse ensuite les depositions de cette
Ordonnance , en s'attachant a faire ressortir le caract^re et I'idee
fondamentale de chaque regie , sans entrer dans les details et les
controverses , qui conviennent a un commentaire pratique , nuUe-
ment a un expose general et philosophique. Le memoire repro-
duit avec un jugement stir et une remarquable impartial! te les
attaques successivement dirigees pendant le xvni" siecle contre le
systeme de I'Ordonnance. Dans la derniere partie de son travail,
qui traite des lois de la Revolution et de I'instruction criminelle,
l'auteur a indique ce qu'a exerce d'influence dans la legislation
nouvelle I'esprit de la legislation ancienne qui a survecu a I'Or-
donnance abolie de 1670. En lisant ce memoire, on remarque
constamment la sagesse de l'auteur et la precision de sa pensee.
C'est un ouvrage bien compose et bien.ecrit, exempt de toute
declamation. Le snjet y est traite a fond et conformement au desir
de I'Academie. La section propose , sans hesitation , de lui decer-
ner le prix; elle propose, en outre, d'accorder une premiere
mention honorable au memoire n° 1 , et uae seconde mention
honorable au memoire n° 3. L' Academic adoptant les conclusions
de 1^ section, decerne le prix au memoire n" 2... le billet annexe
au memoire n" 2 est decachete et fait connaitre comme en etant
l'auteur M. Esmein, agrege a la Faculte de droit de Paris (1). »
- En terminant cette preface, disons que, dans
tout le cours de notre travail, nous avons consulte
un certain nombre d'ouvrages generaux, que nous
citons ici en note (^^; dorenavant nous ne rappelle-
(1) Comples-rendus de I'Acadimie des Sciences morales et poUtiques, ffivrier-mars
1881, pp. 462,463.
(2) Ce sont : d'abord I'exposition magistrale qui forme le premier volume dii
PEifACE. XJ
rons ces ouvrages, que lorsque nous les utiliserons
sp^cialement. On verra d'ailleurs , que nous avons
tenu , autant que possible , a citer directement les
sources; on trouvera meme k la fin du volume
quelques textes intdressants, que nous avions omis
dans notre exposition.
TraiU de I'instruction criminelle, par M. Faustin H^lie. — Les EUments de droit
final, par M. Ortolan. — AUard : Histoire de la justice criminelle au xvi« siicle
(Gaud, 1868). — Du Boys : Histoire du droit criminel de la France, depuis le
XVI' jusqu'au xixo sUcle, compari avec celui de I'ltalie, de I'AUemagne et de I'An-
gleterre, 1874. — Warnkonig et Stein : Franzosische Staats-und-RechtsgescMchte,
B41e, 1846. — Schaffaer : Geschichte der Rechtsverfassungs Frankreichs. 2o edition,
1859.
PREMIERE PARTIE.
LA PROCEDURE CRIMINELLE EN FRANCE
Du xni= Au xvn= sHcle:
TITRE PREMIER.
LES JURIDICTIONS.
GHAPITRE PREMIER.
Les juridictions rSpressives au Xllle slScle.
I. Juridictions seigneuriales ; — Les gentilshommes et le jugement par les pairs;
— Les homines de poe^te et les serfs. — II. Juridictions royales : les pro-
vosts , les baillis , le parlement ; — III. Juridictions municipales ; villes de
commune et d'Ochevinage ; les villes du Midi. — IV. Juridictions ecclesias-
fiques.
Au xiii" siecle les juridictions se divisent en deux classes :
d'un c6te les juridictions laiques , justices seigneuriales , justices
du roi et des communes ; — et d'autre pari les juridictions eccle-
siastiques, les cours de chretiente, comme on disait alors. Tons
ces tribunaux administrent a la fois la justice civile et criminelle.
I.
La justice etait devenue patrimoniale en France : c'est la I'un
des traits caracteristiques de la feodalite ; ce sera encore I'une
des maximes de Loysel (1). Les nombreuses justices seigneuriales
se divisaient alors en justices hautes et basses (2) ; plus tard appa-
rsjtra un echelon intermediaire , les moyennes justices. Cette
division avait surtout de rimportance au point de vue du droit
penal. Les cas graves etaient reserves a la haute justice; et celle-
(1) Imtit. Coutum., 1. II, tit. ii, max. 40.
(2) Beaumanoir : Coutumes de Beamioisis, Edition Beugnot , lviii , 2 ; Mtablisse-
ments de S. Louis, I, 31; Livre de Jostice et de Plet, Edition Rapetti, liv. II,
tit. S, § 1. « De cas de haute justice et de haronie. »
4 LA. PROCEDURE CRIMINELLE
ci en principe n'appartenait qu'4ux fiefs titr6s , descendant ainsi
generalement jusqu'aux baronies (1).
La juridiction du seigneur justiciar s'exergait sur ses vassaux
d'abord , puis sur tous ceux qui « couchaient et levaient , » c'est-
a-dire qui residaient sur les terres de la seigneurie (2). Gela com-
prenait trois classes de personnes , les vassaux nobles , les hom-
mes libres non nobles et les serfs ; et les regies, d'apres lesquelles
la justice leur etait administree , n'etaient point les memes pour
tous.
Les vassaux en devenant les « hommes » du seigneur justicier,
en venant a son hommage , ne s'etaient point mis a sa discretion.
Ce n'etait pas lui qu'ils avaient pour juge ; chacun d'eux devait
etre juge par ses pairs , c'est-i-dire par ceux qui tenaient des
fiefs du meme seigneur. Le justicier pouvait presider lui-mSme
la cour feodale ou la faire presider par son prev6t (3) ; mais c'e-
taient les vassaux assembles qui rendaient le jugement : « il con-
vient que les seigneurs fassent juger par autres que par eux ,
c'est a savoir par leurs hommes feodaux , et a leur semonce et
conjure (4). » C'est la le principe vrai du jugement par les pairs,
et il est atteste par des textes nombreux (5) ; il s'appliquait meme
au cas ou le seigneur intentait un proces a I'un de ses hommes :
(1) Stabl. S.Louis, I, 24, 25, Beaumanoir, xxxiv, 41. Cf. Ancien coutumier
inidit de Picardie , 6dit. Marnier, ch. xaiii: Ascavoir quels amende uns horns doit
quant il s'avoue a avoir toute justiche en I lieu ou il n'a fors viscomti.
(2) Cf. M. Fustel de Coulanges : De I'organisation de la justice dans Vantiquiti
et les temps modernes. (Revue des Deux-Mondes, lor aoilt 1871, p. S40.) — Mably,
Considerations sur I'histoire de France, liv. Ill, chap. in. (Genfeve, 1765, torn. II,
p. 36.)
(3) Beaumanoir, cli. i; Livre de Jostice et de Plet, i, 17, § 4.
(4) Beaumanoir.
(5) « Li homme qui sont homme de fief font les jugements. » Beaum., i, 13 ; —
« Li homme doivent jugier I'un I'autre. » {Id., i, 15.)— « Et puis vendra a droit le
querele au jugement de ses pers. » {Id., x, 2.) — « Li hers est appel6s en la cort le
Roy... et il die..., je ne vuel estre de ceste chose jugii, si par mes pers non. »
Etabliss. de S. Louis., I, 71 ; — « Nous devons savoir que les barons doivent estre
jugifis par leurs pers. » Grand coutumier de Hormandie,, ch. ix (edit. Bourdot de
Richebourg). Livre de Jostice, xvii, 4. « Dues, contes, barons, ne devent pas
estre tret en plet devant prevost, dou fat de lor cors, ne de lor demeine : quar
chascune tele persone ne doit estre jugiez que par le roi, qui li doit foi, ou par
ses pers. »
DU XIIP AU XVII° SliCLE. 8
« tex quereles , dit Beaumanoir, pot et doit li baillis bien metre
en jugement des homes , car de teles quereles doit li quens user
entre ses souges, selonc le coustume que 11 homes usent entre lor
souges (1). » A de certains jours, fixes par I'usage, se tenaient les
assises feodales ; en cas d'urgen'ce on pouvait aussi rassembler
promptement les jugeurs (2).
Si les deux parties etaient les vassaux de seigneurs differents,
le defendeur au moins etait assure d'etre juge par ses pairs au
sens strict du mot (3). Cependant cette garantie pouvait parfois
manquer au miles feodal. S'il etait pris en flagrant delit sur les
terres d'une justice etrangere, c'etait la qu'il etait juge (4), et
mSme si le noble habits non sur son fief, mais sur les domaines
d'un justicier etranger dont il n'est point le vassal , en matiere
criminelle il devient le justiciable de ce seigneur, a la cour du-
quel il ne trouve point ses pairs (5).
II s'agit maintenant d'un homme libre non noble, d'un de
ceux que les textes appellent « hommes de poeste , vilains , rotu-
riers, coutumiers, ostes; » « ilcouche et il leve » sur les terres
d'un seigneur justicier ; comment sera-t-iljuge?
L'homme dont il s'agit n'est point un vassal; ce n'est point
par I'hommage volontaire qu'il est entre dans la hierarchie feo-
dale. II est sous la puissance du seigneur, homo potestatis , et il
n'a pas de pairs. II sera done juge par les vassaux qui com-
posent la cour feodale , ou meme le seigneur pent le faire juger
J
(1) Beaam., i, 15.
{2)Beaum.,i, 21, 3S,
(3) Mably, Observations, 1. Ill , ch. 3, torn. II, p. 38 : « C'6tait a ces assises
que se portaient les affaires qu'avaient entre eux les vassaux d'une mSme sei-
gneurie , quand ils pr^Kraient la voie de la justice a celle de la guerre pour ter-
miner leurs difffirends, et les procfes que leur intentait quelque seigneur etran-
ger, car c'6tait alors une rdgle invariable que tout defendeur fflt jug6 dans la
cour de son propre seigneur. » Nous ne parlerons point dans ce rapide aperfu
desguerres privies. Sur cette institution si curieuseonpeutconsulter dans Beau-
manoir les chapitres des guerres, des trives et des asseuremenk.
(4) Beaum., xxx, 83 : « Nus ne r'a se cortd'omme qui est pris en present mef-
fait, soit en m€l£e, soit en damace faisant d'autrui, ancliois appartient la connis-
sance au seigneur en qui tere le prise esttfete. »
(5) C'est le principe d'apris lequel chacan doit &tie «justici6 de son corps la
oil il couclie et il leve. » Beaum., x, 4; lviii, 11; Etahl. S. Louis, II, 13, 32»
— Voy. Brussel, Usage des fiefs, torn. I, p. 230.
6 LA PROCEDURE CRIMINELLE
directement par son bailli ou son prev6t. Cost la un principe
qu'etablissent de nombreux textes : « Li homme doivent jugier
I'un I'autre et les quereles du commun peuple (1). » « Les
barons doivent etre jugies par leurs pers et les autres par tons
ceux qui ne peuvent estre ostes de jugement (2). » Aussi le
vilain etait-il a la discretion du seigneur justicier lorsqu'un
differend s'elevait enlre eux : « par nostre usage n'a il, entre toi
et ton vilain , juge fors Deu , tant qu'il est tes couchans et tes
leVans, s'il n'a autre lois vers toi que la commune (3). »
Cependant le roturier pouvait parfois conquerir le benefice du
jugement par les pairs , lorsque le seigneur lui concedait ce droit
par un titre formel , par une « loi privee » (4). Parfois aussi une
coutume locale aasuraitcet avantage a tous les hommes depoeste
d'un canton. L'Ancien coutumier de Picardie, publie par M. Mar-
nier, en ofTre des exemples (5) ; Bouteiller atteste ce fait dans
plusieurs passages (6). Gela devait toutefois 6tre assez rare (7);
dans ce cas les jugeurs etaient d'autres vilains, tenanciers du
seigneur.
Le vilain pouvait aussi avoir des pairs d'une autre facon. A
(1) Beaum., i, 15.
(2) Grand coutumier de Normmdie, ch. 9 (Bourdot de Riohebourg). Le texte
latiQ coanu sous le nom de Somma de legibus Normannice , n'est pas moins net :
« Baroaes autem per pares suos debent judicari; alii ver6 per eos qui non pos-
sunt ajudiciis amoveri. » {Somma 1, 10, 13, dans Ludewig : Reliquim manu-
scriptorum omnis avi, torn. VII, page 175.)
(3) Pierre de Fontaines. Conseil, xix, 8 {Edit. Marnier).
(4) De Fontaines, xxii, 3.
(5) Ch, I (p. 2); ch. li. Se j'ugemens fais par hommes de poeste est boinz, ou
non, et se il pent jugier de VII sols VI deniers : « bien est prouv6 par bons tes-
moins que li homme de le dite court sent en saizine de conoistre et de jugier en
cas de catel. » Le droit de juger se restreint ici , on le voit , aux causes civiles
de peu d'importance.
(6) Somme rurale, L. I, tit. 32 (6dit. Carondas) : « Cour laie... soient les hom-
mes ou vassaux du seigneur temporel dudit territoire, eschevins, assesseurs,
conseillers ou autres juges ordinalres appel^s , ou par eux , ou aucun d'entre eux
selon la coutume ou commune observance, ou de juges hostes ou cottiers. » —
Ibid., I, 13 : « Juges qui jugent a semonce de seigneur, comme d'honimes de fief,
ou d'eschevins , ou d'Aommes censiers, qui jugent & conjure du seigneur ou de son
baillif. »
(7) Sur tous ces points , vpyez, parfois en sens different , M. Fustel de Coulan-
ges : L'organisationjudidaire. (fiesue des Deux-Mondes, ler ao<lt 1871, p. S40, sqq.)
DU XIII° AU XVn' SIECLE. 7
partir du moment oil il put acheter des fiefs, s'il residait sur
son franc-fief, tout au moins pour les proces qui concernaient
cette terre, il ne pouvait etre juge que par les autres vassaux,
tenant des fiefs du meme seigneur que lui-meme (1). II est
probable qu'il pouvait revendiquer le meme privilege dans les
proces criminels intentes centre lui. Pierre de Fontaines declare
en effet en termes generaux que « la franquise des personnes
n'affranquit pas les heritages vilains , mes li frans fies franquise
le personne qui est de poeste; en tant comme il est couquans et
levans, il use de le franquise du fief (2). »
Le serf etait traite plus mal encore que I'homme de poeste.
Centre le seigneur il n'avait aucun recours ; car il semble ,
qu'alors meme que celui-ci n'etait pas justicier, il ne pouvait
pas le traduire en justice (3). Gependant il est probable que
dans les cas tres-graves on s'etait depart! quelque pen de cette
rigueur : « L'en ne doit pas serf semondre (citer en justice) son
segnor, se n'est por sa cruaute (i). » Lorsque les serfs etaient
poursuivis par les tiers, et ils pouvaient I'etre, leur condition
etait au point de vue judiciaire, semblable a celle des vilains,
mais il n'est point certain qu'ils pussent citer en justice de
Tranches personnes. Bouteiller s'exprime encore ainsi : « Si est
a scavoir qu'en demandant en cor laie n'est a recevoir homme
de serve condition centre homme de franche condition , s'il n'es-
toit par adventure autorise du prince (S). » Dans Beaumanoir
(1) « Nus ne doit douter se li hons de poeste tient fief de son droit , et aucun
plSde a li de ce que au fief apartient, que il ne doie estre dements par ses pers,
aussi comme s'il estoit gentilhons. » Beaum., xlviii, 11.
(2) Conseil, iii, 4, 5, 6. Beaumanoir d'ailleurs paralt formel. Voy. chapitre Des
meffH, XXX, 44 : « Se hons de poeste maint en franc fief, il est demenes comme
gentixhons , comme des Eyornemens et des commandemens et por uzer des fran-
chises du fief. » I
(3) Beaum., xiv, 31 : « Lor sires pot prendre quanque il ont a mort eta vie,
et lor cor tenir en prison toates les fois qu'il lor plet , soit a tort soit a droit,
qu'il n'en est tonus k r^pondre fors a Dieu. »
(4) Livre de JosUce et de Plel, u, 15, § 2.
(5) Somme rur., I, tit. 9 (Sdit. Carondas, 1612, p. 42) ; — Cf. Privilege royal de
1138 en fayeur des serfs de I'abbaye de Saint-Maur (Isambert : Anciennes his
frangaises, torn. I, p. 134). Les textes du Moyen-Age parlent parfois de servi jit-
dices crfies par le seigneur. Voy. Cartulaire de BeauUeu, l (p. 92) : « Sic per
omnes curtes sive villas imponimus judices servos. » II s'agit Ik de pr6pos6s , qui
8 LA PROCEDURE CRIMINELLE
nous trouvons seulement que le serf ne peut point provoquer au
duel judicialre une franche personne (1).
On le voit , le jugement par les pairs n'etait point une regie
generale de la justice du monde feodal. C'etait simplement une
consequence du vasselage , et cela constituait un privilege pour
les hommes de fief. La grande foule des roturiers et des serfs
ne pouvait point invoquer ce principe tutelaire. Nous tenions a
constater ce point; car plus tard, dans la suite de cette etude,
nous verrons apparaitre le jugement par jures du monde mo-
derne , et nous verrons aussi qu'on a voulu le rattacher a la pro-
cedure feodale, a I'ancien jugement par les pairs : il est difficile
de concilier cette idee avec les faits que nous venons d'exposer.
Le service de cour etant tres-dur pour les vassaux , le jugement
par les pairs, des le xiii° siecle, tendait a disparaitre (2). En bien
des lieux, les nobles , comme les roturiers , etaient deja juges par
le bailli : « II y a aucuns liex la u on fait les jugemens par le
bailli et autre liu la u li homme qui sunt home de fief font les
jugemens (3). » A la fin du xiv^ siecle , Bouteiller connait encore
les jugements faits par les hommes , mais dans son livre ils sent
indiques plutot comme une exception que comme constituant
le droit commun ; le xv' siecle les fera completement dispa-
raitre.
D'ailleurs le principe , d'apres lequel le seigneur justicier, ou
le juge a qui il deleguait son pouvoir, ne pouvait point statuer
seul , ne disparut point. L'usage forga le juge d'appeler « a son
conseil » des praticiens exerces; c'etait la quelque chose qui
rappelait le concilium des magistrals remains; « es liex, dit
Beaumanoir, ii les baillis font les jugemens (li baillis) doit
appeler a son conseil des plus sages et fere le jugement par lor
conseil (i). »
gtoferalement Staient des agents flscaux; la pifece citfie du Cartulaire de Beaulieu
debute ainsi : « In istis vero curtibus servos vicarios debemus imponere ut fide-
liter exigant servitia dominis suis. »
(1) Beaum., lxiii, 1.
(2) Voyez Montesquieu, Esprit des lois, liv. XXVIII, oh. 72; — Cf. M. Fustel
de Coulanges, loc. cU., p. S45, ssq.
(3) Beaum., i, 13.
(4) Beaum., i, 13; cf. 6tabl. S. Louis, II, 15. Voyez en particulier ce que
^
DU XIII" AU XVII* SIECLE.
II.
Le roi, a rorigine de la feodalite, n'avait juridiction que sur les
terres composant le domaine royal; et la il rendaitla justice au
meme titre et seloa les mSmes formes qu'un seigneur justicier
dans sa seigneurie. Mais cette juridiction grandissait toujours en
meme temps que le domaine de la couronne et la puissance
royale ; un organisme puissant se creait pour la servir.
Le roi dans ses domaines eut, des le debut, des prevots, comme
en avaient les seigneurs ; ce sont les « propositi in potestatibus
nostris » dont parle le document de 1190 connu sous lenom de
Testament de Philippe-Auguste. Selon la loi des fitats commen-
cants , les prevSts reunissaient dans leurs mains I'administration
et la justice. Comme juges ils statuaient sur les proces ou les
roturiers etaient parties, peut-etre a I'origine tenaient-ils aussi
des assises feodales (1). A mesure que la royaut6 etendait ses
domaines, le nombre des prev6tes augmentait. D'apres Brussel,
avant 1202, il y avait 49 prevotes royales; il montre aussi avec
quelle rapidite s'accrut leur nombre.
Les baillis sont les officiers superieurs de la royaute. Pour
trouver I'origine de cette fonction on est parfois remonte tres-
haut. Pasquier, remarquant qu'ils surveillaient les prevots et
tenaient des assises ambulatoires , voit en eux les successeurs
des missi dominici carlovingiens (2) ; mais une trop grande solu-
tion de continuite separe les deux institutions pour qu'un rac-
cord soit possible. 11 est probable que ce fut seulement un besoin
nouveau de r^gularite et de centralisation qui fit creer les baillis.
lis apparaissent pour la premiere fois d'une fagon certaine dans
I'ordonnance de Philippe- Augugte de 1190 (3), mais ils existaient
nous reldverons plus loin a cet figard dans le Registre crimmel dm, Chdtelet de Pa-
ris (A. 1389-1392).
(1) Voyez le chapitre du Livre de Jostice et de Plet intitule : De I'office au
prMt.
(2) Recherches de la France, 1. II , ch. xiv.
(3) Isamhert, I, p. 179.
y^
10 LA PROCEDURE CRIMINELLE
sans doute auparavant (1). Avant eux, la surveillance des prevSts
appartenait peut-etre au senechal de France (2) , et ce fut seule-
ment lorsque , le domaine s'agrandissant , il devint necessaire de
porter la surveillance sur les lieux , qu'on crea las baillis. De
meme , lorsque la royaute , apres la guerre contre les Albigeois ,
acquit de grandes possessions dans le Midi , on crea sous le nom
de sdnichaux dea officiers pour remplir les memes fonctions (3).
Dans la suite , des que les possessions de la couronne devenaient
importantes dans une region, il y etait nomme un bailli; lors-
qu'un grand fief etait reuni, il etait divise en bailliages.
Les baillis avaient pour fonction principale de tenir des assises
solennplles dans les principales villes de leur ressort. « Assise,
dit Bouteiller, est une assemblee de sages juges et officiers du
pays que fait tenir ou tient le souverain bailli de la province.
Et y doivent etre tous les juges, baillifs, lieutenants et autres
officiers de justice et prevote royal, sur peine de I'amende...
Et doit estre I'assise publiee par toutes les villes ressortissant
a ladite assise par sergent et commission du baillif , les lieux et
les jours de presentation, et doit le dit baillif souverain, selon
les ordonnances royaux tenir ses assises de trois mois en trois
mois... En assise doibvent estre tous procez decidez si faire se
pent bonnement , tout crime connu et pugny, tout bannissement
accompli... Si doit estre chascun ouy en sa complainte soit sur
nobles non nobles, soit sur officiers, sergents ou autres... et est
entendue assise aussi comme purge de tous faiz advenuz au
pays... aussi, ne doibt estre assise tenue en nulle terre fors en
laterre oii le souverain, de par qui I'assise est tenue, a justice
sans moyen. Car en autre terre ne la pent ne doibt tenir le sou-
verain baillif... Car en terre d'autre seigneur ne les peut ne
doibt tenir (4). » Nous avons cite ce passage tout au long, car
(1) Voy. Pardessus : Essai historique sur I'organisation judiciaire en France ,
p. 242, ssq.
(2) Voy. Brussel, op. oit., torn. I, p. 507; Lettres historigues sur les fonctions
essentielles du Parlement, sur les droits des pairs et sur les loix fondamentaks du
royaume. Amsterdam, 17S4, torn. II, p. 28. N'o f.
(3) Pour la synonymie des deux termes Bailli et Sinichal, Voy. Bouteiller
Somme rurale, I, ch. iit, p. 9.
(4) Somme rurale, 1, oh. iii , p. 9.
DU XIII' AU XVn° SIECLE. H
il nous parait instructif : il montre qu'avant tout les baillis de-
vaient recevoir les plaintes contre les officiers royaux et infe-
rieurs, el au besoin reformer leurs jugements. On pouvait aussi
porter devant eux toutes les causes qui etaient du ressort des
prevdts royaux; bient6t meme les crimes les plus graves, ceux
qu'on appela les cas royaux, leur furent reserves.
Mais les baillis jouaient aussi un autre role dans leurs assises.
Quand il etait reuni i la couronne un fief dont relevaient des
arriere-vassaux, le roi, qui succedait a I'ancien suzerain, devait
encore assembler ces gentilshommes en cour feodale pour qu'ils
se jugeassent les uns les autres. Bien evidemment ce n'etait pas le
monarque qui les presidait alors ; c'etait son bailli, cela se passait
dans I'assise (1). Les deux sortes de justice etaient administrees
c6te a cote, dans la m^me solennite judiciaire; une confusion
devait ^ la longue s'operer entre elles, et ce fut encore 1^ une des
causes qui haterent la disparition des hommes jugeurs. De ce
droit primitif il resta pourtant un vestige , que reproduira encore
I'ordonnance de 1670 : en matiere criminelle, les gentilshommes
n'etaient pas jusliciables des prevots, mais seulement de ces bail-
lis, qui avaient autrefois preside les assises feodales. Plus tard ,
au moyen de la theorie de I'appel, les baillis royaux etendirent
leur autorite sur les justices seigneuriales.
Le dernier elage des juridictions royales etait le Parlement.
C'est encore la une institution dont on a cherche bien loin I'ori-
gine. Pasquier I'apercoit dans les champs de Mai de I'epoque
franque, lesquels pourtant n'avaient point d'attributions judi-
ciaires; d'autres I'ont trouvee dans le tribunal du palais, la Curia
regis, des rois francs, et cette opinion, sans etre absolument exacte,
contient une grande part de verite (2). Ce qui est vrai, c'est que,
comme les baillis, le Parlement jouait un double role;
Le roi formait le dernier terme de la hierarchie feodale, n'ayant
(1) Voyez ordonnance de 1277, ch. 30 (Ord., 1. 1, p. 355; Isambert, I, p. 665) :
« Cbascua bailtif en qui court Ton juge par homme contreigne les hommes au plustdt
qu'il pourra k juger les choSes demenSes par devant eux. » Cf. M. Fustel de
Coulanges : L'Organisation judiciaire. (Revue des Deux-Mondes, i" aodt 1871,
p. 540, ssq.)
(2] Yoy. M. Beugnot : Olim, introduction, passim; Pardessus : Organisation
judiciaire, p. 20, ssq; cf. Letlres hiiloriques sur les Parlements, tome I, passim.
12 LA PROCEDURE CRIMINELLE
lui-mSme d'autre suzerain que Dieu, comma diront les juristes (1).
II avail par suite des vassaux immediats, en tant que roi de France,
ceux qui tenaient immediatement de lui un fief litre , les seuls
d'ailleurs qui se reconnussent ses hommes (2). Ceux-la, en vertu
du principe du jugement par les pairs, devaient former une cour
feodale, pour se juger les uns les autres; cette coiir s'appela tou-
jours la Cour des pairs.
Mais d'autre part le roi devait surveiller ses officiers ; il devait
controler les baillis , comme ceux-ci contr61aient les pr6v6ts , et
recevoir les plaintes que leurs actes soulevaient. Pour statuer
sur ces points il s'entourait d'un conseil oii flguraient les grands
officiers de la couronne , les principaux prelats , les grands vas-
saux, etc. : c'etait la Curia regis proprement dite.
En droit, il y avait la deux domaines separes (3). En fait il
ne pouvait y avoir la deux institutions distinctes : « Je ne con-
nais , dit Pardessus , aucun document ni aucun temoignage his-
torique sur 1' existence simultanee de ces deux cours distinctes
toutes deux presidees par le roi a deux litres differents.... La
seule chose qu'ils nous apprennent , c'est que le vassal Iraduit
devant la cour de son suzerain avait le droit d'exiger qu'on y
appelolt, s'il ne les y trouvait pas, un certain nombre de vassaux
de meme rang que le sien, ses pairs... mais les autres membres
de la cour qui n'avaient pas ce rang ne cessaient pas d'en faire
parlie , ils conservaient le droit de juger ; en un mot , la cour
etait renforcee par les pairs du defendeur ; elle ne s'effacait pas
devant eux pour leur laisser le jugement d'une maniere exclu-
sive. C'est ce qui est tres-bien explique dans les J^tablissements
de saint Louis , en ces termes : « Se li bers est apeles en le cort
(1) Etablissements de S. Louis, I, 78. — Livre de Jostice, i, 16, § 1 : « Li rois
ne dolt tenir de nuil ettuit sont soz la main au roi. »
(2) Joinville, § 14 (Edition de Wailly) : « Li rois manda ses barons a Paris, et
leur fit fere sermeut.que foy et loyaut^ porteroient k ses enfans, se aucune chose
advenoit de lien la voie; il me demanda, mais je ne voz point fere sairement,
car je ne estoie pas ses horn. »
^ (3) Livre de Jostice et de Plet, II, 20, § 1 : « De I'oflce as mfetres : Li mestre de
I'ostel le roi ont plenier poir par dessus toz autres. Et aucunes foiz avient qu'il
deivent porter les granz causes pardevant le roi , comme de eels qui convient
jugier par pers. »
Du xin" XV xvii° siecLe. 13
le roy... et il die : « Je ne vuel mie estre jugies fors par mes pers
de cette chose , » adonc si doit on les barons semondre jusqu'4
trois a tout le moins, et puis la justice doit fere droit o (avec)
eux et 0 autres chevaliers (1). »
Le conseil du roi etait encore a I'origine un conseil de gou-
vernement et une cour des comptes; il etait ambulant et se
Iransportait §, la suite du roi de ville en ville. Mais peu a peu
tout se fixa et se determina. Sous saint Louis commeuQa la divi-
sion des fonctions. Bientot du conseil unique plusieurs corps
furent formes : conseil d'fitat , cour des Comptes , et cour judi-
ciaire , Curia regis proprement dite , laquelle prit le nom de Par-
lement (2).
Des lors le Parlement se tint a des epoques determinees;
en 1277 on fixe la procedure qui y sera suivie, et en 1302,
Philippe le Bel decide qu'il sera tenu a Paris deux parlements
par an : a I'octave de Paques et a la Toussaint (3).
Devenu un corps sedentaire , le Parlement devait voir sa com-
position changer. Les legistes allaient y entrer, et bient6t tout
envahir; car on etait a cette epoque ou, comme dit Loysel, « le
droict escrit tant civil que canonique ancien cpmmengoit a pren-
dre pied par la France , laquelle aussi consequemment commenca
a se peupler d'advocats (4). « Pardessus a tres-nettement ex-
(1) Pardessus : Organisation judiciaire , pp. 43 et 50; cf. Olim, torn. I, p. 454,
ettom. I, preface, p. xxxvi. Voy. aussi Pardessus, p. 56 : « Le sire de Nesle avait
cit6 la comtesse de Flandre, grand-vassal de la couronne devant la cour du roi pour
defaut de droit; les pairs assistant k la cour suivant la r&gle ezpliqu^e plushaut,
pr^tendirent que le chancelier du roi, son bouteiller, son connitable n'avaient
pas le droit de stance. Cette reclamation qui ne tendait pas cependant h r^duire
la cour aux seuls grands vassaux, mais seulement a en faire exclure les ministe-
ria, les hospitia regis, fut rejet^e, attendu la tr^s-ancienne possession du droit
de stance dans laquelle fitaient ces offlciers. Voyez Martene : CollecUo ampUs-
sima, 1. 1, col. 1193. »
(2) Le mot parlement dSsigna d'abord toute assemble solennelle ofi Ton d^bat-
tait les affaires. — La division du conseil du roi en plusieurs corps, dont nous
venons de parler, ne fut 4 I'origine qu'ua rftglement d'administration intSrieure ;
les membres de I'ua des corps passaieat a volontS dans un autre. Cf. Boutaric,
Aetes du Parlement de Paris, preface.
(3) Isambert, I, p. 190. Sur tons ces points. Voyez Pardessus, Organisation ju-
diciaire, p. 99, ssq; — Cf. Lettres historiqves sur les Parlements, torn. II, passim.
(4) Loysel : Pasquier ou Dialogue des Advocats, fidit. Dupin, p. 35.
14 LA PROCEDURE CRIMINELLE
plique ce qui se passa alors : « La cour dul eprouver le besoin
de s'adjoindre des auxiliaires qui , ayant fait les memes etudes
que les avocats, pussent lui donner un resultat impartial de
I'etat de la question,.... un autre motif fit encore sentir ce besoin
d'auxiliaires. La cour parait avoir tres-anciennement donne a la
preuve par temoins ou par actes ecrits, la preference sur le
combat judiciaire, et je n'hesite pas a croire que saint Louis,
en prohibant ce combat dans ses domaines par I'ordonnance
de 1260, n'ait generalise une coutume que sa cour pratiquait
depuis longtemps. Ces enquStes etaient assujetties k des forma-
lites. On comprit tres-bien qu'il n'y avait ni possibilite ni con-
venance a charger les membres de la cour de proceder k ces
enquetes... et de meme qu'on avait besoin d'auxiliaires audi-
teurs ou rapporteurs , de meme il fallait des enquesteurs dont les
fonctions sont encore nommees dans I'ordonnance de Janvier
1277... Primitivement choisis par la cour, non institues par le
roi , ces clercs ne furent d'abord que des employes qui n'avaient
pas voix deliberative, ni meme le droit d'ouvrir un avis s'ils n'y
etaient invites (1). » Les clercs n'allaient tarder a prendre un
meilleur rang : « Les rois chaque annee et peut-etre meme a
chaque session faisaient dresser et arretaient une liste de ser-
vice.... les seigneurs non portes sur la liste de service cessaient
d'etre juges; ceux qui etaient compris n'etaient plus jugesuni-
quement en vertu de leur droit , mais par le bon plaisir du roi ;
bientot ce fut lui qui nomma les clercs rapporteurs et enques-
teurs, et on en trouve la preuve, dans les quatre premiers
articles de I'ordonnance du mois de novembre 1291 (Ord. I,
320) ; ces clercs , cessant d'etre des employes au choix de la
cour, en devinrent membres, quoiqu'en inferiorite de rang (2). »
Enfin, des les premieres annees du xiv" siecle, le Parlement etait
divise en trois Chambres, la grand Chambre, la Chambre des
enquestes et la Chambre des requestes (3).
(1) Essai sur I'organisation judiciaire , pp. 107, 109.
(2) Pardessus, op. cit., p. 111.
(3) Ordonaanoe de dScembre 1320 (Ord. I, 720); Pardessus, op. cit., p. 156.
« Compose dans le principe des gens du roi, le Parlement reprisentait un conseil
d'fitat pr6sid6 par le souverain, qui intervenait dans les ddibfirations , les mo-
DU Xin" AU XVIl" SIECLK. IS
Ainsi organise , le Parlement va devenir une arme terrible aux
mains de la royaute dans sa lutte centre le monde feodal; la
theorie de Vappel lui donnera une puissance immense , et dans
les contestations entre les prevSts ou baillis et les seigneurs jus-
ticiers , c'est lui qui dira le dernier mot.
Pendant longtemps la royaute n'eut qu'une seule cour souve-
raine , qu'un Parlement ; les Parlements de province ne vinrent
que plus tard. Le plus ancien est celui de Toulouse cree en 1302,
mais qui ne fut definitivement etabli dans cette ville qu'en 1443.
Le Parlement de Dijon , en tant que juridiction royale, date de
1476; celui de Bordeaux est aussi du xv" siecle. Ce n'est qu'en
1499, qu'au lieu des assises annuelles de I'echiquier de Norman-
die , on institua un echiquier perpetuel qui devint le Parlement
de Normandie et s'installa a Rouen. Les Parlements de Bre-
tagne , d'Aix et de Trevoux sent du xvi° siecle ; les autres n'ap-
partiennent qu'aux xvn° et xvin° siecles.
in.
Les dernieres juridictions laiques dont il nous reste a parler,
sont les juridictions municipales.
II y avait d'abord les justices des villes de commune ou d'^che-
vinage. Les communes etaient, on le sait, des associations jurees
d'habitants des villes, qui avaient obtenu de leur seigneur suze-
rain le droit de s'administrer elles-memes. Cette concession for-
melle ou charte etait un titre que la commune devait toujours pro-
duire en cas de contestation (1) ; de bonne heure I'idee s'intro-
duisit aussi qu'il fallait faire confirmer les cbartes par le roi. Les
plus anciennes parmi les villes de commune sont le Mans , Cam-
brai, Noyon, Beauvais^ Saint-Quentin, Laon, Amiens, Soissons,
difiait, les rejetaiti ou pour mieux dire en faisaitbon marcW. Des le commence-
ment du xiyn sifecle, ses membres etaient choisis par le roi pour chaque session.
Leur nombre fut limits par I'ordonnance du 11 mars 1344, et lis devinrent ina-
movibles de fait autant dans leur interfit que dans I'intSrfit de la royautfi. » Bou-
taric : Actes du Parlement de Paris, preface, p. ni.
(1) Voy. Leitres de Louis Vll a laville deBeauvais, 1151 (Ord. XI, p. 198); —
Brussel, op. cit., torn. II, p. 927 (arrfit des grands jours de Trqyes).
16 LA PROCEDURE CRIMINELLE ,
Reims ; le nombre s'en accrut rapidemeat dans le Ponthieu , la
Picardie, le Beauvoisis, I'ile de France, le Vexin, le Valois, la
Champagne ; le mouvement gagna la Bourgogne et le Poitou.*
Les communes ont toujours leurs juridictions propres, oil
siegent, suivant des combinaisons varices, les maires, les eche-
vins , des jures ; parfois le seigneur a conserve pour son prevot
le droit d'assister aux plaids (1).
Dans le Nord de la France on trouve un certain nombre de
villes qui jouissaient des memes privileges , sans qu'on puisse
faire remonter I'origine de ces droits a une charte de commune ;
on les appelle ordinairement villes d'^chevinage. II est probable
que dans ces contrees, oii la population de race germanique etait
fort dense, I'administration de la justice par les scabmi, comme a
I'epoque carolingienne , s'etait continuee sans interruption ve-
ritable. Tel etait le cas de Lille , de Douai , d' Arras , de Saint-
Omer, de Therouane (2).
Les bourgeois des villes de commune ou d'echevinage , pour-
suivis en matiere criminelle, devaient etre juges par leurs jus-
tices municipales , que I'accusateur fut un bourgeois ou un etran-
ger ; c'est un principe bien souvent exprime (3) , et qui etablissait
a l^ur profit le jugement par les pairs. Les tribunaux munici-
paux jugeaient meme les delits commis par des etrangers dans-
I'interieur de la banlieue « infra banleucam. » Cela ne souffrait
aucune difficulte si le coupable etait pris sur le fait. S'il s'enfiiit,
on le cite ; s'il ne comparait pas , on lui interdit I'acces de la
ville. On voit m§me apparaitre dans les chartes des moyens de
contrainte plus energiques , qui sont de veritables faits de
guerre (4). BientSt au lieu d'aller en guerre on ira au Parlement.
(1) Voy. charle d'Amiens, art. 48 (Ord. XI, p. 264); charte de Bray, art. xi
(Ord. XI, p.296).
(2) Voy. Olim., I, pp. 46, 239; II, 80, 115, 133, 312, 410, 626. — Pour Lille :
Roisin, Franchises, lois et coutumes de la ville de Lille (6dlt Brun-Lavaisne, 1842)-
les rois ne font que confvrmer ces franchises (Ord. XI, pp. 297, 376, 424).
(3) Voy. Chartes : Laon, art. 19 (Ord. XI, 261), Saint-Quentin, art. 1 (Ord. XI,
270); Bray, art. 3 (Ord. XI, 296). — Corbie, art. 4, S (Ord. XI, 214); Soissons,
art. 18 (Ord. XI, 219); Pontoise, art. 7 (Ord. XI, 234); Sens, art. 21 (Ord. XI,
262). — Roisin, ch. ii; Beaumanoir, L, 17.
(4) Si le malfaiteur s'est rSfugifi quelque part, on doit le r^olamer, et, en cas de
DU xm° AtJ XVII° SIECLE. 17
Les villes de commune et d'echevinage etaient en realite des
corps souverains. D'autres villes avaient des juridictions muni-
cipales sans joair de privileges aussi etendus. Elles restaient
justiciables des seigneurs ou du roi, et les bourgeois compa-
raissaient devant le propositus , mais elles avaient obtenu des
chartes, leur assurant que celui-ci s'adjoindrait un certain
nombre de « preudhommes , boni homines , probi homines , « pris
parmi les bourgeois et souvent elus par eux. Telle etait la con-
dition d'un grand nombre de villes du centre de la France, dont
Bourges etait en quelque sorte le type (1). Beaucoup de villes
de la Franche-Comte avaient aussi obtenu ce regime. Paris avec
son « Parlouer aux bourgeois » possedait une sorte de juridiction
municipale, qui remontait tres-loin.
-Dans le Midi, de tres-bonne heure, les cites ont des consuls, qui
sont les juges ordinaires et les administrateurs des villes ; sou-
vent aussi les seigneurs ont conserve a c6te d'eux leurs propres
officiers et representants. II se produisit la un mouvement ana-
logue a celui qui fit grandir les puissanles cites italiennes. De
part etd'autre, I'anciennevie municipale ne s'etait jamais eteinte,
et sous I'influence de I'esprit de particularisme , qui distingue le
monde feodal , elle reprit une activite nouvelle. Carcassonne a eu
des consuls en HOT, Beziers en 1121 ou 1131, Montpellier en
1141, Nimes en 1141, Narbonne en 1148, Castres en 1160, Aries
en 1141, Avignon en 1146 (2). « La meme ou les comtes ou les
autres chefs feodaux s'etaient mainlenus en autorite , le consulat
exercait une partie considerable des pouvoirs judiciaires... les
consuls etaient assistes dans toutes leurs deliberations par divers
refus, le saisir oommeon pourra : Soissons, art. 7 (Ord. XI, 215); Crespy, art. 4
(XI, 305); Sens, art. 9 (XI. 292); Compifegne, art. 8 {XI, 240). — Si le rtealci-
tranl a une maison dans le volsinage, ou ira I'assieger et la dfimolir : Roye, art.
19 {XI, 228); Tournay, art. 5 {XI, 249); Amiens, art. 15 (XI, 265); Saint-Quentin,
art. 10 (XI , 270) ; Crespy, art. 17 {XI , 305) . Le Livre Roisin nous decrit en detail
cette sorte d'expfidition.
(1) Voy. Ord., torn. XI, page 193 ; of. la charte de Chateauneuf-sur-Cher (Ord.
XI, pp. 221 et 225).
(2) Voy. Raynouard : Histoire du droit municipal, torn. I, passim; Warnkonig
et Stein : Franzosische Staats-und-Rechtsgeschichte, torn. I, n"' 134, sqq.
{8 LA PROCioURE CRIMINELLE
conseils composes d'individus pris dans toutes les classes de la
population (1). »
IV.
En face des juridictions laiques s'elevaient les tribunaux eccle-
siastiques : c'etaient les « cours de Chretiente, » comma on
disait jadis; elles avaient une haute autorite et une vaste com-
petence.
Le juge pour chaque diocese etait I'eveque « I'ordinaire; »
mais bientot il dut deleguer ses pouvoirs. Son suppleant fut
d'abord Varchidiacre , dont le r61e fut tres-important jusqu'au
xii° siecle; puis, a partir du xiii'' siecle, un officier special,
appele officialis , V official. Une savante hierarchic permettait des
appels multiplies ; de TevSque on appelait a I'archeveque , de
celui-ci parfois au primat, toujours au pape (2).
En matiere criminelle specialement , les cours de Chretiente
avaient une competence tres-etendue ; les clercs ne pouvaient Mre
juges que par elles ; les juges laiques pouvaient les arreter, mais
c'etait tout (3). Ce privilege de clergie s'etait etendu d'une facon
extraordinaire; il embrassait tons les degres du clerge regulier
et tons ceux du clerge seculier jusqu'aux chantres (4). Du temps
de Beaumanoir, il suffit que le malfaiteur soit tonsure, pour
qu'on doive le rendre a I'Eglise (5).
(1) Fauriel : Introduction a I'histoire de la croisade contre les hiritiques AlH-
geois, p. lvi.
(2) Beaumanoir, lxi, 65. Voir, pour tout ce qui concerne les tribunaux ecolfi-
siastiques 4 cette epoque, le remarquable livre de notre collfegue M. Paul Four-
nier : Les officialitis au Moyen-Age, Paris, 1880.
(3) « On le doit rendre a sainte Eglise de quelque meffet que 11 face. » i^tahl.
S. Louis , I, 84; of. Beaum. xi, 30; — « Les clercs ne soient traitez que par 1'^-
vesque dessoz qui y sent demeurants et qui en a a cognoistre seul, soit pour cas
civil, soit pour cas criminel. ;; Bouteiller, Somme rurale, II, oh. viii.
(4) Tous ceux qui n'avaient pas regu le sous-diaconat pouvaient se marier et
vivre de la vie du sifecle; les clercs mariis sont souvent visis dans nos vieux 11-
vres; on admit qu'ils ne pouvaient invoquer le privilege de clergie qu'autant
qu'ils porleraientna couronne (tonsure) et I'habit ecolfisiastique. £tabl. S. Louis,
I, 84; Bouteiller, II, 7; Jean Desmares, rfegles 25 et 392.
(5) Beaum., xl, 25. C'est un fait bien connu que souvent des malfaiteurs se
DU Xm'AU XVII° SIECLE. 19
D'autre part, I'Eglise reclamait beaucoup d'accuses laiques;
elle revendiquait les accusations d'heresie et d'apostasie (i), de
sorcellerie (2), d'adultere et d'usure (3). Cependant si dans tons
ces cas elle jugeait , elle ne prononcait pas toujours la condam-
nation. C'6tait un principe du droit canon que I'Eglise ne pro-
nongait pas de peines capitales : « la justice esperituel ne doit
nului metre a mort {i). » Cependant, parmi les crimes dont elle
revendiquait la connaissance , il y en avait beaucoup que , selon
les idees alors regues, la mort seule pouvait expier. Elle li-
vrait alors le coupable au bras seculier qui prononcait la peine
et la faisait executer (5).
faisaient tonsurer afin d'gtre jugSs par I'figlise. Au xivo siecle, le Registre criminel
du Chdtelet de Paris offre de nombreux exemples de ces supercheries. Voici par
exemple ce que dit un prisonnier (I, p. 90) : « Par le conseil dudit Jehannin du
Boys , qui lui dit qu'il ne moroit nul prisonnier en la cour dudit official , et que
toujours Ten en yssoit par dStenoion de longue prison , nouvel advenement d'ar-
ceveque , ou autre grand seigneur, qui faisoient delivrer yceulx prisonniers , il
fist nouvellement et premierement fere sa couronne en la dite ville de Prouvins. „
Pour d^jouer ces ruses , le juge du Chatelet emploie divers moyens : des com-
missions de barbiers viennent examiner I'fitat de la tonsure (T, 204, 40S; II, 491);
surtout on demande au prgtendu clerc s'il sait lire et comment il fut consacre (I,
48, 51, 69,73, 85, 294; 11, 102). G^neralement I'accus^ est oblig^ d'avouer
« qu'il ne cognoist lettre aucune, » et les details qu'il donne sur la cer^monie de
son ordination sont d'une invraisemblance manifesto. Malgre cela, I'^vgque re-
clame parfois avec ^nergie ces singuliers clercs (I, 85, 94, 296); mais le Parlement
decide qu'on tiendra comme laiques les illettr^s qui ne rapporteront point de let-
tres d'ordination : I, 78. « Monsieur le prevost avoit parl6 a M. le chancellier et
a autres du grand conseil du roy, lesquelx lui avoient dit et respondu , consider^
que un homme naist pur lay, et qu'il doit estre tenuz et reputez toute sa vie pour
tel s'il ne appert de lettre de tonsure , ou qu'il sacbe lire ou escripre. » La suite
du Registre montre que cette jurisprudence devint constante.
. (1) « Por ce que sainfe figlise est fontaine de foi et de crfiance. » Beaum., xi,
2; Etabl.S. Louis,'l,Si.
(2) Beaum., xr, 25. Au xiv« sificle, le Registre du Chdtelet nous montre plusieurs
proems de sorcellerie jug^s par la juridiction la'ique, mais non sans opposition de
la part de I'Eglise, II, 312, ssq. Dans ces hypotheses, la sorcellerie avait, disait-
on, caus6 la mort ou la maladie d'une ou de plusieurs personnes.
(3) Mais sur ce point les cours laiques ^talent ^galement comp^tentes. Beauma-
noir, loc. cit.; ttahl. S. Louis, I, 86.
(4) Beaum., xi, 12. Bouteiller : « Les regies des d^crfitales... ne servent riens
de criminel a peine mortelle, fors k peine de douleur, c'est k scavoir chartre per-
pStuelle. »
(5) Beaum., xi, 2, 25; £tabl. S. Louis, I, 85, 123.
20 LA PROCEDURE CRIMINELLE
L'Eglise intervenait encore dans le domaine de la justice cri-
minelle par le droit d'asile. L'idee que les temples chr6tiens
offraient au coupable un refuge , devant lequel devait s'arreter la
justice humaine, apparut de bonne heure (1); elle etait univer-
sellement admise au xiii'' siecle : « Tout cil qui y queurent a
garant, combien qu'il aient meffet, soient clerc , soientlai, ily
doivent avoir garant, tant comme ils s'y tiennent (2). » Cela ne
rendait pas I'figlise competente pour juger le criminel, mais cela
entravait le cours de la justice lai'que; c'etait « k fin d'eschever la
rigueur de justice , tant que satisfaction soit donnee a partie , et
puis grslce du prince s'y peust estendre, si le cas le desire, et
non autrement. » II semble que le refugie , s'il ne pouvait etre
arrache de I'asile par la force , pouvait du moins etre somme de
se rendre a justice , ou de quitter le pays (3). Des le xiii* siecle,
il y avait d'ailleurs un certain nombre de criminels que I'asile ne
protegeait plus (4).
Toutes les juridictions , que nous venons d'etudier, existent
encore au xvii° siecle, et la grande ordonnance de 1670 deter-
minera leur competence. Mais a cette epoque les justices seigneu-
riales , municipales et ecclesiastiques , au lieu de figurer au pre-
mier plan, ne jouent plus qu'un role secondaire. Les juridictions
royales out definitivement pris le dessus ; elles ont envahi pres-
que tout le domaine du droit criminel; en meme temps elles se
sont modifiees, perfectionnees, multipliees. II nous faut indiquer
rapidement comment ces transformations se produisirent.
(1) Cod. Just., 1,2; Nov. 17.
(2) Beaum., xi, 14; Bouteiller, Somme rurale, II, 9; Desmares, 99, 100.
(3) C'est au moins oe qu'indique le Grand coulumier de Normandie, ch. lxxxi
(Bourdol de Richebourg).
(4) Beaum., xi, 15, 17, 16, 20, 21 : « Les robiferes de chemins en guet apensfi...
car toz crStiens de droit commun doivent aler et sauf venir par les chemins ; —
les sacrileges; — les « essilleurs de bieos... Sainte jfiglise ne porroit estre servie
ni les peuples soustenus si les biens estoient essill^s. »
Du xin* Au xvn° siecle. 21
CHAPITRE DEUXIEME.
Progrfes des juridictions royales; leur 6tat
aux XVIle et XYIII« sifecles.
I. Comment les juridictions royales Stendirent leur competence ; — les cas royaux ;
— la prevention; — I'appel; — le flagrant d^Iit; — les cas priviligi^s. — II.
Composition des sieges royaux : pr^vdts, baillis, lieutenants criminels, conseil-
lers; les parlements. Les tribunaux extraordinaires.
Comment les justices royales attirerent a elles la plus grande
partie des causes criminelles , qui allaient auparavant aux tri-
bunaux des seigneurs ou de I'Eglise, cela a ete dit d'une fagon
excellente (1); et nous ne songeons point a le redire ici. Nous
voulons seulement rappeler les principaux moyens qui furent
employes pour produire ce resultat. II y eut une longue suite
d'entreprises hardies et perseverantes , dans lesquelles les ju-
ristes qui servaient la royaute s'appuyaient plut6t sur le droit
encore obscur de I'avenir, que sur le droit du present parfois
ouvertement meconnu. lis invoquaient d'ailleurs souvent une
loi plus precise que cette vision vague du progres futur; ils
faisaient devant eux marcher la loi romaine , qui semblait alors
une morte auguste nouvellement sortie du tombeau.
Les theories, souvent subtiles, qu'on inventa pour parvenir
au but, se rattachaient toutes a cette grande idee que le roi
representait I'interet commun et qu'il devait a tous la secu-
rite et la justice : « Voirs est que li rois est sovrains par desor
tous, et a de son droit le general garde de son roiaume; »
— « il est tenus a garder et 6i fere garder les coustumes de
son roiaume; » — « toute laie juridictions du roiaume est tenue
du roi en fief ou en arriere-fief (2). » Ces theories, veritables
arihes de guerre , nous aliens les passer rapidement en revue.
(1) Voy. M. Faustin Hilie. Tome I (2o 6dit.), p. 325, ssq.
(2) Beaum., xxxiv,41; xxiv, 12; xi, 12; of. De Fontaines, xxii, 33.
22 LA. PROCEDURE CRIMINELLE
I.
Des le xiii'= siecle apparait cette idee que certains fails tres-
graves seront exclusivemeat de la connaissance des baillis
royaux , soil parce qu'ils portent directement atteinte aux droits
de la royaute, soit parce qu'ils menacent des interets conside-
rables dont le roi prend la garde en main. Pierre de Fontaines
signale ces entreprises (1). La Compilatio de Usibm Andegaviz
indique tres-nettement un cas royal (2) ; les Olim contiennent un
certain nombre d'arrets qui affirment la theorie (3). Une ordon-
nance de 1315 est fort explicite : « En lor teres ou ils ont haute
justice ne justicierons point fors es cas ci-dessus denommes at
autres qui a nous appartiennent par droit royal (4); » une autre
ordonnance de 1371 contient une enumeration des cas royaux
oil nous trouvons le crime de lese-majeste , I'infraction de la
sauvegarde du roi, le port d'armes, la fausse monnaie, et « ge-
neralement tout cas touchant le droit royal (5). » Dans la Somme
rurale, la theorie est completement formee; le livre IP est inti-
tule : « Des droits royaux et de la connoissance que le roi a sur
plusieurs cas. » C'est la qu'on sent toute Finfluence du droit
romain; cette puissance que les juristes construisent au profit
du roi de France , elle a pour type le droit imperial qu'ils trou-
vent dans le Corpus juris civilis : « le roi pent generallement
faire tout et autant que a droict imperial apparlient (6). » Bou-
(1) « Centre droit vuelent tollir et tollent baillif et prev6t as nobles hommes
de nostre pais le plet de desseisine et de dete et de force fete en possessions de
lor frans homes, qui autres enpledent, encore soient il lor couchant et lor le-
vant (xxxti , 1) ; » dans la suite du chapitre il est moins afflrmatif. « Par nostre
usage puet en pleidier pardevant le baillif du pais de force et de desseisine , de
cuique 6& que ce soit qui est en la baillie , car a ens appartient d'oster les forces
et de tenir chascun en seisine. » >
(2) « § 83 : II est d'usage que de meffet de chemin de roy nus n'en portet cor. »
Edition Beautemps-Beauprfe , torn. I, p. 57.
(3) Tom. I, 544, 599, 864.
(4)0rd., I, p. 561.
(5) Ord., V, p. 428.
(6) Bouteiller, Som. rur., II, 1. II met en note : « Baldus in L. Escemplo C. De
probat. dicit regem Francise esse imperatorem in suo regno. »
DU XIII* AU XVII* SIECLE. 23
teiller donne une longue liste de cas royaux ; nous y trouvons :
les ports d'armes (p. 647); la « connoissance et punition des-
bannis du royaume (p. 648); » les crimes commis par des offi-
ciers. et serviteurs royaux, les crimes de lese-majeste; le roi se
reserve aussi « tous faus monnoyers sur ses monnoyes et sur ses
coings , » « les contre-facteurs du seel royal , les pescheries en
toutes rivieres royales qui sont chemin royal et portent gros
navires, » les « boys et forests royaux (1). »
La liste s'allongeait toujours et elle n'etait jamais close. En etfet,
les ordonnances, qui peu a peu venaient regler cette matiere ajou-
taient toujours a leur enumeration « et autres cas touchant au
droit royal . » C'etait ouvrir la porte a toute nouvelle pretention
des baillis. En 1536, 1'edit de Cremieu (art. 10), suivait encore la
tradition sur ce point : « Cognoistront nosdits baillifs , senes-
chaux, et autres juges presidiaux des crimes de leze-majeste,
fausse monnoie , assemblees illicites , emotions populaires , et
ports d'armes , infractions de sauve garde et autres cas royaux. »
Les cas royaux etaient exclusivement reserves aux justices
royales ; pour d'autres delits on crea seulement a leur profit un
droit de concurrence avec les justices seigneuriales , le benefice
de la prevention. Cela voulait dire qu'en cas de negligence des
juges naturels les juges royaux pouvaient intervenir. Le roi ne
devait-il pas la justice a tous? ne devait-il pas faire avancer ses
gens, si les seigneurs manquaient a leur tache? Une ordonnance de
1319 exprime tres-nettement cette regie. « Concedimus quod de
criminibus commissis infra juridictionem ipsorum nobilium offi-
ciales nostri se nullatenus , intromittant , nisi in cas'ibus ressorti
aut negligentix. » On voit quel acces on ouvrait aux officiers
royaux. Mieux renseignes et plus actifs que les juges seigueu-
riaux, car leur zele pouvait les elever aux plus hauts emplois, ils
devaient tendre a s'emparer de toutes les causes avant mSme que
(1) On a vu figurer parmi les cas royaux I'infraction k la sauvegarde du roi. On
salt que le droit du Moyen-Age, pour mettre fin aux guerres privees , inventa une
procedure par laquelle la partie menacfie pouvait faire ciler son adversaire en jus-
tice pour le forcer a lui donner « asseurement ou sauvegarde. » La sauvegarde
iriUekiaM un trfes-grand crime, et le coupable 6tait puni par la justice devant
laquelle I'asseurement avail 6te donn6. On allait de preference pour demander
sauvegarde devant les justices royales , mieux respecties que les autres.
2i LA. PROCEDURE CRIMINELLE
les juges des seigneurs n'eussent connaissance du delit. Sans
doute c'etait violer le principe meme qu'on invoquait; il n'y avait
dans ce cas aucune negligence coupable ; mais peu importait ,
le Parlement reconnaitrait bien les siens. C'est ainsi que Bou-
teiller entend la theorie : « A le roy et a lui appartient et a ses
juges la cognoissance de tous cas de prevention... puisque pre-
mier on s'en traict a ses juges (1). » Cette matiere fut du reste
reglee beaucoup plus par I'usage et par la jurisprudence que par
les ordonnances. Certaines coutumes admettaient la prevention de
la part des gens du roi d'une facon absolue, par exemple celles
de Compiegne, de Senlis, de Vermandois ; d'autres, comme celles
d'Anjou , du Maine , de Touraine , de Poitou , permettaient bien
aux baillis de citer devant eux les justiciables des seigneurs, mais
ceux-ci avant le jugement pouvaient revendiquer la cause; la pre-
vention etait alors conditionnelle et a charge de renvoi (2). La
jurisprudence en vint a autoriser presque toujours la prevention
absolue au profit des juges royaux : « lis vont plus avant , dira
Pussort dans les conferences pour la redaction de I'ordonnance
de 1670, et sont autorises par les arrets centre les juges des sei-
gneurs. » C'etait admettre une sorte de competence generale,
quoique subsidiaire en apparence, au profit des tribunaux du roi.
La theorie dont la royaute tira le plus grand profit, et au
moyen de laquelle elle parvint a dominer completement les justi-
ces seigneuriales fut celle de I'appel (3).
La feodalite n'avait point connu I'appel dans le sens que nous
donnons a ce mot. Elle ne soumettait pas de nouveau a un juge
superieur le litige deja tranche par un premier juge ; a vrai dire,
bien qu'elle eut une hierarchie complete, elle ne connaissait point
des juges superieurs et des juges inferieurs ; toutes les cours
(1) Som. rw., II, 1 (p. 646, ssq.) ; il est vrai que Bouteiller etudie la prevention
plutot en matiere civile qu'en matiere criminelle.
(2) Vojez sur la prevention les coutumes suivantes : Montereau , art. 6, 7, 8 ;
— Valois, 10; — Noyon, 39; — Ribemont, art. 1; — Amiens, 200, ssq.; — An-
jou, 63, 73, 74, 78; — Maine, 75, 82, 84, 87, 89; — Blois, 11; — Clermont,
202-213; — Normandie, 23.
(3) Sur ce point, voir : Montesquieu : Bsprii i,es lois, 1. xxviii, oh. 28, ssq. Voy.
aussi : Essai sur I'hisloire du droit d'appel en droit remain et en droit franfais.
These pour le doctorat, par M. P.-J.-M. Fournier, 1881.
DU Xra° AU XVII° SIECLE. 2S
feodales , dans les limites de leur competence , etaient des cours
souveraines. II n'y avait dans la vieille procedure, sur laquelle
nous allons jeter par avance un coup d'ceil , que deux sortes de
voies de recours : I'appel pour defaute de droit , et I'appel de faux
jugement.
Dans I'appel pour defaute de droit on se plaignait d'un deni de
justice. Le plaignant etait-il le vassal du justicier, apres trois
sommations solennelles restees sans resultat , il devait citer
celui-ci devant le suzerain immediatement superieur, de qui la
justice etait tenue. Si le deni etait prouve, le lien feodal etait
desormais rompu entre ces deux hommes; I'ancien vassal ne
devait plus rien a son ancien seigneur. La preuve n'etait-elle
pas fournie, le fief etait confisque par voie de commise (1). Ce
recours etait egalement ouvert a Vhomme de poeste ; et meme la
procedure etait plus simple dans ce cas (2). L'etranger qui
voulait devant le justicier plaider centre un de ses hommes ou
de ses hotes, pouvait egalement intenter I'appel de defaute de
droit, et, dans ce cas, le resultat du recours etait simplement de
transferer au justicier superieur la connaissance de I'affaire (3).
Du reste, la preuve, quand il y en avait une a faire, ne consistait
point dans la provocation au duel judiciaire : « li apel qui sunt
fet por defaute de droit ne doivent etre demene par gage de
bataille, mes par monstrer resons par quoi la defaute de dro^
soit clere (4). »
Cette procedure faisait remonter, on le voit du seigneur infe-
rieur au seigneur superieur dans la hierarchie feodale; c'etait ce
qu'on appelait le ressort. Si au second degre on trouvait encore
un deni de justice , on pouvait mooter a I'echelon superieur, et
ainsi de suite jusqu'au roi. Mais ce n'etait point cette institution
qui pouvait servir a la royaute pour restreindre la competence
des justices seigneuriales ; on ne pouvait appeler omisso medio (S).
(1) Beaum., lxii, 3, 4; lxiii; Elahl. S. Louis, I, 49.
(2) Beaum., lxii, 5. L'bomme de poeste, s'il tenait du seigneur justicier une
censlve ou tout autre heritage vilain , 6tait probablement libera de tout service
au cas oti il prouvait le d^ni.
(3) Beaum . , lxii ,10.
(4) Beaum., lxi, 53.
(5) Beaum., lxi, 65.
26 LA PROCEDURE CRIMINELLE
L'appel de faux jugement s'attaquait a la sentence rendue;
mais c'etait une sorte de cassation barbare, dont I'origine se
trouve certdinement dans les coutumes germaniques. C'etait une
prise k parlie brutale du plaideur contre les pairs qui le ju-
geaient. Au moment oil les jugeurs emettaient leur avis le
plaideur declarait le jugement faux et mauvais , et pour prouver
son dire il provoquait tous les jugeurs ou I'un d'eux au duel
judiciaire en jetant son gage de bataille (1). Selon le resultat du
duel, le jugement etait maintenu ou casse, et la partie qui suc-
combait, appelant ou jugeurs, payait une amende ou souvent su-
bissait une peine cruelle (2). C'etait d'ailleurs une procedure for-
maliste, ou il fallait veiller aux paroles qu'on prononcait et dont
les details sont fort interessants (3).
L'appel de faux jugement n'etait ouvert qu'a ceux qui etaient
juges par leurs pairs, aux gentilshommes ; I'homme de poeste et
encore moins le serf ne pouvaient y recourir {i). Devant quelle
juridiction etait-il porte? Des textes formels etablissent que c'e-
tait devant la cour du suzerain immediatement superieur (5).
Mais cela venait simplement de ce que la premiere cour eut ete
juge et partie; l'appel pouvait etre debattu devant elle dans cer-
tains cas, lorsque, par exemple, le seigneur justicier avait encore
des hommes en nombre suffisant qui n'avaient pas siege dans la
^emiere instance (6). Mais on declarait que la cour du roi etait
(1) Beaum., lxi, 45, ssq.; Etabl. S. Louis, 1 , 81 ; de Fontaines, oh. xxii; Livre
de Jostice et de Plet., 1. xx, tit. 16.
(2) Beaum., lxvii, 7, 8, 9. — Cf. Assises (6dit. Beugnot, I, 561).
(3) Voy. Brunner : Wort und Form im altfranzosischen Process (Sitzungs-Berichte
der Akademie der Wissenscbaften. Wien. 57° vol., p. 738, ssq.).
(4) De Fontaines, xxu, 3 : « Vileins ne puet fausser le jugement son seigneur
ne de ses hommes, s'il n'est garniz de loi privee, par quoi il le puisse fere. » Cf.
£«. S. touis.I, 78.
(5) Beaum., lxi , 65 : « Cil qui apele soit por defaute de droit ou por fans ju-
gement doit apeler devant le seigneur de qui en tient le cort od li faus jugement
fu fes ; car s'il trespassoit ou apeloit par devant le comte ou par devant le roi , si
aroit cil sa cort de qui on tenroit la justice nu a nu oil li faus jugemens fu les.
Car il convient apeler de degre en degr6, c'est-k-dire selonc qui li homages est
du plus has au plus prochain seigneur aprfes. »
(6) Beaum., lxvii, 8 : « Li quens pot bien tenir le cort de ses homes qui sunt
appelfi de faus jugement, et fere droit par ses autres homes qui ne s'assentirent
pas au jugement. » Cf. lxi, 49.
Du xin' Au xvn° siecle. 27
souveraine absolument et qu'on ne pouvaitpas en appeler; Pierre
de Fontaines parle des « jugeurs de la cort soveraine qu'on ne
puist fausser (1). »
Cette voie de recours n'etait point I'appel veritable ; a peine en
conlenait-elle le germe. Mais ce qu'on ne trouvait pas dans les
cours feodales , n'allait-on point le trouver dans les assises des
baillis seigneuriaux ou royaux , la oii on ne jugeait pas « par
hommes? » La, le principe de la pairie n'etant pas applique,
I'appel de faux jugement, tel que nous I'avons decrit, devait
disparaitre , et c'est bien ce qui eut lieu : « S'on apele des fans
jugemens asbaillix, en le cort ou ils jugent, il ne font pas lor
jugement bon par gages de bataille, aingois sont porte li erre-
ment du plet, sur quoi li jugemens fu fes, en la cor du seigneur
sovrain au bailli qui flst le jugement; ilueques est tenus por bons
o por malves (2). » Cette forme de I'appel sur les « erremens de
pleti » va grandir rapidement. C'est surtout dans les justices
royales qu'elle gagna du terrain. La on 6tablit bient6t qu'on
pourrait toujours appeler de I'inferieur au sup6rieur, « du prevot
au bailli, du bailli au roi , es cors la ii prev6t et bailli jugent (3). »
C'etait done parfois une triple instance : prevot, bailli et Par-
lement. Mais il subsista certains traits des anciennes voies de
recours ; c'etait toujours le juge lui-meme que le plaideur prenait
a partie (i).
Cette procedure fit un nouveau pas en avant lorsque I'ordon-
nance de 1260 eut introduit a I'enquete » a la place du duel judi-
ciaire qu'elle prohibait sur les domaines de la couronne. Des lors
dans les domaines du roi , meme s'il s'agissait d'un jugement
rendu « par hommes, » il devenait impossible de le fausser selon
I'ancienne methode , car c'etait un proces qui exigeait forcement
ia « bataille; » c'est bien ce que dit I'ordonnance de 1260, art. 8 :
(1) XXII, 21, 22.
(2) Beaum., i, 14; of. livre de /. etPl., i, 4, § 4.
(3) Beaum., lxi, 65, 66.
(4) Beaum., lxi, 66. MM. Boutario {Saint Louis et Alphonse de Poitiers) et
Fournier {Essai sur I'histoire de I'appel, p. 190 sqq.), ^tablissent qu'au plus fort
du Moyen-Age I'appel veritable existait dans certaines villes municipales du midi
de la France.
28 LA PROCEDURE CRIMINELLE
« Se aucun veut fausser jugement ou pais ou il apartient que
jugement soit fausse, il n'i aura point de bataille mes les clains et
les respons et les autres destraias de plet seront apportez en
nostre cour, et selon les erremens de plet Ten fera depecier ou
tenir, et cil qui sera trouve en son tort I'amendera selon la cous-
tume de la tare (1). » Get appel ainsi intente centre les « hommes
du roi, » est sigaale par Pierre de Fontaines comme une nou-
veaute : « Je meismes menai la querele que tu me demandes par
devant le roi , savoir mon se jugemens puet estre rappele par
usage de cors laie fors par bataille : et certes je vi que li home le
roi a Saint-Quentin feirent jugement entre deux dames , dont
I'une apela a la cort le roi... L'en jugea qu'il avoient fet a la
dame II faus jugemenz, por quoi la dame recovra quanque ele
avoit perdu, et I'amenderent au roi. Et ce fu li premiers dont je
oisse parler qui fu rappelez en Vermandois sans bataille (2). »
Les nouvelles formes de procedure favorisaient I'appel d'un
autre c6te. II est bien difficile de recommencer un debat en
seconde instance, s'il n'a pas ete d'abord fixe par I'ecriture; et
nous dirons plus loin quel role I'ecriture jouait dans I'enquete.
L'appel se modelait ainsi pen a pen, d'apres les principes du
droit remain; les Etablissements de Saint Louis le designent sous
le nom « d'amendement de jugement , » et declarent qu'il faut y
suivre les regies des lois romaines (3). II ne faisait point d'ail-
leurs les memes progres dans les justices des seigneurs que dans
les justices royales; meme apres I'ordonnance de 1260, on sui-
vait ordinairement dans les cours feodales I'ancienne forme de
proc6der, et l'appel de faux jugement etait seul possible ; cepen-
dant la meme la procedure selon « I'etablissement le roi, » ga-
gnait du terrain, et Beaumanoir indique par quels moyens on
pouvait appeler « par erremens de plet et non par bataille devant
le juge superieur (4). »
Jusqu'ici nous avons bien vu comment l'appel etait ne , mais
non comment il devint , pour la royaute , un puissant moyen de
(1) Isambert. I, 288 ; Et. S. Louis, J, 80.
(2) XXII, 23.
(3) I, 80.
(4) Lxvii, 7, 8.
DU XIII° AU XVIl" sieCle. 29
domination , ce qui , pour notre etude , est le point important ; il
faut le dire maintenant.
On admit d'abord que tout jugement rendu devant un seigneur
justicier pouvait etre defere au roi par la partie grevee, s'il etait
contraire aux coulumes du pays. Cast ce qu'indique Pierre de
Fontaines : « Quant aucuns dit que Ten li a fait jugement centre
la coustume del pais commune , bien afiert au roi qui les cos-
tumes a a garder, qu'il oie le recort du jugement, bien afiert a lui
qu'il les face rencerinier et amender ce qui est fez encontre ; mes
s'il ne trueve la costume brisiee, encore apele le jugemenz
mauveis par autre reison, ne s'en doit li rois meller, puisqu'il
ne fut faussez la ou il devoit en tens convenable (1). » Sans
doute ce n'etait que quant aux points de droit , que le jugement
pouvait §tre ainsi soumis au roi : cette voie de recours n'etait
pas I'appel proprement dit, et les vieux juristes Ten distinguaient
bien; ils I'appelaient supplication, d'un nom emprunte au droit
remain. Le livre de Jostice et de Plet a. un litre qui porte pour
rubrique : « d'apiaus , de supplication , et de fans jugemenz ; » il
y est dit : « Segont la coustume de France Ten ne doit pas ape-
ler; car ce n'a pas este use. Mez se aucuns est grevez de juige-
ment il doit dire tex paroles : « Je me tiens agrevez de la sen-
tence que vos avez donee contre moi, qui n'est pas bone , ne tele
come ele doit estre selonc les us de la terre , ains est malvese et
ne me tiens pas apaieiz, car li juigemenz est faus; si en requier
I'amendement dou soverain. » Et quant il est devant le soverain
il doit dire tex paroles : « Sire , je soploi a vos comme a soverain
que li quens de Blois a donnee sentence contre moi... et a tel
jour fu donnee et de tex gens... laquele est fause et malvese et
non droituriere selon les us do pais , por laquele chose , Sire , je
vos requier amendement de jugement. » Lor si doit dire la cause
resonable por quoi li juigement est mauves (2). » Mais il semble
qu'on employait surtout le mot « supplication » pour eviter les
contestations sur la recevabilite du recours (3).
(1) XXII, 33.
(2) XX, 16, §2.
(3) 6taU. S. Louis, II, 15. « Souplication doit ^tre faite en Cour le roi et non
pas apel : car apel oontient f^lonie et iniquity, selon droit escrit au Code : de
30 LA PROCEDURE CRIMINELLE
Cette iastitution ne pouvait manquer de se transformer en
un veritable appel qui soumettrait au roi les sentences de toutes
les juridictions du royaume. Bientot, les jugeurs disparaissent
pen a pen des cours feodales pour faire place aux juristes
officiers de justice, et le droit remain exercant une influence
toujours plus grande, I'appel s'etablit dans toute la hierarchie
des juridictions. II suivit les regies du ressort, que nous avons
retracees pour les voies de recours de la procedure feodale;
on appela du seigneur inferieur au seigneur superieur de degre
en degre; du due ou du comte on appelait au roi. Get appel
ne se porta plus directement au Parlement , mais d'abord devant
le senechal ou le bailli : " L'en peut appeler de due , de conte
au bailli s'il fet tort, en petiz aferes (1). » Probablement ce
texte indique plutot une maxime qu'on voudrait faire adopter
que le droit alors suivi; mais le systeme s'etablit (2).
Dorenavant ii n'etait plus permis de sauter un ou plusieurs
degres et de s'adresser directement au roi; c'est ce que nous
trouvons enonce dans le Livre des Droiz et Commandemens de
Justice : « Si aucune des parties se sent agrevee du jugement,
si en doit appeler presentement devant le juge souverain, et
le doit nommer et doit dire que jugemenz soit fans et mau-
vaiz... et s'il avoit appele au seneschal royal, et non mie au
barron qui est entre II , le baron auroit I'obeissance s'il la
haiit prince les priires, en la loi qui commence Si quis adversus , et la loi Ins-
trumentorum, et en la loi unique qui commence Litigantibus el Code de Senlentiis
Prcefecti praelorio, et en la Digeste De minoribus en la loy PrcBfecti, ot. il est escrit
que l'en doit souploYer au Roy que il jugement voye ou face voir, et se il n'est
contre droit qu'il le face tenlr et enteriner par la coustume du pays. »
(1) Livre de J. etP.,1, 19 , % 2.
(2) II est curieux de voir comment au xvii» sifecle dans une publication officielle,
comme nous dirions aujourd'hui , on envisageait I'origine des appels : Mimoires
des intendants sur I'itat des ginSralitis dressis pour I'mstruciion du due de
Bourgogne, tome I, public par M. de Boislisle, p. 169 : « Hugues-Capet, k son
av6nement 4 la couronne , ayant distribue aux seigneurs du royaume des terres
nobles , avec reserve de foi et hommage , ii la charge de le servir et de le suivre
k la guerre, il leur accorda aussi le droit de justice haute, moyenne et basse
sur leurs hommes et sujets, et se rfiserva le droit de ressort, c'est-i-dire les
appellations de leurs juges a ses officiers... Ces seigneurs s'italent reserve de
mfimeou a leurs officiers les appellations des justices infSrieures... »
DU Xm" AU XVII' SIECLE. 31
requeroit (1). » Mais bientdt s'etablit cette regie, qu'en matiere
criminelle, s'il s'agissait d'une condamnation capitale, on pou-
vait aller directement devant le juge souverain : « II est droit
que si aucun homme est condamne k mort par aucune justice
il peut appeler au souverain juge, ou autre de son lignage
pour luy. » — « Si aucun etoit condamne el mort par ses meffets,
il puet biea en appeler au souverain juge royal , ou au baron
qui est entre eux deux, ou autre de son lignage pour luy (2). »
Dans tons les cas graves , il pouvait done se faire qu'il n'y eut
pas d'autre juge d'appel que le juge royal; un peu plus tard
ce sera la regie.
D'autres combinaisons juridiques permirent encore d'attirer
devant les justices royales certains justiciables des seigneurs. Un
principe nouveau y servit puissamment, principe d'ailleurs fort
raisonnable et qui est reste , celui de la competence territoriale
en matiere criminelle.
Selon les anciennes regies, que nous avons exposees, chacun
repondait de ses delits devant le seigneur « sous qui il couchait
et levait; » mais nous avons vu que cette competence cedait
devant celle d'un autre justicier lorsque le justiciable etait pris
en flagrant delit sur un autre territoire. On chercha a rendre
competent le juge du lieu du delit alors meme que le coupable
n'etaitpas pris sur le fait. D'abord on jiecida qu'il suffirait pour
cela que la capture eut ete operee sur plieu, alors meme qu'il se
serait ecoule un certain laps de temps depuis I'infraction accom-
plie (3) ; puis on finit par supprimer la necessite de la capture.
Le juge du lieu oii le fait s'est accompli n'est-il pas toujours le
mieux place pour recueillir les preuves? C'est ce que decida
I'ordonnance de Moulins (art. 35).
En sens inverse, la royaute avait invoque contre les seigneurs
(1) § 241. (Edit. Beautemps-Beaupr^) : Cf. Ancienne coutume de Bourgogm
(1270-1360), art. 90 : « De appellacionibus : S'aucun appelle en d^aissant le moyen
auditoire, se li appelez requiert estre renvoy6 par devant le juge dilaissiez par
I'appelant auquel la connoissance de Tappellation devra appartenir, il y sera ren-
voyez. )i Ch. Giraud , Essai sur I'histoire du droit fran^ais , torn. II, p. 284.
(2) Livre des Droiz, § 644 et 585.
(3) Ordonnance de Roussillon (1564) , art. 19.
32 LA PROCEDURE CRIMINELLE
le droit de bourgeoisie personnelle. Le roi accordait le droit de
bourgeoisie individuellement a certaines personnes, et ces bour-
geois du roi, a moins d'etre pris en flagrant delit, ne pouvaient
etre poursuivis criminellement que devant les juges royaux (1).
Par tous les moyens , que nous venons d'indiquer, la royaute
avait peu a peu restreint I'importance des juridictions seigaeu-
riales; elle restreignit aussi la competence des juridictions eccle-
siastiques. EUe attira devant ses tribunaux certains crimes, qui
auparavant relevaient des cours de chretienU, ratione materiae, en
les faisant rentrer dans la classe des crimes de lese-majeste , et
par la dans celle des cas royaux; mais surtout elle afTaiblit la
portee du privilege de clergie. On decida que dans les cas tres-
graves et qui meritaient une peine superieure aux peines canoni-
ques, les clercs seraient juges par les juges royaux, sans que
ceux-ci fussent tenus de les rendre a I'Eglise : c'est ce qu'on ap-
pela les cas privil6gi6s; le privilege etait ici non pour I'accuse
mais pour le juge. La theorie s'etablissait deja au temps de Bou-
teiller : « Les clercs ne doibvent estre connus pour cause qu'ils
aient fors devant leur juge et prelat, soil la cause civile ou cri-
minelle..., sinon en sauvegarde enfreinte ou port d'armes, car de
ces cas convient qu'ils repondent au juge lai (2). » Laliste des cas
privilegies alia toujours en augmentant ; elle comprit bient6t tous
les cas royaux et un grand nombre d'autres crimes; Muyart de
Vouglans , au xviii° siecle , en enumerera quinze etablis par les
ordonnances et vingt-huit determines par la jurisprudence (3).
A cote du cas privilegie on mit le delit commun, puni d'une
facon suffisante a la fois par les lois ordinaires et par le droit
canonique : pour les delits communs commis par les clercs , les
(1) Elab. S. Louis, II, 4, 31, 32; — Brussel, op. cit., torn. II, p. 921, ssq. —
Aux entreprises de la royaute en fait de justice, la noblesse n'opposa que peu de
resistance : « C'est de connivence avec la vieille et veritable noblesse que I'en-
vahissement du pouvoir royal dans la justice Kodale fut possible. Les seigneurs
desertaient leurs assises par ennui, par negligence, par fiert6 solitaire, et sur-
tout par suite de leurinsuffisance dont ils eurent conscience du moment oi rendre
la justice fut devenu une fonction delicate qui imposalt la peine de d^nouer ce
qu'on s'^tait habituS a trancher. » Boutaric, Actes du Parlemnt de Paris; preface.
(2) Somme rur., II , tit. 7.
(3) Inst, crim., Illo partie, p. 34, ssq.
D.D XIII° A.U XVII° SIECLE. 33
deux juridictions laique et ecclesiastique etaient competentes ; la
premiere saisie restait saisie. C&mme tout cas privilegie conte-
nait en meme temps ua delit canonique , pour ne pas violer le
droit de I'Eglise , on admettait qu'elle pourrait aussi , a cote du
juge royal et pour le memo fait, faire le proces a I'accuse.
C'etaient deux instances successives , entre lesquelles I'ordre de
preseance varia suivant les temps, jusqu'a ce qu'on las reunit
en une seule, a laquelle prenaient part I'un et I'autre juge. Pour
les infractions purement ecclesiastiques , I'Eglise , bien entendu ,
resta seule competente.
Pour imposer ces diverses regies , la royaute trouva un instru-
ment puissant dans Vappel comme d'abus. Enfin le droit d'asile,
dont nous avons parle plus haut, fut singulierement restreint,
puis definitivement supprime. On commenca par I'ecarter lors-
que le coupable avait sciemment accompli son mefait pres d'une
eglise, afin de s'y refugier ensuite (1); I'ordonnance de 1539
I'abolit (art. 166); les quelques restrictions que contenait ce
texte ne devaient pas subsister.
Dans tout ce grand mouvement , la souverainete des villes de
commune avait disparu, mais les juridictions municipales, au
criminal du moins , furent generalement maintenues : alias
etaient peu dangerauses, les communes n'etant plus que les
« bonnes villes ; » puis la royaute s'appliqua et reussit a s'ar-
roger la nomination des officiers municipaux, au moins en fait,
sinon toujours en droit.
II.
En.etendant leur competence, les juridictions royales devaient
modifier leur organisation ; I'ancien organisme devait s'adapter
aux besoins nouveaux. Les modifications s'opererent en deux
sens : les ancians tribunaux virent augmenter leur personnel ;
des tribunaux d'exception furent crees a cote des juges da droit
commun.
Les prevots, qui etaient au bas de la hierarchie, subsisterent
(!) Jean Desmares , regies 4, 7.
•34 LA PROCEDURE CRIMINELLE
dans leur ancienne conditioa : « les prev6ts royaux, qui en de
certaines provinces sont connus sous le nom de chatelains , vi-
guiers, vicomtes, sont proprement ceux que nous appelons juges
ordinaires, parce qu'ils jugent tous les cas ordinaires (1). » lis
ne Statuaient jamais qu'en premiere instance; ils ne connais-
saient point des accusations portees contre les nobles ni des cas
royaux. Le nombre « s'en multiplia considerablement ; » ce ne
fut qu'en 1749 qu'on supprima les prevotes, etablies dans les
villes ou il y avait des sieges de bailliage , et qu'on les reunit a
ces bailliages (2). Les prev6ts n'avaient point d'assesseurs regu-
liers (3).
Les baillis et senechaux formaient toujours le second degre des
juridictions royales. Ambulants dans I'origine, ils etaient devenus
sedentaires : « lis flxerent leur residence dans I'endroit le plus
considera;ble de la province. On n'attendait plus des lors qu'ils
fissent leur tournee ordinaire pour reclamer leur justice et leur
protection; on leur demanda la permission de traduire devant
eux les parties avec lesquelles on etait en proces (4). » Bien-
tdt les baillis ne purent plus suffire a leur tache : « on tolera
qu'ils eussent des lieutenants ; comme le nombre qu'ils en pou-
vaient avoir n'etait pas determine , ils en avaient plusieurs (5). »
D'abord ils ne leur donnaient qu'une delegation toujours revo-
cable; mais le fait se transforma en droit. Les lieutenants de-
vinrent des officiers de judicature que les baillis ne pouvaient
plus revoquer : « les lieutenants des baillis etaient amovibles,
mais la faculte de destituer ceux-la fut otee a ceux-ci par I'ar- .
tide 47 d'un edit de 1496 (6). » Enfin, les suppleants deposse-
(i) Muyart de Vouglans : Instilutes au droit criminel, p. 143 {6d. 17S7).
(2) Muyart, op. cit., p. 144.
(3) Bieu entendu, il est une pr^vfite a laqaelle ceci ne s'applique pas; nous
Toulons parler du Chatelet de Paris. Ici il y avait un corps important de magis-
trals : « Cette juridiction est oomposSe de : un lieutenant general civil, un lieu-
tenant criminel , deux lieutenants particuliers , cinquante-sept conseillers , etc. »
{M6moires desinlendants des giniraliUs, dressispour Vinstruction du due de Bour-
gogne, topi. I, publi6 par M. de Boislisle, p. 200).
(4) Guyot, Ripertoire, V Bailli.
(5) Guyot , Repertoire , V" Bailli.
(6) lUd.
DU xm°AU xvn° siecle. 3S
derent les titulaires; ils flrent passer entre leurs mains tout ce
^qui concernait radministration de la justice, et le bailli ne con-
serva plus a cet egard que des droits honorifiques. Cast la du
reste un phenomene qui se produit toujours dans de semblables
conditions ; celui qui a la peine et la responsabilite veritable finit
par avoir la fonction. « Les baillis , dit Muyart de Vouglans , ne
pouvant suffire a leur fonction , ils se sont vus dans la necessite
de la partager et de faire exercer celle qui concerne la justice
par des officiers particuliers que nous connaissons aujourd'hui
sous le nom de lieutenants generaux, lieutenants criminels et
lieutenants particuliers..., mais ils n'ont pas conserve le droit de
nommer et de revoquer ces officiers qui tiennent leur provision
immediatement du roi ; ils n'ont pas meme conserve aucune auto-
rite sur ceux-ci , qui ont une juridiction propre ; en un mot , il ne
leur reste plus de vestige de leur ancienne superiorite que le
titre de grands baillis et senechaux avec le droit de faire intituler
de leur nom les jugements que rendent leurs lieutenants (1). »
Au lieutenant criminel etait echu le jugement des causes cri-
minelles; dans notre ancien droit il etait le juge en matiere
repressive pour toutes les affaires importantes, soustraites aux
prevots. Les lieutenants particuliers etaient des officiers « etablis
dans chaque bailliage pour presider en I'absence des lieutenants
generaux et des lieutenants criminels et juger toutes les matieres
dont ceux-ci peuvent connaitre. « On ne s'arreta meme pas la
dans cette voie des suppleances ; on crea encore des assesseurs
criminels; « ils ont le droit d'assister aux jugements que rendent
les lieutenants criminels et de les remplacer dans leurs fonc-
tions (2). » Les lieutenants criminels furent eriges en titre d'of-
fice dans chaque bailliage par des edits de Francois I" en 1322
et-de Henri II en 1554 : « il y eut aussi en mai 1552 une nouvelle
creation de ces officiers pour tousles sieges presidiaux (3). »
Les baillis a I'origine, plus tard les lieutenants criminels,
instruisaient les proces criminels , nous dirons plus loin d'apres
quelles regies; mais jugeaient-ils seuls? Le bailli, d'abord, jugeait
(i) Muyart , />js<., p. 147.
(2) Muyart, /nsi., p. 149.
(3) Ibi4., p. 146.
36 LA PROCEDURE CRIMINELLE
seul , mais en s'entourant d'un conseil de preudhommes et de
praliciens, comme nous I'avons observe : « II s'etablit autour
d'eux des gens instruits dans la science du droit, des loix, des
coutumes et des usages ; les uns servaient a defendre les parties,
les autres aidaient le bailli de leurs lumieres et de leur conseil :
c'est ainsi que se sont formes ces premiers sieges de province
sous le nom de bailliages et de senechaussees. Les avocats atta-
ches a ces sieges etaient les conseillers nes du bailli et de ses
lieutenants (1). » Ici encore ce qui n'etait qu'un service passager
devint une fonction : « Dans la suite les avocats, trop occupes
des affaires de leurs clients, ne pouvant pas assister le bailli
dans ses audiences, il fut cree dans ces memes sieges des con-
seillers en titre d'office avec defense a eux de s'occuper, comme
conseils, des affaires d'autrui... Ces officiers ontle titre de ma-
gistrats ; lorsqu'ils sont a I'audience, ils ont voix deliberative avec
les lieutenants du bailli; et les avocats du siege les suppleent
lorsqu'ils sont absents ou qu'il y a centre eux des motifs de recu-
sation (2). »
(1) Guyot, Ripert., V» Baitti. — Get etat de ohoses est bien nettement constats
pour le xiv"> sifecle dans le Regisire criminel du ChdteUt. C'est le pr6v6t seul qui
est juge ; mais dans chaque affaire on enregistre soigneusement les noms de ceux
qui lui servent de conseillers. La composition de ce conseil varie d'une audience
a I'autre , et Ton y trouve des personnages pris dans differentes classes de la
sociStS; des membres du Parlement (I, p. 98, 240, 333); des « 61us sur le fait
des aydes » (I, 240), des sergents d'armes et sergents a verge (I, 364), des
chevaliers du guet (1 , 267) , des docteurs (1 , 442) , des « cirurgiens jurez du
roy » (I, 126), de simples bourgeois de Paris (I, 2TJ); mais 11 y figure surtout
des avocats et des prooureurs. Ceux qui se retronvent h chaque audience sont
des fonctionnaires, « les examinateurs au Ch^telet. » Chose notable, le procureur
du roy A.ndrleu le Preux figure frSquemment. parmi les conseillers. Ils ont pour
fonction « de lire, visiter, et surtout conseiller les procfes. » Toutes les fois qa'il
s'agit de prononcer une sentence, le pr6v6t recueille leurs avis ; mais il n'est lie
en aucune fagon par ces conseils; cela ressort de toutes les procedures et cela
est dit express6ment en certains passages. Voy. par. ex. I, p. 237 : « Ouyes
icelles oppinions, ledit mons. le prevost dit que, quant de present, Ten surseroit
d'accomplir auoun desdis jugemens ; que , sur ce , chascun pensast et advisast la
plus seure et meure oppinion , et il meismes en parleroit a aucuns conseillers
et aussi y penseroit. Et ce fait, lui retournS oudit Chastellet, feroit ou surplus
et accompliroit raison et justice dudit prisonnier. »
(2) Guyot, Ripert., V» Bailli. — On voit que la rfegle, qui subsiste encore, d'a-
pres laquelle, en cas d'absence d'un juge, on appelle un avocat k le suppleer est
le dernier vestige d'un vieil usage des tribunaux du Moyen-Age.
DU XIII° AU XVII° SIECLK. • 37
Sous Henri II il fut cr6e des sieges d'une importance particu-
liere; ce sont les presidiaux. « Par I'edit du mois de novembre
1351... ce prince ordonna que dans les principaux bailliages et
senechaussees il y aurait un presidial compose de neuf magistrals
pour le moins , y compris les lieutenants generaux et partifiu-
liers, civils et criminels. » Ces tribunaux au civil jugeaient en
dernier ressort les causes de pen d'importance ; au criminel ils
ne se distinguaient des autres bailliages qu'en ce qu'ils pouvaient
connaitre des cas prevotaux. Ce sont les lieutenants criminels des
bailliages oii il y avait un presidial que I'ordonnance de 1670
appellera « nos juges presidiaux. »
L'importance et le personnel du Parlement avaient toujours
augmente ; une chambre speciale s'etait instituee pour juger les
proces criminels, c'etait la Tournelle (1). « Des lois |rendlies
dans les derniers temps qu'embrasse la collection des ordon-
nances, parlent d'une chambre du Parlement nommee Tournelle.
L'ordonnance du 28 octobre 1446 (Ord. XIII, p. 371), art. 10
et 11, est la premiere qui en fasse mention comme distincte des
autres chambres, mais elle ne I'institue pas. Ces articles coiis-
tatent la possession ou elle etait deja de juger les proces crimi-
nels (2). »
-D'autre part, les parlements de province naissaient les uns
apres les autres. Nous avons deja indique ceux qui furent crees
jusqu'a la fin du xvi^ siecle. Au xvii" siecle il en parait de nou-
veaux ; ce sont ceux de Pau (1620), pour le Beam et la Navarre;
de Metz (1633), pour les Trois-Eveches ; de Besancon (1676); de
(1) On discute, on le sail, sur rorigine de ce nom; selon les uns, 11 vient
du lieu oil s'assemblait cette chambre. Voy. Registre criminel du Chdtelet, II,
312 : « En laquele court de parlement pardevant honorable homme et sage
maistre Simon Foison, president en parlement, et par autres nos seigneurs dudit
parlement assemblez en la Tournelle de derri^re ladite Court de parlement, ledit
Mons. le prevost dit et desclaira, etc. » — Selpn d'autres, cette denomination
vient du roulement au moyen duquel cette chambre 6tait compos^e : Voy. M6-
moires des intendants dressis pour I'instruction du due de Bomgogne, I, 175 : « La
Tournelle criminelle est composee de quatre presidents a mortier, de neuf con-
seillers laiques de la Grand'Chambre, et de deux conseillers de chacune Chambre
des enquetes , qui y servent tour 4 tour pendant trois mois. Les conseillers de la
Grand'Chambre y servent six mois. »
(2) Pardessus, Euai sur I'orgmisation judieiavre, p. 163.
38 LA PROCEDURE CRIMINELLE
Douai (1686), pour les provinces conquises des Pays-Bas. Au
xviii° siecle sera fonde le Parlement de Nancy, en 1775. Plusieurs
de ces parlements ne faisaient que continuer les anciennes Cours
souveraines des grands fiefs reunis a la couronne. II y avait
aussi le Conseil superieur d' Alsace , qui , apres bien des vicissi-
tudes, fut definitivement installe a Colmar en 1698, et le Con-
seil superieur de Roussillon, etabli a Perpignan en 1660.
Le Parlement de Paris , dans ses transformations successives ,
conservait un des caracteres qui distinguaient la Cour feodale
qu'il avait ete jadis. II restait la Cour des Pairs; c'est-a-dire que
les Pairs de France avaient toujours en principe le droit d'y
prendre seance , et qu'ils ne pouvaient etre juges que par lui. Au
XVIII* siecle ce droit est affirme avec energie. Voici ce que nous
lisons dans des articles arretes par le Parlement , toutes cham-
bres assemblees le 23 Janvier 1753 , pour fixer les objets des
remontrances ordonnees le 4 du memo mois de Janvier : « Les
Pairs, attaches inseparablement par leur dignite a la personne
sacree de Votre Majeste, ne pouvaient manquer d'etre, des I'ins-
tant meriie de leur etablissement, membres d'une Cour souve-
raine , premiere et capitale , suivant les expressions de nos rois...
Les Pairs ont toujours ete regardes comme membres necessaires
de cette Cour... de cette relation essentielle entre le corps et les
membres , nait par consequence un droit respectif et inviolable ;
droit indivisible dans ce double rapport, par lequel il autorise
d'une part les princes et les Pairs , ainsi que tons les magistrats
qui appartiennent a votre Parlement , a venir, en toute occasion ,
y prendre seance; et de I'autre la Cour des Pairs a reunir ses
membres quand elle le juge a propos , en appelant a ses delibe-
rations tons ceux qui , par leurs dignites , etats et offices , ont
I'honneur d'etre de son corps Le Parlement fut toujours le
vrai juge des Pairs , le Tribunal ok les causes des Pairs doivent,
de leur nature et droit, etre conduites et traitees (1). »
Outre ses fonctions ordinaires et normales , le Parlement par-
ticipait extraordinairement a I'administration de la justice par
la tenue des Grands -Jours. C'etaient des assises solennelles
(1) P. 113, ssq. Cf. Lettres historiques sur le Parlement, tome II, passim.
DU XIII° A.U XVn° SIECLE. 39
tenues dans une province par des commissaires choisis par le
roi ; par la on avail surtout pour but de reprimer les desordres
et les exactions commises par les autorites locales. Les grands-
jours etaient en quelque sorte pour les juridictions superieures
ce que les assises des baillis etaient jadis pour les juridictions
inferieures. Voici le tableau qu'en trace un praticien de la fm
du xvi" siecle : « Les grands jours ont -accoustume estre tenus
par les presidens et conseillers de la cour de Parlement es lieux
oCi on a accoustume anciennement les tenir d'an en an par un
president avec treize conseillers de ladite cour... et les juge-
mens donnez par eux (jusqu'a un certain taux en ma-
tiere civile) sont authorisez par le roy tout ainsi que s'ils
estoient donnez ledit Parlement seant. Et faut qu'ils vacquent
prealablement a I'expedition des matieres criminelles , le plus
diligemment que faire se pourra. II n'y a que les Parlements de
Paris, Thoulouze, Rouen et Bourdeaux qui ayent permission
de tenir grands jours par I'ordonnance du roy Louis XII de
I'an 1498, art. 72 et 73... et peuvent lesdits grands jours co-
gnoistre et decider de tous abus, fautes et malversations des
officiers du ressort des grands jours... corriger toute mauvaise
pratique... pareillement peuvent cognoistre de toutes les matieres
criminelles de quelque grandeur et qualite qu'elles soient (1). »
En meme temps que la royaute developpait ainsi ses juridic-
tions ordinaires, elle creait, avons-nous dit, des tribunaux d'ex-
ception pour connaitre de certaines causes criminelles.
II y en avait de deux sortes. Les uns ne connaissaient des
crimes « qu'incidemment aux matieres qui faisaient I'objet
particulier de leur etablissement. » Muyart de Vouglans , qui
donne cette definition , fournit aussi une longue liste de ces
(1) Stile de Boyer, p. 7, ssq. — Voici la liste des grands-jours tenus par le Par-
lement de Paris jusqu'en 1665. (Voy. Boutaric, Actes du Parlement; — Notice
swr les archives du Parlement de Paris, par A. Griin, ch. xxi, p. 93, ssq.) :
Troyes 1367, 1374, 1376, 1381, 1391, 1395, 1398, 1402, 1409; — Poitiers 1454;
— Thouars 1455; — Bordeaux 1456, 1459; — Clermont-Ferrand 1481; — Poi-
tiers 1531; — Tours 1533; Moulins 1534; Troyes 1533; — Moulins 1534; —
Troyes 1535; — Angers 1539; —Moulins; 1540; — Poitiers 1541; — Riom
1546 ; — Tours 1547 ; — Riom 1550 ; — Poitiers 1567 et 1579 ; — Clermont 1582 ;
^ Troyes 1583; — Lyon 1596; — Poitiers 1634 ; — Clermont 1665.
40 LA PROCEDURE CRIMINELLE
tribunaux : « De ce nombre sont 1» les juges de I'election et
grenier a sel, juges des traites, maitres des ports et leurs lieu-
tenants pour les delits, faussetes et rebellions commises a I'oc-
casion des droits du roi, dont I'appel ressortit a la cour des-
aides ; 2° le prev6t de I'hotel des Monnoies , pour les delits
commis au fait des monnoies, dont I'appel va ala Cour des Mon-
noies; 3° les juges des maitrises des eaux et forets et tables de
marbre pour les delits commis a I'occasion des eaux et forSts,
dont I'appel ressortit au Parlement; A" les Presidiaux pour les
delits commis par les officiers des eaux et forets; 5° les juges
de I'Amiraute pour les crimes maritimes , dont I'appel res-
sortit au Parlement; 6° le grand -prevot de I'hotel qui juge
conjointement avec le Grand Conseil et des maitres des re-
quetes k son choix les delits commis dans les maisons royales
a la suite de la Cour; 7° les lieutenants generaux de police...
pour les contraventions aux ordonnances et reglements de po-
lice , dont I'appel ressortit au Parlement ; 8° les juges de la
conservation de Lyon pour les delits concernant le negoce,
dont I'appel se poi-te au Parlement; 9° les juges conservateurs
des privileges de I'Universite , dont I'appel va pareillement au
Parlement ; 10" les juges de la connetablie pour les delits commis
par les officiers de la marechaussee , a charge d'appel au Par-
lement; 11° les prev6ts des marchands pour les delits commis
par les marchands et leurs commis au fait de la marchandise
et par les officiers de police en I'exercice de leurs charges...
a la charge d'appel au Parlement (1). »
Les autres juridictions extraordinaires avaient une competence
non pas incidente, mais principale; c'etaient « des juges sin-
gulierement destines a coanoitre des matieres criminelles, tels
que les prevots des marechaux , les juges militaires et les juges
ecclesiastiques. » Disons quelques mots des prevSts des ma-
rechaux , qui ont joue un r61e tragique et important dans I'an-
cienne France, et dont s'occupera longuement I'ordonnance de
1670.
(1) Muyart, Inst, crim., p. 138, 159. — Sur I'origine de ces juridictions , voyez
Pardessus : Organisalion judiciaire; p. 260-279.
DU Xni' AU XVII° SIECLE. 41
Leur origine est fort ancienne. En quelques mots le president
de Lamoignon a retrace leurs destinees : « Leur premier esta-;
blissement a este fait pour estre a la suite des troupes et empes-
cher les desordres des gens de guerre..., depuis on a augmente
leur pouvoir et ils ont ete employez pour donner de la siirete
aux grands chemins , preter main-forte a la justice et empecher
les violences publiques (1). »
Les marechaux de France qui furent deux il 1' origine , quatre
depuis Frangois I", commandaient les armees avec le conne-
table et ses lieutenants. « Une juridiction militaire etait attachee
a ce commandement et elle etait exercee sous leur autorite par
un prevot, qui devait etre gentilhomme et avoir commande ;
il etait a la suite des armees , et en temps de paix il n'avait
point de fonction. » Sous Charles VI , ce prevot fut fixe a la
cour; a c'est meme de cet officier qu'on a fait le prev6t de
I'hotel du roi ou grand-prevot de France. » Des lors, il eut
besoin d'envoyer des lieutenants de cote et d'autre pour sur-
veiller les troupes : « Louis XI permit en 1494:, a ce pr6v6t
des marechaux, de commettre dans chaque province un gentil-
homme pour le representor, avec pouvoir d'assembler, selon les
occasions , les autres nobles et gens du pays pour s'opposer
aux gens de guerre aventuriers et vagabonds debandes des
armees, courant les champs, volant et opprimant le peuple,
les prendre et saisir au corps et les rendre aux baillis et se-
neschaux pour en faire justice (2). » Bientot « ces commissions
furent erigees en offices pour di verses provinces, tellement qu'a
la fin du regne de Louis XI , il ne resta presque aucune pro-
vince qui n'eut un prev6t des marechaux. » Ceux-ci etaient done
devenus des officiers de police permanents; les delegues du
prevot unique etaient devenus prevots eux-memes et sous leurs
ordres etait la troupe de la marechaussee , officiers et archers;
mais leur juridiction , comme celle de I'ancien prevot des mare-
chaux, ne s'etendait qu'aux militaires et aux vagabonds qui
suivaient les armees. C'est settlement Francois I" qui, en 1526 ,
(1) Procis-verhal des Confirences de I'ordomance de 1670, p. 29.
(2) Guyot, Ripert., '^•>Priv6t des marichaux.
42 LA. PROCEDURE CRIMINELLE DU Xni° AU XVII°. SIECLE.
leur attribua d'une facon generale la connaissance des crimes
commis par les vagabonds et les voleurs de grand chemin. Cela
devint « le gibier des prev6ts des marechaux. » En 1 549 , le
roi Henri II leur donna , en concurrence avec les lieutenants cri-
minals des sieges presidiaux , le jugement sans appel des voleurs,
guetteurs de chemins, sacrileges et faux monnoyeurs. Enfin, en
1564, Charles IX publia un edit qui fixa definitivement leur ju-
ridiction. L'article 3 determinait les cos prevotaux : « Auront
lesdits prev6ts et leurs lieutenants cognoissance de tous les
delits commis par les gens de guerre au camp et a la suite
d'icelui ; sacrilege avec fracture ; agressions faites avec port
d'armes tant a la ville qu'aux champs ; comme aussi entre tous
vagabonds, gens sans aveu, bannis et essorillez, crime de fausse
monnoie, soit contre les domiciliez ou non. » lis jugeaient tou-
jours en dernier ressort; mais ils devaient, pour prononcer la
sentence , s'adjoindre sept officiers du plus prochain siege presi-
dial (art. 49). D'aiUeurs, les sieges presidiaux pouvaient con-
naitre des cas prevotaux par concurrence et prevention (art. 1-4) ;
alors ils jugeaient aussi en dernier ressort.
Les prevdts a I'origine avaient ete les suppleants d'un officier
unique ; on leur donna a eux-memes des suppleants : ce furent
les lieutenants criminels de robe courte crees par un edit de
novembre 1554 « pour faire dans les bailliages les memes
fonctions que les prev6ts des marechaux dans les provinces et
gouvernements du royaume; » ce furent aussi les vice-baillis
et vice-sdnechaux « attaches aux bailliages et senechaussees
pour y exercer les memes fonctions que les prevots des mare-
chaux , dont ils ne differaient qu'en ce que leur juridiction se
trouvait bornee par le ressort memo du bailliage ou de la sene-
chaussee, au lieu que celle du prevot s'etendait sur toute la
province (1). »
Voila quel etait I'etat des juridictions royales aux xvi* et xvn^
siecles; disons maintenant quelle marche avait suivie la pro-
cedure criminelle (2).
(1) Muyart de Voaglans. Inst. Crm., p. 145.
(2) On remarquera qu'en parlant des officiers de justice nous n'avons rien dit
TITRE DEUXIEME.
LA PROCEDURE.
CHAPITRE PREMIER,
La procedure accusatoire des cours f6odales.
I. L'accusation. — II. La thiorie des preuves. — III. Le flagrant d^lit. — IV. La
prise pour soupson. — V. L'enquSte du pays. — VI. La prison preventive et
la mise en liberie provisoire. — VII. La procedure par contumace.
Devant les cours feodales les formes de la procedure etaient
les memes en matiere civile et en matiere criminelle. C'est \k
un trait qui caracterise en general les legislations primitives, et
la coutume feodale I'avait emprunte au droit de I'epoque franque.
Sans doute depuis I'epoque franque bien des changements s'e-
taient produits dans le droit penal. Le systems des composi-
tions pecuniaires avait generalement disparu; les delits etaient,
selon leur gravite , punis de peines afflictives cruelles , ou
d'amendes dont profitaient les seigneurs justiciers; mais la pro-
cedure criminelle etait restee accusatoire dans le sens le plus
etroit.
I.
La poursuite n'appartient qu'a la partie lesee, ou, si elle, etait
morte, a son lignage. C'est un principe que les textes repetent
a I'envi : « II ne loist pas apeler (c'est intenter I'aceusation) que
des offlciers du ministSre public. L'institution du ministfere public fut I'agent le
plus actif de la poursuite d'offlce, dont nous aliens raconter I'origine et les pro-
gr^s; elle est intimement unie a la procedure criminelle. C'est en traitant de la
procedure criminelle que nous parlerons des procweurs d'office.
44 LA PROCEDURE CRIMINKLLE
por soi ou que por son lignage, ou por son seigneur lige (1). » —
« Nus n'est oiz s'il ne tient au mort de lignage ou s'ele n'est
sa fame esposee.(2). » — « De meurdre et homicide peut le
plus prochain du lignage faire la suyte , et se le plus prochain est
en non-aage , ou il a passe aage , le plus prochain apres celuy la
pourra faire , ou autre du lignage a qui tout le lignage se accor-
dera. Et se paix en est faite , quand cil qui est en non aage sera
venu en aage il pourra recommencer la suyte. Mais se la loy a
ete demenee et parfaite, aultre loy n'en pourra pas puis estre
faicte ni commencee (3). » Jean d'Ibelin a grand soin d'enumerer
d'une facon limitative les personnes qui peuvent intenter I'accu-
sation a raison d'un meurtre (4) . Et sans accusateur il n'y a pas
de proces criminel possible.
Le proces criminel n'etant ainsi qu'un debat entre deux par-
ticuliers, on voit qu'il n'etait pas besoin de creer pour lui une
forme speciale de procedure ; certaines differences de detail , im-
posees par la nature meme des choses , le separaient seules d'un
proces civil.
La procedure etait publique, orale et formaliste. L'audience
(1) Beaum., Lxni, 1. Tris-ancienne coutume deBretagne, ch. 96 (Bonrdot de
Richebourg) : « Et aussi ne peut nul appeler par raison d'autruy fait , s'il n'est
du lignage, et qu'il ne dust estre jugifi que repons ne luy en siet... a femme siet
respons des meffaits de sbn mary, comme qui I'auroit tu6 a mort. » — La suite
du texte contient un correctif : « Et si seroit il a tout autre qui pourroit dire que,,
en I'ombre de luy, Ten auroit fait le meffet, tout fust la personne estrange , car
le fait leur apparlient comme le leur, pour ce qu'il ne fussent crimez ne leurs
membres li^s de celuy fait ne de autre. »
(2) Livre deJosticeet dePlet, xix, 3, § 1,2.
(3) Grand coulumier de Normandie , ch. lxx; la suite du texte admet la pour-
suite de Vhomme pour le seigneur : « S'aucun estrange fait clameur de homicide en
ceste forme : Je me plains de R. qui a assailly T. mon seigneur en ffilonie avec
qui j'estoye et I'ooclst : Et se comme je le defendoye il me fit ce sang et ceste
playe. Lors doibt-il monstrer le sang et la playe k la justice pardevant chevaliers
qui le puissent recorder. Se I'autre offre h soy deffendre , la bataille' en doibt
estre gagte, si comme nous dismes devant. Ainsi peut' estre faicte suyte de meur-
dre et de homicide par homme estrange. » — Partout domine , on le voit, I'idfie
de vengeance privie.
(4) Chap. 80, ssq. Si Jean d'Ibelin admet i c6t6 des parents charnels les pa-
rents spirituels et mfime d'autres personnes (sur le sol stranger les liens un peu
laches se resserrent), il n'en maintient pas moins le principe d'aprSs lequel Taction
n'appartient qu'aux int^ress^s.
DU XIII'AU XVII° SIECLE. 4S
se tenait ordinairement en plein air, a la porte du chateau ou
au carrefour de la ville. Les parties devaient comparaitre au jour
fixe dans la semonce ou citation, a moins qu'elles ne pussent
invoquer quelqu'une des nombreuses excuses que connaissait la
procedure feodale. EUes ne pouvaient se faire representer ; I'im-
possibilite d'une representation en justice , conforme aux anciens
principes , s'etait maintenue plus rigoureusement en matiere
criminelle qu'en matiere civile.
L'accusateur formait sa demande de vive voix , sans omettre
auculie des paroles necessaires, sans faire aucune faute qui etit
permis a son adversaire de le prendre a point, c'est-a-dire de
faire declarer nuUe la demande (1). L'accuse devait repondre
sur-le-champ ; le silence de sa part eut equivalu a un aveu , et
I'aveu est la meilleure preuve pour les legislations primitives (2).
La defense ne peut consister que dans une negation exactement
adequate a la demande, la refutant mot a mot, de verbo ad
verbum; et ici cette exigence se conserva plus longtemps qu'en
matiere civile ou de bonne heure on permit de repondre « en
gros (3). »
(1) Sur tout ce c6t6 formaliste de la vieiEe procedure , voyez la remarquable
6tude de M. Brunner, dSji citte : Wort und Form im altfranzosischen Process. —
Ge ne sont pas d'siilleurs seulement les modernes qui ont observ6 la chose, et
trouvfi les termes pour Texprimer : « Fabrefort , plaidaat une cause de duel,
et ayant propose pour Armand de Montaigu contre fimery de Durefort qu'il feroit
preuve de son faict par son corps en champ de bataille , sans dire expressSment
que la preuve s'en feroit par le combat de sa partie, il fat en danger d'entrer lui-
m§me en combat, etmocqufi par la compagnie, tant on 6toit alors formaliste en
telles causes. ;; Loysel : Pasquier ou dialogue des avocats, 66it. Dupin, Paris,
1844, p. 40.
(2) Beaumanoir parlant de I'aveu : « Ceste proeve si est le meillor et le plus
clere, et le mains couteuse de toutes. » xxxix, 2; — Sur la n6cessit6 d'une r6-
ponse immediate, voyez Beaum., vii, 10; xxi, 94; Livre de J. et de P., IT, 14,
§ 6 ; — Jean d'Ibelin , chap. lxi.
(3) Livre de Jostice et de Plet, xix, 2, § 1; L. DeUsle : £chiquier de Norman-
die, n" 113; — Grand [coutumier de Normandie, ch. lviii, ssq. — Jean d'Ibelin,
Ch. xci, xcviii, c, cry; — Brunner, op. cit., p. 706, ssq. Cf. Britton, liv. I, ch. xxii
des Appels, no 7. : « Et quant h la defense, si se pora le d^fendaunt dfifendre en
ceste manere : Pierres, qe ci est, defend totes felonies; et totes treysouns, et
totes purparlaunces et compassementz de mal envers.la persone de tel ou de tel,
selon cBo qe serra purpose encountre ly,, de mot en mot. Et voloms bien en tels
apels qe le apelour eyt plus de mester de asser les paroles ordineement sauntz omis.
46 / LA PROCEDURE CRIMINELLE
II.
Les preuves etaient les memes qu'en matiere civile, et elles
derivaient des usages de I'epoque franque ; la feodalite avait seu-
lement donne la preference a celles qui convenaient le mieux a sa
nature propre, laissant peu a peu tomber les autres en desuetude.
Ainsi le serment purgatoire de I'accuse assists des cojurantes , si
usite a I'epoque franque, disparait presque completement ; on n'en
trouve plus que quelques traces (1). II en est de m6me des orda-
lies unilaterales , epreuves par I'eau et par le feu. Les assises de
Jerusalem connaissent cependant ce mode de preuves; dans la
Cour des Bourgeois , le chapitre cclxi traite « dou juice por-
ter (2) : « Bien saches que li baillis ni les jures ne devent faire
par force porter juice a nul home dou monde ne a nule fame aucy.
Mais ce I'ome ou la fame est apeles d'aucun crim c'on li met sus
qu'il aie fet , et il meysme par volonte s'euffre a porter le juice ,
la raison commando et juge qu'il ne s'en pent mais retraire qu'il
nel porte, puisqu'il meysmes si est offert, ains est tenus de porter
le maulgre sieu , se celuy veut qui I'appela de celuy crim... Et ce
il porter n'en veut faire que la cort li die , la raison juge con deit
sion eynzces qe soen apel estoyse qe le defendour en sa defence, et grantoms al
defendour de chescune filonie qe il defende les motz de la felonie en gros sauntz
estre noun defendu, issint qe pur defaute de mot ou de sillabe ne soit mie ajugfi
pur non defendu. » The french text carefully revised by Morgan Nichols. Oxford,
1865, torn. I, p. 102.
(1) Voy. Brunner, op. cit., p. 719, ssq. L'emploi le plus remarquable du ser-
ment purgatoire est la deresne de la vieille coutume Normande : Somma, II, c. xvni,
§ 2 : « Est enim disresina super injuria a querulo exposita coram justiciario pur-
gatio per saoramentum querelati et coadjutorum suorum in curia facienda. » EUe
n'^tait admise que dans les causes peu imporlantes , les simpUces querelm . —
Cf. Assises de Jirusalem : Basse Cour, ch. ccxxii : « S'il avient que uns homes qui
soit naflrfe de plaie mortal, viegne avant en la cort et ce plaint d'aucun home
qui dit que li a ce mau fait , et celuy de cui il c'est clamps vient avant et dit « que
non place Des » et celuy en demande I'assize , et celuy li fait I'assize en la pre-
sence dou vescomte et des juris, ce est qu'il jure sur saintes Evangiles , qu'il ce
ne li fist de sa main , ne par autre ne li fist faire ni ne concenti , ni ne sot qui ce
fut, a tant en est quite , puisque celuy receit le sairement de luy en la cort si com
il a demande. » Editioa Kausler, p. 330.
(2) Juice:=^judicium : le fer rouge qui sert au jugement de Dieu.
DU XIII°AU XVIl" SIECLE. 47
entendre de celuy, puisqu'il ne veut porter le juice , qu'il se
prenne bien qu'il aie fet ce con li met sus ; car oil ne I'eut fait il
ne doutast mie du juice qu'est dreituriere chose a toutes gens qui
dreit quierent (1). » Nous trouvons au!ssi ces epreuves dans les
vieux usages de Normandie (2), mais nous les voyons tomber ra-
pidement en desuetude; le Grand Coutumier en parle comme
d'une institution du passe : « Jadis quant femmes estoient accu-
sees de crimes et elles n'avoient qui les defendist, elles se expur-
geoient par ignise et les hommes par eaue ou par ignise quand la
justice ou femmes les suyvoient de causes criminelles. Et pour ce
que Sainte Eglise a oste ces choses, nous usons souvent de I'En-
queste (3). »
Le duel judiciaire, au contraire, I'appel au jugement de Dieu,
soutenu par les, serments des deux adversaires et decide par la
bataille, prend une extension considerable. C'est, en matiere cri-
mineUe au moins , le mode de preuve ordinaire. Pour tons les
crimes graves, dont la punition etait la perte de la vie ou une
mutilation , I'accusateur pouvait proceder par appel , c'est-a-dire
provoquer directement et d'emblee I'accuse au duel judiciaire {i);
mais dans les cas moins graves il est probable que cette provoca-
tion directe n'etait pas possible et qu'il fallait prouver par te-
moins (5). L'appel etait du reste une procedure fort perilleuse,
non-seulement par son objet , mais encore en ce que la provoca-
tion devait Stre congue en certains termes [les mots par quoi ba-
taille y soil) , et une meprise dans les expressions pouvait aggra-
ver singulierement les conditions du combat (6). Aussi est-il
(l)Edit. Kausler, p. 307.
(2) Leopold Delisle , Echiquier, n" 113; tres-ancierine coutume de Normandie
(dans Warnkonig et Stein, torn. 11, Vrkwndenbuch, pp. 19, 20).
• (3) Ch. Lxxvii (Bourdot de fUcIiebourg}.
(4) Beaumanoir, lxi, 2.
(5) C'est seulement «poiir tous crimes oil aurapferilde perdre vie ou membre, »
que rordonnance de 1260 declare que dorenavant la preuve par tfimoins rempla-
cerala preuve par bataille. Cf. Beaum. xxxix, 4; Livre J. et P., ii, 18 , § 1.
(6) Jean d'Ibelin, ch. cxx; Beaum., lxi, 41; lxx, 5; — Ahrig6 des assises de
la cow des Bourgeois, part. II, ch. xxxvi; — Grand coutumier de Normandie,
ch. Lxvm; — Livre de J. et P., xix , 33 ; — Etahl. de S. Louis, II , 118 ; — Brit-
ton , I. I, ch. 22. « Appel est pleynte de homme fete sur autre oveo purpos de ly
48 LA PROCEDURE CRIMINELLE
vraisemblable que I'accusateur, au lieu de proceder par Vappel,
qui lui etait ouvert, pouvait offrir, de prouver par temoins, sauf a
I'accuse a fausser plus tard ces temoins.
Cette preuve testimoniale etait bien differente de celle que con-
nut la legislation posterieure ; elle etait toute formaliste. Las
temoins venaient prononcer une formule qu'ils ne faisaient par-
fois que repeter apres Vavant-parlier ou avocat ; cette formule de-
vait constater qu'ils etaient des temoins oculaires, et ils la confir-
maient en jurant sur des reliques (1). Deux temoins, remplissant
ces conditions , suffisaient pour entrainer la condamnation et ils
I'entrainaient forcement (2) ; dans un pareil systeme , on ne peut
que compter les temoignages non les apprecier. Ces temoins,
produits au jour fixe par le jugement qui ordonnait la preuve,
sans qu'aucun delai put etre accorde, deposaient a I'audience, en
pleine cour et en face des parties (3). Cette publicite etait neces-
saire d'ailleurs pour permettre a raccuse d'user d'un droit pre-
cieux, celui de fausser les temoins. II pouvait en effetles accuser
de parjure et les provoquer de ce chef au duel judiciaire ; le pro-
ces dependait alors du sort de cette bataille. Cette provocation
devait avoir lieu, suivant les uns, avant la prestation duser-
ment, selon les autres immediatement apres; mais il fallait bien
que tous les acteurs du drame fussent en presence pour qu'on
put saisir le moment precis (4). Les garants, c'est le nom donne
aux temoins , exposaient leur vie ; ils ne pouvaient par suite etre
contraints de deposer. D 'autre part, un grand nombre de per-
sonnes ne pouvaient pas porter temoignage : toutes celles qui ne
pouvaient pas sebattre, par exemple les femmes, les sous-§,ges
atteyndre de felonie par motz a ceo ordeyneez. » (Edit. Nichols, 1. 1, p. 95); —
Stylus curice Parlamenti, c. xvi, § 8.
(1) Grand coutumier de Normandie : a L'en appelle tesmoings en la cour laie ceux
qui tesmoignent ce que le demandeur a proposS par ces paroUes : Je le vy et
ouy et suis prest d'en faire ce que la cour esgardera.... » — Cf. Jean d'Ibelin,
oh. 70, 77; Beaum., xxxix , 57.
(2) Beaum., xxxa, 5; i.xi, 54; Jean d'Ibelin, ch. 68.
(3) Beaum., xxxix, 78 : « En tel cas convient que li tesmoing viegnent en
pleine cort por tesmoignier en audience et iluecques les pot on lever. »
(4) Jean d'Ibelin, ch. 74; — Clef des assises de la Haute-Cour, 101; — Phi-
lippe de Navarre, ch. 10 ; — Geoffroy le Tort, ch. 23 ; — Beaum., i,xr, 55.
DU XIII° AU XVn" SIECLE. 49
etiesclercs; toules celles encore qu'une reprobation sociale fai-
sait considerer comme indignes.
Telle etait , esquissee dans ses grandes lignes , I'ancienne pro-
cedure accusatoire ; tout y etait oral, et I'ecriture n'y jouait aucun
role. Qu'on procedelt par Yappel ou par la preuve testimoniale ,
c'etait une lutte egale et publique entre deux particuliers.
Mais ce systeme etait singulierement etroit et barbare ; il de-
vait laisser impunis bien des crimes. Bient6t allait naitre cette
idee que le delit lese non-seulement le particulier, mais encore
la communaute et I'Etat; memo avant qu'un systeme nouveau
se fit jour, elle avait fait sentir sur quelques points son in-
fluence (1).
III.
D'abord le flagrant delit etait soumis a des regies speciales ; 11
a en general une place a part dans les legislations peu avancees.
Si aux epoques primitives la poursuite des crimes est assez diffici-
lement admise , c'est qu'on sent qu'il est presque impossible de
convaincre pleinement un accuse qui nie ; lorsqu'on prend le cou-
pable sur le fait, I'evidence eclate et tout scrupule disparait. Au
Moyen-Age, en cas de flagrant delit, il n'est point necessaire
qu'il y ait un accusateur et la bataille n'intervient pas. Le justi-
cier, entoure de ses hommes , a qui ses sergents amenent un in-
dividupris sur le fait, le juge immediatement aux yeux de la
foule, d'apres le temoignage de ceux qui I'ont saisi (2).
(1) Beaum., lix, 7 : « Cil qui font les mefffes ne metfont pas solement a lor ad-
verses parties ne k lor lignages, mais as signears qui les ont h garder et 4 justi-
cier. »
(2) « Ne convient pas que nus s'en face droite partie centre luy car tel fet
qui sunt si apert doivent Stre vengi^ par V office du juge, tant soit que nus s'en
face partie droitement. » Beaum., vii, 12; lxi, 2; Livre de/. etP., xix, 44, § 14.
Les Assises de la cour des Bourgeois ont un curieux chapitre k cet ^gard, ch.
ccLix : « S'il avient par aventure que uns hons assaut un autre homme et I'occist
ou une feme, et II hommes liges passent par iqui et le virent faire celuy mau, et
il le prennent , come ceaus qui scut tenu dou prendre et d'arester tous les dreis
de leur seignor et tos 11 tors c'on li fet, et il livrent celui a la cort et il dient 16au-
ment en la cort, devant le vesconte etles jur6s, par la feaut6 et par I'omage qu'il
ont fait au roi qu'il li virent fere celuy murtre , la raison juge et comande ensi a
50 LA PROCEDURE CRIMINELLE
On sait d'ailleurs , que suivant la tradition de I'epoque franque
la procedure feodale avait organise une methode formaliste et
naive pour conserver au fait le caractere de flagrant delit pen-
dant un certain temps apres son accomplissement : c'etait la
poursuite avec la clameur de haw, ou harou, ou hareu (1).
Mais cela ne donnait qu'un champ bien limite a la poursuite
publique. On tacha d'aller plus loin. N'ouvrir I'accusation qu'a
la personne lesee ou a son lignage, cela n'avait pas de raison,
lorsqu'il s'agissait du meurtre d'un homme qui ne laissait point
de parents apres lui. Selon certains coutumiers le pouvoir public
devait ici intervenir : " S'il avient par aucune aventure que uns
horn ou une feme soit ocize et Ton mete celuy murtre sur aucun
home , et celuy qui est mors si n'en a nul parent ni parente ni
amis ni amie qui sa mort demande celuy qui I'a ocis , la raison
juge que le roi ou le seignor de la tere , ou la dame de la vile
si est a celui son dreit heir, et est tenus de demander sa mort
par droit et par I'assise et de metre champion ce mestier est ,
si celuy nee celuy maufait , car notre signor dist en I'Evangile
que le sane dou povre li aloit tout apres en decriant juisse et
disant : « Biau sire Dieu venge le sane dou povre. » Et puis
qu'il dit enci a Nostre Seignor au ciel , si deut estre entendu en
terre par dreit que au cors mort deit donner le seigneur la
veangeance de terre tele come est establie por tous commande-
mens. Et por ce est establi son heir a prendre ces choses et a
venger sa mort (2). — « Li rois met sus a un homme que il a
ocis un autre, si vuelt qu'il soit punis. A ce il respont : Come
nus riens ne me demande fors vos qui estes justice , je ne vos
en respondre se droiz n'est , come Ten ne doie pas respondre a
tel fet , quant nus ne s'en plaint for vos. L'en demande qu'en dit
droiz? Et Ten respont : Com tex horn com li morz ait enfanz ou
juger que celuy est ataint sans bataille et ne li det valer a dire « non place DSs
qu'il nel feyst » ains det estre tantost pendus. Car autant deit valer k garentie
des II homes liges com de II jures en tel fet. » fidit. Kausler, p. 314.
(1) Grand coutumier de Normandie, ch. 54; Beaum., lii, 16; xxxix, 43. —
Aujourd'hui les livres de droit anglais d^crivent encore cette procedure ; c'est
r « arrest by hue and cry. » Voy. Stephen : Commentaries on the laws of England,
torn. IV, p. 351 (Edit. 1873),
(2) Assises de la Baisse Cour, ch. cclxvii, p. 324 (6dit. Kausler).
DU xni° A.U XVU° SifeCLE. 51
nevoz ou parens prucheins et aient poer de vengier leur ami,
la demande est leur, non pas au seigneur. Mes se li hons ou
la fame qui ocise sera n'a paranz ne ami qui Ten puisse vengier,
11 rois puet demander et metre en poine ; c'est segont , ce qu'il
aprandra, son dampnement dou corps (1). »
IV.
C'etait encore la peu de chose. Si la victime ou son lignage
existaient encore et ne se plaignaient point, le justicier n'avait
aucun droit : on finit cependant par lui en trouver un. On admit
que si la puissance publique ne pouvait pas , en son propre
nom , poursuivre 1' application de la peine , elle pouvait au moins
saisir le malfaiteur et provoquer la poursuite des interesses.
Les testes sont fort nombreux qui etablissent cette theorie (2).
Mais ce n'etait pas la une solution definitive; de cet eLat provi-
soire on pouvait sortir de deux facons.
La logique de ces vieilles institutions disait que ce n'etait la
qu'un moyen de susciter les accusations, aussi trouvons-nous
dans les textes d'origine la plus diverse une meme procedure.
Le seigneur doit faire publier a son de trompe qu'il tient tel
individu soupgonne de tel crime, et inviter la victime ou ses
parents a se porter accusateurs. Au bout d'un certain delai et
apres plusieurs publications, generalement faitesatrois assises, si
(1) Livre de J. et P., xix, 45, § 1 ; cf. Ibid., § 2 : « L'en demande se Ten li res-
pondra quand cil (la partie les6e) ne se plaint. L'en dit que non , puisque cil est
en vie que l'en dit que li forfez fut fez. «
(2) Jean d'Ibelin, ch. 85 : « Le segnor doit faire querre celui k qui Ton met
sus le meurtre , s'il est son home , et prendre le , et metre le en sa prison. »
— Compilatio de Usibus Andegavia, § 7 : « II est usage et droit que nul home ne
doit estre pris sans plaintif (accusateur) , se il n'est pris ou present ou juiges ne
le prent par sospecon. Le murtrier puit bien estre pris sans plaintif quand 11 a
Tome tuS, qwar le sane se plaint. Et ce nous fu seneflS par Cain qui tua Abel son
frfere , et Diex 11 dit : Cain le sane d'Abel ton frere que tu as tu6 crie k moy de
la terre jusques au Ciel. » — Livre des Droiz, § 334 : « Justices ne doit pas pren-
dre aucuns gens sans plaintif ou sans present meffait, ou par souspefon. Et si
puet bien faire prendre le meurtrier quand il a home tuS , car le sang se plaint. »
— Livre J. et P., xix, 26, § 5, 12; £tab. S. Louis, 11, 16; Beaum., xl, 14;
XXX, 90.
S2 LA PROCIiDURE CRIMINELLE
nul ne s'est presente, le prisonnier est mis en liberie sous caution,
ou, selon d'autres, il est garde en prison jusqu'au bout de I'an et
jour; alors si aucune accusation n'a ete intentee, 11 est definitive-
ment libere et quitte : « Le seignor le deit leissier aller et il est
quitte de eel murtre, si que il n'est plus tonus de respondre a nul
qui Ten appelle (1). ;; Voici un resume tres-net de cette procedure :
« Nus ne doit estre pris de cinq fez dont li corps est dampnables
por cause de sopecon se la cause de sopecon n'est aperte ou
resonable. Et se aucuns est pris por cause de sopegon, Ton le
puet tenir quarante jorz. Et se dedanz quarante jorz nus ne vient
avant por lui accusier Ten le doit recroire k plege (mettre en
liberte sous caution) cors por cors. Et cette recreaifce durra trois
quarantaines ; se nus ne vient por lui accusier si plege seront
delivre, ja soit ce que se aucuns vient avant por lui accusier
dedanz I'an et dedans le jor, il sera oiz, et apres I'an non (2). »
C'etait la un stimulant de I'accusation privee; ce n'etait pas la
poursuite au nom de I'Etat (3).
11 y avait une autre issue. Le detenu pouvait accepter d'etre
juge sans accusateur, d'apres une certaine procedure que las
textes appellent « Venqueste du pais. » — « Quant aucuns est
pris par soupecon de vilain cas on doit demander a celui qui
est pris s'il veut atendre I'enqueste du fait (4), » mais le con-
(1) Beaamanoir, xxx, 90; Jeaa d'Ibelin, ch. 85. Livre de Jostice et de Plet,
XIX , 26 ; Compilatio de usibus Andegmiee, § 24 ; Livre des Droiz, §§ 252, 387.
'(2) Livre J. et P., xix, 26, § 12. Selon certains auteurs, une fois les ii\m
des publications expires, la d^lirrance definitive intervenait. Beaum., xxx, 91.
(3) Dans certaines contr^es, cette procedure pouvait §tre provoqu^e par lepar-
ticulier soup5onn6; on disait alors qu'il se mettait « a loy. » Voy. Ancien couiu-
mier de Picardie (6dit. Marnier), LV (p. 47) : « E en droit Andrieu le chevalier,
Jehan el Henri frferez , liquel se mirent a loy en le court de Pontieu k Abbeville,
et furent rechupt pour le souspechon de le mort Colart Hurtaut , et on a par
plusieurs fois appel6 est plais de baillie , se il estoit aucuns qui riens leur vansist
demander pour le dicte souspechon, venist avant en li feroit droit et loy; et nus
ne s'est comparus contre aus ne offers... delivre et absolz de le diet souspe-
chon. »
(4) Beaum., xl, 14.
DU Xm' AU XVIl" SIECLE. S3
sentement du prisonnier etait absolumentnecessaire. « Enten que
nus n'est dampnez par enqueste s'il ne s'y met (1). » Pour
obtenircet assentiment, on usait, il estvrai, de moyens de persua-
sion fort 6nergiques : « 11 doit estre arreste par la justice et mis
en prison jusqu'a un an et jour a peu de manger et boyre, s'il
n'offre dedans ce a soustenir I'enqueste du pays (2). »
Qu'etait-ce que cette enquete? Une sorte de preuve par te-
moins , mais bien differente de la preuve par temoins du droit
commun que nous avons decrite. Ce n' etait point d'ailleurs une
nouveaute , elle avait existe a I'epoque carlovingienne sous le
nom d'Inquisitio (3). S'il en est assez difficile d'en determiner
exactement les caracteres d'apres les textes duxni° siecle, c'est
qu'elle se confondit bientot chez nous avec la preuve testimoniale
introduite par I'ordonnance de 1260. Gependant le Grand cou-
tumier de Normandie en donne une description . detaillee (4).
(1) Livre de J. etP., xrx, 43, § 1. Ancien coutumier de Picardie, p. 52.
(2) Cf. Beaum., xxsiv, 21 : « II avient aucune fois qu'aucuas est pris por
souspechon de cas de crieme, et par la peur qu'il a de longue prison... tant soil
qu'il n'i alt coupes 11 donne ou convenence aucune coze por estre dfilivres. »
(3) Voyez M. Brunner : Die Entstehung der Schwurgerichte; spScialement, cha-
pitre VI.
(4) Ch. Lxviii; void le texte latin d'apres la Somma (II, ch. ii, § 13). « Si
autem de multro facto nuUus sit qui sequelam faciat aut clamorem, si publica
infamia aliquem super hoc fecerit criminosum , per justiciarium debet arrestari et
flrmo carcere observari usque ad diem et annum cum penuria victus et potus ;
nisi interim super hoc inquisitionem patrie se oflerat sustinere. Quara si susti-
nere voluerit soUicitudo justiciarii debet procurare quod omnes illi , quos de
multro aliquid scire praesumpserit vel ipsius aliquam noticiam habere , de quo-
cumque loco fuerint, coram se certo die et loco faciat convenire et hoc subito et
inopinate, et causa propter quam eos faciat submoneri celetur, ne parentes cri-
minosi eorum prece vel precio corrumpant saoramenta ; et ab eis unoquoque per
se vocato , coram IIIIo' militibus non suspectis , utrum criminosus illud multrum
fecerit inquiratur dlligenter.iEt auditis dictis eorum et inscriptis, et si sufficiens
seonium super aliquem miserit dictum ejus pro nuUo debet reputari et a jurea
debet removeri. Et si sufficiens non fuerit seonium nihilominiis ulterius proce-
datur. § 14. Hujusmodi jurea fieri debet per XXIIII»r homines ad minus legales
quos neo favor nee odium a jurea debeat amovere § 18. Post hoc autem coram
ipsis juratoribus et aliis in publico convocatis dictum eorum coram reo debet
per jiisticiarum recitari et per juratores conflteri quod ita juraverunt. Et super
hoc debet fieri judicium in continente et judicium factum sine dilatione adimpleri,
et quod XX'* eorum juraverint observetur. Et si aliqui eorum se nescientes
dixerint tot debent juratores apponi, si possunt inveniri, quod per sacramentum
XX'i eorum Veritas rei eluceat inquisite. »
84 LA PROCEDURE CRIMINELLE
« On doit faire semondre soudainement les gens qui peuvent
avoir connoissance du delit, et qui doivent etre au nombre de
vingl-quatre au moins qui ne soient pas soupconneux par amour
ou par haine les plus preud'hommes et les plus loyaux du
lieu-ou le meffet fut fet. » Le bailli les doit faire comparaitre
un a un devant quatre chevaliers et rediger leur dire par eorit;
puis « cil qui est accuses doit estre amene avant et luy doit-on
demander s'il veut saonner (reprocher) aucun des jureurs qui
tous doibvent lui estre monstres (1). » Enfin les jureurs seront
appeles en commun ; ce qu'ils auront dit sera recorde par la
justice a celui qui est accuse. « Et ils doibvent reconnoitre
qu'ainsi ils ont jure ; et sur ce doibt maintenant jugement estre
faict par I'advis et opinion des assistans de la Cour. »
Telle nous est decrite cette curieuse procedure , oii bien des
points sont dignes d'attention. Ces jureurs, qui « par le ser-
ment qu'ils ont fait en Cour sont tenus dire la verite des que-
relles selon ce qui leur sera enchargie par justice » et dont
chacun doit declarer « ce qu'il sait de la vie de cil qui est
accusez et de ses faits et ce qu'il en croit » sont des temoins
singuliers; ce sont deja des jures. Aussi est-ce dans cette ins-
titution qu'un remarquable historien du droit trouve I'origine du
jury anglais (2). Ces jureurs sont cependant encore des temoins,
et meme, chose a noter, des temoins qu'on entend deux fois,
hors de la presence et en presence de I'accuse.
(1) Selon Beajimanoir, c'etait dfes le debut , avant qu'on eflt entenda aucun des
hommes , qu'on devait demander a celui qui s'etait mis en enqugte de fournir ses
reproches (xl, 14).
(2) Brunner : Entstehung der Schwurgerichte , speoialement ch. xxvi; of. Biener :
Beitrage zur Geschkhte des Inquisitions-Prozesses und der Geschwornen-Gerichte.
Leipzig, 1827, p. 275, ssq.
A I'origine , cette enqufite n'etait possible , s'il y avait un accusateur, que du
consentement des deux parties [Grand coutumier de Normandie, ch. lxix, de
Jureurs , oii un progrfes est cependant d^ja constat^). En Angleterre, ce Judicium
patriae peut toujours, depuis leroi Jean, fitre obtenu moyennant un breve duroi.
Selon la grande charte, ce serait un droit pour I'accusfe de le demander. Brunner,
op. eit., p. 469 , ssq. Britton I , ch. 22 , n» 10 : « E si le defendaunt ne puse
abattre le apel , aduno soit en sa eleocioun a sei defendre par soun cors ou par
pays. » (Edit. Nichols , p. 104.) Remarquons que le jugement par juris s'appelle,
en Angleterre , Judicium patriae ou Inquest o[ the Country.
DU XIII° AU XVII" SIECLE. S5
VI.
Dans cette vieille procedure , etroite mais logique , la detention
preventive jouait un role important. L'arrestation s'appelait la
prise (1) ; mais £i cote venait la mise en liberte sous caution ou
recreance (2), et, a ce point de vue, la vieille coutume etait assez
liberale. Le Livre de Jostice et de Plet , traitant des recreances ,
commence ainsi : « Quant home est en prison ou quant aucune
chose est retenue, comment Ten la doit rendre ou recroire. —
Cest bans si est fez por estranper la cruaute as seignors et las
felonies a cez qui prenent autrui choses (3). »
Cependant c'est une maxime qu'on trouve dans des Coutumiers
d'origine diverse , que la recreance n'est point accordee lorsqu'il
s'agit d'un crime dont on pent perdre vie ou membre (4). On
pensait qu'alors le cautionnement des pleges n'offrait point une
suffisante garantie. Sans doute, les pleges s'engageaient de la
facon la plus striate , « corps pour corps, avoir pour avoir, »
selon la vieille formule qui se conservera longtemps encore ; mais
on ne poussait point la logique jusqu'au bout ; on n'inftigeait pas
a la caution la peine qu'etit encourue le criminel defaillant; elle
(1) Beaum., ch. lii, des Prises.
(2) « Recreance si est r'avoir ce qui fu pris por donner seurte de remettre
loi en le main du preneur, k certain jor qui est nomiaSs, ou aucune fois a le se-
monse du Segneur qui fist prendre. » Beaum., Lin, 2; — 6tab. S. Louis , II, S.
« Se aucuns demande a avoir recreance d'aucune chose, il doit mettre pleiges de
la r6cr6ance. Car recreance ne siet mie sans pleiges, selon I'usage de cort laie. «
(3)xa,26,§l.
(4) &aUiss. S. Louis, 11, 5 : « Nus ne doit fere recreance de chose oii il i ait
p6ril de vie ou de membre ne la oi il a point sane. — Ibid., II , 7 : « Recreance
ne siet mie en chose jugiee , ne en murtre , ne en traison , ne en rat , ne en encis,
ne en aguet de chemin , ne en roberie , ne en larcin , ne en trieve frainte , ne en
arson, selon la cort laie. » Cf. Ibid, I, 104; — Beaum., Lin, 2 : « En toutes
prises queles eles soient excepts les cas de crime ou qui sent souspechonn6 de
cas de cfieme , des quix on pot perdje vie ou membre , se le fet n'est conneus
00 proves , doit estre fete recreance ; » — Livre de J. et P., xix , 26 , § 6 : « Mes
si m'es prant por chose dont mon cors dole estre dampnez afert il iqui rendre ou
recroire, tot se plange aucun de moi? II ni afert point de recreance ou de rendre. »
Cf. Compilatio de Usibus Andegavice, § 47. — Tris-ancienne coutume de Bretagne,
oh. 97 (Bourdot de Richebourg).
S6 LA PROCEDURE CRIMINELLE
ne supportait que des dommages pecuniaires , fort graves par-
fois (1).
A ne consulter que les textes il semble toutefois qu'une evo-
lution se soit produite sur ce point. Void un curieux passage
des itablisserrients de S. Louis : « Se il avenoist que cil s'enfouist
qu'il auroit mis hors prison par pleiges, et ne venist mie au
terme que Ten li auroit mis , adonc la justice doit dire au plege ;
Vous avez tel homme plevi a estre a tel jour a droit par
devant nous (et le nomera) et si estoit appelez de si grand
meffet, et cil s'en est fouis et por ce vuel-je que vos en soies
proves et atains de porter tele paine cfomme cil qui s'est enfouis
soffrist. — Sire, dient-il, ce ne ferons mie, car ce nous plevis-
sons nostre ami, nous fesons ce que nouS devrons. Et ainsi puet
Ten esgarder aux pleges que eux en seront a G. sous et un
denier d'amande et autant seront quittes. Et icelle amande si
est appelee Relief d'home , et pour ce se doit bien garder la jus-
tice que il ne preigne pleiges de gent qui s'entre appellent de
si grand meffet, *comme de murtre ou de traison, car il n'en
puet porter autre amande que ce que nous avons dit dessus (2). »
II y avait a un autre point de vue de bonnes raisons pour
qu'un seigneur justicier ne mit pas facilement en liberie sous
caution une personne accusee d'un crime. En accordant la re-
creance il etit lui-meme couru un danger serieux : « Se li home
font recreance en cas de crime, la vl ele n'apartiengne pas a
fere , il se metent en peril et est li uns des perix graindres (plus
(1) Beaum., xliu , 24 : « Plfeges ne pot perdre son cors' por plegerie qu'il face ,
tout soit qu'il ait regWgi^ cors por cors aucun qui est tenus por vilain cas de
crieme a revenir au jor por atendre droit et cil qui est repl^gie s'enfuist : Se fix
cas avient li plfeges est en le merci dii Segneur quanques il a et a perdu tout le
sien. » G^n^ralement le pl^ge est condamnS a une amende de cent sous.
(2) Etah. S. Louis, I, 104. — Le Livre des Droiz est dans le mfime sens, § 763 :
« Si aucun applegeoit un homme envers la justice qui fust detenu de cas de
crime, ainsi simplement sans faire d^claracion ou specification qu'il I'applfege a
rendre k certaine peine, la justice n'en pourroit demander que C. sous de peine
par la coustume si comme plusieurs tiennent. Si aucun applege un homme qui est
detenu de cas criminel comme dit est corps four corps et avoir pour avoir, c'est
k entendre quant au corps qu'il devroit souffrir mesme peine que li , et quant a
I'avoir mesme peine civille et y pourroit Ten moult traire de raisons contraires. »
Cf. Beaum., lvui, 18. Voy. M. Tanon. ttegistre criminel de la justice de Saint
Martin des Champs au xiv^ sUcle, preface, pp. ixxx, lxxxi.
DU XIII° AU XVII" SIECLE. 57
grand) que li autres; car se cil qui fut recreus s'en va sans
revenir au jor comme cil qui n'oze atendre droit , cil qui fist ce
recreance pert se jostice, ne ce ne I'excuse pas qu'il en prist
pleges. Car li pleges ne poent pas recevoir mort por lor pl^gerie ;
mes ce pent li malfeteres se recreance ni I'eust pas este fete.
Li secons perix qui est as homes quant il font recreance el cas
la VI elle n'appartient pas , si est que se li quens (comte) set
qu!il aient trop large prison par le recreance ou qu'il voisent la
il il veulent, il les pot prendre sans rendre cort ne connois-
sance a cell qui le recreance fist. Mes ne porquant en tel cas
ne pert pas li hons se justice, mes il pert le connissance et le
vengeance du meffet. Et en tele maniere porroit il fere le re-
creance qu'il perdroit se justice , comme si il estoit coustumiers
de fere tex recreances ou s'il fesoit le recreance sor le deffense
du seigneur, car le desobeissance avec le fole recreance lor
tornent en damace de lor justiche (1). »
lyiais la regie d'apres laquelle la recreance n'etait pas admise
lorsqu'il s'agissait d'un crime emportant « perte de vie ou de
membre , » n'etait point sans exception. Plusieurs situations
sent a distinguer. II pouvait d'abord y avoir, a I'occasion d'un
crime , une accusation intentee par I'ayant droit ; et alors le plus
souvent, nous le savons, la procedure s'engageait directement
par un appel ou provocation au duel judiciaire (2). Dans ce cas
la detention preventive etait la regie ; mais , chose singuliere
en apparence, elle frappait a la fois I'accusateur et I'accuse (3).
Cela s'explique d'abord par le caractere general de la proce-
dure accusatoire qui est de maintenir I'egalite absolue entre les
deux parties (4) ; cela s'explique aussi en ce que I'appelant , s'il
(1) Beaum., lviii, 18.
(2) Beaum., lxi, 2.
(3) Beaum., uit, 4; Et. S.Louis, 1,104; Sommade Legibus Normannim, II, 2, §2:
aPrimo autem capiendum est vuadium defeusoris, et post ea vuadium appellato
ris, et de lege deducenda plegios debent tradere , uterque tamen in prisonid duds
mmmpandus est. » — fris-ancienm coutume de Bretagne, ch. 104 : « Et s'il y 4 ac-
cuseurs il' doibvent avoir prison I'un comme. I'autre , car ils doivent estre pugnis
d'un mSme cas..»
(4) Dans I'appel feodal, cet esprit d'SgalitS fait qu'on emprisonne les deux par-
ties; k Rome, dans le systdme des judicia. puUica,il avail conduit h supprimerla
58 LA PROCEDURE CRIMINELLE
succombait, devait perdre lui-meme le corps et les biens (1); le
duel etait comme une arme a deux tranchants qui frappait ne-
cessairement I'un des deux adversaires. Cette regie d'egal em-
prisonnement durera d'ailleurs en France autant que I'accusation
par partie formee (2), et elle n'etait point restreinte au cas oil
le duel etait le mode de preuve adopte ou impose par la cou-
tume. Mais ce cas presentait une particularite ; alors meme qu'il
s'agissait des crimes les plus graves, si la bataille avait ete
gagee , on pouvait mettre les deux parties en liberie moyennant
de bons pleges : 11 fallait bien que les adversaires pussent se
preparer au combat. « En cas de crieme ne doit pas estre fete
ceste recreance fors en I'un des cas ; si comme quant gage sont
done de vilain cas de partie contre autre; en eel cas se les
parties se poent ostager par bons pleges qu'ils revenront au
jor, recreance lor doit estre fete, porce qu'il se puissent porveir
d'aler avant, selonc ce que li cas le desire (3). » Le Grand coutu-
mier de Normandie donne la meme solution sous une forme
un peu differente : apres avoir dit qu'il faut mettre en prison
I'appelant et I'appele, il ajoute qu'on pourra les confler a la
garde de personnes stires,-ce qu'il appelle la « vifve prison {i). »
Mais ici encore le sort des deux adversaires devrait etre egal;
on ne pouvait point accorder a I'un la liberie sous caution sans
I'accorder en meme temps a I'autre. Les Etablissements de S.
detention preventive. Voy. Geib , Die RSmische Criminalprozess bis auf Justinian
(2» partie).
(1) Beaum., lxi, 11 : « Cil qui est vaincus pert le cors et quanques il a de
quelcons Signeur qu'il le tifegne. » Voy. Tris-ancienne coutume de Bretagne, ch.
104 plus haut cite, et c. 96. « Car s'il (I'appelant) est jugife que repons ne luy en
siet , il sera vaincu de son accusement et doibt estre pugni au cas que celuy le
devroist estre s'il est prouv6 du fait. »
(2) Comp. pour TAllemagne la Caroline, art. 12, ssq.
(3) Beaum., liii, 4; cf. lvui, 18.
(4) Somma II , 2 , § 2 : s Per justiciarium tamen his quod necesse fuerit ad
duellum debet inveniri , et utrumque , si voluerit vive prisonie poterit committere,
dum tamen bonos custodes de ipsis habuerit, qui eos ita fideliter oustodiant,
quod vivos vel mortuos ad diem duelli terminatam reddant, et ad duelli deduc-
tionem habeant preparatos. » — « Ce que droict sera 4 faire la bataille leur doit
estre ottroy^ par la justice. Et si pent bailler I'un et I'autre en vifve prison si
leur plaist, pourtant que Ten les bailie fSalement h bons gardes qui les rendront
morts ou vifs au jour de la bataille appareillez de la bataille faire, s'ils sont vifs. »
Du xm° Au xvn° siecle. 59
Louis, apres avoir dit que « la justice doit tenir les cors de eus
deux en ygal prison, si que li uns ne soit plus a malese que li
autres; » declarent « fole justice » celle qui laisserait « I'un
aler hors de prison par pleiges , et retenist I'autre (1). »
Ici les pouvoirs de la justice etaient done fort restreints ; mais
ils durent s'etendre. Le Livre de Jostice et de Plet laisse au juge
une grande latitude : « Or demende Ten se deus sont pris por
tel forfet dont li uns aprange I'autre s'il i afiert rendre ou re-
creance? L'en dit que ce est en la volente au juge. — Or de-
mende Ten s'il puet I'un recroire et I'autre retenir? Et l'en dit
que non ; ne ne puet l'en fere avantages a I'un plus qu'a I'autre
n'alegier I'un plus que I'autre (2). » Get arbitraire dut surtout se
developper dans les juridictions royales , les responsabilites feo-
dales , dont nous avons parle plus haut , n'existant point alors.
En dehors de I'accusation par partie formee , une autre situa-
tion pouvait se presenter. Le seigneur pouvait, nous I'avons
dit, prendre et emprisonner I'homme. soupconne de crime, et,
pour susciter les accusations, faire publier sa prise par trois
assises ou dans tel autre delai fixe par la coutume. Get empri-
sonnement durait au plus I'an et jour, car, passe ce terme, au-
cune accusation n'etait plus possible , mais ne pouvait-il cesser
plus tot?. En general les coutumiers admettent qu'a I'expiration
des delais pour les publications , I'inculpe avait le droit de reque-
rir sa mise en liberte en fournissant des pleges (3). D'autres,
il est vrai, admettent que la detention doit continuer (i). D'autres,
enfin que la dilivrance definitive doit avoir lieu aussitdt apres
que les delais sont expires (5).
Une derniere hypothese pouvait se presenter. L'homme ipris
par le seigneur consentait a subir I'enquete du pays : devait-il
(1) 1, 104 ; cf. Beaumanoir, liu , 4.
(2) XIX, 26, § 9.
(3) Compilatio'de Usibus Andegmim. § 24. Livre de J. et P., xix, 26, § 12. —
Ordonnance de 1315 : «La souspeson porroit estre si grand et si notoire, que li
souspegonnez, centre qui IJ d^nonciation seroit faite, devroit demourer en I'hostel
de son seigneur et ilec demourer une quarantaine ou deux ou trois au plus , et se
ce termine aucun ne I'approchoit de ce fait , il seroit osiagez {Ord. I , p. 558). »
(4) Jean d'Ibelin , ch. lxxiv.
(5) Voy. Beaum., lviii, 20 ; xxx, 90.
60 LA PROCEDURE CRIMINELLE
alors Stre mis en liberie sous caution? Cela est probable; cer-
tains textes semblent contenir cette idee que la liberte est de
droit quand il n'y a pas de partie formee : « Se la jostice me
met sus que j'aie este au fet fere, don li cors dole prandre mort,
et nus ne me demande riens fors lui : par droit il ne doit pas
prandre les moies choses, mes mon cors; mes il le recroira
cors pour cors a fere droit (1). »
De tout ce que nous venons de constater il resulte que la
liberte sous caution etait de droit quand il ne s'agissait pas d'un
fait pouvant entrainer perte de la vie ou d'un membre. Et de
toute cette vieille theorie , liee en grande partie au regime feodal
et au duel judiciaire , il subsistera deux idees dans la periode
suivante : la liberte provisoire doit etre accordee lorsqu'il s'agit
de delits peu graves; lorsqu'il s'agit de crimes importants elle
doit etre refusee.
VII.
Le vieus droit connaissait enfm une procedure de contumace ,
qui sert de point de depart a notre legislation en cette matiere,.
mais qui est devenue meconnaissable dans ses transformations
successives. Comme toutes les procedures formalistes, I'ancienne
procedure criminelle n'admettait point de jugement par defaut;
pour que le proces put s'engager et aboutir il fallait un accusa-
teur et un accuse presents. Cependant on trouvait moyen d' as-
surer son cours a la justice malgre toute resistance des recalci-
trants. Comme dans les usages germaniques , la procedure par
contumace aboutissait non a une condamnation sur le fait vise
dans la poursuite, mais a une mise hors la loi du contumax. A ce-
lui qui refusait d'ober a la loi on retirait toute garantie legale. La
encore la logique gardait tout son empire. II y avait d'ailleurs
un veritable luxe de citations , de delais , variant un peu selon les
coutumes; mais cette vari§te n'empeche point de degager les
caracteres generaux de cette procedure.
La procedure de contumace s'appelait le fqrbannissement. Le
(1) Livre de J. et P., xix, 26, § 5.
DU XIII° AU XTII" SlilCLE. 61
forbaunissement ne pouvait Stre prononce que par l*assise et ne
pouvait 6tre suivi que pour les faits graves , ce qu'on appellera
plus tard le grand criminel (1). L'ancienne Coutume de Nor-
mandie en donne peut-etre le type le plus pur. Elle exige trois
citations a trois assises successives : Criminalem autem. dicimus
actionem de qua convictus aliquis membris vel corpore condem-
natur. Si quis autem crimen , quo secutus est , confessus fuerit in
publico, sui judicium protulit damnamenti, Mffugiens autem hujus-
modi criminosus ad tres primas assisias contumax debet vocari.
Est autem assisia militum etvirorum certo loco et certo termino XL
dierum spacium continente, per quos de auditu in curia judicium
etjustitia debet exhiberi. Ad quartam autem recitatis ejus crimi-
nibus et subterfugus facto ab his judicio debet forbanizari publice
sub hac forma : Nos forbanizamus Petrum propter mortem Luce ,
quern occidit, ex potestate duds; itd quod si quis eum post elap-
sum hujus assisiae invenerit ipsum vivum vel mortuum reddat
justiciario , vel si non poterit clamorem patriae qui dicitur harou
clamosis vocibus debet excitare (2). La tout est net : la mise hors
la loi et les delais , qui consistent en quatre termes chacun d'une
assise. Partout ces quatre termes se retrouveront , et le dernier
sera toujours d'une assise ou quarantaine; mais les trois pre-
miers varient selon les coutumiers. Voici ce que nous trouvons
dans le Livre de Jostice et de Plet : « Ce dit Ten que avant que
homme soit forbeniz, que Ten le doit fere semondre par trois
jorz , chascuns de huit jorz , et s'il ne vient dedanz , Ten doit
mander de ses amis procheins , et dire lor qui ait a un jor. Et se
Ten aqueut cortoisement d'asoine Ten le doit oi'r; se non Ten doit
lesser passer qu'avant qu'apres le tens de quarante jorz, et de
danz ce s'il ne vient Ten doit forbenir (3). » Selon les Stablisse-
(1) Livre de J. et P., xix, 37, § 4 : « L' en demands por ferir home, ou por Ifidir
de paroles ou ftre sane ou chable sanz mort et sanz mehaing, et il s'enfait, si
Ten doit forbenir? Et Ten dit que non. — § 5. Anpr^s demende Ten, se I'en li
met sus murtre ou larrecin, ou rat, ou homicide ou membre tolu ou roberie ou
s'il a pris de I'autrui a force, ou s'il ne vient avant pour donner trives, et il
s'enfait savoir se Ten le doit forbenir? Et Ten dit que oil; car tel chose apar-
tient h, dampnement de cors et pdril de perdurable salu. »
(2) Sommo I. 23, §§ S, 6.
(3) XIX, 37, § 9.
62 LA PROCEDURE CRIMtNELLE
ments de S. Louis, on cite le fugitif : « qu'il viegne dans les sept
jours et les sept nuits pour cognoistre ou pour defendre , et si le ,
fera Ten apeler a plain marchie.... le feroit semondre derechef
por jugement que il venist dedans les quinze jors et les quinze
nuits... puis dedans les quarante jors et les quaraate nuits, et
s'il ne venoist lors si le feroit Ten banir en plain marchi6 (1). »
D'apres Beaumanoir, il y a des delais differents suivant qu'il s'a-
git d'un vilain ou d'un noble : « S'ils sont home de poeste il doi-
vent etre ajorne par trois quinzaines, a la tierce quinzaine en
prevoste. Et s'il ne viegnent dedans les trois quinzaines, a la
tierce quinzaine on doit crier qu'il viegnent a la premiere assise
apres... et s'il ne viennent a cele assise il doivent estre bany (2). »
Pour les gentilshommes il y a trois citations en prev6te, puis
trois citations en assise ; il semble' qu'il y ait la deux systemes
superposes : a Se oil sunt gentil home doivent estre appele qu'il
viengnent au droit du sovrain par trois quinsaines en prevoste ;
et s'il ne viennent il doivent etre appele par trois assises apres
en sivant, dont il ait d'assise a autre quarante jors d'espasse au
moins , et s'il ne viennent dedans le deerraine assize il doivent
estre bani (3). »
Cette procedure de contumace pouvait 6tre suivie, soit qu'il
y eut une partie poursuivante , soit qu'iky ett seulement soupgon
et action du seigneur justicier ; dans un cas comme dans I'autre ,
il y avait desobeissance a la semonce seigneuriale.
Le banni etait reellement hors la loi; son meurtre etait im-
puni , et il etait defendu de lui donner asile : « Quant uns hons
est banis de le cort a aucun des homes le conte nus des autres
homes ne le pot ne ne doit receler, ains le doit penre s'il le trueve
sor se terre, et doit fere savoir au conte qu'il tient tel bani
quiconques les rechete et set le bannissement , se meson doit
estre abatue et est I'amende en le volente le conte de quanques
il a vaillant; et encore paine de prison (4). » Ces terribles menaces
(1) I, 26.
(2) LX, 5
(3) Beaum., lx ; 6 ; xxx, 90.
(4) Beaum., lxi, 21, 23. — Le banDissement n'^tait da reste et ne pouvait €tre
prononci que pour le territoire soumis k la juridiction du seigneur justicier
DU Xm° AU XV11° SIECLE. 63
n'etaient pas du reste le seul moyen de contrainte employe pour
amener la comparution du contumax ; en vertu de la mise hors
la loi ses biens etaient confisques (1), et des le debut de la proce-
dure, des le premier defaut, le seigneur les mettait sous se-
questre (2).
Le trait le plus original de cette forme de proces , c'est qu'elle
faisait non un condamne , mais un « outlaw. » Elle ne tarda pas
a perdre ce caractere. On vit dans la resistance a la justice une
sorte d'aveu ; des lors on considera le banni comme « attaint et
convaincu » du crime , dent il deyait subir la peine normale s'il
etait pris et remis au seigneur justicier. Beaumanoir et le Livre
de Jostice et de Plet contiennent deja cette conception nou-
velle (3). Dans toute la suite des temps, la procedure par con-
tumace contiendra un melange de ces deux idees : mise hors
' la loi , condamnation sur le fait poursuivi.
Le forbannissement, avec ses terribles consequences, etait-il
definitif et irrevocable? Le banni ne pouvait-il pas demander
a etre juge contradictoirement lorsqu'il 6tait saisi , ou qu'il se
representait de lui-meme , voulant purger sa contumace , comme
on dira plus tard? La logique repondait non. A I'origine, le
forbannissement etant la punition de la desobeissance non du
crime, etait definitif, ou du moins ne pouvait etre rappele que
par celui qui I'avait prononce : c'etait la une decision gracieuse ,
(Beaum., lxi, 22) ; mais Beaumanoir indique une curieuse procedure (lxi, 21) pour
en 6tendre I'eifet a toute la justice du suzerain supfirieur.
(1) Beaum., lx, 9.
(2) Beaum., LXI, 10 : «Neporquant porle peril qui est el d^lai li quens doit en-
Toier gardes sor celi de qui on requiert et dobler de jor en jor si que il viegne
avant por son damace esquiver. » — Livre de J. et P., xix, 37, § 8 : « Premifere-
ment Ten le doit fere semondre en son ostel la oi Ten cuidera qu'il repfere plus ;
et s'il-ne vient I'en le doit prendre le sien, et doit estre en le main au juige. »
cf. Ancien coutumier de Picardie, liv (p. 46).
(3) Beaum., lx, 9 : « Quiconques est apeWs sor auoun des cas dessus dis et il
atent tant qu'il soit banis par coustume de tere, et il est repris puis le bannisse-
ment, U a perdu le cors et I'avoir et est justicies aussi comme s'il avoit fet le fet
notoirement por lequel il fu apeWs. » — Ibid., xxx , 12 : « II doit estre justicies
selonc le meffet porquoi il est banis. » — Livre de J. et P., xix , 37, § 7 : « Et
s'il est pris enprfes en la suite dou forbenissement il est dampnez dou fet. » —
Ancien coutumier de Picardie (Anc. cout. de Ponthieu et Yimen, xiv), p. 131 : « Se
il deffaut attains doit esti'e du criesme de quoy il est accuses. »
64 LA PROCEDURE CRIMINELLE
non le resultat d'une voie de recours (1). Dans ce rappel il y
avait I'exercice d'une sorte de droit regalien , comme dans I'af-
franchissement d'un serf, aussi fallait-il au baron, pour I'ac-
corder, I'assentiment du suzerain superieur (2). Les lettres
de rappel pouvaient d'ailleurs effacer toutes les consequences du
bannissement et contenir un pardon complet ou seulement ou-
vrir la possibilite d'un jugement nouveau; c'est ce qu'explique
fort bien Beaumanoir : a Se li banis est rapeles par le sovrain
por aucune coze de pitie, si comme j'ai ditdessus, il doit avoir
tout ce qui estoit tenu du sien por le souspechon du meffet
soit que li quens le tiengne ou autres, car cil qui est assaus
(absous) en le cort du sovrain ne pent pas estre condampnes
en le cort du souget. Mais autre coze seroit se li quens rapeloit
son bani par loier, ou par priere ou par se volunte por cause de
pitie , car en tex rapiax li souget ne rendroient pas ce qu'il
aroient du sien por le meffet , s'il ne se fesoit purgier du meffet
par jugement ; si come s'il estoit apeles et il se delivroit de I'apel
ou il se metoit en enqueste et il estoit delivres par I'enqueste ,
car adont converroit il qu'il r'eust le sien quiconques le tenist (3). »
Mais a cote de ces principes une autre idee se faisait jour. On
tendait k permettre au banni-condamne de prouver sa bonne foi ,
d'attaquer judiciairement la sentence de ban. Le Livre de Jostice
et de Plet ouvre a cet effet un dernier delai de gr§,ce : « Ce dit
Ten que se aucuns est forbeniz enpres quarante jors est forba-
niz ; et il vient avant dedanz les trois procheines assizes et fet de
ses essoines ce qu'il doit et voille soffrir droit : Ten le recevra.
Et s'il ne vient dedanz les trois assises il sera dampnez dou fet
que Ten li mettra sus (4). » Les Etablissements de S. Louis decla-
(1) Beaum., lxi, 24 : « Se li quens rap61e son bani por aucune cause de piti^,
si comme que il a entendu que cil qui fu bannis, el point que il fut apeles et
banis, fu en estrange pais ou en pelerinage, et est aperte coze que il ne sot riens
des apiax ne du bannissement ou li quens (comte) a puis su de certain qu'il
n'ot coupes el fet porquoi il fut banis : il fet oevre de misSricorde de rappeler tel
mani^res de bannissemens. »
(2) Beaum., lxi , 26 : « Li home qui ont fet en lor cort aucun bannissement
por cas de crieme ne le pcet rappeler sans I'acort du conte pornule cause. »
(3) Beaum., lxi, 25.
(4) XIX, 37, § 10; cf. Amien. cout. de Pkardie. xcviii(p. 88).
DU XIII" ATJ XVII° SIECLE. 65
rent , sans fixer aucun delai, que si le banni se presents et allegue
sa bonne foi : « adonc en devroit la Justice prendre son serment
qu'il disoit voir et atant auroit sa deffense qui le voudroit ape-
ler (1). » Ce sont la les rudiments d'un deyeloppement futur;
mais I'idee premiere ne disparaitra point de si t6t ; et dans la pro-
cedure par contumace qu'organisera I'ordonnance de 1670, nous
verrons fonctionner cote a c6te les decisions gracieuses et les
voies de recours.
Telle etait notre tres-ancienne procedure criminelle. Quelque
logique qu'elle fut dans son imperfection , elle renferme en rea-
lite deux elements distincts. L'un appartient au passe et dispa-
raitra bientot sans laisser de traces ; I'autre, au contraire, contient
les germes d'institutions nouvelles , et nous allons montrer com-
ment il se transforma pour repondre a des besoins nouveaux.
(1) Etabl., I., 26. D'apres un passage du Livre de Jostice et de Phi, il semble
qu'aucune prescription ne pouvait effacer les effets du bannissement. xix, 37, § 12 :
« Gefroi de la Chapele (dist) que 11 baillis de Orliens fist un home forbannir por
cri et por renommee que il disoit que il avoit ocis un home. Et fu semons en se
meson de par le commandement le roi par I'espace de quarante jorz ne vint ne
n'envoia.ne ne contremanda, et por ce fu forbeniz, et soffri le forbennissement
sanz venir avant cinquante anz, ne sanz ce que jostice Ten requist. Enprfes il
vint k I'Evesque d'Orliens et dit qu'il estoit de sa jostice et cochanz et levanz en
sa terre, et voirs ere (o'^tait vrai). Li Evesque fist son poer de rapeler ce forben-
nissement. Et dona droiz qu'il ne sera pas rapelez por ceu que il n'estoit pas
venuz avant por allegier son priviliege ne jostice ne I'avoit pas requis, et fut
renduz a I'Evesque ou point oi il ^re. L'Evesque le fist juigier et dona droit qu'il
fust panduz. »
66 LA PROCEDURE CRIMINELLE
CHAPITRE DEUXIEME.
Origine et progrfes de la procedure inquisitoire
du Xllle au XV« sifecle.
I. La procedure crimmelle de I'Eglise. — IL Vaprise ou enqu^te d'office, son ap-
parition au xiii" siScle; r&istance des nobles; la dtoonciation; Taccusation
aprfes la suppression du duel judiciaire. — IIL Introduction de la torture. —
IV. Le ministere public. — V. La procedure criminelle aux xit« etxvo siecles;
procedure ordinaire et extraordinaire ; dernieres transformations.
Dans la procedure brutale et insuffisante que nous avons de-
crite, la poursuite des delits etait I'affaire des particuliers. Rare-
ment la puissance publique pouvait intervenir d'une maniere
efficace : sauf au cas de flagrant delit, elle ne pouvait que se sai-
sir du cpupable et attendre le bon plaisir des parties lesees pour
I'accusation, ou le consentement du coupable pour I'enqu^te.
Un tel etat de choses ne pouvait durer ; aussi nous allons voir
apparaitre au xiii° siecle et se developper rapidement une veri-
table poursuite d'office, en memo temps que les vieux modes
de preuves feront place aux enquMes. Mais avant d'etudier ce
mouvement dans nos vieux auteurs, il faut rapidement exposer
la procedure criminelle des cours d'Eglise. En effet, I'influence
de cette procedure sur les transformations que nous nous prb-
posons de decrire est indeniable. Ce n'est point que I'Eglise eut
cree son systeme de toutes pieces ; au contraire, elle emprunta
le plus souvent aux institutions lai'ques les divers elements qu'elle
mit en CEUvre ; mais elle les anima d'un esprit nouveau et les
transforma rapidement. On dit quelquefois que la procedure in-
quisitoire de I'ancienne France provient purement d'un emprunt
fait a I'Eglise ; cela n'est point exact, comme nous le ferons voir;
mais il n'en est pas moins vrai que I'Eglise fut la premiere puis-
sance qui passa de la procedure accusatoire a la procedure inqui-
sitoire. Ayant la premiere accompli cette Evolution , elle fournit
tout naturellement un modele a la France et aux nations voi-
DU XIII° AU XVn° SIECLE. 67
sines , qu'eatrainait le meme mouvement sous I'impulsioii des
memes besoins.
I.
La juridiction repressive de I'Elglise avait eu d'assez humbles
commencements (1). Sans doute sa premiere manifestation fut
cette sorte de procedure a laquelle on donna plus tard le nom
de denuntiatio , et dont I'Evangile mgme fournit le modele aux
premieres communautes chretiennes (2). Le fidele, scandalise
par un autre fidele, devait charitablement avertir ce dernier, en
secret d'abord, puis devant temoins, et enfin, si cela n'avait
aucun resultat, le denoncer a la communaute (3), qui infligeait
des blames ou des penitences. Plus tard, la constitution de
I'Eglise se transformant, la denonciation fut portee non plus a la
communaute , mais aux superieurs ecclesiastiques ; elle devait
toujours etre precedee de la charitativa admonitio (4). On ne sait
quelle forme etait suivie si la personne denoncee n'avouait pas,
mais dans tons les cas ce n'etaient que des penitences ecclesias-
tiques qui etaient prononcees.
L'figlise, triomphante, conquit la juridiction criminelle sur
tous ceux qui lui appartenaient directement, sur les clercs (5);
des lors elle eut besoin d'une procedure plus ferme, vraiment
repressive. Elle emprunta simplement celle des juridictions lai-
(1) Sur la procedure criminelle de I'Eglise : voy. MM. Faustin-Haie : Traiti de
I'insi/ruetion criminelle, torn. I, ch. xi, n"^ 181-214 (6dit. 1866). — Du Boys :
Histoire du droit criminel de la France, pp. 74-85. — Biener : Beitrdge zu der
Geschichte des Inquisidons-Prozesses , p. 16-78. — Fournier : Les officialiUs au
Moyen-Age, p. 233, ssq.
(2) Math., XVIII, 15-17.
(3) « De bonne heure I'Eglise s'Srigea en tribunal et transforma le repentir en
penitence publique imposfie par I'autoritS et accept^e par le delinquant. » M. Re-
nan : L'£gUse chr6Uenne , p. 391.
(4) C. 17, Dist. 45. (Ex Origine, homilia VII in Josua) ; c. 18, 19. Causa II, qu. 1
(Augustin) : « Paulus breviter insinuasse intelligitur cum quibusdam commemo-
ratis criminibus Ecclesiastici judicii formam ad omnia similia ex quibusdam da-
ret. » C. 23, X, De accus. (V, 1); c. 31, X, De Sim. (V, 3) : « Sicut accusationem
legitima prsecedere debet inscriptio , sic denuntiationem charitativa coercitio. »
(5) Voy. Bethmann-HoUweg : Civil Prozess, torn. Ill ; cf . Wilda : Das Strafrecht
der Germanen, p. 530, ssq.
68 LA PROCEDURE CRIMINELLE
ques, la procedure penale du Bas-Empire. Le principe accusa-
toire domiEe toutes les poursuites devant les tribunaux de I'E-
glise comma devant ceux de FEmpire. L'accusation fut le modus
ordinarius, I'inscripfio in crimen en etant la manifestation (1).
Des exceptions nombreuses etaient apportees au droit d'accusa-
tion publique; la plus importante consistait en ce que leslaiques
ne pouvaient accuser les clercs.
Le principe accusatoire n'exercait point un empire absolu; on
connaissait des cas ou d'office le juge pouvait se saisir et pour-
suivre. U en etait ainsi en cas de flagrant delit (2), delictum
manifestum ou- notorium. Les canonistes, pour etablir ce point,
s'appuyaient sur I'autorite de saint Paul (ad Gal., v, 19-21) (3).
Mais peut-etre fut-ce plutdt un emprunt fait au droit commun (4).
Cette procedure de I'Eglise se precisa de plus en plus ; elle
etait publique et admettait la liberie de la defense dans les
memos conditions que les lois de I'Empire remain.
L'Eglise jusque-la n'avait point ete novatrice; elle avait pris
ce que lui fournissait le droit romain. Lorsqu'elle fut en contact
avec les populations de race germanique, elle leur fit aussi un
emprunt qui lui permit d'elargir le cercle des poursuites d'of-
fice : il s'agit du grand mode de preuve et de defense des
coutumes germaniques, du serment purgatoire de I'accuse (5).
Cette pratique ne s'introduisit point sans difficulte dans I'Eglise,
qui repugnait a I'emploi du serment (Matth., v, 33-37), mais eUe
fmit par I'emporter (6); elle prit le nom de purgatio canonica.
(1) C. 4. Causa II, qu. 1 : « Nihil contra quemlibet accusatum absque legitime
etidoneo accusatore fiat. Nam etDominus Noster J. C. Judam farem esse scie-
bat, sed quia nou est accusatus ideo non est ejectus. » Cf. 21, X, de'Acc. (V, 1).
(2) C. 15. Causa II, qu. 1 : « Manifesta accusatione non Indigent. »
(3) Cf. C. 17. Causa II, qu. 1 : « De manifesta et nota pluribus causa non sunt
quaerendi testes ut S. Ambrosius in Epistola ad Corinthios dixit de fornicatione
sententiam exponens Apostoli. »
(4) Biener : Beitrage, pag. 19, n'o 16.
(5) Les auteurs, qui vont chercher I'origine de la pwgatio canonica dans S. Au-
gustin (epist. 78), font fividemment fausse route.
(6) C. 5. Causa II, qu. 5 (Greg. Ill) : « Presbyter vel quUibet sacerdos , si a po-
pulo accusatus fuerit, et certi non fuerlut testes qui crimine iUato approbent ve-
ritatem, jusjurandum in medio erit, et ilium testem proferat de innocentiae suae
puritate oui nuda et aperta sunt omnia. » — Biener : Beitrage, p. 23, ssq.
DU Xm° AU XVII° SIECLE. 69
Ce serment intervenait lorsqu'il y avait infamatio, c'est-a-dire
quand ropinion publique accusait un clerc , sans qu'il y eM un
accusateur formel : Yinfamatus pouvait alors jurer qu'il etait
innocent, on produisant des cojurarites (1). On ne connait point
les details de cette procedure, mais elle devait etre assez
simple. On pouvait meme forcer Yinfamatus a fournir le serment
purgatoire (2) ; en cas de refus une peine etait infligee. « Quand
un ev§que ou un pretre etoit diffame de quelque crime, par
bruit commun , quoiqu'il n'y etit point de preuves contre lui ,
quoique personne en particulier ne I'accusat, il ne laissait pas
de devoir se purger suivant les canons, afm qu'il ne restat point
de tache a sa reputation. II venoit dans I'^glise et juroit sur les
tombeaux des martyrs et sur tout ce qu'il y avoit de plus sa^int,
qu'il etoit innocent du crime qu'on lui imputoit. Quelquefois il
amenoit avec lui un certain nombre de compurgateurs , per-
sonnes de probite notoire et qui le connoissoient particuliere-
ment; ils faisoient tons lememe serment que lui, c'est-a-dire,
qu'ils le croyoient innocent; et ce temoignage etoit recu comme
une preuve de sa bonne renommee , sufflsante pour detruire la
diffamation contraire. Celui qui n'osoit preter serment, ou ne
trouvoit pas le nombre sufflsant de compurgateurs , etoit repute
convaincu (3). »
En Occident les eveques prirent de bonne heure I'habitude de
(1) C. 12. Cau^a II, qu. 5 (Ex conoilio Agathensi) : a Si legitimi accusatores
crimina sacerdotis probare non potuerint, et ipse negaverit, turn ipse cum septem
sociis ordinis sui (si valet) e crimine semet ipsum expurget , diaconus vero si eo-
dem crimine ac^usatus fuerit cum tribus semet ipsum excuset. » — Ibid., c. 16 :
« Si mala fama de presbytero exierit et accusatores ac testes legates detuerint....
secundum decreta majorum cum denominatis sibi vicinis presbyteris sacra-.
mento famam suam purget. » Ibid., c. 17 : « Quoniam accusatores nee testes se-
cundum formam canonum... in causa ipsa procedere potuerunt, communi fratrum
nostrorum concilio judicamus ut tertia manu sui ordinis et quatuor abbatum et
religiosorum sacerdotum de supradicta simonia in vestra prsesentia se debeat ex-
purgare. »
(2) C. 6, 7, 10, X, de purg. can. (V. 34).
(3) Fleury : Institution au droit eccUsiastique : IIIo partie, ch. xvi (edit. Bou-
cher d'Argis, 1771, t. II, pp. 140, 141). — Voy. Muyart de Vouglans. Inst. crim.
part. VI, p. 304. — M. Biener remarque que d'aprfes les decr^tales d' Alexandre
III, tit. 21, ch. 12. aLorsque Yinfamatus nie, une publication doit' avoir d'abord
lieu, afin de voir si quelqu'un veut se porter accusateur; et si dans les 40 jours
70 LA PROCEDURE CRIMINELLE
parcourir leurs dioceses une fois Fan. C'etait deja en Tan 516 une
ancienae coutume de I'Eglise d'Espagne (1); et le m6me usage
existait en Gaule. Le but de ces tournees etait de donner la con-
firmation , de visiter les etablissements charitables et, aussi d'en-
seigner et de corriger les fideles. Les paroisses etaient reunies
par groupes et des penitences infligees a ceux qui avaient commis
des fautes publiques. Ces penitences, souvent fort severes, for-
maient un ensemble de penalites taxees et reglees dans des libri
penitentiales (2). Cette sorts de juridiction etait consideree par la
puissance civile, dans ces jours troubles, non comme un empie-
tement , mais comme un secours salutaire. Aussi les capitulaires
ordonnent aux fonctionnaires publics de preter en cela leur
app'ui aux eveques. Un capitulaire de Karloman invite les ev6-
ques a faire regulierement leurs tournees et a extirper les restes
du paganisme « adjuvante gravione (3). » Un capitulaire de Pe-
pin (4) leur recommande de rechercher certains delits , en parti-
culier la fornication, le parjure, le faux temoignage. Cbarle-
magne, dans son premier capitulaire, confirme ces indications (5),
et en 813 il y revient encore, apres avoir reuni successivemenf
cinq synodes d'eveques (6) pour deliberer sur la reforms de
I'Eglise.
Nous avons la description de ces tournees dans un livre cu-
personne ne se pr^sente, il y a lieu au serment purgatoire. » Beitrage, p. 21.
II y a la une imitation de la vieille procedure que nous avons trouvSe dans les
coutumiers .
(1) C. 10, causa X, qu. 1. — Cf. : Reginonis abbalis Prumiensis libri dub de
synodalibus causis et disciplinis ecclesiasticis (Mit. Wasserschleben, 1840), lib. I,
ch. 5, 10.
(2) Dove : [Zeitschrifl filr Kirchenrecht herausgegeben von Dove und Friedberg ,
t. IV, pp. 7, 12-13). Ce remarquable travail est a consulter pour lout ce qui suit.
(3) Cap. Earlommni : ch. 1, 3 (a. 742), Pertz, Leges, i, 17 ; cf. Cap. Mantua-
num, a. 781, c. 6 (Pertz, i, 41).
(4) Pippini principis cap. suess., ann. 744, c. 4, 6 (Pertz, i, 21).
(5) Karoli Magni Capit. generate, ch. 7 (Pertz, i, 33) : « Confirmare, plebes
docere, et investigare, et prohibere paganas observationes. »
(6) Capit. Aquisgr. 813, cli. 1 (Pertz, i, 188) : « Ut episoopi circumeant paro-
cbias sibi commissas et ibi inquirendi studium habeant de incestu , de parricidiis i
fraticidiis , adulteriis , cenodoxiis et alia mala quae conlraria sunt Deo , qua in
sacris scripturis leguntur, quae ChristiSni devitare debent. »
DU XIII° AU XVII° SIKCLE. 71
rieux de Regino, abbe de Prilm (1). D'abord venait I'archidiacre
annongant aux paroisses la venue prochaine de I'eveque : deux
ou trois jours apres, celui-ci, en arrivant, trouvait dans chaque
lieu de reunion les fideles conduits par leurs cures , et I'assise qui
se tenait alors s'appelait le synode, synodus (2). La I'eveque in-
fligeait aux delinquants les penitences convenables ; mais c'e-
taient seulement les delits commis piibliquement qui pouvaient
alors etre pris en consideration (3) ; peut-etre , pour qu'on put
proceder, la soumission du coupable etait-elle necessaire.
Au ix° siecle , les synodalia judicia acquirent un ressort nou-
veau; il s'y- constitua un veritable jury d'accusation. Ce fut
sans doute la une creation de la pratique ; quoi qu'il en soit la
chose nous est nettement decrite par le livre de Regino (4).
L'eveque , au synode , choisissait parmi les fldeles assembles un
certain nombre des plus respectables (sept en general), et leur
faisait preter serment de reveler tous les delits dont ils auraient
la connaissance (5) ?t qui relevaient des causse synodales. Comme
un magistrat directeur du jury, il instruisait de leurs fonctions
ces juratores synodi, puis leur posait une serie de questions , oil
defilaient les divers delits reprimes par I'autorite ecclesias-
(1) Reginonis abbatis Prumiensis libri duo de synodalibus causis et disciplinis
ecclesiasticis (Ed. Wasserschleben , Lipsiae, 1840).
(2) Regino , 1. II , ch. i.
(3) « Qai publice crimina perpetrarunt publice poeniteant. » Conventus Tieinensis,
an. 850, i;. 6 (Pertz, i, p. 397). Dove, loc. cit., p. 23.
(4) Regino mourut en I'an 915.
(5) Regino :i, c. 2, De juratoribus synodi : Episcopus in synodo residens , post
congruam allocutionem septem ex plebe ipsius paroohiae vel eo amplius aut minus,
prout viderit expedire , maturiores , honestiores atque veraciores viros in medio
debet evocare , et allatis sanctorum pignoribus , vinum quemque illorum .tali Sa-
cramento constringat. — C. 3, Jusjurandum synodale. A. modo in antea, quidquid
nosti aut audisti , aut post modum inquisiturus es quod contra Dei voluntatem et
rectam Christianitatem in ista parochial factum est, aut futurum erit, si in diebus
tuls evenerit, tantum ut ad tuam cognitionem quocunque modo perveniat, si scis
aut tibi indieatum fuerit synodalem causam esse , et ad ministerium episcopi
pertinere, quod tu nee propter amorem, nee propter timorem, nee propter prie-
mium, nee propter parentelam ullatenus celare debeas archiepiseopo de Treveris,
aut ejus misso, cui hoc Inquirere jusserit, quandocumque te ex hoc interroga-
verit, sicte Deus adjuvet et istae sanctorum reliquiae. —Dove, Op. cit., p. 28, ssq.;
Biener : Beitrdge, p. 32-33.
72 LA PROCEDURE CRIMINELLE
tique (1). Les juratores devaient indiquer les coupables. Si
ceux-ci etaient presents et avouaieDt, I'eveque entoiire de ses
clercs statuait et leur infligeait la peine convenable (2). Si I'ac-
cuse niait, comment procedait-on ? C'etaient simplement les prin-
cipes germaniques sur les preuves qui intervenaient : Vinfamatus
devait se disculper, par le serment si c'etait un homme libre,
ou par les ordalies , s'il etait de condition servile , ou si , quoique
libre , des fails trop graves lui etaient reproches ou que de trop
fortes presomptions s'elevassent contre lui (3). Pour forcer les
fideles a se soumettre a ces lois , I'Eglise avait un moyen , re-
doutable a cette epoque : rexcommunication.
Toute cette procedure etait fortement empreinte de I'esprit
germanique. L'Eglise avait seulement eu cette idee feconde de
(1) Le chap, v du livre de Regino , sous cette rubrique : Post hcec ita per or-
dinem interroget, enumere les divers dilits sur lesquels doivent porter les ques-
tions : ce sont d'abord les divers attentats a la vie humaine (nos 1-14) , puis les
adultferes et fornications (15-37), le vol et le sacrilSge (38), le parjure (39), le
faux tSmoignage (40-41) , les enchantements et sortileges (40-41),'et enfin (46-89)
une s^rie d'incriminations fort curieuses dont la plupart visent des pratiques em-
prunt^es au paganisme ou des manquements aux devoirs du fidfele.
(2) Aprfes avoir donn6 la liste des questions que I'^vfeque pose aux juratores,
le livre de Regino ajoute seulement : « Capitula base, quae per ordinem adnota-
vimus canonicis oportet roborari decretis. » Et les chapitres suivants du second
livre contiennent le texte des d berets des conciles et des autres lois qui punis-
sent ces dSlits divers.
(3) Dove : Zeitschrift fv/r Kirchenrecht, torn. V , p. 22, ssq. Voici les textes qu'il
cite : « Regino u, 73 (ex Concilio Moguntiacensi) : « Si maritus uxorem aut
uxor maritum interf ecerit , aequum judicium sit super eos... idcirco uterque eorum
in hujusmodi criminis accusatione, si negaverit, pari judicio examinetur. » —
Condi. Mogunt., c. 24. (a. 847) : « Qui presbyterum occidit, duodecim annorum
ei poenitentia secundum statuta imponatur, aut si negaverit, si liber est, cum
duodecim juret, si autem servus per duodecim vomeres ferventes se purget; con-
victus vero nox» usque ad ultimum tempus militias cingulum deponat et uxorem
amittat. » — Condi. Tribur. (Regino ii , 303) : « Nobilis homo vel ingenuus si in
synodo accusatur et negaverit, si eum fidelem esse sciunt, juramento se expur-
get; si autem deprebensus fuerit in furto atque perjurio, adjuramentum non ad-
mittatur, sed , sicut qui ingenuus non est , ferventi aqua aut candenti ferro se
expurget. » — Coneil. Salegunstadiense, ch. 7 : « Interrogatum est si duo in adul-
terio inculpati fuerint et unus profiteretur et alter negaret , quid inde agendum
esset : decretum est etiam a sancto concilio ut ille qui negaverit propabili judicio
se expurget et qui professus fuerit poenitentiam agat. » — Ibid., c. 13 ; « Statuit
quoque sancta Synodus si duo de adulterio accusati fuerint et ambo negaverint,
et orant sibi concedi ut alter iUorum utrosque divino purget judicio , si unus in
hoc deciderit, ut ambo rei habeantur. »
DU Xin" AU XVII* SIECLE. 73
forcer les Chretiens assembles a denoncer les coupables qui se
cachaient parmi, eux. Aussi le pouvoir civil s'empara-t-il pour
son propre compte de cette institution. Les comtes eurent I'ordre
de reunir les hommes les plus honorables en jury d'accusation ;
et les denonciations faites devant eux sous la foi du serment
devaient avoir les mSmes consequences que celle produites au
synode; c'est ce qu'ont etabli de savants travaux (1). Et lorsque
les missi furent institu^s par Charlemagne, les deux jurys d'accu-
sation durent fonctionner de concert; car dans chaque tournee
etaient generalement envoyes ensemble un comte et un ev^que.
Cette curieuse institution ne produisit pas de resultats vrai-
ment durables ni pour I'Eglise ni pour le pouvoir civil. Le jury
d'accusation preside par le comte ne laissa de traces que dans
certaines coutumes de la Flandre et du nord de la France. La
existaient encore au Moyen-Age, ce que les coutumes appellent
les« coies, franches, ou communes verites (2). » A certain jour
les justiciables assembles etaient sommes par le seigneur justi-
cier ou son representant de denoncer les coupables qu'ils connai-
traient (3). L'Eglise conserva longtemps les synodes que nous
(1) Dove, op. cif.; Biener : Beilriige, p. 130, ssq.; — Brunner. Enistehung der
Schwurgerichte, p. 460, ssq. Voici les textes principaux sur lesquels on se fonde :
Pippini regis cap. Langobard, a. 782. c. 8 (Pertz I, 43) : « Judex untisquisque
per civitatem facial jurare ad dei judicia hommes credentes juxta quantos preevi-
derit, seu foris per curtes vel viooras mansuros, ut cui ex ipsis cognitum fuerit,
id est homicidia , furta, adulteria et de illicitas conjunotiones ut nemo eas conce-
let. » La suite du texte semblerait montrer que cejury d'accusation pouvait quel^
quefois se transformer en jury de jugement. — Hludovici II imp. Conventus Ticir
nensis, an. 830. c. 3. (Pertz I, 406) : « Ubicumque fama sit tales (latrones) habitare
inquisitio per sacramentum per omnem populum circumanentem flat, et cujus-
cumque gentis aut conditionis fuerint per quos inquiri melius potuerit, jusjuran-
dum dare , cum a comite conventus fuerit, r'ecusandi non habeat potestatem. » —
II s'agit la de brigandages et de recels ; un peu plus haut le texte dit en ef&t ;
« Ubicumque igitur in tali suspitione quilibet venerit, et rumor in populo disper-
sus fuerit, quod bsec facinora exerceat, si adhuc propalatum non est, cum duo-
decim se ex expurget , si autem jam in aliquo manifestus aut deprehensus est,
statim capiatur, et distringatur et dampnationem legibus praeflxam sustineat. »
(2) Warnkonig et Stein. Fliindrische Staats und Rechtsgeschichie, torn. Ill,
§ 40 : « Von den Stillen Wahrheiten. »
(3) Warnkonig et Stein, op. cit., torn. Ill, p. 333-341 ; — Coutume de Fume
de 1240, II, § 46; — de Poperinghem (a. 1208), art. 23, 24; de Waeslandes,
art. 22; voyez surtout : s Knqueste des dunes faite a Coxcide a le croix du Sa-
Mon. » (Warnkonig, III. Urkmdenbuch, n» 54); — cf. Brunner,, op. cit., p. 463-4.
74 LA. PROCEDURE CRIMINELLE
avons decrits. Aux xii" et xiii", siecles les habitants des Flandres
et du nord de la France resistent a cette juridiction (1). Uae
glose des Siete partidas parle des « testes synodales (2). » Inno-
cent III dit encore que les eveques doivent tenir le synode
« debitam poenam transgressoribus infligendo (3). » Mais ces
judicia perdirent leur importance, au moins pour les laiqiies,
alors que les ordalies disparurent et que le serment purgatoire
fut regarde commme un droit reserve aux clercs. Une disposi-
tion du concile de Latran diminua encore leur portee , en ordon-
nant aux metropolitains d'etablir des surveillants dans les divers
dioceses [{i). Un mode de poursuite plus energique allait d'ail-
leurs apparaitre sous le pontificat d'Innocent III.
Le clerge etait entre alors dans une voie Ae dereglements et
de scandales que constatent les textes officiels (5) ; il fallait une
repression energique et prompte. Pour donner a sa procedure
criminelle une force qu'elle n'avait jamais eue, I'Eglise devaity
introduire largement la poursuite d'office. Ce besoin donna nais-
sance a la procedure per inquisitionem. EUe permettait au jugs
alors meme qu'il n'y avait pas d'accusateur, d'entamer un proces
centre la personne diffamee , d'entendre des temoins et de pro-
noncer une condamnation ; selon le droit anterieur le clerc dans
ce cas pouvait seulement 6tre forc6 de se disculper par serment.
La nouvelle metljode constituait une rigueur inconnue jtisque-la;
aussi ne s'introduisit-elle pas sans resistance. Certaines decre-
tales repoussent les reclamations d'inculpes, qui, faute d'un
accusateur, invoquaient le droit de recourir a la purgatio cano-
nica (6). Sur quel fondement assit-on cette reforme capitale?
(1) Warnkoaig et Stein, op. cit., torn. I, § 47, (p. 436, sscj.) : « Zweite Keure von
Gent anno 1192 : Episcopo non licebit Gandavi synodum celebrare, nisi expletis
tribus annis in quatuor temporibus quarti anni. » — En 1271, les habitants de
Bruges et leurs voisins, citent I'fivfique de Tournai devant le tribunal archiepisco-
pal de Reims et le font condamner pour abus dans les synodales causa.
(2) Partida III , tit. XVII , 1. 2, glose 5 . Los codigos Espanoles concordados y
anotados,2^ 6dit. Madrid, 1872-1873, torn. Ill, p. 155.
(3) C. 25, X, de accus. (V. 1).
(4) Biener : Beitrage, p. 37.
(5) C. 24, X. de accus. (V. 1).
(6) C. unic. X. «< ecc. benef. Ill, 12 (Innocent. III. an. 1198) ;c. 10, X. de
DU Xni° AU XVII° SIECLE. 75
Les decretales invoquent des passages de I'ancien et du nouveau
Testament (Genes., xviii, 21 ; Luc, xyi, 2); mais en realite, ce fut
sur la toute-puissance papale et sur le droit de surveillance qu'elle
entraine qu'on s'appuya surtout (1). Aussi tout d'abord les inqui-
sitions durent-elles etre faites par des commissaires specialement
nommes par le Pape a ceteffet (2). Le concile de Latran en 1215
approuva et confirma ces doctrines nouvelles (3), et le droit de
faire una inquisitio appartint desormais ^ tout juge.
Les regies de cette procedure furent aisement fixees ; en realite
ce n'etait qu'une modification de I'ancienne poursuite qui condui-
sait Vinfamatus au serment purgatoire (4). En premier lieu, il
faut qu'il y ait une infamatio centre celui qu'on veut poursuivre :
« inquisitionem debet clamosa insinuatio praevenire » (c. 31 , X ,
de Sim., V. 3); et pour bien etablir ce point, le juge commence
par faire une enquete secrete, inquisitio famae (cc. 19, 24, X, de
ace, V. 1). Alors Vinquisitus est cite et doit etre present. Avant
tout on lui communique les chefs d'accusation, capitula, surles-
quels porte I'inquisition ; on lui communique ensuite les noms
purg. can. (V, 34) : « Purgationem ei quarto-deoimse manus sui ordinis duximus
interdicendam. »
(1) C. unic. X. ut eccl. benef. (III. 13) : « Nos qui , non tam ex plenitudine
potestatis quam ex officio debito possumus et debemus de subditoram excessibus
ad correctionem inquirere veritatem , te causam et occasionem praestante , inqui-
sitionem commisimus faciendam. »
(2) 31, X, deSim. (V. 3); c. 24, X, deaccus. (V. 1).
(3) Condi. Lat., u. 4. Comp. 4. =: C. 24, X, de accus. (V. 1).
(4) Le texte fondamental sur ce point est le oh. 24 de accusationibus d^ja cit6
plus haut; en voici la partie la plus importante : « Cum super excessibus suis
quisquam fuerit infamatus it^ ut jam clamor antecedat qui diutius sine scandalo
dissimulari non possit vel sine periculo tolerari , absque dubitationis scrupulo ad
inquirendum et puuiendum ejus excessus non ex odii fomite sed caritatis proce-
datur affectu, quatenus si fuerit gravis excessus, etsi non degradetur ab ordine, ab
administratione tamen amoveatur omnino, quod est secundum sententiam evange-
licam a villicatione villicum amoveri qui non potest villicationis suae dignam reddere
rationem. Debet igitur esse praesens is contra quam facienda est inquisitio nisi se
per contumaciam absentaverit, et exponenda sunt ei ilia capitula de quibus fuerit
inquirendum , ut facultatem habeat defendendi se ipsum. Et non solum dicta sed
etiam nomina ipsa testium sunt ei, ut quod et a quo sit dictum appareat , publi-
canda, nee non exceptiones et replicationeS legitimae admittendse, ne per suppres-
sionem nominum infamandi , per exceptionum vero exclusionem deponendi falsum
audacia praebeatur inquisitionem debet clamosa insinuatio praevenire. »
76 LA PROCEDURE CRIMINELLE
des temoins entendus par le juge et le contenu de leurs deposi-
tions recueillies par ecrit. L'inculpe pouvait presenter toutes les
exceptions et les defenses qu'il jugeait utiles de produire (1).
Les textes n'indiquent pas que la procedure fut autrement
secrete , et ils assurent , on le voit , la liberie de la defense. Ce-
pendant certains caracteres revelent une forme rigoureuse de
proces : I'ecriture joue un r61e preponderant et- le debat oral
disparalt ; Vinquisitus doit preter serment de dire la verite lors-
qu'il est interroge sur les capitula (2), et est force par la de s'ac-
cuser lui-meme ; enfin il est assez vraisemblable que la torture
6tait employee (3). On reconnaissait d'ailleurs que cette proce-
dure avail quelque chose d'anormal, car on admettait en prin-
cipe qu'elle devait conduire a I'application non des peines nor-
males , comme Vaceusatio, mais de peines plus legeres (4).
L'inquisition amena peu a peu la disparition presque com-
plete de I'accusation, qui fit place a la denuntiatio. Cette der-
niere existait bien depuis longtemps ; ■ mais elle n'aboutissait
jadis qu'a une simple penitence; desormais elle donna ouver-
ture a Vinquisitio et par la permit I'application d'une peine veri-
table (5). La denonciation signalait alors la diffamatio et saisissait
le juge. Le denoncant pouvait du reste etre partie au proces, et
admis a fournir ses preuves : il y avait alors ce que les anciens
auteurs appelaient Vinquisitio cum promovente (6). Le promotor
avait un role actif ; et la procedure etait en realite une accusation
attenuee, debarrassee de Vinscriptio in crimen.
(1) GC. 21, 24, 26, X, de ace. (V. 1).
(2) C. 17, 18, X, de ace. (V. 1).
(3) Ua seul texte il est vrai , semble indiquer d'ane fajon precise remploi de la
torture, C. 6, X, de reg. juris, V. 41 : «[Tormentaindiciisnonpr(scedentibusinfe-
renda non sunt) : Quum ia causae contemplatione , (et infra) in ipso causs initio
non est a quaestionibus inchoandum. » Voy. Biener. Beitrage, p. 35. — « L'usage
de la question par les tourments , autrefois inconnu dans les tribunaux eoclSsias-
tiques... s'y est introduit depuis environ cinq cents ans... mais les offlciaux n'en
usent plus en France. Brodeau dit avoir vu dans la chapelle de I'official de Paris
les boucles et les anneaux de fer dont on se servait. » Fleury, Insiiiution au droit
eccUsiastique , p. 136.
(4) C. 17, 21, 24, X, de ace. {Y'. 1); C. 30, 32, X, de Sim. (V. 3).
{6)C. 14, 19, X. De ace. [Y. 1).
(6) C. 19, X. De ace. (V. 1) : Voy. Biener : Beitrage, p. 80, ssq.
DU Xm° AU XVII° SlilCLE. 77
II faut remarquer que Vinquisitio ne fit point completement
disparaitre \b, purgatio canonica; avait-elle fourni de fortes pre-
somptions de culpabilite saHs reunir un faisceau de preuves suf-
fisantes pour la condamnation, Vinfamatus, devait se purger par
serment (1).
Pour en finir avec le droit ecclesiastique , il nous reste a dire
en un mot ce que devint la procedure d'inquisition , appliquee
aux poursuites centre les heretiques (2). A I'origine, la repres-
sion de I'heresie fut confiee aux eveques ; c'etait I'un des objets
principaux des synodales causae. II en etait encore ainsi d'apres
le concile de Latran de 1215 (3). Mais a partir de 1230 environ,
Vinquisitio hereticse pravitatis fut generalement deleguee par le
pape a des commissaires speciaux; et, bien qu'en theorie les
eveques conservassent leur juridiction sur ce point, en fait elle
etait absorbee par celle des commissaires. Les premieres traces
de cette inquisitio delegata se trouvent dans le sud de la France
au debut du xiii° siecle : les delegations tendirent a devenir per-
manentes. Ce changement ,dans la juridiction fut accompagn6 de
' modifications dans la procedure , qui constituaient d'odieuses
rigueurs. En premier lieu, les depositions des temoins continue-
rent a etre communiquees a I'accuse , mais sans les noms de
ceux de qui elles emanaient : « Ne testium nomina signo vel
verbo publicentur, » dit un concile de Narbonne de I'an 123S , et
ce principe fut confirme par des bulles d'Innocent IV, d'Alexan-
dre IV, d'Urbain IV, de GregoireX, enfin de Boniface VIII (i).
En fait les depositions etaient meme demembrees et communi-
quees par pieces et par morceaux, afin que I'accuse n'en put
connaitre I'auteur.
La torture devint aussi un moyen ordinaire d'instruction. Ce
fut le droit remain qui servit ici d'autorite. Le crime dlieresie
(1) C. 19, X. De ace. (V. 1). — « Les cas de plus amplement informfi sont a peu
pr6s ceuxou avail autrefois lieu la purgation canonique. » Fleury, op. cit.,p. 140.
(2) Voy. Biener, op. cit., p. 60-78.
(3) C. 13, § 7, X. De TuBret. (V. 7) : « Totam viciniam jurare compellat , quod si
quos ibidem haereticos sciverit, vel aliquos occulta conventicula celebrantes...
eos episcopo studeat indicare. »
(4) C. 20, De hmret. in Sexto (V. 2).
78 LA PROCEDURE CRIMINELLE
6tait regarde comme crimen Isesx majestatis divinse, et a partir du
xiii° siecle on appliqua dans ces sortes de proces les regies du
Digeste et du Code sur la mise a la question des accuses et des
temoins dans le crimen majestatis. Cela fut d'abord etabli dans
une ordonnance d' Alexandre IV, de 1252, puis confirme parle
meme pape en 1259, et par Clement IV en 1265 (1).
Telle est revolution qui s'etait accomplie dans la procedure
criminelle des cours d'Eglise ; il est temps de revenir devant les
tribunaux laiques de I'ancienne France.
II.
Nous avons indique plus haut qu'au xiii<' siecle la poursuite
d'office apparait dans les juridictions laiques sous le nom d'a-
prise; comment cela se produisit-il? Jusque-la, I'enquete n'etait
possible que si I'homme arrete « par soupcon » s'y soumettait
de bon gre; mais pour le forcer a s'y soumettre on employait
souvent un moyen de contrainte indirecte tres-rigoureux, « la
dure prison a pen de boire et de manger. » N'etait-il pas plus
simple , plus conforme a la dignite de la justice de decider qu'on
se passerait de tout consentement , quele juge pourrait toujours
ouvrir I'enqufete, et, si elle etait concluante , appliquer la peine?
La logique des choses impliquait ce developpement , et les vieux
juristes trouverent a cette theorie un fondement juridique.
En cas de flagrant delit on avait toujours admis qu'on punirait
le malfaiteur, sans accusation formelle, sur le seul temoignage
des personnes qui I'avaient vu commettre le mefait (2). On pensa
qu'on pouvait considerer comme flagrant delit le fait qui serait
atteste par maints temoins , qui serait de notoriete publique ;
et qu'alors , le juge pouvait d'office entendre les temoins et pro-
(1) CItoent. C. 1, § 1, Dehmret. (V. 3) : On recommande wduro tamen tradere
carceri qui magis ad poenam quam ad custodiam videatur, vel tormentis exponere
illos. » Voy. Fleury, op. cit., p 78-94. Sur toute cette matifire de Vinquisilio Affl-
reticte pravitatis, consulter le Directorium injuisitorium d'Eymerious , avec le
commentaire de Pegna.
(2) Livre de J. et P., xix , 44 , § 14 : « Gens qui sont pris & present forfet et
men6 pr^sentement a justice vont par enqueste.... s'il nie; porceque ne croisse
sur ce que Ten doit vengier les forfetz que Ton fet k escient. »
DU XIII° AU XVII° SIECLE. 79
noncer la peine (1). On appela cela Vaprise, en has latin aprisio;
Beaumanoir explique ce mot en ce sens que « li juges est plus
sages de la besogne qu'il a apris; » d'apres lui ce ne seroit
qu'une sorte d'enquete de police , une maniere d'information
preparatoire qui ne pouvait entrainer une condamnation qu'au-
tant qu'elle equivalait presque a la constatation d'un flagrant
delit (2). Mais c'etait la une theorie a la fois trop subtile et trop
insuffisante pour durer longtemps. L'aprise devait etre, quant
a ses effets , completement assimilee a I'enqu^te ; cependant I'as-
similation ne se fit pas tres-vite. Pendant assez longtemps on
se refusa a admettre que l'aprise suffit pour faire pron oncer la
peine ordinaire et normale du delit (3). Plusieurs textes en ce
cas permettent seulement de bannir le coupable. Les Etablisse-
ments de S. Louis le disent formellement : « Se aucuns est mau-
vesement renomme par cri ou par renommee , la justice le doit
prendre et si doit enquerre de son fait et de sa vie et la ou il
demeure , et se il le treuve par enqueste que il soil coupable de
aucun fait ou il ait paine de sane , il ne le doit mie condamner
a mort quand nus ne I'accuse ou quand il n'a este pris au pre-
sent fet ne en nule recognoissance. Mes s'il ne se voloit mettre
en I'enqueste lors puet la justice bien fere et doit le forbanir
hors de son pooir, selonc ce qu'il semblera coupables par le fet
et comme il trouvera par I'enqueste qu'il aura faite de son of-
(1) « Se cil qui est pris por soupegon de vilain cas ne veut attendre I'enqueste
du fait, adont y appartient il aprise, o'est-i-dire que le juge de s'office doit
aprendre et encerquier du fet ce qu'il pot savoir; et s'il trueve par l'aprise le
fet rwtoire par grande plenti de gent, il porroit bien metre l'aprise en jugement.
Et pourroient 11 home voir le fet si clers par l'aprise que li pris seroit jugies.
Mais a ce qu'il fut condampnez a mort par l'aprise il convient bien que le fet
feust sens clers par plus de trois tesmoins ou de quatre, si que li jugemens ne
tustparfes tant solement par l'aprise mais par fet rwtoire. » Beaum., xl, 15.
(2) II oppose l'aprise a I'enqufite « qui porte fin de querelle. » xl, 16. — Voyez
sur l'aprise le Registre des Grands-Jours de Troyes, cit6 par Brussel, Usage des
fiefs: « Cum non appareret sufflciens, accusator.... inquesta seu aprisio facta
est (torn. I, p. 227). » — « Parle conseil de chevaliers, d'escuyerset de plusieurs
autres preudhommes... le fist prendre et mettre en prison.... et par I'enseigne-
ment et le conseil desdits fist fere sur le fet et le souspecon doudit meurtre une
aprise. »
(3) C'est un trait que nous avbns relevS pour Vinquisitio des cours d'Eglise. _
80 LA PROCKDURE CRIMINELLE
fice (1). n Le Livre des Droiz et Commandements de justice n'est
pas moins net, bien qu'il appartienne a une epoque posterieure.
« De mauvaise renommee et d'office de justice comment Ten doit
punir malfaicteurs , quant pour cry, ou par renomee et mal-
volie : — C'est a scavoir il puet prendre cellui et enquerir de
ses faiz , la ou il aura demoure ; et si Ten trueve qu'il soit cou-
pable, per ce ne le doit Ten pas condamner a mort, quand il
n'est pris en present meffait ou en cognoissance , ou quand il p'a
prins I'enqueste ; mais il le puent bien forbanii' selonc qu'il sera
trouve coulpabie. Mais plusieurs sages dient le contraire quant
au forban (2). » — « Item autre prueve que la coutume appelle
inquisitive, c'est-a-dire quant on fait informacion ou aucune
enqueste d'aucun cas ou mefifaiz d'office et tesmoins sont trais ,
mais se celui qui de ce est suspect ne se est mis en proces de sa
voulente, ou il n'est pris en present meffaict, ou soumis a I'en-
queste du pais de sa voulente, telle enqueste ne le prent pas
quant a la capcion et detention de li pour actandre droit sur
ce (3). »
Sans doute I'introduction de I'aprise devant les juridictions
laiques fut surtout une imitation de la procedure des cours
d'Eglise ; cela paraitra bien dans les ordonnances du xiv° siecle
qui reglent la nouvelle enquete d'une facon tres-nette bien qu'en
peu de mots , et qui reproduisent les principes et la terminologie
du droit canon (4). La premiere ordonnance qui en fasse mention
(1) II, 16; cf. Beaum., lxi, 20. Le texte des tiaUissemenU , pour permettre
cette poursuite d'offloe, se r^fere expressement au droit romain : « Car il appar-
tient h Toffioe du pr6v6t et a toute loyale justice de nettoier sa province et sa
juridiction de mauves homes et de mauvfeses femes selon droit escrit en la Di-
geste de receplatoribus , et en la loi Congruit en la Digeste de officio Pr(Bsi-
dis.... et se il se mettoit en I'enqueste, et I'enqueste trouvast qu'il fust coupables,
la jostice le devroit condamner a mort, se ce estoit un de ces cas que nous avons
dit dessus. »
(2) § 328.
(3) § 476, cf. Boutaric. Ades du Parlemenf de Paris, arrfit de 1259 (n" 345) : il
s'agit d'un asseurement royal enfreint ; le coupable gardera la prison jusqu'a ce
qu'il ait amende son crime envers le roi , « Salva tamen eidem vit& su& , membris
suis et hereditate sua , quia non supposuit se isti inqueste. » N" 4372 : Arr§t de
1315 ; le coupable est oondamn^ k mort : « il fut prouvS centre lui qu'il avait ac-
cepts I'enqufite prSsentSe au bailli. »
(4) Sur I'influence de I'Eglise dans le domaine de la procedure, Voy. M. Glas-
DU xm° Au xvn° siecle. 81
d'une facon certaiae la donne comme une institution des pays
de droit ecrit. Cette ordonnance de 1254 est destinee « a la re-
formation des moeurs dans le Languedoc et le Languedoil; »
elle contient un double texte en latin et en francais. Le texte
latin, destine aux pays du Midi, presente un article 21, ainsi
congu : v Et quia in dictis seneschalliis secundum jura et terrae
consuetudinem fit inquisitio in criminibus volumus et mandamus
quod reo petenti acta inquisitionis tradantur ex integro (1). »
Ne pourrait-on pas en conclure que , comme institution normale,
I'enquete criminelle avant de gagner le Nord se serait implantee
dans le Midi , oil I'inquisition centre les heretiques avait d'abord
fait son apparition.
Mais I'aprise trouva ailleurs que dans le droit canon un point
d'appui. II est aujourd'hui reconnu que dans la monarchie
franque, sous les Carolingiens , a c6te de la procedure etroite
et formaliste du droit commun, il en existait une autre, oil le duel
judiciaire , le serment purgatoire et le temoignage formaliste ne
figuraient point , et qui etait dite per inquisitionem. En principe,
le roi seul, en vertu de son pouvoir propre, avait le droit de
proceder aux inquisitions en personne ou par delegues. Celui qui
etait charge d'inquirere rassemblait un certain nombre d'hommes
du pays , et , sous la foi du serment, recueillait leurs declarations
sur le point en litige; puis conformement a leurs dires il pro-
noncait la sentence. Cette sorte de droit rSgalien n'appartenait
aux juges qu'en vertu d'une commission du souverain; mais
lorsqu'il s'agissait des droits du fisc, on procedait toujours per
inquisitionem, et les eglises et monasteres obtinrent par privi-
lege I'application de cette procedure dans les proces ou ils
etaient interesses ; on I'appliqua aussi dans les proces ou figu-
son : Les sources de la procMwre civile frangaise {Nouvelle Revue historique de
droit frangais et Granger, 1881, p. 413 seq.). M. Stintzing [Geschichte der deutschen
Rechtswissenschaft , 1880, p. 27) fait remarquer que , par suite de la methode ex6-
gStique exclusivement suivie dans les Universit^s, « la procedure criminelle ratta-
cMe a la procedure civile 6tait, surtout pour les canonistes, un th^me qu'ils avaient
4 developper sur le second livre des D6cr6tales. »
(1) Ord. I, p. 72. L'fiditeur remarque que les articles 20, 21, 22 manquent dans
le texte frangais.
6
82 LA PROCEDURE CRIMINELLE
raienl des veuves , des drphelins , des homines minus potentes.
Mais a I'gpoque franque rinquisitioa n'est guere employee qu'en
matiere civile (1). Ce droit de Mre enqti^rir la royaute le' conserva
au Moyen-Age ; elle I'exergait quand ses interSts civils ou feodaux
etdeaten jeu. Le Livre de Jostice et de Plet contient un chapitre
importaiit qui reproduit a cet egard les principes de I'epoque fran-
que (2). Livre xix, tit. 4i : « § 1. Se li rois demande riens a au-
cun muebles ne heritages , que Tea ait pris sor lui , ou que Ten
li doie, il gagne par enqueste ou pert... § 3. Se aucua bat ou
fiert sergent le roi por acheson dou service ce n'est pas (ce vet
par?) I'enqueste... § 5. Esqueuse (rescousse) de sergent vet par
enqueste... § 7. Se aucuns estranges prent un prison le roi,
qu'il aura pris, avoques autres choses qui sunt le roi , et Ten la
li tost, s'est seu par enqueste... § 11. Qui fet chevauchees par
armeS et prant et peeae ce vet par enqueste... § 13. Cil doit fere
enqueste qui la set fere ; et doit len demander sor toz les articles
(1) Voyez sur tons ces points .lesremarquailjle's ouvrages de M. Brunner : Die
EnUtehung der Scfmurgerichte!,. ch^yi, p. 84-126 (1871); — Zeugen-und-Inquisi-
tiom-Beweis des Kc^rolingischen'Zeit (1866). Dans les capitulaires ontrouve parfois"
des instructions adresSfies aiii rtiisH, qui leur rtecommandent i'mquirere k I'occa-
sion des crimes comrois. Mais , YinquisiUo una fois' faite , il semble que le proems
ne pouvait abputir que de^ deux„mani6res ; ou un aceusateur se prfeentait, cul'ln-
culpfi se purgeait par le serment ou par les brdalies. Voy. en particulier Capitulare
de latronihus. Ami. 804 (Pertz I, 129); le chapitre 1 est trfe-gSn^ral : « Ut ubiciim-
que eos repereriiit diligenter iiiquiranfi et cum discreptione examinant , ut nee hie,
superfluijm-faciant,.ubi ita non oporJst,.pep,prsetermittant quodfacere debeat; »
mais le n» 2 priyoit la presence d'un aceusateur et le duel judioiaire ; le n» 3
parledes ordalies. ^ Voy. aussiidesexemples de poursuite d'office dans les bis
des barbares.Xea;\B«/y.y Lxxxix (Walter) :'« Derm corripiendis. Gundebaldus rex
Bprgundionum o;unibus coinitibus.,, praeceptionem ad eos dedimus ut si quos ca-
ballorum'fures , auieffractores-dpmuum, tam criminosos quam suspectos invenire
potueritis', stafiin' dapere et ad nos adducere non moretur. Futurum ut is qui ea-
pitur, et ante nos adductus fuerit, si se innocentem potuerit adprobare, cum om-
nibus rebus suis liber abscedat , neque calumniam pro eo quod ligatus aut oaplus "
est moyere prssuraat. Si vero criminosus inventus fuerit , pcenam vel torlnenta ,
suscipiat ,' quS ineretur etnon solum in eum tantum pagum, ubi consistit, U-
ceat perseqiii criminosu^ ; sed sicut utilitas aut fides uniuscujusque habuerit,
etiam per, alia loqa ad nos pertinentia non dubitent hujusmodi personas capere,
et judicibus praesentare, ut prsefata scelera non liceat esse diutius impunita. » — '
Lex Wisigoth : Lib. VI, tit. 5, 1. 14 : « Si homicidam nuUus accuset, judex mox
ut fact! crimen agnoverit, licentiam habeat corripere criminosum, ut poanamreus
excipiat, quam meretur. »
(2) La rubrique est : « De quex choses Ten doit se mettre en enqueste.[»
DU Xm° AU XVII* SIECLE. 83
de la querele , et ne puet Ten rien dire centre les temoins la pre-
sent (on ne pent les fausser) (1). » — Mais cela ne s'appliquait
pas aux matieres criminelles : il fallait alors, comme nous I'avons
dit, le consentement de I'inculp^ pour que I'enquete procedlt.
On devait franchir ce pas ; le roi n'etait-il pas directement int6-
resse a la repression des crimes, et pourquoi ne pas appliquer
ici I'enqufite comme toutes les fois qti'il s'agit des interets du roi?
II y avait la un solide point d'appui : aussi dans le Livre de Jos-
tice et de Plet, dans le memo chapitre ou nous lisons cette vieille
maxime, « nus ne se doit mettre en enqueste de ses mem-
bres (2), » nous voyons I'enqugte admise en matiere criminelle.
« Se Ten fet injure a une poure persone qui ne puet son droit
porchachier, ne par soi ne par son avoir, ne par ses amis , tele
cbose doit aler par enqueste; car Ten ne sueffre pas que les
choses a tel perissent qui n'a peer. Et s'il demande forfet dont
cors doit perir, ci n'a point d'enqueste , fors issit que li rois doit
mestre en poinne de penitence et d'avoir a sa volenti (3). » Et
un peu plus loin : « Se li hons ou la feme qui ocise sera n'a pa-
ranz, ne ami qui Ten p'uisse vengier, lis rois puet demander et
metre en peine, c'est selon ce qu'il aprandra, son dampnement
don cors (4). » — « Li rois puet fere par inquisicion de mauvese
renommee issint de cex qui tiennent les bordeaux, de robeors,
de peceors, de mollis (turbulents) et de cex qui sunt costumiers
de fere autres injures, et de metre en poines a sa volente sans
dampnement de cors , car bone foi ne suefre pas : se aucuns est
cremiz (redoute) par sa cruaute et par son ostrage , por ce ne
doit pas remanoir que Ten ne preigne vengeance (5) »
(1) En matiere civile, I'enquSte s'^tait introdaite sur blen des points dans la
procedure ordinaire , afin d'^carter la bataille. Ainsi en matiere de saisine
{Livre de J. et P., xix, 44, § 6), de partage {iUd., § 10), de testament {ibid, iv,
4, § 1). Le chapitre 44 du livre xix debute par une maxime trfes-favorable a
I'extension de I'enquete : « Johanz de Beaumont dit : Chamberiers de France si
esgarda que I'en doit molt eschiver batailles et que Ten doit mestre fln 6s plez ;
si esgarda un droit qui est communs a toz. »
(2) XIX, 44, § 4.
(3) XIX, 44, § 8.
(4) XIX, 45, § 1.
(5) XIX, 44, § 12. he Livre de Josttce connait aussi I'inquisition de I'Eglise : I,
3, § 7 : « Li rois par consel de ses barons fist tel etablissement : quant Ten ara
84 LA PROCEDURE CRIMINELLE
Par la meme Venqu&te du pays devait s'absorber dans Vaprise.
Mais il est probable que le droit de faire enquerir fut exerce
d'abord par le roi seul , comme constituant une sorte de droit
regalien. Les Olim, qui offreat de nombreux exemples d'enquetes
criminelles , ne manquent jamais de faire remarquer qu'elles
out eu lieu : « de mandate domini regis (1). » Assez tard m§me, le
droit d'enquete etait encore refuse aux justices inferieures : « Nus
vavassor ne puet relascher larron sans I'assentiment du baron;
aingois appartient au baron la cognoissance , ne il ne puet fere
enqueste qui appartiegne a si grand justice (2). »
L'aprise amena la denonciation. Bien des personnes devaient
reculer devant une accusation. Tant que subsista le duel judi-
ciaire le peril etait evident , et plus tard , la jurisprudence de-
clarait encore , suivant les principes du droit remain , que I'ac-
cusateur defaillant pouvait etre condamne a la peine du talion.
On remarqua que , devant les cours d'Eglise, la partie pouvait se
contenter de denoncer le fait au juge qui poursuivait d'office;
et ce precede commode fut egalement employe devant lesjuri-
dictions laiques. Mais d'abord , pour que la denonciation fut
possible, il fallut, comme pour l'aprise, que le fait fut atteste
par de nombreux temoins, qu'il y etit eu flagrant delit pour
ainsi dire (3). Cette restriction devait disparaitre bientot, et la
souspefonos un home de bogrerie , li juges ordeaaires dest requerre le roi ou sa
jostice qui le prangne; il le devent prendre et tenir en sa prison. Aprfes li eves-
ques et li prelaz dou leu, c'est a entendre les personnes d'iglise , devent faire
rinquisigion de la loi sor li et demander li de la foi. Et ce soil fet devant le
commun de seinte Iglise,et s'il est dampnez et por lor jugement, et sainte
Iglise en oste ce qu'ele i a, anpres li rois prent le cors et fet livrer a mort el
toust li avoirs est siens sauf le doaire a la fame, et sauf son ^ritage. »
(1) Voy. p. ex. torn. I, pp. 213, 394, 482, 544, 619, 768. Voy. Pardessus :
Orffanisationjudiciaire, p. 107: « La cour (du roi) paralt avoir tres-aneiennemen'
donnS a la preuve par temoins ou par actes Merits la prfif^rence sur le combat
judioiaire, et je n'hfisite pas a croire que saint Louis, en prohibant ce combat
dans ses domaines par I'ordonnance de 1260, n'ait g6neralis6 une coutume que sa
cour pratiquait depuis longtemps.»
(2) Etah. S. Louis, II, 35. Peut-6tre ce texte, mSme dans les derniers mots,
n'a-t-il pour objet que de limiter le droit de basse-justice.
(3) Beaum., lxi , 2 : « Mais il y a bien autre voie que de droit apel ; car ains
que li apiax soit fes, se oil qui veut apeler veut, il pot denoncier au juge que
cis me£f6s a esU fes a la veue et a la seue de tant de bones gens qu'il ne pel
Du xin° Au xvn" siecle. 8S
denonciation etre toujours admise. Du reste, le denonciateur ne
se desinteressait point complMement du proces : il y restait sou-
vent partiecommele^^rojMOwns inquisitionem du droit canonique,
et cela dans le but d'obtenir une reparation pecuniaire du dom-
mage qu'il avait souffert; c'est I'origine de la constitution de
partis civile. Voici un passage du Livre des Droiz, qui decrit
tres-exactement les nouvelles formes de la procedure criminelle :
« Droit dit qu'il y a difference enlre accusation , inquisicion et
denonciacion. Accusacion si est quand aucun accuse autre de
crime et s'en fait partie ; en cest cas convient que applege et se
soubzmette a telle peine dit la loy ad pcenam talionis. — Inqui-
sicion si est quand le juge enquiert de son office et convient
guod fama praecedat, dit la loy. — Denonciacion si est quand
aucun denonce contre autre aucun cas , afin de restitution de son
chatel pour le recouvrer; et en qest cas doit fere protestacion
que il ne tend point contre partie a fin criminelle, mais a fin
de restitution de son chatel (1). »
L'aprise et la denonciation ne s'introduisirent point sans ren-
contrer de vivos resistances. Quand la personne poursuivie etait
un homme de poeste , cela ne faisait guere difficulte ; mais quand
il s'agissait d'uu gentilhomme ayant droit au jugement par les
pairs suivant les vieilles formes , avec I'accusation et la bataille ,
l'aprise etait une atteinte aux privileges de I'homme feodal. Les
nobles resisterent , et cette lutte a laisse des traces assez nom-
breuses. Le document le plus curieux a cet egard est le recit
d'un proces intente contre Tun des hommes de Saint Louis. Ce
recit, redige par le Confesseur qui composa une vie du roi , pre-
sents un tableau vivant et pittoresque de ce vieux differend , et
on nous pardonnsra si nous le reproduisons presqus sn entier.
« Comme noble messire Enjorranz segneur de Coucy eut fait
prendre trois nobles jouvenciaux porce qu'il fursnt trovsz-
estre cel^s ; et sor ce il en doit fere comme bons juges , et en doit enquerre, tout
soil que la partie ne se voille pas mettre en enqueste. Et s'il trueve le meffet
notolre et apert, il le pot justicier selon le meffet. Car male coze seroif s'en avoit
pcis mon prochain parent en plelne feste ou devant grande plenty de bone gent ,
s'il convenoit que je me combatisse por le vengement porcacier. Et por ce pot on
en tix cas qui sunt apert aler avant par voie de denonciation. »
(1) § 942.
86 LA. PROCKDURE CRIMINELLE
en ses bois atout ars et saietes (1) ledit abez (2) et aucunes
femes qui etoient cousines des diz penduz eussent aport6 la
compleinte de lor mort devant le benoiet roi ; li benoiez rois fist,
apeler ledit Enjorranz segneur de Coucy devant lui, puisqu'il ot
fait enqtieste soufisant et si come Fen la devoit fere quant a tel
fet ; et lors il le fist arrester par ses chevaliers et ses sergeanz
et mener au Louvre , et metre en prison et estre ilec tenus en
une chambre sans ferz. Et comme li diz Enjorrans sire de Couci
fust einsi retenu ; un jour li benoiez roi fist le dit segneur de
Couci amener devant lui , avec lequel viendrent li rois de Na-
varre , li dus de Bourgoine , li cuens (comte) de Bar, li cuens de
Soissons, li cuens de Bretaigne, li cuens de Champaigne et
monseigneur Thomas lors arcevesques de Reims et monseigneujt
Jehan de Thorote et aussi comme touz les barons du roiaume (3).
A la parfin il fu propose de la partie dudit monseigneur de Couci
devant le benoiet roi qu'il se vouloit conseiller, et lors il se
trest a part et touz ces nobles hommes devant diz avecques
lui et quant il orent este longuement a conseil ils revindrent
devant le benoiet roi , et proposa devant lui monseigneur Jehan
de Thorote (4) pour ledit monseigneur Enjorranz segneur de
Coucy, que il ne devoit pas ne ne vouloit sousmettre soi a en-
queste en tel cas, comme tele enqueste touchant sa personne
s'enneur (son honneur) et son heritage , et que il estoit prest de
defendre soi par bataille , et nia pleinement que il n'avoit mie
pendu ne comende a pendre les jovenciaux dessus diz. Et le diz
abbez et les dites femes etoient ilecques en presence le benoiet
roi , qui requeroient justice. Et comme li benoiez rois ot entendu
diligement le conseil dudit monseigneur Enjorranz seigneur de
Couci, il repondi que es fez des poures, des eglises, ne des
persones dont Ten deit avoir pitie , Ten ne devoit pas einsi aler
avant par loi de bataille ; car Ten ne trouveroit pas de legier
aucuns qui se vosissent combatre pour teles manieres de per-
sonnes centre les barons du roiaume , et dist que il ne fesoit
(1) Aveo des arcs et des flfeches : ils avaient commis un dflit de chasse.
(2) Les trois jeunes gens ^talent de la suite d'un abb6.
(3} C'est une reunion des pairs assembles pour juger I'un deux.
(4) II joue le rfile d'avant parlier.
DU Xni' AU XVII' SIKCLE. 87
centre lui novelets , comjne il fust einsi que autrefois semblables
choses eussent este fetes par nos ancesseurs en semblables cas.
Et lors recorda li benoiez rois que li rois Phelipe, son aiel, pour
ce que monseigneur Jehan, seigneur de Soilli qui adoncques
estoit , avoit fet un homicide , si comme Ten disoit , fist fere une
enqueste centre lui et tint le chasteau de Soilli par douze ans
et plus, jacoit que li dit chastiex ne fust pas tenu du roi sans
autre moien. Done li benoiez rois n'oy mie la requeste, fist
ilecques mesmes prendre ledit seigneur de Couci par ses serganz
et mener au Louvre et le fist ilecques tenir et garder Et
adoncques li benoiez rois se leva de son siege et les barons de-
vant diz se partirent d'ilecques esbahiz et confus. Et en ce
meesme jour apres la dite responsse du benoiet roi, li cuens de
Bretaigne, dist au benoiet roi, que il ne devroit pas soustenir
que enquestes fussent fetes contre les barons du roiaume en
choses qui touchent leurs personnes, leurs heritages et leurs
enneurs. Et li benoiez rois respond! au conte : Vos ne deistes
pas einsi en un tens qui est passe quant les barons qui de vos
tenoient tout a nu et sans autre moien aporterent devant nos lor
compleinte de vos mesmes et offrirent a prover leur intention en
certain cas par bataille contre vos ; aingois respondistes devant
nos par enquestes en teles besoignes. Et disiez encore que ba-
taille n'est pas voie de droit. — Et apres que il ne pooit pas
jugier des coustumes du roiaume par enqueste fete contre lui,
a ce que il le punisit en sa persone , comme einsi fust que lediz
sires de Couci ne se fust pas soumis a la dite enqueste. — Mes
toutes voies se il sceut bien la volente de Dieu en ce cas , il ne
lessat ne pour noblesse de son lignage ne pour la puissance
d'aucuns de ses amis, que il ne feist de lui pleine justice. Et,a
la parfin li benoiez rois , par le conseil de ses conseillers , con-
damna monseigneur de Coucy en douze mille livres de Pari-
sis (1). »
(1) La vie de S. Louis, par le confesseur de la reine Marguerite, fie^uei/ des
Historiens des Gaules et de la France, torn. XX, pp. 113, 114. — Les reclamations
des barons se reproduisent avec une nouvelle force a la mort de S. Louis. Lors-
que la reine Blanche les convoque pour le couronnement de son flls, ils posent leurs
conditions : « Maxima pars optimatum ante diem prseflxam petierunt de consue-
tudine Gallicana omnes incarcerates et prascipue comites Flandrensem Perrandum
80 LA PROCEDURE CRIMINELLB
On saisit ici sur le vif les protestations des barons et on voit
comment S. Louis posait la doctrine nouvelle. Mais la royaute ne
put point vaincre partout et sur-le-champ ces resistances de la
vieille legalite : au xiv° siecle nous trouvons un certain nombre
de documents qui leur donnent, au contraire, gain de cause a
demi. Deux ordonnances de 1315 (Louis X) reconnaissent a cet
egard les privileges des nobles de la Bourgogne et de la Cham-
pagne. Le roi statue sur les remontrances qui lui ont ete faites :
« Le premier article a nous baillie est tiels. Premier que Ten
ne puisse en cas de crime aller encontre desdiz nobles par de-
nonciation ou par souspecon ne eus juger ni condampner par
enquestes , se il ne s'y mettent ; jacoit que la souspecon pour-
roit estre si grand et si notoire que li souspeconnez centre qui
la denonciation seroite fete devroit demourer en I'hostel de son
seigneur, et ilec demourer une quarantaine ou deus ou trois au
plus , et se en ce termine aucun ne I'approchoit dou fait , il se-
roit ostagez (mis en liberte sous caution) et en faisant partie
(si un accusateur se presente) il doient avoir leur deffense par
gage de bataille. — Nous leur octroions, si la personne n'es-
toit si diffamee ou li faiz si notoires que li sires li deust mettre
autre remede. Et quant au gage de la bataille nous voulons qu'il
en usent si comme Ten fesoit anciennement (1). » Voici main-
tenant pour les nobles de Champagne : « Art. 13. Item, sur
ce que il disoient que quand aucun noble de Champagne estoit
pris par sospecon en cas de crime il devoit estre ouys en ses
bons resons et deffenses , et tenu en prison pour certain temps ,
et se il venoit aucun qui feist partie centre li il se pooit deffen-
dre par gage de bataille , se il ne se voloit mettre en enqueste.
Et parmi ce il devoit estre delivre de prison , se il n'estoit pris
et Bononiensem Reginaldum a carceribus liberari, qui in subversionem libertatum-
regni jam per annos xii arotiori custodia in vinculis tenebantur. Petierunt insuper
quidam eorum terras suas sibi restitui quas pater ejus Ludovicus et avus iUius
Philippus multo jam tempore injaste detinuerant occupatas. Adjiciunt etiam quod
nullus de regno Francorum debuit ab aliquo jure suo spoliari njsi per judicium
XII parium. » Math. Paris, Historia Major Anglorum (ann. 1226), 6dit. Wats.
Paris, 1644, p. 231.
(1) « Ordomance vendue sur les remontrances des nobles de Bourgogne, des Evl-
chez de Langres, d'Autun ei du ComU de Foris. » (Ord. I, p. 5S8).
DU XIII° AU XVI1° SIECLE. 89
en present meffet. — Nous vouUons et est notre intention que
chascun pris pour cas de crime soit ouys en ses bonnes resons
et h en soit fet droit , et se aucune aprise se faisoit centre H
que par ceste seule aprise il ne soit condamnez ni jugiez (1). »
Enfin , Bouteiller indique encore que les memos privileges exis-
taient pour les nobles d'Artois : « Sachez que par les coustumes
d'Artois et plusieurs lieux, gentilhomme ne s'y met en en-
queste ne doibt mettre n'estre oppresse de luy mettre s'il ne
le requiert. Et suppose que faicte soit sans son sceu et con-
sentement, si ne lui doit elle nuyre, s'il ne s'y rapporte de sa
volonte (2). »
Cependant la procedure inquisitoire gagnait toujours du ter-
rain, elle progressait surtout dans la main active des officiers
royaux. Nous pouvons saisir quelques traces de ces progres.
En 13i7 le roi Philippe de Valois statue sur la reclamation des
habitants de Lyon centre les gens du roi. Les Lyonnais se plai-
gnaient : « quod passim et indifferenter judex ordinarius in-
quirit de omnibus criminibus sine accusatore vel denunciatore ,
qui persequitur legitime, cum tamen consuetude dictorum ci-
vium sit, sicut asserunt, quod solum in criminibus furti, incendii
et proditionis inquisitio fieri debeat , et non aliter nisi post de-
nunciationem et accusationem ut supra. » Le roi ordonne seule-
ment que cette coutume sera prouvee par temoins (3). En 1363,
le roi Jean confirme les privileges accordes aux habitants de
Langres par leur eveque , par lesquels la poursuite d'offlce n'est
limitee que dans une certaine mesure (4) : « Declarons et or-
donnons que nous ou aucuns de nos diz officiers ne pouvons ne
(1) Ord. I, p. 575.
(2) Somme rurale, I, tit. 34, p. 224.
(3) Ord. II, p. 258. Dans un certain nombre de chartes de villas on trouve une
enumeration limitative des crimes pour lesquels il pourra fitre precede per inqui-
sitionem. Voy. Consuetudines Tolosw rubr. de inquisitionibus (Bourdot du Riche-
bourg, rv, 2, p. 1044). Cout. de Limoges (latine), ibid., p. 1149.
(4) Voici les plaintes des habitants : « Se dolissent de nous et de nos diz officiers
de ce que il disoient que nous ou nostre dit offlcier, quelconques il feissent , ne
povoient proceder centre eux en cas criminel d'office , ne penre pour ledit cas ,
se le dit habitant hons ou feme n'est pris en present meffait ou partie ne le pour-
suit, ou le fait n'est notoire, tant par leurs privildges et usages dessuz diz comme
par certaine sentence jadis donn^e sur ce par nostre baillif. »
90 LA. PROCEDURE CRIMINELLE
porrons proceder centre les diz habitants ne penre aucun d'eux
d'office, se ce n'est en cas criminel, dont le corps et les biens
sont en notre volente , et que il soit notoire le cas estre fait et
avenu certainement , et contre personne de malvese fame et re-
nomee ou vehementement souspgonneuse dudit fait...,. Maisnos
offlciers espirituelz pourront proceder d'office contre iceulx ha-
bitans, selon ce que il leur loit par droit. )} La tres-ancienne
Coutume de Bretagne garde les traces visibles de ce developpe-
ment : ch. 113. « Quiconques mefifait h mineurs et a. gens qui
sont en garde de justice ou en garde de Sainte Eglise , femme et
gent de foible estat, de biens ou de corps , et a gent qui vont ou
viennent au marche ou au monstier, ou en pelerinage, ou aux
termes au Seigneur ou au feu ou a I'eau de fait de gueules (?), de
marche ou de foire, de la mer, ou de chemin fait, qui vait a foire
ou a' marche , ou a ville marchande, de communes, ou de bonnes
arrachees , ou quiconque leur meffait , ou que Ten leur mefface
ou tel estat, justice en. pent proceder contre eux a denonciation
de partie (1). » — Ch. 114. « Quand un gros meffait est fait en
un pays, comme de meurtriers ou d'ardeurs de maisons et de
biens, ou de roberie ou depecer chemins, ou d'eglise, ou de
vaisseaux qui vont sur mer, ou d'autres gros meffaits, justice
est tenue a en faire jurer gens du pays, des hommes , femmes et
enfants et servans , qui sont en pouvoir de faire serment , et leur
demander ou il furent la nuitee ou la journee que le meffait fut
fait, et si la justice trouve que les gens d'un hostel sont varia-
bles , justice les pent arrester ; et aussi si elle pent trouver par
autres que aucun soit suspectionne , Ten procedera contre eux
comme Ten doit fere de coustume. » — Ch. 115. « Et aussi doit
et pent justice proceder de toute action ou il y a par violence
sang d'homme ou de femme espandu (2). »
(1) Bourdot de Richebourg, iv, 1, p. 227. On remarquera que la plupartdes
cas visfes rappellent ceux oil, a I'epoque franque , en matifere civile , on procfidait
per inquisitionem.
(2) Cf. ch. 102, p. 225 : « Et s'il n'est prins h fait present ou en poursuite,
ou si le fait n'est notoire , comme il est dit , pour ce qu'il soit demourant au pays
depuis cinq ans , et en ce il soit de bon reste , comme celuy qui vait au moustier,
au marche , et n'est arrests de son corps de cas de crime , il pourroit dire , au
cas que justice voudroit proceder contre luy, que il ne seroit pas tenu a attendre
garantie (preuve par tesmoins) contre luy par la coustume. w
DU Xm* AU XVlV SIECLE. 91
L'accusation cependant, nous I'avons indiqu6 par avance, ne
disparut poiat (1); mais le proces accusatoire, tel que nous i'a-
vons decrit , subit de profondes modifications. Les gages de ba-
taille allaient disparaitre. L'ordonnance donnee par S. Louis en
1260, au Parlement des Octaves de la Chandeleur, fut le point de
depart de cette transformation (2). C'est ce fameux « Establisse-
ment le roy » dont parle si souvent Beaumanoir dans les cha-
pitres des preuves, des enquestes et des gages de bataille. « Nous
defendons a tous batailles par nostre domengne... et au lieu des
batailles nous motions preuve de tesmoins, » disait le roi. Par
la etaient supprimes I'appel ou provocation directe au duel ju-
diciaire , et le faussement des temoins ; par voie de consequence,
bon nombre de personnes jadis incapables de temoigner deve-
naient des temoins valables (3). Mais ce n'etait pas tout. Le roi
changeait aussi la maniere de recevoir les depositions. La me-
thode nouvelle etait beaucoup plus compliquee et savante que
I'ancienne, et I'ecriture y jouait un grand r61e. Elle etait calquee
sur la pratique des cours d'figlise ; elle emprunta aussi quelqaes-
uns de ses traits a cette enqueste dont nous avons parle plus
haul. Les temoins mandes par ordre de justice (4), comparais-
sent non plus en pleine audience , mais devant des delegues du
juge appeles enquesteurs ou auditeurs (5). Ceux-ci interrogeaient
les temoins un a un et « subtilement. » Nous sommes loin , on
le voit, de I'ancien temoignage formaliste. Les parties n'assis-
taient pas a cet interrogatoire , elles assistaient seulement h^ la
prestation de serment de la part des temoins; c'est a ce mo-
(1) Selon certains textes, elle Stait m6me la seule voie ouverte a certaines par-
ties , toutes n'fitant pas admises h dfenoDcer ; Coutvme de Bragerac, art. xxii.
« Item si qais vilis conditionis et parvi status voluerit denunciare contra homi-
nem bonae famae et boni status, non suspectum de contentis in denunciacione
predicta, talis denunciatio minime recipitur. Si vero eum accusare velit directe,
ad hoc erit admittendus , dum tamen criminosus et captus accusans non existat. »
(Bourdot de Richebourg, iv, 2, p. 1016.)
(2) Ord. I, 86. Isambert, i, 283.
(3) Beaum., xl, 37.
(4) Dorfinavant, ne courant plus aucun danger, ils ne pouvaient pas refuser de
temoigner.
(5) Beaum., xl, 12. C'^taient des pratioiens ou prud'hommes, parfois des
auxUiaires de la justice , sergents ou autres.
92 LA PROCEDURE CRIMINELLB
ment qu'elles devaient presenter leurs causes de reproche, si
elles en avaient k fairs valoir, ou tout au moins faire leurs re-
serves a ce sujet (1). Les enqueteurs redigeaient les depositions
par ecrit, et ces ecritures devenaient la principale piece du pro-
ces : d'ailleurs, toutes les parties en avaient communication,
I'accUse aussi bien que I'accusateur ; « les doit I'auditeur oui'r
separement et tantfit peuplier (publier) (2); » — « adonc Ten
jugera selonc le dit des tesmoins peuple as parties (3). » L'ac-
cuse pouvait produire des temoins de son cote et le jugement
etait rendu en audience publique , apres un debat ou prenaient
la parole les parties ou leurs avocats.
On le voit , les formes de la procedure accusatoire et celles de
la poursuite d'office ou sur denonciation tendaient a se rappro-
cher et meme a se confondre. Mais ce n'etait encore qu'une ten-
dance. Le roi n'avait pas pu imposer aux seigneurs justiciers la
procedure qu'il introduisait dans ses domaines. L'enquete, etablie
par I'ordonnance de 1260, ne pouvait que lentement gagner du
terrain et faire disparaitre la bataille ; elle ne s'imposait que par
ses qualites propres (4). Meme sur les domaines du roi, le duel
judiciaire ne disparut pas du coup et pour jamais. En 1306 Phi-
lippe le Bel I'admettait de nouveau dans toutes les accusations
capitales , sauf le vol , quand le crime avait ete commis « si secre-
tement et en repos que seluy qui I'auroit fait ne peust estre con-
vaincus par tesmoins (5) ; » mais fatalement c'etait une institution
qui se mourait. Dans Bouteiller, les gages de bataille apparaissent
comme quelque chose d'anormal et d'accidentel ; Loysel dira :
" Maintenant toutes guerres et combats sont defendus , et n'y a
que le roi qui en puisse ordonner (6). »
(1) Beaum., xl, 18, 28; xxxix , 27, 28.
(2)£(a6. S.Louis, 1,1.
(3) Ord. de 1260, art. 4. — On prenait les plus grandes precautions pour que
cette Importante pifece Mt fldfelement rfidig^e et conserv6e. Les enquesteurs
devaient toe « au moins deux personnes loyaux et sufSsants, » et toutes les fois
que l'enquete se fermait, elle devait 6tre close, et scell^e (Beaum., xl, 2, 27). On
trouve Ik d^ja les « sacs » des temps postfirieurs.
(4) Etai. S. Louis, I, 24 ; Beaum., xxxix, 21 ; lxi, 15, 16 : « Quant li rois Loisles
osta de se cort(les gages), il ne les osta pas des cours k ses barons. »
(5) Ord. I, p. 435; Isambert, i, p. 831. Voy. Stylus Curies parlamenti , ch. xvi.
(6) Inst. Cout., VI, 1, max. 30.
DU Xin° AU XVII" SIECLE. 93
III.
Si le duel judiciaire se maintenait pendant un assez long temps,
si Philippe le Bel le retablissait momentanement dans les do-
mainesde lacouronne, c'etait, commele dit I'ordonnance del306,
parce qu'il etait fort difficile de produire les deux temoins ocu-
laires, que la vieille coutume exigeait pour la condamnation. Mais
bientot la pratique introduisait un nouveau moyen d'information
energique autant qu'odieux ; nous voulons parler de la torture.
Dans une procedure purement accusatoire et chez un peuple
libre , la torture n'a pas de place ; I'accusateur et I'accuse sont
deux adversaires qui combattent au grand jour et a armes egales.
Aussi a Rome, tant que la procedure fut strictement accusatoire,
la question ne fut jamais employee contre un homme libre. EUe
jouait cependant un grand role dans les proces criminels; mais
c'etait quand il fallait faire parler un esclave accuse ou temoin. •
L'esclave , c'est I'idee de toute I'antiquite , ne dit la v6rite que
sous I'empire de la douleur (1). Ge fut seulement la loi Julia Ma-
jestatis qui decida que tons les accuses sans distinction pourraient
§tre mis a la torture, quand il s'agirait du crime de lese-majeste.
Bientot , la procedure criminelle se modifiant , et le principe accu-
satoire perdant du terrain , on admit que, dans les accusations ou
poursuites portant sur des faits graves , la question serait em-
ployee comme mode de preuve normal , lorsqu'il existerait deja
contre I'inculpe de graves indices. Mais , sauf dans les proces de
lese-majeste, les honestiores , c'est-a-dire les personnes apparte-
nant aux classes "superieures de la societe, a partir de cells des
decurions, echappaient legalement a la torture (2).
Pas plus que la vieille procedure romaine le systeme d'accusa-
tion privee , qu'apportaient av:ec eux les barbares , ne connaissait
I'emploi de la question. Cependant lorsque furent redigees les
Leges, un certain nombre d'entre elles firent une place a ce terrible
(1) Voy. Geib : GeschicMe des romischen Crimirtalprozesses bis auf Justinian,
p. 348 , ssq ; et notre 6tude sur le D41U d'adultire 4 Rome. Nouvelle Revue histo-
rique, 1878, p. 416, ssq.
(2) Geib, op. cit., p. 61S, ssq.
94 LA PROCEDURE CRIMINELLE
moyen d'instruction : ce sont la loi des Bavarois (1), celle des
Burgondes (2), la loi des Wisigoths (3) et meme la loi Sali-
que (4). C'etait la certainement un emprunt qu'elles faisaient aux
. institutions romaines (b) ; mais presque toutes n'admettaient la
question que quand il s'agissait, d'uii delit impute a un esclave ,
et dans cette mesure I'emprunt se comprenait. Le droit germa-
nique donnait a la partie lesee une action centre le maitre de
I'esclave delinquant (6), seulemeiit le proprietaire pouvait ne pas
prendre la defense du servus (7). Ce dernier devait alors se de-
fendre lui-m6me, mais on ne lui reconnaissait pas les memes
droits qu'aux hommes libres : il ne pouvait se purger par le ser-
ment soutenu des cojuratores; il devait subir I'ordalie du feu
ou del'eau bouillante (8). N'etait-il pas plus stir et plus simple,
sans etre plus cruel, de soumettre alors I'esclave a la torture
comme le faisaient les Remains? Les Leges, que nous avons ci-
tees, le deciderent, en prenant des precautions pour que le maitre
fut indemnise dans le cas oii I'esclave torture serait innocent (9).
Ce n'est pas seulement I'esclave, mais aussi le colon « originariiis,
colonus, » que la loi des Burgondes soumet a la question (10) ; et
(1) Merkel, Text, primus, tit. ix, § 19. Pertz, Leges, iii, p. 306. ("Walter,
VIII, 18.)
(2) Tit. VII, XXXIX, Lxxvii (6dit Bluhme). Cf. cvii, 3.
(3) L. VI, tit. I, II. 1-3.
(4) Tit. XL. (Merkel).
(5) Le titre xl de la loi Salique ne contlent dans aucun manuscrit de gloses
malberglques.
(6) Cf. Wilda : Strafrecht der Germanen, p. 650, ssq.
■ (7) Ripuar., tit. xxx : « Si servus talis non fuerit, unde dominus ejus de
fiduoia securus esse possit, dominus... sine tangano loquatur et dicat : ego ignore
utrum servus mens culpabilis an innooens de hoc extilerit. » (Walter, I, p. 171.)
(8) Ripuar., xxx, § 1, (al. 31) : «Quod si servus in ignem manum miserit et
laesam tulerit, dominus ejus.;, de furto servi culpabilis judicetur. » — Lex Fri-
sian., Ill, 6 : « Servus autem ad judicium Dei in aqua ferventi examinet. » (Wal-
ter, I, 356.)
(9) La loi Salique admet que I'esclave peut Mre deux fois soumis a la question,
XL, 2 : « Si confessus non fuerit, ille qui eum torquet, si adhuo voluerit ipsum
servum torquere etiam nolente domino, pignus domino servi dare debet, sic ser-
vus postea ad suppliciis majoribus subditur. » Bajuv., viii, c. 23, § 1 : « Si
quis servum alienum injuste accusaverit, et innocens tormenta pertulerit... do-
mino simile mancipium reddere non moretur. » Cf. ibid., §§ 2, 3. Burg., vii,
LXXVII. Lex Wisigoth., 1. YI, tit. i, 1. 3.
(10)B«?'3.,tit. VII.
DU XIII° AU XVII" SIECLE. 95
meme elle y condamne, dans une disposition curieuse, I'etranger,
advena, qui -vient chercher refuge chez un Burgonde; il est vrai,
et le teste le montre, qu'on soupgonne fortement cet advena d'etre
un esclave fugitif (1).
La loi des Wisigoths va plus loin ; plus fortement impregnee
qu'aueune autre de droit romain, ells admet la torture a defaut
d'aiitres preuves, mgme lorsque I'accuse est un homme libra.
Son systeme d'aiUeurs est des plus singuliers. Elle I'organise en
vue du principe accusatoire. Si I'accusateur ne peut prouver
autrement son accusation , il devra requerir la mise a la question
par une « inscriptio trium testium suhscriptione roborata (2) ; »
il faudra de plus qu'il remette sa plainte au juge secretement
et par ecrit, sans cela I'aveu fait dans les tourments n'aurait
point de valeur, Tacctise sachant ce qu'on lui reproche (3). L'ac-
cuse a' d'aiUeurs des garanties ; s'il sort vainqueur de I'epreuve ,
I'accusateur est a sa discretion (4). De plus, s'il s'agit d'un
noble, il ne pourra etre torture- que pour les crimes les plus
graves, « in caussis regiae potestatis, vel gentis, aut patriae,
seu homicidii vel adulterii , » et sur I'accusation d'une personne
du meme rang que lui. L'homme libre d'un rang inferieur peut
aussi etre mis a la question pour un vol ou autre delit , a la
condition que I'interet en jeu depasse la somme de cinq cents
solides (5). S'il s'agit d'une somme inferieure, le juge devra
(1) Burg., XXXIX , § 1 : «. Quicumque hominem extraneum cujuslibet nationis
ad se venientem susceperit, discutiendumjudici presentet, ut cujus sit, tormen-
tis adhibitis fateatur. »
(2) Lex Wisigoth; liv. VI , tit. i , 1. 2 : « Quod si probare non potuerit... trium
testium inscriptio fiat, et sic quasstionis examen incipiat. » (Walter, 1 , 537.)
(3) Ibid. : « Accusator omnem rei ordinem scriptis exppnat, et judici occulte
prsesentata sic quasstionis examinatio fiat.... quod si accusator, priusquam occulte
judici notitiam tradat , aut per se aut per quemlibet de re quam accusat per or-
dinem instruxerit quem accusat , non liceat judici accusatum subdere qusstioni ,
cum jam per accusatoris indicium detectum constet ac pubHcatum esse negotium. «
(4) Ibid. : « Qui subditur quaestioni , si innoxius tormenta pertulerit , accusator
ei confestim serviturus tradatur; ut salva tantum anima, quod in eo exercere
voluerit, vel de statu jjjdicare in arbitrio suo consistat. » La fin du texte livre
aussi aux parents dg I'accus^ I'accusateur qui, (c'est lui qui dirige la question],
aurait fait mourir sa victime dans les tourments.
(5) Ibid. : « Inferiores vero humilioresqufi ingenus tamen personse, si pro furto,
homicidio, yel quibuslibet aliis criminibus fuerint accusatae, nee ipsi inscriptione
96 LA PROCEDURE CRIMINELLE
soumettre I'accuse ei I'epreuve de I'eau bouillante , et si elle ne
fait pas eclater soe innocence, il pent alors le torturer (1). On
pourrait peut-etre trouver aussi dans la loi des Burgondes une
disposition qui soumet a la question des hommes libres ; mais il
s'agit d'un teste assez obscur (2).
Lorsque s'organisa le regime feodal , dans la procedure accu-
satoire et publique qui amenait rhomme de fief, le miles, devant
ses pairs , il n'y avait aucune place pour la torture , dont I'usage,
nous venous de le montrer, n'avait point totalement disparu
avec I'organisation judiciaire de I'Empire romain. Mais est-il
bien sfir qu'elle ne fut jamais employee lorsque le justicier ou
son prevot traduisaient devant eux ces serfs et ces vilains , qui
de leur jugement ne pouvaient appeler qu'a Dieu? Dans Beau-
manoir (3), dans Pierre de Fontaines, il n'y a aucune trace
de la question. Le Livre de Jostice et de Plet, qui suit on le sait
I'ordre du Digeste, ne reproduit aucune disposition du titre de
Quaestionibus , et son Livre xx, qui correspond au Livre XLVin
du Digeste , est I'un de ceux ou I'auteur inconnu laisse comple-j
tement de cote le droit romain , qui si souvent le domine , pour
s'attacher au droit coutumier le plus pur et le plus archaique.
En revanche , les Assises de la Cour des Bourgeois de Jerusalem
contiennent deux passages ou figure la torture , et Ton en parle
comme d'une institution bien connue. Dans I'un d'eux , il s'agit
d'une personne morte qu'un particulier a enterree chez lui; la
rumeur publique revele un crime : « Et ce horn connut , par
praemissa subdendi sunt qaaestioni , nisi major fuerit caussa quam quod quingen-
torum soUdorum summam valere constiterit. »
(1) Ibii. Loi 3 : « Quamvis parva sit actio rei facta ab aliquo criminis , eum
per examinationem aquae ferventis a judice distringendum ordinamus, et dum
faoti temeritas patuerit, judex eum quaestioni subdere non dubitet. »
(2) Tit. Lxxxix (Walter) : « Gundebaldus rex Burgundionum omnibus comiti-
bus praeceptionem ad vos dedimus ut si quos caballorum fures, aut effraoto-
res domuum, tarn criminosos quam suspectos invenire potueritis statim capere et
adnos adducere non morentur Si vera criminosus inventus fuerit poenam vel
iormenta suscipiat quae meretur. » Cf. 6dit. Bluhme, tit. cviii, et la note. (Pertz,
Leges iii, 577.)
(3) M. Beugnot, dans le Glonaire dont il a accompagnfi son Edition de Beau-
manoir, donne le mot gehine (torture), sans renvoyer a aucun passage du livre,
et nous n'avons pu trouver aucun endroit od il en fflt parl6.
DU Xm" AU XVI1° SIECLE. 97
dit de gens , qu'il aient ocis , si comande la raisoii c'on dee
celui desenterer por connoistre comment il fu mort. Et s'on voit
ou connuth que celuy mort ait este estrangle ou ocis par force,
la cort est puis tenue de ceaus destraindre par abrevement ou
par martire qu'il reconnoissent la verite de celuy. maufait. Et c'il
I'ont mort par force, que il connoissent que por ce que il ne
regehist (1), la raison juge que tuit qui furent a maufaire de-
vent estre plantes tons en dessous terre, la teste d'aval et les
pies contre mont sans autre mal aver (2). » Dans I'autre texte
il s'agit d'un homme que deux chevaliers afflrment avoir surpris
en flagrant delit de meurtre ; comme les deux hommes sont des
parents de la victimo', leur temoignage ne suffit pas pour en-
trainer la condamnation,is'il n'y a pas aveu, mais il suffit pour
faire mettre I'inculpe a la question par I'eau , sans qu'il y ait lieu
a la procedure accusatoire. « Autant deit valer la garantie des
II hommes liges com de II jures en tel fet, et ce est reson de
dreit par I'assise por ce que le mort ou la morte n'aleigne as
homes liges. Car c'il li ateigneit , la raison juge que celui ne
deit estre miq pandus por tant, ce il ne le reconnist. Mais bien
juge la raison que celui deit estre mis a gehine (torture) et deit
estre tant abreve (abreuve) qu'il reconnoisse la verite; et si
tost com il avera reconneu, si deit estre pandus. Mais ce il riens
ne reconneisset por detresse c'on li aie fet por III jors (3), si
deit estre puis mis en prison I en et I jor, por veir se dedans
celuy termine il en vera porter nul juice (ordalie), ou ce nul.
venra qui le veille prover de celuy murtre. Et ce nul vient dedans
(1) n y a ici une faute ou une lacune dans le texte; I'edition Kausler donne
-cette note : « Locas lacuna laborat. »
(2) Ch. 285 (edit. Beugnot , II, p. 216). Cf. 6dit. Kausler, cclviu (p. 338-9). —
Le texte expose d'abord qu'il s'agit d'une personne qui a enterrS un homme dans
sa maison : « S'il avient que uns home bu une feme soutere en la ville I home
mort ou une feme en sa maison; » puis apres avoir d6clar6 que le lieu est con-
fisque au profit de I'Eglise , il aioute : « Et est encheus celuy le cors en la mercy
de Des et dou seignor de la terre, come .celuy qui a fait tel desleiautes con ne salt
mie trSs bien entendus c'il ossit celuy qu'il ensevely, ou ce il mouruth de sa
mort : et non por tant toutes ores deit on entendre que par leur male faite ont
celuy iqui soutefes... a
(3) II est a remarquer que selon la loi des Wisigoths , la question' peut aussi
durer trois jours. L. VI, tit. i , 1. 2 : « Per triduum quaestio agitari debet. »
98 LA PROCEDURE CRIMINELLE
V^n et le jor, ne il n'en vost traire juice, se deit hors de la
prison estre trait , et doit estre atant quite de seluy murtre ,
sans mais respondre nient a seluy qui apeler le voisist , por ce
que il a fait ce que faire dut (1). »
Les Ordonnances constatent et reglementent I'emploi de la
torture des le xiii" siecle. L'ordonnance de 1254, art. 21, decide
que la question ne sera jamais donnee sur le dire d'un seul
temoin, quand raccuse est horame de bonne renommee : « Per-
sonas autem honestas et bonse famae , etiam si sint pauperes , ad
dictum testis unici, subdi tormentis seu quaestionibus inhibemus,
ne hoc metu vel confiteri factum vel suam vexationem redimere
compellantur (2). » En 1315, les nobles de Champagne protestent
centre I'emploi de la torture , et le roi statue sur leurs reclama-j
tions : « Art. 51. Item sur ce qu'ils disoient que nos sergenz et
nos prevosts aloient en lor terres ajorner privees personnes et
lor homes pardevant euls, et les mettoient en gehinne centre
leurs coustumes et libertes. — Nous voulons et ordonnons que
nos dits prevosts et sergens cessent du tout des choses dessus
dites , en la maniere qu'il est plus pleinement ordonjie par les
anciennes ordonnances faites sur ce (3). » Mais ici encore toutes
les protestations devaient etre vaines , la question etait deja d'un
usage general au xiv^ siecle.
Quelles causes permirent a cette odieuse procedure de s'eta-
blir? Ce fut en premier lieu la necessite d'une energique repres-
sion des crimes. La royaute sut satisfaire a ce besoin, aussi
est-ce devant ses juridictions que la torture apparait d'abord le
plus frequemment (4). L'influence du droit remain fut surtout
(1) Edit. Kausler, oh. cclix, p. 314, 315.
(2) Ord. I, p. 72. Get article est un de ceux qui ne se trouvent que dans le texte
latin et manquent dans le texte frangais.
(3) Ord. I, p. 375.
(4) Un passage de Bouteiller [Somme rurale 1 , 34 , p. 229), montre que toutes
les juridictions n'avaient pas le droit de mettre 4 la torture : « ScacWs que si
c'estoit une cour oil les hommes jugeassent par leur usage et loy, ils ne devroient
juger par confession de questioli, oartelsjugesn'ont auctorit^ de faire ne mettre
k question aucun , ne.peuvent juger si n'est confess^ par devant eux de partie,
sans lieu de ferme tourment aucun, ou si prouv6 n'est de tesmoins duement.
Et ainsi le veut I'usage de cour subjeote. »
DU Xin° AU XVII" SIECLE. 99
considerable. Dans les pages du Digeste et du Code , nos juristes
trouvaient I'usage de la torture explique par les grands juriscon-
sultes, regie par les constitutions des empereurs. Sans doute
cette haute autorite dut faire oublier en partie I'odieux caractere
de ce mode d'instruction , auquel du Teste les hommes de ces
4ges si rudes ne devaient pas etre fort sensibles (1). Enfm dans
la poursuite d'office, dans Vaprise, telle que nous I'avons decrite,
la question comblait une lacune.
L'aprise , nous I'avons dit , ne pouvait servir de fondement a
une condamnation capitale qu'autant qu'elle contenait des temoi-
gnages si nombreux et si concluants que le fait pouvait passer
pour notoire. Sans cela il fallait I'aveu du prevenu. Get aveu ,
le juge devait chercher a I'obtenir par tous les moyens, et saisir
avec empressement la methode, cruelle mais efflcace , qui s'offrait
alui. Cette consideration fut decisive; ce qui le montre, c'est que
lorsque le prisonnier acceptait I'enquete , on ne pouvait le mettre
a la question ; alors en effet on pouvait sans cela arriver a une
condamnation. « Pens encore scavoir, dit Bouteiller, puisque
le prisonnier s'est mis en enqueste , jamais ne doit estre mis en
question de fait; car luy feroit grief et tort. Car question ne se
doit asseoir (que) quand le cas est tel que preuve ne s'y peut
asseoir ne trouver, et toutefois est le cas presomptueux quand
information en appert (2). » Ce rapport entre la rigueur des
(1) On ne se dissimulait point d'ailleurs ce que la torture avail de territile;
void a cet egard un curieux passage de la Tris-ancienne coutume de Bretagne,
ch. 97 : « S'il nie le fait, et il a est6 pris ou fait present, ou en poursieute, ou
que fait aitestfi notoirement 4 commun de paroisse de foire ou de marchfi, il
conviendra qu'il attenge I'enqueste et la garentie (preuve par t^moins).... et si
Ten ne puet trouver planifere prouve et Ton trouve commune renommfie centre
luy ou pr^somptions apertes, il devroit avoir jons ou gehenne par trois fois. Et
s'il se peut passer sans faire confession en la gehenne ou les jons il se sauveroit
{et il apparestroit Men que Dieu montreroit miracles pour luy), et devroit estre sauf
du fait et jugeroitl'en qu'il seroit quitte et d^livrfi. » (Bourdot de Richebourg,
IV, 1, p. 214.) — Le texte parle ici de la gehenne par trois fois, comme le passage
des Assises et celui de la loi des Wisigoths cit6s plus haut.
(2) Somme Twale, I, 34, p. 224. La mSme regie se trouve dans la Coutume de
Bragerac, art. 17 (Bourdot de Bichebourg, iv, 2, p. 1015) : « Item si burgensis
sit accusatus de capitali crimine non manifesto , esto quod informatio adprelien-
dat ilium aut vehemens suspicio , dum tamen dictum crimen non sit notorium vel
manifestum, et velit se siipponere inquests de dicto crimine, in isto casu non erit
qucBstionandm. »
100 LA. PROCEDURE CRIMINELLE
preuves et remplofde la question sera un cercle vicieux , dans
lequel tournera jusqu'a son dernier jour notre ancienne proce-
dure criminelle.
IV.
Au XIV' siecle , la poursuite d'office est deja presque armee de
toutes pieces ; alors apparait son principal organe , le ministere
public.
Les procureurs du roi et les procureurs fiscaux des seigneurs
ne furent a I'origine que des hommes d'affaires. La procedure
feodale etait orale et formaliste , nous le savons , et , comme une
autre procedure formaliste, celle des Legis actiones, elle n'ad-
mettait pas en principe la representation en justice. Au xiu°
siecle encore , pas plus au civil qu'au criminel , on ne pouvait se
faire representer en demandant (1). Exceptionnellement le roi
et les seigneurs souverains pouvaient demander par procureur;
telle est I'origine et tel est le sens primitif de la maxime : « Nul
ne plaide en France par procureur hors le roi. » Le roi et les
seigneurs eurent done des procureurs en titre pour faire valoir
leurs droits soit devant les juridictions etrangeres, soit meme
devant leurs propres juridictions. C'etaient des avocats, des
praticie'ns auxquels ils donnaient leur confiance, et qui ne se
distinguaient d'abord de leurs confreres qu'en ce qu'ils avaient
de plus illustres clients. Mais il etait fatal que ces procureurs
du roi et des seigneurs devinssent de veritables fonctionnaires,
et c'est en efiFet ce qui se produisit.
A c6te de leurs procureurs, le roi et les seigneurs avaient
aussi des avocats , qui resterent longtemps de simples avocats ,
avant d'etre pourvus d'un office veritable : « Scachez que I'ad-
vocat d'office doit estre le premier en la cour du seigneur qu'il
represente; si comme I'avocat du roy es cours royaux. Et puis-
que advocat d'office a este pour aucun seigneur, scachez que
jamais ne peut estre contre iceluy seigneur en cas de advoca-
eerie ; suppose encores qu'il n'eust aucuns gages eus ou pension
(1) Beaum., iv, 2.
Du xm° Au xvn° siecle. 101
dudit seigneur. Et toutesfoys veut bien la loi que I'advocat
d'office, par le gre et licence de son seigneur, puisque ce ne
seroit centre le seigneur ne centre la cause que pour le sei-
gneur eust soustenue autrefoys , puisse etre au conseil d'aucun
seigneur (1). »
Un des emplois les plus importants du procureur du roi ou
fiscal fut de surveiller la poursuite des delits : les amendes et
confiscations , suites des condamnations penales , etaient I'une
des principales sources de revenus des rois et des seigneurs. Le
nom de procureurs fiscaux qui resta aux procureurs des justices
seigneuriales, demeure comme un souvenir de cette idee. Bientfit
a ce premier interet s'en joignit un autre d'un ordre plus eleve.
Le justicier doit a tons la justice et est directement interesse a
la poursuite des crimes ; son procureur doit done autant que
possible assurer la repression. Sans doute le procureur ne pou-
vait point se porter accusateur comme un particulier lese , mais
il pouvait provoquer le juge a se saisir d'office. Voila un apergu
general sur I'origine et les fonctions premieres des procureurs
du roi ; il faut maintenant descendre plus avant dans les details ;
et ici ce sont surtout les Ordonnances qui peuvent nous fournir
des renseignements.
Les procureurs du roi n'apparaissent dans aucun des Coutu-
miers du xin° siecle; mais des 1302 Philippe le Bel reglemente
leurs fonctions , en des termes qui portent a croire que I'institu-
tion existait deja depuis assez longtemps. Le roi veut en particu-
(1) Somme rwdle, II, 2, p. 673. Loysel : Pasquier. « II n'y avoit point encores
(1380) d'office d'advocat du roy, mais on prenoit pour la defense et remontrance
des droiots et causes da roy I'un des advocats gfinSraux de la Cour, selonquel'oc-
casion s'en presentoit, ainsi que nous voyons aux registres da Parlement au 18
fevrier 1411, oil il est parl6 d'un M. Jean Perier, chanoine de Chartres , qui parla
comme advocat du roy, et dans les arrests et questions de M. Jean le Coq dit
Gaily, lequel vivoit beaucoup plus bas , scavoir est du temps du roi Cliarles VI,
ou lay et plusieurs autres advocats sont employes a plaider pour le procureur
general, lesquels ne laissolent de plaider pour les parties Ce qui nous ap-
prend deux choses , I'une que I'estat d'advocat du Roy en tiltre est moderne , en
ce que les advocats du commun plaidoient pour le procureur gtofiral , Taultre
que les advocats da roy plaidoient et consultoient aussi pour les parties, lorsque
le roy n'y avoit point d'int^rfit ; et cela s'est confirm^ jusques au temps du roy
Louis XII pour le regard de la plaidoirie, et jusques k oeluy du roy Francois I'^^
pour le regard des consultations. » (Edit. Dupin, p. 23-24.)
102 LA. PROCEDURE CRIMINELLE
lier qu'ils pretent un serment" general, comme fonctionnaires
royaux, et que quand ils agiront en son nom, ils pretent le
serment de calwmnia comme les autres parties (1), il leur defend
de s'occuper des causes d'autrui, si ce n'est dans certains cas.'
On reconnait bien la les hommes du roi. Una reaction se pro-
duisit cependant. En 1318, les procureurs du roi sont momenta-
nement supprimes dans les pays coutumiers et les fonctions
qu'ils remplissaient reviennent aux baillis (2). On peut supposer
que la cause de cette suppression fut I'opposition des pays cou-
tumiers a la nouvelle procedure criminelle, ou les procureurs
jouaient deja un r61e important. C'est ainsi qu'en 1347 nous
voyons la ville de Lyon demander qu'on la debarrasse du pro-
cureur da roi pour un pareil motif (3).
Mais c'etaient la de vaines resistances. Dans tout le cours du
xiY" siecle, nous allons voir les procureurs du roi agissant comme
une puissance reconnue. Le Registre criminel de la justice de
Saint-Martin des Champs , publie par M. Tanon, qui va de 1332
a 1357, mentionne plusieurs fois le « procureur du Roy nostre
sire (4); » et Jean Desmares lui attribue un rdle tres-bien de-
fini (5). Quant aux procureurs des seigneurs , leur existence ne
(1) Ord. I, p. 368 : « Art. 15. Volamus insuper quod ipsi procuratores nostri
jurent secundum formam infri scriptam. — Art. 20. Caeterum volumus quod procu-
ratores nostri, in causis quas nostro nomine ducent, contra quascumque personas
jurent de calumnia sicut predicte persone. Et sicontingat ipsos facere (substitos)
substitutis satisfaciant et non partes adversae, immo procuratores nostri de causis
alienis se intromittere aut litteras impetrare non praesumant, nisi pro personis
conjunctis ipsos contingeret facere praedicta. » Dfes lors, on le voit, les procu-
reurs sont les agents du roi exclusivement. Cf. Ord. 1303, art. 18 (Ord. I, p. 399).
(2) Ord. de 1310, art. 29 : " Tous procureurs seront ostes excepts ceux qui
sont es liex es quiex on use de droit escrit. » (Ord. I, p. 657.)
(3) Ord. 1347, art. 2 : c; Item super procuratore regio quern petunt removeri
a civitate Lugdunensi cives praedicti , ordinamus sen proridemus quod dispositio
istius remotionis promittitur ad regem. Interim tamen in civitate Lugdunensi •
dictus procurator nuUas inquestas promovebit , nisi illas quae sibi mandatae fuerint
a seneschaUo promoveri extri civitatem Lugdunensem nee aliquas causas in dicta
civitate nomine regis agitabit nisi primorum hereditates regis contingant. » (Ord. II,
p. 2S8.)
(4) 9 dScembre 1337 (p. 107); — 1" juillet 1339 (p. 153). — 7 decembre 1340
(p. 153) ; — 4 septembre 1343 (p. 198). Dans tous ces cas, il s'agit de difficultes
quant a la competence qui s'felevent entre le juge royal et la justice de Saint-Martin.
(5) Decisions 89 et 150.
DU XIII° AU XVII° SIECLE. 103
pouvait soulever aucune difficulte. Celui de Saint-Martin des
Champs apparail assez frequemment dans le Registre criminel.
Comment les procureurs s'introduisirent-ils dans la procedure
crimjnelle? Ce n'est point en se presentant comme accusateurs
directs, en formant partie; blen qu'on trouve quelques traces
d'une semblable conception (1), cela devait paraitre trop con-
traire aux vieux principes , qui exigeaient chez une personne un
interet direct pour qu'elle put accuser. C'est dans I'enquete d'of-
fice qu'ils s'insinuerent ; ils se glisserent par une ouverture que
leur menageait la procedure per inquisitionem du droit canoni-
que. Selon le droit canon, nous I'avons vu, le juge pent etre
excite par un denonciateur a user de son pouvoir, et le denon-
ciateur peut rester partie au proces, administrant ses temoins
et fournissant ses preuves ; cela s'appelle promovere ou prosequi
inquisitionem. Tel est le rfile que va jouer le procureur : il est le
denonciateur de tous les crimes, et intervient dans toutes les
poursuites , soit qu'il se presente seul , soit qu'il se joigne a un
particulier (2). Sa fonction, d'apres I'ordonnance de 1347 plus
haut citee , c'est de promovere inquestas fieri. Aux yeux des con-'
temporains , c'est le juge qui autorise le procureur du roi a agir,
non ce dernier qui met le juge en mouvement (3) : « Ordonnance
de 1350, art. 15, Item, que aucuns ne soit aprochiez d'office, sans
information souffisant, et faite du commandement de justice par
personne non suspecte. Et avant que le procureur commence sa
poufsuite ne qu'il se adjoigne a partie, ladite information soit
veue et conseillee par le Baillif ou autre souffisant personne
de son commandement (4). » Dans le Registre criminel de Saint-
(1) Jean Desmares , 89 : « Le procureur du roi en accusation criminelle ou (au)
bailliage dont il est procureur, n'est tenu de soy inscrire a peine de talion, secus
de aliis. »
(2) Biener : Beitriige, p. 200-201. L'Eglise eut aussi ses promoteurs d'office;
mais ils furent crees plus tard et M'imitation des procureurs des juridictions lai-
ques. Voy. M. Fournier : Les officialiUs au MoyenrAge.
(3) Ordonnance de 1338 : art. 7 : « StatuimUs etiam prohibentes ne quis pro-
curator regius partialiter se admergetur in causa quacumque nisi prius a judice ,
coram quo lis pendebit, in judicio, partibus praesentibus et auditis, mandatum ex-
pressum. » (Ord. II, p. 124.)
(4) Ordonnance contenant plusieurs riglements en faveur des seigneurs et habi-
tants de Normandie, a cause d'une imposition accordie au roi. (Ord. II, p. 407.)
104 LA PROCEDURE CRIMINELLE
Martin, le procureur d'office parait plusieurs fois, pour jouer
le role que nous venons de retracer (1).
Mais plus on allait , plus I'abtion du procureur du roi prenait
d'importance. Nous avons i cet egard cite plus haut un curieux
passage de Jean Desmares , voici une autre de ses decisions :
« Item quand aucun haut justicier a heue la prevention et la
premiere connoissance par devant luiz , est le plait entame par
litiscontestation contre aucun de ses justiciables sur delits
se il n'y ha eu sauvegarde ou defences enfraihtes ne autre
chose qui puist doner la connoissance d'icelle cause a autre
juge : en ce cas il convient que le demandeut poursuive son
proces et sa clameur pardevant iceluy juge en la cour duquel
commence I'a , nonobstant que le demandeur, avec lui adjoint le
procureur du roy requierent la cause estre renvoyee devant le
souverain. » — « Quand il advient, dit Bouteiller, qu'aucuns
perpetrent un delit, dont nul ne se fait partie que le procureur
du roy par information precedents , car autrement n'en est au-
cun attrait en cour par adjournement a la requeste du pro^
cureur du ro^, ce fait aucunes fois I'adjourne se veut decli-
ner, disant qu'il veut estre traicte et juge par hommes ou par
plainte ou par commission precedente le procureur du roy
doit dire au contraire et que le Baillif le doit juger et conoistfe
du cas , puisque autre partie rCa que le roy et que c'est par
information prec§dente. Tout veu il fut diet par arrest de Par-
lement en Fan 1377 que le baillif par lui seul et par tel conseil
que bon luy sembloit en pouvoit et devoit cognoistre, puisque
(1) P. 74 {18 octobre 1336). « Lesdits deffauls aveques la poursuite dudit mef-
fait ont est6 poursuivis tant par nostre promoteur et procureur, comme 4 la d^-
nonciation et claim fait a nous maire de Saint-Martin par ledit August. » —
P. 69 : « Jehannette la merciere rendue par le lieutenant du pr6T6t et le procu-
reur du roy qui Jla tenoient prisonniere. » — P. 187-188 (30 septembre 1842), un
accus6 est absous « par proces fait entre le procureur de I'Eglise et ledit Jehan. »
— Cf. p. 223-224. Un accord intervient sur une question de competence « entrs
Mestre Pierre Martin, clerc et procureur de I'Eglise Saint-Martin des Champs de
Paris d'une part, et Jehan de la Bretesche, baillif de Saint-Dfcais, d'autre part. t>
M. Tanon fait observer trfes-judicieusement qu'il ne parait pas que le procureur du
roi rempltt d6ja, k I'epoque oil se place notre registre, « le rflle nficessaire qui ltd
appartient par la suite, comme i, tous les procureurs fiscaux, dans la poursuite
detoutes les affaires crimineUes. » {Pr6f., p. lvii.)
DU XIII° AU XVII" SIECLE. lOS
ce ne touchoit que le roy et qu'informacion precedente il y
avoit (1). » Plus tard, nous verrons s'etablir la maxime que le
procureur du roi ou fiscal est un veritable accusateur, et que lui
seul a droit i ce titre; mais de I'idee premiere il restera tou-
jours quelque chose; jusqu'au bout,le juge pourra se saisir
lui-meme de la connaissance du delit.
Dans le Registre criminel du Chdtelet de Paris, qui va du
6 septembre 1389 au 18 mai 1392 (2), figure constamment le
procureur du roy Andrieu ou Andry le Preux ; on troure aussi
mentionnes le procureur general du roi au Parlement (3), I'avo-
cat du roi (4). La plupart du temps, Andry le Preux est seu-
lement indique comme figurant parmi les preudlioitimes , qui
composent le conseil du prevot ou de son lieutenant, mais de
temps a autre, apparait une phrase qui precise le r61e de la partie
publique. Un jugement du 6 novembre 1391 donne une infor-
mation faite « du commandement de honorable homme et saige
maistre Jehan Truquan , lieutenant de mons. le prevost de
Paris , a la requeste du procureur du roy notre sire oudit
Chatelet contre Jehannin Pelart...., laquelle informacion ledit
prisonnier a voulu valoir enqueste (5). » Les conclusions de
I'accuse et celles du procureur du roi sont plusieurs fois rap-
portees : « Jehan Pelart , prisonnier, cy dessus nomme et aussi
ledit procureur du roy vouldrent prendre droit par I'enqueste
cy-dessus faite et escripte (6). » « Fut veu et leu, mot apres
autre, I'enqueste et proces cy-dessous escript, par lequel lesdiz
procureur du roy (et) prisonnier avoient et ont voulu prendre
droit (7). » Enfin nous trouvons rapportes plusieurs requisi-
(1) Somme rurale, II, 1 (p. 653); cf. ibid., I, 34 (p. 221) : « Par qui, oil et com-
ment on se peat former partie en dSnongant, soit en partie formant, soit a cause
d'office k la requeste du procureur d'office ou par le droit office du juge. »
(2) Begistre criminel du Chdtelet de Paris... publie pour la premiere fois par la
Soci6t6 des bibliophiles franfais. — 2 vol. Paris, 1861.
(3)1,301.
(4) I, 36, 74, 268, 373; II, p. 6 : « Le procureur du Roinostre Sire a Char-
tres. » On trouve aussi plusieurs fois mentionnes les promoteurs ou promoteurs
d'office de I'official. 1 , 84, 246, 255.
(5)11, p. 352, 4.
(6)11, 356.
(7)16janv. 1390-91 , II , p. 26.
106 LA PEOCEDURE CRIMINELLE
toires oraux du procureur du roi ou fiscal (1); un passage, qui
contient une formule ecourtee , semble , en cas d'elargissementj
reconnaitre a la partie publique le droit qu'elle aura incontes-
tablement plus tard, grace au plus amplement informe (2).
En meme temps que se precise le role du ministere public,
les regies de la poursuiie d'office se flxent. et sent enregistrees
dans les Ordonnances des rois. Cette procedure comprend neces-
sairement deux parties , comme Yinquisitio du droit canonique,
rinformation et I'enquete. L'information doit d'abord etre faite
par le juge ou son delegue (3); nul ne pent etre poursuivi
d'office " sinon information secrete precedant centre ladite per-
sonne et ycelle premierement faite et conseillee (4). » Le juge
doit deliberer sur cette information avec son conseil, et s'il
trouve qu'elle contient des charges suffisantes, alors commence
le veritable proces contradictoire. On n'a pas toujours bien
nettement separe, en fixant leurs traits essentiels, ces deux
parties de la procedure (5). Cependant certains textes ne laissent
rien a desirer, comme precision ; nous nous contenterons de
citer deux chapitres de la Coutume de la Ville et Septene de Bour-
(1) 24 mars 1391-92 « fu attaint des prisons dudit Chatelet, et ameni par devant
les dessus diz, Gerart de Sanseurre... lequel iceluy procureur disoit et mainte-
noit estre liomme oyseux, vacabond, sanz estat, service de Seigneur, etc. (II,
456). » — 2 septembre 1390 (II, p. 2) : « Jehannin le Fournier... fu attaint des pri-
sons de mons. le due a Tours... et fut amen^ en jugement en plain auditoire... et
illec fut, par le procureur de mondit seigneur le due... accuse de estre de la con-
dicion et aliance des empoisonneurs qui alloient par pays. »
(2) 25 aollt 1390 (I, 443) : « Descoulpa du tout frere Pierre le Brun et le prieur
des Jacobins , qui estoient prisonniers , pource que accusez les avoit a Chasteau-
dun , etc. Et par ce , eu sur ce conseil aus dessus diz et autres , lesdiz prieur et
frfere Pierre ont est6 d^livres desdites prisons , etc. Quant ad present , etc. Re-
serve au procureur du Roy, etc. »
(3) Parfois le procureur du roi proc^dait Iui-m6me k l'information , non par or-
dre du juge , mais en vertu d'une commission contenue dans des lettres royaujc.
Voy. Ord. de 1344, art. 7 (Ord. II, p. 215).
(41 Ordonn. de 1363 (Ord. II, p. 664-665) ; Ord. de 1350 (Ord. 11, p. 400).
(5) Voy. une note de De Laurifere (Ordonn. Ill, p. 159) : « La diffirenoe que
Ton doit mettre ici entre l'information et I'enqufite , c'est que la premiere doit
6tre faite d'office par le juge, avant que Ton fasse aucune procedure centre celuy
qui est def6r6 comme criminel a la justice ; sur le vu de cette information le juge
doit decider s'il y a eu lieu de lui faire son proofs ou non. Si on lui fait son
proofs, le juge alors ordonne que Ton fera une enqueste. »
Du xm' Au xvn° siecle. 107
ges. « Ch. xxxix. Comment on doit procdder contre aulcun qui
est accuse de cas criminel. — L'on doit proceder contre aulcun
qui est accuse ou par accusation ou par denonciation sur cas
criminel, ou sur aucun grant cas civil dont le roy peut avoir
grant joissement , comme de meffais faits et arrives, de villenies
et injures faites a personnes privilegiees et aux bourgeois du
roy (en) sa main , de villenies faictes a sergent , ou de aultre
grans cas qui desirent hastive vengeance. Premierement faire
information secrette par gens dignes de foy, sans soupegon, et
se par informacion est trouve I'accuse estre coulpable. Ten
peut prendre son corps et ses biens, et descendre en enqueste,
luy appele, et par I'enqueste faire droict, et toutes voyes est
entendu la prise du corps , si le cas le requiert. — Ch. xli :
quelle differance il y a entre information et enqueste. L'en fait
dififerance entre information et enqueste, et raison est, car par
information l'en ne condempne pas, et par enqueste faicte
justement, partie appelee a la reception des tesmoings et a la
voir juger et publier, l'en absoult et condampne : et est bien de
raison que le deffendeur ait premierement respondu aux articles
par son serment. » II est impossible de parler plus nettement.
On voit que I'enqueste exigeait une nouvelle comparution des
temoins entendus dans I'information , sinon pour qu'ils renou-
velassent leur deposition devant I'accuse , au moins pour qu'ils
pretassent serment devant lui; mais cette comparution nouvelle
pouvait etre evitee , si I'accuse y renongait ; on disait alors qu'ij
consentait a ce que « I'information valut enqueste ; » c'est une
formule qui se trouve plus d'une fois dans nos Registres criminels
du xiv° siecle (1).
Au poiat ou nous sommes arrives, tous les traits importants
de la procedure inquisitoire sont deja fixes; avant d'aller plus
loin , il nous parait utile de donner un tableau d'ensemble de la
procedure crimineUe telle que la connurent et la pratiquerent les
xiv° et xv° siecles. Nous aurons ici des guides surs ; d'un cdte
I'ouvrage de Bouteiller, dont le succes, on le sait, fut immense;
(1) Registre criminel du Chdtelet, II, 354. Registre criminel de Saint-Martin des
Champs, pp. 57, 83.
108 LA PROCEDURE CRIMINELLE
d'aulre part le Begistre criminel de Saint-Martin des Champs,
qui nous montre un tribunal criminel en action dans la premiere
moitie du xiv° siecle , et le Registre criminel du Chdtelet de Paris
qui va du 6 septembre 1388 au 18 mai 1392.
V.
Selon Bouteiller, qui vise a une exposition systematique , le
juge criminel pent 6tre saisi de quatre manieres : « par de-
nonciation, par present meffaict, par accusation de partie for-
mee, et par publique renommee dont enqueste et information
precedente est faicte (1). » Nous allons reprendre avec lui ces
quatre modes, en intervertissant quelque peu I'ordre qu'il a
choisi.
L'accusation de partie formee c'est I'ancienne procedure accu-
satoire. « Par partie formee pent et doibt tout juge , qui de cas
de crime pent et doibt connaitre , recevoir tout homme recevable
en cour a faire partie contre I'accuse et prendre et retenir la
cause par prison fermee (2). » C'est toujours la lutte egale entre
les deux adversaires ; I'accusateur comme I'accuse doit tenir pri-
son. D'apres une regie empruntee au droit remain, I'accusateur
qui succombait devait subir la peine qu'il avait demandee : « En
plusieurs lieux et le selon le droict escrit dangereuse chose est
de luy faire et former partie" contre aucun criminellement. Car
qui en dechet il encourt selon le droict escrit en toute autelle
peine qu'il est content avoir et porter celui qu'il poursuit , que
les clercs appellent peine de talion (3). » Mais cette regie fort
dure etait mal observee , on accordait remise de la peine a I'ac-
cusateur qui succombait, moyennant une supplique adressee par
lui a la justice : cela s'appelait « plaider a toute gr§,ce et re-
mission. » En cas seulement d'accusation calomnieuse, un cha-
timent severe etait inflige.
L'accusation , genante et rigoureuse , etait un reste du passe.
(1) Somme rurale, I, 34 (p. 221).
. (2) P. 222.
(3) Bouteiller, S. ii.,p. 222.
DU XIII° AU XVII° SlECLE. i09
Des le xiv" siecle , elle etait d'un emploi peu frequent. Dans le
Registre de Saint-Martin des Champs, nous ne trouvons que deux
exemples certains de partie formee : I'un se place au 7 octobre
1332 (1), I'autre au 14 Janvier 1338 (2).
L'accusation disparaissant , la denonciation etait de plus en
plus usitee. Elle a lieu « quand aucun ne se veut pas faire
partie ne former centre aucun d'aucun crime toutefois le vient-
il denoncer a la justice et offre a administrer ou nommer tes-
moins (3). » Le juge n'etait point tenu de poursuivre : il examinait
tout d'abord si Ton devait avoir confiance dans le denonciateur.
S'il se decidait a agir il procedait en premier lieu a Tinforma-
tion, puis citait ou faisait arreter I'inculpe et le proces suivait son
cours. Comme I'indique tres-nettement Bouteiller, le denonciateur
etait le plus souvent partie au proces ; il indiquait des temoins
et suivait I'enquete. G'etait en realite un accusateur qui s'effacait
et laissait par interet personnel le principal r61e au juge agissant
d'office. Par un phenomene assez naturel, on appliqua a la
denonciation une partie des regies de l'accusation. La peine du
talion , Tobligation de tenir prison etaient seulement epargnees
au denonciateur. Tout cela ressort du Registre criminel de Saint-
Martin.
Les denonciations y sont si frequentes qu'il est inutile de les
compter; c'est par la que s'engage ordinairement le proces (4).
Les formules de denonciation varient quelque peu. Tant6t il est
(1) « AmenS en nostre prison par la gent au prevost de Bondis Jehannin de
Saint-Soupplet, bocheron, a I'accusacion faite de par Jehannin le Bouchier... et
pour ce qu'il accusa ledit Saint-Soupplet en jugement, en disant qu'il lui avoit
emble son bois et que, avecques ce il estoit murtrier, et que pour tel le pro-
veroit et que a I'accusacion dessus dite ledit provost I'avoit mis et detenu en
prison. — Item, cejour amen6 par lesdictes gens dudit provost ledit Jehannin...
accusant du prisonnier (p. 29, 26). »
(2) « Par le maire Jehanne de Montargis, fame Thomas Lenglais, Colin Piquart,
detenus en nostre prison pour ce que en jugement, pardevant le maire, ladite
Jehanne dist, maintint et a£ferma par serement contre ledit Colin et ce que
dit est o£fri de prover ladicte Jehanne. » P. 117.
(3) Bouteiller, p. 221.
(4) Voy. pp. 10, 16, 19, 27, 31, 32, 34, 41, 48, 37, 63, 67, 68, 81, 82, 84, 89,
93, 94, 98, 102, 114, 116, 124, 132, 139, 143, 143, 166, 167, 173, 174, 178, 203,
207, 209.
liO LA PROCEDURE CRIMINELLE
dit qu'on procede « a la requSte et denonciation , » de telle per-
sonne (1). Taiit6t le denonciateur « nous denonca le fait comme
a justice et nous supplia que nous lui en fassions droit et rai-
son (2) ; » ou encore « Nous requist que de ce lui voulissions
faire droit et accomplissement de justice (3). » La denonciation
est faite au juge, mais elle est habituellement reitereB en au-
dience publique en presence de Vaccuse (4). Le denonciateur
est appele a fournir des temoins, il doit prouver son inten-
tion (3) ; s'il declare dans la suite qu'il ne demande rien a I'accuse,
s'il ne peut fournir des temoins , s'il se desiste , la consequence
parait 6tre la mise hors de cour de la personne poursuivie (6).
Un jugement semble meme transporter dans la procedure de la
denonciation la dilivrance, quietait jadis prononcee lorsque, un
inculpe etant detenu, aucun accusateur ne se presentait dans un
certain delai : « 3 mai 1332. Eslargy a Godefroy Lalement sa
(1) PP. 167, 173, 174, 185, 186.
(2) P. 114.
(3) P. 188.
(4) P. 32, 34 : « Et ce nous dSnonfa a nous maire de S. Martin, en la maniere
que dit est, en la prfeence dudit Jehan (I'accusfi). » p. 188. — Dans un cas, le
dtoonoiateur est blessS et ne peut 6tre port^ au lieu ou se rend la justice; c'est
alors le juge qui va a lui et refoit sa denonciation devant temoins.
(5) P. 105 : c; II fu suffisamment prouv6 de par Marie, fame Jehannin de
Trambley » la d^nonciatrice ; — proems de Sedille Lenglaiche « pour ce que
Estienne le peintre avait d6nonci6 centre elle,... absoulse par proces fait entre
elle et ledit Estienne (4 mai 1345). »
(6) Le 23 fevrier 1338, Eudelot de Picardie dteoncecontre Guillaume Damours,
magon , qu'il I'a violfee : « La dite Eudelot d^nunja le cas dessus dit, et afferma
par serement ladite denunciation estre vraie , et laquelle ledit Guillaume nia tout
a plain. Et ce fait, nous k ladite Eudelot demandasmes et sommasmes instamment
si elle avoit aucuns temoings par lesquels elle nous peust enfourmer pour savoir
la verity du dit fait, que elle nous les nomm^st et administrast , laquelle jura et
afferma par son serement que non.... Et pour nous enfourmer dudit cas d'abon-
dant assignons jour a ladite Eudelot k jeudi prochein , — absous parceque elle
ne poursuivi onques sa denonciation. » — 22 decembre 1332 : « Fumis et detenu
en nostre prison Guillot le Pelletier k la denonciation de Richart. . . qui a ete quitte
de partie et pour ce deiivre de prison et eslargi de la cour, » p. 31. — 26 nov.
1336 : « Sedilon la Franquette.... detenue en nostre prison ii la denunciation de
Guillot.... deiivre parce que il garit et il ne lui demandoit riens ; » p. 81. — 13 oct.
1338 : « Michelet le Lievre et Catherine sa fame denunciferent a Antel Labbe
maire de Saint- Martin centre Guillot de Soissons,.... deiivre de prison pour ce
que partie ne li voult riens demander; » p. 145; of. pp. 200, 203; of. RegUtn
criminel du Chdtelet de Paris, 1 , 309.
BU Xin° AU XVII° SIECLE. Ill
prison jusques a viii jours... — Absouls veues les contumaces
que il a' impetrees contre la denunciation par le conseil de I'as-
sise le dimanche apres la Saint-Nicolas de may (1). » On congoit
d'apres cela que la denonciation calomnieuse fut punie : « Dist
en jugement et par serement que il les avoit fait mettre en
prison sans cause, et que il s'en repentoit et leur amenda
(p. 102). »
Si I'accusation et la denonciation se mfilent ici , ce n'est point
par suite d'une confusion passagere : de la sortira une institution
tres-originale , la constitution de partie civile. Des cette epoque,
il faut le remarquer, on admet que la partie lesee peut agir au
civil, a fin de reparation , sans intenter le proces criminel : « En
cas criminel , dit Jean des Mares dans sa decision 58°, qui tend a
fin civile seulement il suffit deux d^faux , mes il convient prover
les fets ; et qui tend a fin criminelle il en convient quatre et ne
convient pas que le demandeur prouve ses fets. » Voici encore
ce que nous lisons dans le Registre de Saint- Martin : « 3 mai
1332. Ce jour fit demande civile Thomasette de Piront contre
Marote de la Mare, fame Richard Lenglais, et a Huete de la
Mare sa suer, en disant que es estuves de la dite Marote elle
avoit baillie en garde a la dicte Huete sa boursse, et perdi, de
ce qui estoit, la moitie de XXIII pieces que mailles blanches que
doubles , et tendant seulement a fin de restitution de sa chose
perdue. Mises en prison. Eslargi aux dites suers leur prison jus-
ques a d'hui en VIII jours (2). » Dans le Registre du Chdtelet
souvent on trouve de ces poiirsuites a fins civiles. Les parties ont
bien soin alors de limiter leur demande « protestans que , chose
qii'il deissent, il ne tendoient qu'a fin civile (3). » — « Pierre du
Moulin, maistre en ars,... fait protestacion expresse et de ce ap-
pele les dessus diz presens a tesmoings , que pour chose qu'il
entendist a dire , il ne le faisoit pour aucun injure , mais pour
verite dire , et aussi qu'il ne tendoit qu'a fin civile (4). » — « Pro-
(!) P. 10, 11 ; cf. M. Tanon, ibid., note 1.
(2) P. 11.
(3) I, 213.
(4) I, 310
112 LA. PROCEDURE CRIMINELLE '
testans iceulx escoliers qu'ils ne tendent qu'a fin civile (1). » —
« Guillaume Certain... par maniere de denonciation et a fin civile
dist et rapporta audit Mons. le prevost (2). » Ces reserves et pro-
testations ont pour but d'etablir, que, bien parties aux proces,
les denongants ne forment point une veritable accusation, devant
les consequences de laquelle ils reculent; elles montrent aussi
que cette distinction etait encore chose nouvelle et qu'on aurait
pu s'y tromper.
Le cas de « present meffait » est I'ancienne procedure de fla-
grant delit « par present m.effaict peux et doibs scavoir que le
juge se pent et doibt mouvoir a cause d'office centre le delinquant
et luy imposer le fait et le calenger de peine capitale de son of-
fice tant seulement , sans autre denonciation ne information pre-
cedente : s'il nie et le cas soit legier a prover, le juge ou pro-
cureur d'office le doit offrir i prouver et , ce prouve , punition
s'en doit ensuyvre, et si preuves n'y sont bien apertes, puisque le
cas est de present meffaict, le juge le pent et doit monstrer a
question a attaindre la verite (3). » La « prise en present me-
fait » est tres-frequente dans le Registre de Saint-Martin (i). On re-
trouve meme les vieilles coutumes fidelement conservees ; il est
plusieurs fois parle de la clameur de « harou; » souvent il est dit
que le criminel a 6te « pris a chasse et a cri (5). »
Enfin la poursuite « par commune renommee » c'est I'ancienne
aprise : " par commune renommee qu'on appelle en cour laye
par information precedente , ou autrement par fame et renommee
(1) I, 138.
(2) 11, 275; Voy. II, 89, une sentence qui adjuge a la partie civile ses conclu-
sions.
(3) Bouteiller, p. 222.
(4) PP. 38, 58, 63, 64, 73, 77, 92, 93, 99, 104, 124, 130, 134, 136, 138, 142,
151, 156.
(5) « Les amendrent en prison, et aussi pour ce que les voisins de la rue crioient
harou sur euls, lesquels s'enfuioient. » p. 115; — « Les print 4 chaude chace et
a cri et liarou de voisins ; p. 141. — « Que ce que ellecrioit harou lui avoit mis son
chaperon sur sa bouche, afih que Ten ne I'oist crier; » p. 187. — «Lequel Per-
rin fu prins a chasse et a Mote par les dictes bonnes gens et k cri ; » p. 47. —
« Nos sergens iceluy prinstrent par nuit ft chandelles allumans a chace et a
cri; » p. 71. Cf. Begiske du Chdtelet, I, 410, « Harou le meurtre. » II, 63 : ,
» Harou le feu. »
DU XIII° AU XVII° SIECLE. 113
notoire , si comme aucun seroit si fame au pais qu'il seroit mur-
drier ou desrobeur ea chemin , qu'il seroit cler et cogneu qu'il
fust ainsi a tous ; par cestuy cas se peut faire poursuite du crime
par I'office de justice sans autre partie, ou par office ou par le
procureur d'office , et le peut le juge faire a sa requeste a cause
d'office (1). » Toujours, excepte dans I'accusation par partie formee
qui doit disparaitre et sauf le cas de flagrant delit oii il y a ur-
gence, le proces doit debuter par I'information. C'est un point
important, c'est un trait caracteristique , que le droit posterieur
degagera plus nettement encore. Dans le Registre de Saint-Martin
la poursuite d'office est tres-frequente ; elle porte son ancien nom
de « prise par soupgon. » Les deux parties qu'elle comporte , Tin-
formation et I'enquete , sont nettement indiquees dans plusieurs
passages (2); dans plusieurs autres on a le soin de mentionner
que la capture du prisonnier n'a eu lieu qu'apres information
precedente (3). Mais parfois I'enquete seulement est rappelee,
sans qu'il soit question d'information (4) ; en sens inverse , dans
deux hypotheses nous constatons que I'information existe seule,
qu'elle remplace I'enquete et joue ainsi un double role; il est
vrai que dans un cas cela a lieu du consentement meme de
I'inculpe et que dans I'autre le resultat lui est favorable (5).
(1) Bouteiller, p. 223.
(2) « 6 nov. 1341. Absoulte par le conseil parmy Venqueste, information et rap-
port de jurez fait sur le cas dessus dit, par le maire. » {p. 184.) — « D&wci de
prison par Venqueste et information qui faite en a este par le maire de la dite ville
de Bouffemont et ailleurs. » (p. 185.) — « Absoulz du fait et de la mort d'iceluy
par nostre conseilg par vertu de Vinformacion et enqueste faicte par le maire sur
ce. B (p. 189.) — Dans beaucoup de cas, il est vrai, I'une des deux seulement
est indiqu^e.
(3) « 6 avril 1337 : Jehannin Lentfant de Paris amene par Robin le Geolier et
Croz qui le prinstrent pour ce que nous estions souffisament enfourmSs que
il avoit batu et fait sane a Jacquemin de Soissons. » (p. 93.) — « Le 18 Jan-
vier 1338 Jehan de Florence Lombart, amen6 du commandement du maire et par
I'informacion faite par P. de Chivry nostre tabellion , pource qu'il fu prouvfe et
trouvfi par ladicte information que il avoit batue et ferue vilainement de coups
orbes. » (p. 115.)
(4) P. 24; 200.
(5) « 14 juin 1336. Ydre de Laon... dilivr^ par prison et par informacion qu'elle
tint pour enqueste. » (p. 57.) — « Le 12 novembre 1336 : Pierre Terlait hoste de
Saint-Martin est rendu 4 la justice du convent par le prev6t de Paris, qui I'avait
8
114 LA PROCEDURE CRIMINELLE
Une fois que le juge est saisi, deux voies se presentent devant
lui, et nous trouvons deux formes de procedure, Vordinaire at
V extraordinaire; c'est la une distinction capitals, dont Timpor-
tance ira toujours en grandissant : « Item doibs scavoir qu'ils
sont proces ordinaires et proces extraordinaires (1). » La pro-
cedure ordinaire se deroulait a I'audience ; elle ignorait Temploi
de la torture , et permettait une libre defense a I'accuse ; la pro-
cedure extraordinaire etait celle oii la question etait admise;
le secret allait bientdt s'y introduire et la defense devait y etre
entravee de plus en plus. C'etait, helas! la procedure de I'avenir.
Cette dualite se retrouve d'ailleurs presque partout en Europe a
cette 6poque.
Quand devait-on prendre I'une ou I'autre de ces voies? La
procedure ordinaire etait toujours suivie quand il y avait accusa-
tion par partie formee : « Si doibs scavoir que selon aucuns
puisque le prisonnier et prins par accusation de partie formee
et mis en loy, apres ne doibt estre mis a peine de question, mais
se doibt le proces faire ordinairement centre le prisonnier (2), »
Les parties produisaient respectivement leurs temoins, qui etaient
entendus par les enquesteurs; I'enquete etait ensuite commu-
niquee a I'accuse ; les avocats ou defenseurs plaidaient de part et
d'autre en audience publique et on arrivait ainsi a la sentence.
Au xvi° siecle], Pierre Ayrault decrira encore cette forme de pro-
ceder, qui n'existait plus de son temps , mais qui en disparais-
sant a laisse des regrets dans son puissant esprit et dans son
grand ccEur : « J'ai leu , dit-il , entre les proces criminels faicts
il y a plus de six-vipgt (3) ans par maistre Jean Belin , sieur dg
Doinart et de Foudon, mon bysayeul, que par mesme ordonnance
on donnoit delay a la partie d'amener tesmoins pour la charge
et a I'accuse pour sa decharge , si par ses reponses il avoit mis
avant quelque fait justificatif ou attenuatif. II n'y avoit, ce me
semble (ou je me trompe avec I'antiquite) rien de si equitabF
pris par soupgon : dfilivrfi par informacion faite par R. Pie de Fer examinateu
du Chatelet de Paris. » (p. 83.) Voy. ci-dessus.
(1) BouteUler, Somme rur., I, 34 (p. 223).
(2) Bouteiller, Somme rur., I, 34 (p. 223).
(3) Cela nous reporte au milieu du xv^ siScle.
DU XIII* AU XVII° SIECLE. 113
et de si juste... le proces se faisoit tout a un instant, et, comme
en un seul tableau , la verite pour I'une et pour I'autre partie se
presentoit devant les juges (1). » Cette regie devait etre suivie
meme en cas de denonciation , dans un systeme qui assimile
presque le d^nonciateur a I'accusateur, tel que celui que nous
avons releve dans le Registre de Saint-Martin.
La procedure ordinaire devait etre adoptee meme dans 1-a
poursuite d'office, lorsque I'individu poursuivi acceptait I'en-
quSte : « Si le faiseur estoit encore prins par justice et se vouloit
mettre en toutes enquestes , en tons ces cas doibt estre regu en
proces ordinaire et ne doibt estre traict que par accusation de
partie ou d'office, et par preuves sans tourment de question
quelconque, ne sans faire aucune menace, et doibt toujours avoir
courtoise prison et competence en toute sa cause (2). » Cela est
confirme par un passage du Livre des Droiz et Commandemens
de Justice : « Se aucun est souspeconne d'aucun cas criminel
et justice Ten suit comme coulpable , Ten le doit prendre et pu-
gnir selon la qualite du meffait, et si celui qui se sent accuse
s'en sent ignorant il doit requerre a la justice que Ten le mecte
en proces sur ledict cas, affin de avoir absolucion du fait. Et
doist estre la maniere du proces telle que justice doit declarer
le fait en jugement par maniere de demande centre lui et tendre
affin de punicion s'il leconfesse; et s'il le nie doit offrir a en
faire la preuve que raison voudra. Et cellui qui est accuse doit
proposer ses raisons et justifications et s'enchargier de preuve
se mestier est. Et sur ce suit les faits proposer et bailler deci et
dela pour former ses temoins et faire ses enquestes, et puis
droit en oultre. Et doit len proceder plus meurement et en
deliberacion en tel cas, ou pent I'estat, que en autres causes (3). »
Dans le Registre de Saint-Martin nous trouvons un certain nom-
bre de cas ou expressement le criminel se met en enquete (4).
(1) L'orSre et formaliU et instruction judiciaire : Liv. Ill, art. 2, n" 50.
(2) Bouteiller, Somme rur., II, 13 (p. 763).
(3) § 943.
(4) « 23 aotit 1332 : Robin Fleuriau.... s'est sousmiz en nostre informacion pour
enquerre de la requeusse dessus dicte ; » p. 23 — « Les gens de Saint-Martin le
. prinstrent a Noysi et misrent en prison ferm6e. II s'en mist en enqueste de ce
H6 LA PROCEDURE CRIMINELLE
En face de la procedure ordinaire se dressait la procedure
extraordinaire : son nom seul frappe I'esprit; on dira commu-
nement que ce nom vient de ce que les regies normales du droit
ne sont plus observees (1). Bouteiller donne deja une idee suffi-
sante des pouvoirs qu'a alors le juge : « Item le proces extraor-
dinaire doit estre traicte et fait en tout autre terme, par especial
en grans crimes et enormes qui sont deniez et qui ont este faicts
repostement. Et ne doibt le juge sur ce espargner a faire proces
extraordinaire et de savoir la verlte de jour en jour, sans autre
intervalle, par information ou autrement (2). » Le proces extraor-
dinaire admettait la torture : « Si aucunement trouve le present
suspect par vehemente presumption , il le pent et doibt mettre en
question selon la personne du prisonnier, car plus forte question
desire un corps que I'autre , car a tOutes fins le juge doit prendre
garde qu'il ne tourmente I'homme tellement qu'il ne perde vie
ne membre par tourment ne gesne, car ce seroit le peril du juge
et des faiseurs , et se garde de question de feu , car il est defendu
par le roy ; et si par question de gesne ne veut riens dire ni con-
fesser a la premiere fois le juge le peut bien mettre au second
jour ; et puis au troisiesme , et puis au quatriesme , s'il voit que
le cas le requiere , et il y ait si grande presomption et le prison-
nier soit de fort courage (3). »
Un autre trait distingua bientot la procedure extraordinaire ;
on n'y donnait pas a I'accuse communication des depositions des
temoins ; on lui cachait tout afin de lui enlever les moyens d'elu-
der la poursuite. A I'origine, conformement aux principes du
droit canon, dans I'enquete d'office, comme dans celle qui avait
lieu sur I'accusation d'une partie, les acta inquisitions etaient
fait et fut fete I'enqaeste par les gens Saint-Martia sur ce mesfait , il ne peust
estre prove centre ledit homme; » p. 225. — Le barbier d'Anet et ses flls agens
pris par souspejon de meurtre... furent menez 4 Paris et en persone i Saint-
Martin pour ce fait; il s'en mitreut en enqueste et fus faite I'enqueste centre eus,
sur ce fait par la gent Saint-Martin. » p. 228-9.
(1) Damhouder : Praotica crminalis. Pars, m, quaestio 103, n» 21 : « Nonnun-
quam proceditur ordinarie et secundum juris ordinem et aliquando extraordinariS,
id est, juris ordiue non servato. » II est vrai que le droit dont on parle ici, c'est
le droit remain.
(2) Bouteiller, Som. rur., 1 , 13 (p. 765).
(3) Bouteiller, S. R.. I, 34 (p. 228-29).
DU Xm" AD XVII" SIECLE. H7
communiques a I'accusg. Cette communication etait ordonnee
par rOrdonnance de 1254, article 21 : « Et quia in dictis senes-
challiis secundum jura et terrse consuetudinem fit inquisitio in
criminibus, volumus'et mandamus quod reo petenti acta inquisi-
tionis tradantur ex integro (1). » Une ordonnance de 1338 ac-
corde d'une facon generale aux parties le droit d'assister au rap-
port du proems qui etait fait devant le siege assemble (2). Mais
pen 4 peu on tendit a refuser la communication des pieces a I'in-
culpe : « Certe jure canonico et civili judex ex officio potest pro-
cedere infamia praecedente... de hac facienda est inquisitio, quam
judex non tenetur parti ostendere nisi velit (3). » «. Combien que
en Parlement on ne fasse point publication de tesmoins soit en
cause civile ou criminelle ; toutefois en Ghastelet est faicte publi-
cation des diets et des noms des temoins , et en cause criminelle
des noms tant seulement et non des diets , et est la raison ; car se
en cause criminelle 'estoit faicte publication des diets , quand le
deffendeur coupable sauroit que le crime est prouve centre luy, il
s'en pourroit fouyr et ainsi demourroient les delicts impunis et
poroit porchacier la mort , ennuy et vitupere de ceux qui centre
luy auroient depose (4). » Ce secret, qui rappelle les precedes de
Vinquisitio haereticas pravitatis , devint un des traits distinctifs de
la procedure extraordinaire : « Scachez que cil est a mettre a
question de gehenne qui par information precedente , telle qu'elle
fasse vraie et v6hemente suspection du cas pourquoy il est em-
prisonne , et qu'il nie le cas , laquelle information et cas , avant
qu'a question soit mis le prisonnier, doit estre montree au conseil
de la Cour, et le prisonnier ouy comment il nie le cas centre
I'information qui contre luy labeure, sans ce que Y information
luy soit monstree, par le conseil et appointement des conseillers
de la Cour doibt estre diet que le prisonnier soit mis a la ques-
tion (S). »
(1) Ord. I, p. 72.
(2) « Statuimus et mandamus relationes processum tam oivilium quam crimina-
liam amodo fieri coram seneschallis et judicibus aliis... in praesentia partium
litigantium si ad id voluerint interesse. » (Ord. II, p. 125.)
(3) Joannes Faber, ad Instituta, tit. De puhlicis judiciis.
(4) Jean Desmares, 262.
(5) Bouteiller, S. R., I, 34 (p. 229).
118 LA PROCEDURE CRIMINELLE
Chose remarquable, si on ne pouvait, meme par les tourments,
obtenir I'aveu de I'inculpe, celui-ci ne devait point cependant
6tre pleinement absous : « Si par question ne veut riens dire , ni
confesser, et que par tesmoins ne soit vaincu , si apartient il bien
que par soupgon , par longtemps il soit prisonnier et par excla-
masse (1), afin de savoir si nul plaintif venoit contra luy, etsi
en grand temps nul ne venoit , la penitence de prison qu'il aura
toleree et soufferte sera amende de la mauvaise presumption, et
puis doit estre eslargy de prisons jusques a renom de juge a paine
d'estre attainct et convaincu des cas a luy imposes et presumes ,
et autre delivrance n'en doit faire le juge, car si absolumentle
delivroit il sembleroit qu'a mauvaise cause I'eust detenu prison-
nier (2). » Dans cette procedure extraordinaire nous trouvons
deja celle des xvi^ et xvn° siecles : I'information tout d'abordj
puis le reglement a I'extraordinaire decretepar unjugement; I'ap-
plication a la torture egalement decidee par jugement; enfm quel--;
que chose qui ressemble au plus amplement informe. Cependant
elle donnait encore a I'accuse un certain nombre de garanties qui
disparaitront plus tard. La publicite de I'audience subsistait en-
core. A I'origine, nous I'avons dit, les plaids se tenaient en plein
air, mais cet etat de chose devait disparaitre avec les vieilles
moeurs feodales. « Les vestiges, dit Ayrault, y sont encore aux
portes des eglises , des chateaux , halles et places publiques , ou
les sieges des juges restent encore. On a commence a se mocquer
des juges soubs I'orme , quand on a baty des palais et chambres
pour juger. Mais cependant cela monstre qu'auparavant les plus
grands y jugeoient bien (3). » Mais la publicite persista, quand
on passa dans les chambres d'audience , un peu moins large il est
vrai; c'est ce que dit encore Ayrault : « Les proces que nous avons
(1) Cela doit vouloir dire proclamation a ori public.
(2) Bouteiller, Som. rur., II, 13 {p. 765) : cf. I, 34 (p. 229). —Dans leRegistre
de Saint-Martin , on constate souvent Tapplication de ce prinoipe ; il y est parlS
d'homme « d^livre par prison; » pp. 57, 64. — « D61ivr6 par longue prison et par
estre battu de verges. » p. 67. — Parfois on n'inOige a I'inculpS non convaincu
quune amende; on dit alors qu'il est d^iivrfe par amende; lorsqu'il ne pouvait
payer, on finissait cependant par le mettre en liberty, de li la formule : « D61ivr6
parpovret6; » pp. 77, 9b, 99, 100, 101, 102.
(3) Vordre, formaliU, etc. Liv. Ill, art. 3, n» 56.
Du xm" Au xvn° siecle. 119
dit de feu maistre Jean Beiin , lieutenant general a ce siege , por-
tent ordinairement que sept ou huit qu'il nomme , outre luy et
son greffier, estoient presents ii I'instruction, et si il adjouste « et
plusieurs autres » pour monstrer qu'il y entroit qui vouloit (1). »
Cette publicite est constatee de la meme maniere dans le
Registre criminel de Saint-Martin des Champs; elle embrassait
tout ce qui se passait en jugement , c'est-a-dire tout , sauf I'in-
formation ou Yenquete, faite devant les commissaires enque-
teurs , et la question donnee en secret. Le greffier de Saint-Mar-
tin a soin d'enumerer les principales personnes presentes , ajou-
tant toujours a la fin de la liste « et plusieurs autres. » C'etait
bien un veritable public et non des assistants choisis ; ce qui le
montre, c'est que les noms d'ouvriers abondent, et que des
femmes sont souvent designees (2). Voici les actes pour lesquels
cette publicite est specialement constatee : c'est d'abord la denon-
ciation, qui devait etre reiteree en jugement (3), puis le rapport
des medecins ou sages-femmes qui joue un grand role (4), I'elar-
gissement des prisonniers moyennant caution (5), les aveux faits
en jugement et les sentences qui s'en suivent (6). La publicite est
encore la meme pour le jugement des declinatoires et aveux de
juridictions etrangeres (7), pour la lecture des lettres royaux (8),
pour la levee et exposition des cadavres (9).
La liberte sous caution est encore tres-largement pratiquee
d'apres le Registre criminel de Saint-Martin. Elle ne parait pas
avoir jamais ete de droit, mais il semble que le juge pouvait tou-
jours I'accorder; en fait, nous la voyons accordee pour des cas
tres-graves, comme le vol, oii il y allait de la peine de mort (10).
(1) Ayrault, op. et loc. cit., n" 71.
(2) Voy. en particulier, pp. 20 et 28.
(3) PP. 3S, 41, 42, 114, 124, 167.
(4) PP. 13, 19, 20, 22, 29, 35, 36, 45, 46, 48, 64, 106, 109, 112, 117, 127, 133,
139, 170, 171, 173, 181, 188, 189.
(5) PP. 30, 31, 33, 34,
(6) PP. 26, 51, 174.
(7) PP. 39, 40, 47, 50, 52.
(8) P. 62.
(9) PP. 148, 197.
(10) Voy. 29 mars 1332, p. 4; et 12 avril 1332, p. 6: cf. pp. 3, 4, 5, 6, 14, 15,
22, 28, 32, 33, 34, 37, 40, 127, etc.
120 LA PROCEBURE CRIMINELLE
Les pleges s'engagent, suivant la vieille formule « corps pour
corps , avoir pour avoir ; » generalement ils ne repondent que de
la representation de I'inculpe (1); parfois ils s'engagent aussi a
payer le juge (2). Dans un cas le prisonnier, au lieu de fournir
des pleges , donne un gage « deux enclumes du prix de lx sols
Parisis (3); » enfin, quelquefois il y a elargissement sans cau-
tion (4). La responsabilite pecuniaire des pleges n'etait pas
d'ailleurs la seule garantie qu'on eut centre I'accuse mis en
liberte; faute de comparaitre , il etait necessairement declare
attaint et convaincu (5) ; cette presomption de culpabilite , resul-
tant de la fuite , persistera longtemps dans notre droit.
Quelle que fut la rigueur de la procedure extraordinaire , pen-
dant longtemps encore elle permit a I'accuse de se defendre.
Avant la sentence , il pouvait plaider ou faire plaider sa cause ;
et il pouvait proposer des faits pour sa justification et les prou-
ver par temoins; a cet egard on dut etre assez large d'abord,
car voici ce que nous trouvons encore dans la Pratique de
Masuer : « Si I'accuse et emprisonne offre de prouver ses de^
fenses , il y doit estre regu avant que de passer outre , pourvu
que cela se puisse aisement faire ; et la raison c'est , d'autant
qu'il s'agit d'un grief et dommage irreparable (6). »
Au temps de Bouteiller, la procedure extraordinaire n'ap-
parait que comme une ressource supreme ; elle cedait le pas a
la procedure ordinaire lorsqu'il y avait partie formee et meme
quand, poursuivi d'office, I'inculpe se soumettait a I'enquete.
(1) La formule est alors : « Plfeges pour nous le ramener a toutes les journSes
qui de nous lui seront assignees. » Voy. p. 4.
(2) P. 127.
(3) P. 34.
(4) « 27 Janvier 1338 : Eslargie Jehanne de Montargis, k lui-mesme » il est vrai
que Jehanne est une accusatrice par partie form6e.
(5) Voy. pp. 4, 6.
(6) La Pralique de Masuer, mise en frangais par Antoine Fontanon , nouvelle
edition par Pierre Gutoois. Paris, 1606 (tit. xxxii, n" 14, p. 389). Le traducteur
Fontanon, a bien soin d'indiquer dans une note que c'est la du droit ancien.
« Pour le regard de ce qu'il dit en deux divers articles que I'accusS doit estre
receu a prouver et verifier ses salvations et defenses , et que cependant main
lev6e lui doit estre faicte de ses Mens saisis en baillant caution, cela a est6 depuis
aucunement change. »
DU XIII° AU XVn° SIECLE. 121
Dans cette mesure , elle etait noa pas legitime , mais presque
tolerable. On ne devait pas en rester la, I'exception devait
ahsorber la regie. Les prevenus pouvaient refuser d'accepter
I'enqugte ; peut-6tre y avaient-ils interSt ; car il est bien pos-
sible que , conformement k I'esprit premier de I'institution , on
n'exigeslt pas alors des temoins oculaires ; cela pouvait donner
ouverture au proces extraordinaire. Mais frequemment il devait
arriver que la preuve testimoniale , ni dans I'accusation de par-
tie formee, ni dans I'enquete acceptee, ne demontrait la cul-
pabilite d'une facon suffisante. Le juge n'eprouYait-il pas alors
une tentation presque irresistible d'employer quand meme la tor-
ture, pour arracher des aveux qu'il croyait necessaires? 11 en fut
ainsi et Bouteiller le reconnait lui-m^me, bouleversant toutes
les regies , toutes les distinctions qu'il a etablies. Apres avoir
dit que lorsqu'il y a partie formee , la torture n'est pas admise ,
il ajoute : « Si le juge percevoit le cas ainsy murdrier et le
prisonnier fust si subtil que rien ne voulsist cognoistre , par
deposition de paroles, et le fait plus evident que non, si c'est
juge qui ait pouvoir de questionner faire le peut sans attaindre
le mal (1). » De meme il enumere un certain nombre de cas
graves oi il n'admet pas que I'individu soupconne se mette
a purge (2), et ot forcement la procedure extraordinaire doit
elre suivie : « lis sent plusieurs cas qui ne sont a recevoir
a purge, si comme meurdres, arson de meson, esforceurs de
femmes, desrobeurs de gens en chemin,.... trahistre, herese,
bougre... par purge tous eschapperoient , car puisque I'homme
est mis a purge , jamais on ne le peut mettre qu'en proces ordi-
naire , et les cas dessus diets doivent Mre mis en proces extraor-
dinaires (3). » Ge mouvement fut certainement provoque en
grande partie par le systeme savant des preuves legales , qui
s'introduisait dans la jurisprudence. Ce systeme avait ete em-
prunte aux docteurs , surtout aux docteurs italiens , qui en
avaient trouve les premiers germes dans le droit remain , et les
(1) Som. rur., I, 34 (p. 223).
(2) C'est sans doute la meme procedure que celle designee dans VAncien cou-
tumier de Picardie par I'expression « se mettre 4 loy. » Vid, supr., p. 52.
(3) 5om. rw., 1, 34 (p. 223).
122 LA PROCEDURE CRIMINELLE.
avaient considerablement developpes. II fallait des preuves bien
apertes ; « selon la loy en crimes doibvent preuves estre aussi
cleres du proposant du cas que le cler jour luysant a midy. »
Pour qu'une condamnation intervint , il fallait certaines preuves
determinees d'avance , sinon I'aveu de I'accus^ ; cet aveu on vou-
lait par suite I'obtenir a tout prix (1). On en arriva bientot a ne
plus distinguer entre le cas ou I'enquete etait acceptee par I'in-
culpe at celui ou elle ne I'etait pas. On suivait la procedure
ordinaire ou la procedure extraordinaire suivant la plus ou moins
grande gravite du crime. Dependant il semble que I'iiabitude se
soit conservee jusqu'au bout de demander a I'accuse s'il voulait
s'en rapporter aux temoins : tant est puissante la force d'un vieil
usage (2) 1
A premiere vue , il semble que dans le Registre criminel de
Saint-Martin des Champs on ne distingue pas les deux formes
de procedure. Nulle part on n'y trouve les termes de proces '^
extraordinaire ni de proces ordinaire ; cependant la chose y est.
Toutes les fois qu'il s'agit d'une affaire grave , pouvant donner
lieu a I'application d'une peine capitale; nous trouvons quel-
qu'une des mentions suivantes : « Proces en est fait; — crime :
proces en est fait; — proces criminel (3). » Au contraire, lors-
que les donnees de I'information ne revelent pas un crime
grave, ou que le rapport du mirejurd declare que la victim e est
(1) Nous consacrons plus loin ua ohapitre entier a la th^orie des preuves le-
gates ; nous n'avons pas voulu briser rexposition de cette matiere importante.
(2) Voy. Dupaty : Mimoire pour trois homms condamnis a la roue. Paris n86i
p. 20. — RSquisiioire de Louis Siguier, pour demander la suppression du mi-
moire de Dupaty, p. 30, 31 : « II est vrai que la dernifere question qui a M
faite a ces prisonniers porte qu'on leur a demande s'ils vouloient s'en rap-
porter aux Umoins, et qu'ils ont r^pondu : Oui, s'ils disent la verite. CetU
question est de style dans tous les premiers interrogaloires; il n'en est aucun oil
elle ne se trouve. Elle ne suppose ni plainte rendue, ni information ordonnfe,
ni tSmoins eutendus. Elle ne peut ni abuser, ni tromper, ni Eilarmer les prison-
niers. »
(3) PP. 43, 66. Note de M. Tanon : « On rencontre une mention semblable
dans la plupart des affaires capitales. On designe principalement par Ik la pro-
cedure inquisitoriale faite par le juge dans les cas criminels graves. Bouteiller
nomme procfes extraordinaire celui qui a lieu en graves crimes et inormes. » Voy.
p. 78, 81, 121, 169, 177, 180, 186, 187, 188, 219, 220, 221.
DU Xin° AU XVI1° SIECLE. 123
« hors de peril de mort et mehaing, » on observe que les parties
plaident au civil (1). Cela ne signifie pas qu'il n'y ait la qu'une
affaire purement civile, comme nous dirions aujourd'hui, car
souvent une amende est infligee (2), mais simplement qu'il n'y
a point lieu a une peine criminelle , et qu'on poursuivra le proees
a V ordinaire, suivant les regies de la procedure civile, qui a
I'origine etaient aussi celles de la procedure penale. Le Registre
dans un passage s'exprime fort nettement a cet egard : « Infor-
macion en est faite et convertie en civil , et a amende I'offence
de nostpe sauvegarde (3). » L'ordonnance de 1670, ne tiendra
pas un autre langage (4).
Dans le Registre de Saint-Martin on ne constate pas I'emploi de
la torture; mais il faut remarquer que Ton ne donne pas le detail
da proees, et que presque toujours ceux qui sont justicies apres
proees fait, sont declares « avoir confesse. » D'ailleurs, dans un
cas special , le greffier remarque expressement que la confession
a ete obtenue sans torture : « Jaquet, filg de Jehan Duderot, de
I'aage de nuef ans ou environ , detenu en nostre prison , pour
cause de ce que il, sans contraincte ou espouvantement de
gehine, confessa (5). » Parfois on employait pour obtenir un aveu
des precedes qui rappellent la menace de la question , la simple
presentation, plus tard pratiquee (6).
(1) P. 35. « Mis hors crime, — absous du civil; » — p. 76. ■■ Et plSdent an
civil, sont eslargis a demain; — p. 127. c; lis procSdent; » — p. 94. « Raport*
le p^rilg hors par Emmeline la duchesse; denunciation criminelle; — civil, ils
procfedent; » p. 116 « Crime rapports, civil. »
(2) P. 82 : « Civil — par amende. ;; P. 83 : « Crime — rapport* — civil et
amende. » — P. 93 : « Civil — amende. »
(3) P. 97.
(4) Ord., tit. XX, art. 3 : « S'il paroit avant la confrontation des tesmoins que
I'affaire ne doit pas estre poursuivie criminellement, les juges recevront les par-
ties en proems ordinaire. Et pour cet effet ordonneront que les informations se-
ront converties en enquStes. » Voy. Jousse, sur cet article : « C'est ce qu'on
appelle oiviliser un procfes ou renvoyer les parties k fins civiles. Cependant on
pent dire , tout bien consider* , que cette procedure ne fait pas cesser I'action
criminelle; mais qu'alors cette action cesse seulement d'etre poursuivie par la
voye extraordinaire, pour commencer k Hre poursuivie par la voye ordinaire. »
(5) P. 51. Voy. Introduction, p. lxxxviii a xoi.
(6) « Et apres la gent Saint-Martin les ramenSrent arriere , k Noisi , et les me-
nSrent i fourches {k la potenoe), et firent semblant pendre les. Ils ne voudrent
124 LA PROCEDURE CRIMINELLE
Enfin , il est interessant ' de voir dans son ensemble , quelle
etait , a la fin du xiv" siecle , la jurisprudence de la premiere pre-
v6te de France, qui, sans doute, devait servir d'exemple aux
autres.
Dans le Registre criminel du Chdtelet de Paris, qui va , nous le
Savons, de 1389 a 1392, il n'y a pas un seal cas d'accusation
veritable , c'est-a-dire par partie formee. Sans doute le terme (1)
d'accusation apparait assez frequemment, mais il est aise de
voir qu'il ne s'agit en realite que de denonciations. Toujours
c'est la justice qui poursuit d'office ; le plus souvent , il est vrai ,
elle agit a la demande des interesses ; la plainte de ceux-ci porte
alors divers noms « denonciation, requeste, pourchaz, clameur; »
au fond ce sont toujours des denonciateurs. II est a remarquer
que le proces ne s'engage pas toujours d'une fagon parfaitement
reguliere , si Ton se reporte aux regies posees plus haut. Selon
ces principes , en effet , toute poursuite d'office , sauf au cas de
flagrant delit, doit debuter par une information. Dans le Registre,
parfois le proces s'ouvre par une information , que le greffier a
transcrite (2) ; ailleurs , une information est visee sans etre repro-
duite (3) ; generalement , c'est sur la simple denonciation de
partie que le juge procede et fait arreter I'accuse (4) ; parfois ,
c'est la partie qui elle-meme le fait prendre, (5) directement par
riens confesser ledit murtre , et pour ce que il n'estoit pas prouve bien a plein
centre eus , la gent Saint-Martin les bannirent a Noisi, en la court de Saint-Mar-
tin, h tous jours et sur la hart, de toute la terre Saint-Martin. » P. 229. 11
s'agit de gens qui s'6taient mis en mquite, et peut-6tre emploie-t-on contre eux
ce sttatagfeme parce qu'on ne pouvait pas les torturer d'aprSs les rSgles toblies
plus haut. Voy. M. Tanon, p. xcix : « lis furent admis a se mettre en enquSte.
Le r^sultat de I'enqufite devait, en pareil cas, determiner I'aoquittement ou la
condamnation sans qu'il fti permis de recourir h. la question. »
(1) Certains passages semblent mgme reproduire fidfelement les anciennes dis-
tinctions ; II , 279 : « Contre lui d'aucuns autres cas Ten n'a informacion, denoa-
ciacion ou accusacion de partie. »
(2) Voy. p. ex. II, p. 20, 441, 352; cf. I, 523.
(3) I, p. 330, 382, 406; II, 239, 325.
(4) Voy. p. ex. I, 376. On pourrait 6tre tente decroire que dans ces cas si nom-
breux une information prfealable a toujours exists , sans qu'il en soit fait men-
tion; mais ce qui montre qu'il n'en est pas ainsi, c'est que parfois, aprfes I'arres-
tation et le premier interrogatoire , ordre d'informer est donn^ : Voy. I, p. 256;
II, p. 77.
(5) I, p. 14; cf. I, 212, 365.
DU xm" AU XVII" SIECLE. 125
ua sergent. A ce point de vue la denonciation conserve I'energie
de I'ancienne accusation ; ajoutons , que quand on procede ainsi ,
il est de regie que le denonciateur, en plein jugement, en face de
I'accuse present , affirme sa plainte par serment , fournissant ainsi
au prisonnier une premiere occasion de se defendre (1), La deten-
tion preventive existe dans tous les cas sans exception (2) ; et on
ne trouve pas ici un seul exemple de mise en liberte sous caution.
Si maintenant on entre dans le vif du proces, on constate
I'emploi constant des deux plus odieux moyens d'instruction que
connaitra la procedure extraordinaire , je veux dire le serment
de I'accuse et la .torture. Pas une seule fois on ne manque de
faire jurer a I'accuse qu'il dira toute la verite : il jure « aus sains
Euvangiles de Dieu , sur le dampnement de I'ame de lui et sa
part qu'il entendoit a avoir en paradis , qu'il dira verite de ce
que Ten li demandera (3). » Quant a la question, il est tres-rare
qu'elle ne'soit pas infligee a I'accuse; peu importe que celui-ci
ait declare accepter I'enquete de la fagon la plus nette (4) , et
(1) 1 , 158, 173, 175, 344, 365, 393 ; II, 6, 7, etc. C'est un trait que nous avons
dSja relev6 dans le Registre de Saint-Martin des Champs. Cf. Coutume de Bragerac,
art. XII (B. de Richebourg, IV, 2 , p. 1014) : « Item aliquis Burgensis non debet
cap! nee arrestari pro aliquo crimine , nisi in flagranti seu recenti crimine , aut de
dicto crimine fuerit publice diffamatus , aut denunciatio fiat contra eum de dicto
crimine; qui quidem denuncians debet jurare ante captionem dicto bajulo... dictam
denunciationem se scire vel credere fore veram , et hoc etiam tenetur facere coram
parte denunciata antequam dictus denunoiatus respondeat dictis propositis contra
ipsum. »
(2) II y a un £crou regulier des prisonniers , 1 , 202 ; d'ailleurs tous ne sont pas
trait^s de mgme; les uns sont mis « tout seul en une prison , » I, 202, 204; d'autres
emprisonn^s en commun , II, 285. Tant6t ils peuvent librement communiquer avec
le dehors , 1 , 245 : « Fu fait mettre en la prison que I'eii dist la Fousse , afin que
chascun peust parler k lui ; n tantdt, au contraire, cette communication 6tait inter-
dite : II, 83. « La femme dudit Hays estoit al^e oudit Chastellet pour parler a son
mary, et que elle avoit en une bourse que elle avoit sur elle trfes-grant quantity de
florins dont elle avoit prfisente deux florins au geolier, mais que elle peust parler
k sondit mary; lequel geolier n'en avoit voulu riens faire. »
(3) I, 74. Lorsqu'il s'agit de Juifs , on suit pour le serment la coutume juive.
II, 44 : « Joesne d'Espaigne et Salmon de Barselonne juifs. ... aprfes ce qu'ilz orent
est6 fait jurer en leur loy, en mettant la main sur la teste qu'ils diroient v6iM...
congneurent et confess^rent. » Cf. II, 132. — Le serment de I'accus^ est du reste
exig6 par le chapitre zhi de la Coutume de la Ville et Septine de Bourges, plus
haut cite. .^
(4) I, 285 : « Dit que des choses dessus dites il se rapporte i la voix et com-
126 LA PROCEDURE CRIMINBLLE
qu'il y ait des temoins oculaires (1) ; alors meme qu'il y aurait
aveu, le juge est autorise a employer la torture, s'il soupconne,
qu'outre les mefajts qu'il confesse, I'accuse en a commis d'autres.
Voici un passage qui revele bien I'esprit de cette jurisprudence :
« Par ledit mons. le prevost fu demande ausdis presens conseil-
lers qu'il estoit bon a faire dudit prisonnier, et s'il avoit assez
confessez par quoy il deust prendre mort. Toiis lesquels furent
d'oppinion que , quant de present , il ne leur estoit pas d'advis
que bon feust que Ton procedast a la condempnacion dudit pri-
sonnier, pour si petit de larrecin qu'il avoit cogneu avoir fait,
mais delibererent que ycellui prisonnier feust par plusieurs fois
mis encore a question , pour savoir plus a plain les autres crimes
et deliz par luyfaiz, commiz et perpetrez (2). » II semble que
jusqu'a un certain point on confondait alors deux institutions plus
tard distinctes , la question preparatoire et la question prealable;
Les jugements qui prononcent la torture sont motives generale-
ment sur les variations de I'accuse et sur sa basse et suspects
condition (3).
Le juge du Chatelet savait d'ailleurs varier et graduer la quesv
tion salon le temperament des accuses et les besoins de la cause.
C'etait generalement la question de I'eau qui etait employee, et
il semble que tantot on faisait boire I'accuse , tantfit on jetait de
mune renommSe dudit pays... Requis se de la commune renommie de son estat et
gouvernement et aussi de ladite accusation il se veult rapporter et croire ou dit
et deposicions de Adenatle Brebiat, Jehan Beautas et Perrinet Beautas, qui.pre-
sent estoieut pour ce en jugement par devant ledit prisonnier, dit par son serment
que ouyl pour mort et pour vie, et qu'il scet et oognoist iceulx estre gens de
bonne vie , fame et renomm^e ; » on le torture , p. 287. — Cf. II, 361, 381, 407,
448.
(1) II, 81, 83.
(2) I, 207. Cf. I, 463 : « Nonobstant ladite confession le flrerit I'andemain re-
mettre par deux fois en gehaynne , pour savoir et enqufirir se desdites poisons il
savoit autre chose que confess^ n'avoit , ne se il savoit aucuns autres qui en fus-
sent consentans ou coulpables. »
(3) Voy. p. I, 196 : « Veu I'estat de sa personne qui est femme de p6chi4 et petite
renommee. » Dans un cas oh la question n'est pas donnfie en constate que I'accusft
<( est homme honeste , non souffreteux ou indigent d'argent , parce qu'il est bien
vestu et honnestement. » (II , 28.) Cf. Coutume de Bragerac (Bourdot de Riche-
bourg, IV, 2, p. 1015), art. xvi : « Si captus fuerit dictus Burgensis pro crimine
capitali publico vel manifesto et sit talis conditionis qnod ipsum oporteat quaes-
itonare. »
DU Xm° AU XVII" SIECLE. 127
I'eau sur lui (1) : a cet effet, il etait etendu et lie tout nu sur un
chevalet (2) ; il y avait deux modeles de chevalet , « le petit et le
grand tresteau, » ce qui introduisait une gradation dans les tour-
ments (3). II y avait encore d'autres sortes de questions plus
rudes , celle de la « pelote » (4) et peut-6tre celle de « la cour-
tepointe » (5). Parfois on modere les rigueurs , on questionne
« doulcement » (6).
II parait que la question pouvait etre indefiniment reiteree;
sa repetition n'avait d'autres limites que I'obstination du juge
ou la force de resistance de I'accuse (7). G'etait la un terrible
moyen d'instruction ; mais il faut avouer qu'il reussit gene-
ralement a arracher la verite aux justiciables pen interessants
du prev6t de Paris. Le plus souvent, des qu'ils sont mis k la
question, ils commencent une confession gen^rale des moins edi-
flantes; la liste des vols et des meurtres s'allonge indSfiniment
sous la plume du greffler. fitant donne I'etat d'insecurite et les
brigandages que revele le Registre criminel , on comprend que les
hommes de ce temps se montrassent rudes et durs envers les accu-
ses. Mais d'autre part, parfois la question prete son appui redou-
table aux prejuges de I'epoque, et vient confirmer les plus regret-
(1) I , p. 145 : « Et avant ce que Ten lui donnast a boire eau ou que Ten en
jettast aucune sur lui. » I, 179 : « Ainsi comme Ten lui est donn6 un petite
boire. » Presque k chaque page on trouve ces expressions : « Comme on li veult
donner de I'eaue , » « Comme len ot mis un petit d'eaue sur elle. »
(2) « Fu d^pouill6 , mis et Hi k la question. » Expressions qui reviennent sans
cesse. V. p. ex., I, 264 : « Ladite Marguerite fu feite despoiller, li^e k la question
par les piez et par les mains. »
(3) Voy. p. ex., I, 207 : « Fu icellui prisonnier mis a question sur le petit et le
grant tresteau. » — 248 : kFu mis k question sur le petit tresteau, et ainsi comme
len le voult mettre surle grand tresteau, requist a grand instance que len le meist
hors. »
(4) I, 212 : « Fu de rechef ramene et mis a la question de la pelote. » — 11, 34 :
« Pour ce que aucune chose ne voult conf esser fu mis a la question de la pelote. »
(5) II, 203 : « Fu d6pouill6 tout nu, mis, ly6 et estendu k la question de la
oourtepointe sur le petit tresteau. »
(6) I, 241 : « Furent d'opinion que*., icelluy prisonnier feust mis doulcement k
question. » — II, S23 : « Sauf tant que, pour sa vieillesoe, il feust une seule foiz
et doulcement traiti^ et questionn6. »
(7) Margot de La Barre est tortur^e quatre fois (I, 330, 333, 335, 353). — Re-
gnault de Poilly « pour plus avant savoir la vfiritfe par sa bouche fu mis a ques-
tion par cinq fois en plusieurs et divers jours. » (I, 432.)
128 LA. PROCEDURE CRIMINELLE
tables erreurs. Dans un proces de sorcellerie , torturee pour la
quatrieme fois , une femme flnit par avouer qu'elle a vu le diable
et lui a parle. « Et lors... s'apperu a elle un annemi en facon et
^stat des ennemiz que len fait aus jeux de la Pacion, sauf tant
qu'iln'avoitnuUes comes. Li dist ses paroles : Que demandes-
tu?.. Et elle qui parle li dit... et vit, elle qui parle, issir, par
une fenestre qui estoit ouverte en sa chambre , ledit ennemi ; et a
I'issir dudit hostel, fist icellui ennemi grant noise, et en ma-
niere de tourbeillon de vent , dont elle qui parle ot moult grant
paour et freour (1). »
II est des temperaments assez robustes cependant pour resister
a ces souffrances , des hommes qui sauvent leur vie , quoique le
juge en ait. Thevenin de Braine a ete mis quatre fois a la ques-
tion sans rien avouer ; alors « attendu I'estat de sa personne qui
est homme pervers , de dure et mauvaise voulente , lequel par sa
confession I'ennepuet attaindre des delits par lui fais et commis,
que quant aucun commet crime, qu'il ne appelle pas tesmoins
pour veoir faire icelli , et considere que , pour ses delis fais et
commis, il a autrefois este banni et audit ban acquiesce... et qu'il
est homme incorrigible. . . delibererent et furent d'oppinion que a
toujours du royaume de France icelli Thevenin de Brayne feust
bany, sur peine de la hart (2). )>
Pour que I'aveu obtenu a la question put servir de fonde-
ment a une condamnation , il fallait d'ailleurs qu'il fut maintenu
en dehors de la torture. Aussi le Registre constate que chaque fois
(1) I, p. 356. Dans ce proofs curieux il s'agit de sortileges qui rappellent va-
guement la seconde idylle de Thfecrite. Une courtisane, Marion I'Estalfe, est
r^ellement Uprise de son amant qui va se marier ; elle fait pratiquer par une amie
plus 4g6e , Margot de La Barre, de naifs et inoffensifs enchantements. Marion fut
torturee trois fois et Margot quatre ; toutes deux furent br<116es vivos.
(2) II, 147; of. I, 163 : « Attendu... que lesdits prisonniers ont cogneu etcon-
fessS le moins qu'ils ont peu , I'estat d'iceux et peine de prison par euU souf-
ferte, delib^rferent et furent d'oppinion que ioeulx prisonniers feussent tournez ou
pilory es hales, ilec cri6 les causes de leur jugement , et, en aprfes, baniz de la
ville, vicontS et pr6vost6 de Paris a toujours. » — I, 506 : « Attendu que icellui
Berthaut est homme vacabond, et I'estat d'icellui, que il estoit bon que de recMef
il feust mis encore une fois h question , et s'il ne confessoit autre chose que dit
est dessus, qu'il feust menfe en la cherete jusques h la justice de Paris, et que
illec li coppast I'oreille destre et feust bany a tousjours de la dite viUe de Paris et
a X lieues environ. »
DU XIII" AU XVII° SIECLE. 129
on mene le patient transi de froid, epuise et meurtri, a la cuisine
du Chsitelet, la on le fait chauffer et on le reconforte (1) ; puis en
jugement on I'interroge a nouveau , sans aucune autre contrainte
que la foi du serment. S'il se retracte , I'aveu precedemment ob-
tenu perd sa force ; il est vrai que le prisonnier doit alors s'atten-
dre a ce qu'on le remette a la torture ; il en est pourtant qui reti-
rent a chaque fois leur confession, et echappent ainsi a la
mort (2).
Voila des traits qui marquent lugubrement cette procedure
du Chatelet de Paris, il faut dire qu'il y a des cotes moins
sombres au tableau. Le Registre criminel montre que I'accuse
pouvait encore presenter assez librement sa defense. Sans doute
nous ne voyons jamais celle-ci conduite par un avocat , mais le
prisonnier peut discuter les temoignages qu'on produit contre lui
et presenter sa justification. Nous avons dit que souvent le proves
ne commence point , comme la regie le voudrait , par une infor-
mation. Alors , s'il y a des temoins a entendre , frequemment ils
sont amenes dans I'auditoire et deposent en la presence meme de
I'accuse, qui a toute faculte de les contredire (3). Lorsqu'il y a
une information, plusieurs passages montrent que I'accuse la con-
nait (4f). Si Ton procede a la seconde partie du proces, a Venquete,
nous trouvons plusieurs fois qu'on suit la marche deja tracee dans
(1) La formule ordinaire est : « Si fu mis hors d'icelle (question) et menS choffer
en la cuisine en la maniere acoustumSe ; » parfois il est dit quelque chose de plus,
I, 167 : ((Aprfes ce qu'il ot est6 trSs-bien eschauffe, vestu et r6chauff6. » — II,
313 : « Apres ce qu'il ot est6 bien et longuement chauffe ; » — 1 , 321 : « AprSs
ce qu'il ot beu et mengie , chofffi- et soy refrescM , f ut derechef ramen6 en juge-
ment. »
(2) ProcSsde Joesne d'Espaigne. II, 53-6; ilest seulement abany du royaume. »
Cf. 1 , 438, ssq.
(3) 1, 134 « : Auquel prisonnier, ouyes les deposicions cy-dessus escrites, faites
en sa presence par lesdiz Gilet et David, fu demand^, etc. » I, 303 : « Avant que
Ten procedast plus avant ci I'encontre desdiz prisonniers, ledit chevalier seroit
envoys querre d'offleede justice, k certain jour, pour estre examine sur ce que
dit est en la presence desdiz prisonniers. » I, 313 (il s'agit d'herbes trouvfies sur
I'accusS, qu'on suppose §tre v6n6aeuses) : « Pour ce, en sa presence, fu fait venir
Richart de Bules , herbier,... ausquel lesdites herbes dessus dites furent mons-
trees. »
(4) I, 407 : « Nye avoir onoques... dit les paroUes dont est faiote mencion en I'in-
formacion. » I, 260 : « Quant aus paroles conteaues en ladite informacion, que Ten
dist par elle avoir este dites , il ne sera ja sceu ne trouvfi. »
130 LA PROCEDURE CRIMINELLE
Beaumanoir; les temoins sont amenes en presence de I'accuse
et pretent serment devant lui, afin qu'il puisse presenter ses
causes de recusation, mais ils deposent hors de sa presence,
devant Venquesteur seul (1). Mais, selon le principe tradition-
nel , on donne connaissance des depositions au prisonnier ; on
lui en donne lecture : « Li demande et requis , que sur la de-
position d'icelle Marion , qui li feut leue , elle deist verite (2). »
— « Apres la depposicion Gieffroy Olivier, a lui leue mot apres
autre, se rapporta et creut du tout, pour ou centre lui ou dit
d'icellui (3). » Parfois I'accuse demande qu'on fasse de nou-
veau deposer le temoin en sa presence et I'obtient. " Macete,
femme Hennequin de Reuilly... requise se elle se veult rap-
porter ad ce que la dite divine (devine , sorciere) vouldra de ce
dire et deposer pour elle ou centre elle , dit par son serment
que non, et que voulentiers elle le orra parler, et pour ce...
ledit mens, le prevost fit venir et attaindre en jugement icelle
Jehanne de Brigue que Ton dit estre divine..., en la presence
de laquele Macete (i). » D'ailleurs, afin d'eviter toute difficulte,
il arrive aussi qu'apres I'information , au lieu de proceder a
I'enquete dans la forme ci-dessus decrite, on fasse deposer les
temoins en plein jugement en presence de I'accuse : « Par Fop-
pinion desdiz conseillers fu dit... que Margot... et Jehennette du
Ble , examinees en ladite informacion , seroient derechief faites
jurer, oyes et examinees en la presence dudit prisonnier. Et,
ce fait, et incontinent furent mandees en jugement icelles
femmes, es depposicions desqueles icellui prisonnier... se rap-
porta ; lesqueles furent examinees |et deposerent en la presence .'
dudit prisonnier (5). »
(1) Voy. en particulier II, p. 20 et suiv.; quatre depositions sont rapportfies; il
est dit pour chaque timoin qu'il a kik « jurS en la presence de Chariot le Convers
(I'accusg)... oy et examine en I'absence dudit Chariot; » ils sont interrpgSs, comme
dans Beaumanoir, " sur les faiz de la rebriche cy-dessus escripte. »
(2) I, 264.
(3) I, 415 ; of. II, 290, 347.
(4) II, 320 ; I, 350 : « Demande se... elle s'en vieult raporter et croire en ce que
ledit Ancel en dira et deposera. Laquele Margot dist que a ouyl, mes que elle le
ouyst parler et qu'il jurast en sa presence. Et pour ce fu fait mander en jugement
le dessus dit Ancel lequel... dist et d^posa en la presence d'icelle Margot. »
(5) II, p. 81.
Du xm° Au xvn" siecle. 131
Si la justice est dure, elle cherche cependant a tenir la ba-
lance egale. L'accuse peut prouver son innocence (1) ; des
qu'il invoque quelque fait justificatif, alibi ou autre, on s'em-
presse de lui en faciliter la preuve. S'il s'agit de faits simples
a verifier et que les temoins a entendre soient proches , le juge
leg fait immediatement querir (2) ; ou encore on envoie un exa-
minateur du Ch§,telet pour recueillir le temoignage (3) , « Ouye
la confession duquel prisonnier, commande fu audit maistre
Nicolas Bertin que il se transportast devers icelle dame de
Fymes et sceut d'elle se ce que ledit prisonnier avoit dit estoit
vray ou non (4) ; » ou enfln on ouvre une information reguli^re ,
« Commande audit maistre Jehan Soudan qu'il parlast et exa-
minast ledit Ancel Gohier et autres qu'il verroit que bon seroit ,
pour savoir se Valibi propose par ladite Margot estoit vray ou
non , et que ce que fait auroit en ceste partie il rapportast le len-
demain matin, ou le plus tost que bonnement porroit (5). »
Contre les sentences de torture, l'accuse n'avait qu'une res-
source", c'etait d'en appeler au Parlement. L'appel, forme d'un
mot, suspendait I'execution de I'interlocutoire , et il est plu-
sieurs fois intente dans le Registre criminel; mais nous voyons
aussi que constamment le Parlement confirme la jurisprudence
du Chatelet (6).
La procedure criminelle , telle que nous venous de la montrer,
bien que les grandes lignes en fussent deja fixees , etait encore
(1) Bisons en passant qu'une fois, dans le Registre, 11 est question de la provoca-
tion au dueljudiciaire; mais il s'agit d'une pauvrefille, dont nous avons parle plus
haul, qui se defend dfisesp^remment et qui sans doute a entendu causer des gen-
tilshommes. I, 344 : « Disant... qu'il n'en estoit riens, mais avoit menti et men-
toit faussement icelle Marion, en 11 ofTrant et baillant son gaige de bataille. »
(2) II, 345 : « Fu par ledit lieutenant command^ a Jehan Vilete , sergent k verge ,
que hastivement il alast en ladite rue de la Vennerie et feist venir toutes les
femmes tenans establies de ferrer chanvre , pour estre par ledit lieutenant exami-
nees sur ce que dit est. » I, 411 : « Est ordonn^ que ledit Gieffroy Olivier sera
mandi et fait venir en la presence dudit prisonnier. »
(3) II, 232; r, 401 ; II, 361 : « Commanda au dit maistre Dreue d'Ars que il se
transportast devers iceUe dame et I'examinast... au mieulx et plus diligemment
que bonnement pourroit. »
(4) n, 411.
(5) I, 346.
' (6) I, 334; II, 143-4; 299, 415, 428.
132 LA. PROCEDURE CRIMINELLE
hesitante et variable sur certains points. EUe devait done se precl-
ser encore. Cast ainsi que nous voyons s'introduire ]e recolement
des temoins. Selon un usage ancien, ce n'etait pas le juge lui-
meme qui entendait les temoins dans rinforniation et recueillait
leurs depositions par ecrit, mais un delegue special. Le plus sou-
vent c'etait un sergent, parfois un praticien, qui informait assiste
d'un.notaire ; parfois il existait pres des juridictions des fonction-
naires speciaux charges de cet office et portant le vieux nom d'ere-
questeurs. « Le procureur du roy et la partie civile font faire
information du cas commis par un sergent royal ou de seigneur
haut justicier, appele avec luy un notaire royal ou de cour laye ;
et en aucuns lieux on prend mandement du juge pour ce faire,
en autre on prend de I'enquesteur du siege , auquel on vient les
rapporter ; en autres, il n'y a que I'enquesteur qui puisse besoigner
information , ce qui n'est pas raisonnable et vient a trop grande .
foule des parties : en autres lieux , on ne prend point de mande-
ment de juge (1). » Ces usages etaient pleins d'inconvenients , ils
remettaient les interSts les plus graves aux mains d'un officier
subalterne ; pour les corriger on admit que le juge devrait lui-
meme entendre de nouveau le temoin , ce fut le recolement :
« On ne recole point , dit Ayrault , les temoins examines par le
juge, sinon qu'on lui oste la cause , comme a juge suspect (2). »
Cela d'ailleurs suppose que I'ancienne division du proces en
information et enqueste etait devenue lettre morte et que I'en-
quete telle que nous I'avons decrite etait tombee en desuetude;' '
sans doute, que I'accuse y consentit ou non, on avait admis que
toujours « I'information vaudrait enqueste. » L'information tendra
jusqu'au bout a absorber le reste du proces. En meme temps
que s'etablissait le recolement, comme I'accuse, dans la proce-',
dure extraordinaire , ne recevait point copie ni communication de
l'information , I'usage s'introduisit de le confronter isolement
avec chaque temoin. C'etait le moins qu'on pouvait faire, et
c'est a ce moment que I'accuse devait faire valoir ses reproches,
(1) Imbert, Pratique, 1. Ill, ch. 2, n" 2 (Edition de 1604); cf. Ayrault, op. cil.,
1. Ill, art. 1, n" 40. Bien que les auteurs ciWs soient du xvio sifecle , les usages
qu'ils constatent remontent plus haul.
(2) Op. cU., liv. Ill, art. 2, n» 38.
DU Xm° XV XVII° SIECLE. 133
s'il en avail a presenter. Quant a produire de son c6te des te-
moins, il est probable que bient6t il ne put le faire , a moins que
le juge ne lui en accord§,t I'autorisation apres que les temoins
de I'accusation avaient ete entendus, recoles et confrontes.
Dans un pareil systeme , ce qui restait de I'ancienne procedure
accusatoire devait forcement disparaitre. L'accusalion de partie
formee s'eteint au xvi° siecle sans qu'aucune loi I'ait supprimee :
« Est a noter qu'aujourd'huy les parties formees ne scut regues
en France , scavoir est qu'on puisse arrester quelqu'un et faire
mettre en prison pour cause de delict , sans informations pr^ce-
dentes , encore que celuy qui se rend partie formee veuille tenir
prison comme I'autre (1). » — « Veritablement il n'y a pas long-
temps qu'il se faisoit , et tel accusateur s'appeloit partie formee ,
mais nous ne pratiquons plus cela. Et si je ne I'ai jamais veu
arriver qu'une foys; c'estoient deux estrangers incogneus et
qui n'avoient pleiges... per ce qu'ils estoient inconneus et qu'ils
I'offroient, je les y receus (2). » Desormais nous ne trouve-
rons plus qu'un veritable accusateur, le procureur du roi ou des
seigneurs; la peine est infligee dans un interet general, non
plus pour satisfaire le desir de vengeance d'un particulier :
« Nous avons deux manieres d'accusateurs , dit Imbert , les uns
qui poursuivent I'interet du roi et de la chose publique, que
que nous appelons les gens du roy, scavoir I'avocat et procureur
du roi ou des seigneurs ayant haute justice, (ils) tendent a puni-
tion corporelle et amende honorable et pecuniaire contre le de-
linquant; les autres demandant reparation de leur interet civil,
qu'ils ont souffert a cause du delit commis en leurs personnes ou
en leurs biens et ne tendent point a punition corporelle par
nostra stile , combian que selon droit commun peuvent tendre a
punition corporelle et a reparation de leur interet (3). » Las par-
ticuliers leses ne disparurent point du proems , ils y demeurerent,
comme nous I'avons dit en parlant de la denonciation , pour de-
mander des dommages et interets. Da la vient la constitution de
partie civile , I'un des traits les plus originaux da notre proce-
(1) Imbert, Pratique, III, ch. 1, n»s H, 14.
(2) Ayrault, op. dt., liv. Ill, art. I, n" 15,
(3) Imbert, Pratique, II, ch. 1, n" 3.
134 LA PROCEDURE CRIMINELLE
dure criminelle. La personne lesee est bien reellement partie au
proces criminel; elle produit des temoins; c'est meme elle qui
entame la cause en demandant au juge la -permission de faire
informer, comme on dira jusqu'aux derniers jours de I'ancien
droit. Les actes de la procedure sont encore faits en son nom et a
ses frais (1). Alors a vrai dire le ministere public est non point
-partie principale, mais partie jointe (2). La constitution de partie
civile est en realite un melange de I'ancienne accusation de
partie formee, et de I'ancienne denonciation de la partie lesee;
dorenavant elle se distinguera nettement de la denonciation;
dans cette derniere le particulier se fait simplement I'instigateur
d'un proces , oil le procureur d'office figure seul.
(1) « Le plus souvent le procureur du roy et la partie civile sont ensemble de-
mandeurs, et lors la partie civile fait tous les frais du proems criminel. » (Imbert.)
(2) « Est dSfendu par les Ordonnances royaux au procureur du roy de non se
joindre avec aucune partie civile, sans information pr6c6dente. » Imbert, Prati-
que, HI, ch. 1, n» 3.
Du xin" Au xvn° sieicle. 13S
CHAPITRE TROISIEME.
La procedure criminelle d'aprSs les Ordonnances
des XY= et XVI^ sifecles.
I. Les Ordonnances de 1498 et de 1339 : le procSs criminel au xrfi si^cle. —
II. Protestations centre I'Ordonnance de 1539 : Constantin, Du Moulin, Pierre
Ayrault. — III. La procedure criminelle et les Etats-G^neraux du xvi« siecle.
Nous venons de traverser une periode de transition et de for-
mation. Dans ce developpement , qui avait modifle si profon-
dement la procedure criminelle, I'agent dont I'influence s'etait
surtout fait sentir, e'etait la jurisprudence des sieges royaux.
A vrai dire elle avait tout fait ; le pouvoir legislatif , c'est-a-dire
le pouvoir royal, n'etait intervenu que pour confirmer, dans
quelques breves indications des Ordonnances, des regies deja
connues et admises. Ce sont les juristes et la pratique qui in-
troduisent et etablissent dans la procedure criminelle cette dua-
lite de formes, qui la divise en proces ordinaire et extraordi-
naire , clef de voiite de tout I'edifice. Mais une fois que revolution
fut accomplie , le systeme etant arrive a son entier develop-
pement, la Royaute vint le fixer dans le cadre de la loi. Des
Ordonnances celebres , a la fin du xv* siecle et dans la premiere
moitie du xvi°, enregistrent les grandes regies desormais eta-
blies ; elles precisent certains points oil la pratique etait fiottante
ou abusive. Si elles introduisent quelques rigueurs nouvelles,
on pent dire que , meme en cela , elles ne font que hater ce que
la pratique allait produire , que generaliser peut-etre ce qu'elle
avait introduit en tel ou tel lieu. De ces Ordonnances les plus
importantes de beaucoup sont celles de 1498 et de 1539 (1).
(1) L'Ordonnance tr6s-6tendue de 1507 (Isambert, XI, p. 464, ssq.), n'est qu'une
adaptation, faite pour laNormandie, des Ordonnances ant^rieures; pour les ma-
tiSres crlminelles en particulier, les art. 184 et suivants ne font que reproduire les
art. 106 et suivants de I'Ordonnance de 1498.
136 LA PROCEDURE CRIMINELLE
I.
L'Ordonnance de 1498, dans la partie qui nous interesse, a
surtout pour but de distinguer nettement la procedure ordinaire
et la procedure extraordinaire, d'indiquer comment on choisit
I'une ou I'autre voie , et quelles formes on suit de part et d'autre.
Tout d'abord il doit etre fait une information, piece tenue se-
crete pour tous si ce n'est pour les gens du roi (1). « Apres
deliberation prise sur lesdites informations , sera fait un dictum
par ecrit, signe de la main de celui qui les aura vues et rap-
portees, qui contiendra les provisions tant d'ajournement per-
sonnel, prise de corps et autres (2). » On precede done, s'ily a
lieu , a la citation ou a la capture , puis vient I'interrogatoire (3),
qui , immediatement avec les informations , est communique aux
gens du roi (4), afm qu'ils prennent leurs requisitions. C'est ici
que la procedure va se bifurquer : « Art. 108. Et ce fait sera
appointe que Ton procedera extraordinairement , ou si les parties
seront oiiyes. » Si on se decide pour ce dernier parti, les parties
« seront oiiyes en jugement en pleine auditoire , avant que y
donner appointement, et ce fait, seront lesdites parties appointees
par nos dits baillifs, senechaux et juges, ou leurs lieutenants
ainsi que raison devra (5) ; » c'est-a-dire qu'on procedera aux en-
quetes et aux plaidoiries suivant les anciennes formes (6). Ce-
(1) Art. 120 (Isambert, XI, p. 367); art. 96, ssq. (p. 362).
(2) Art. 98 (p. 362).
(3) Art. 106 : « Que tous emprisonnez, arrestez ou ajournez a comparoir en
personne, seront par nos dits baillifs, senechaux et juges , ou leur lieutenans, inter-
rogez a toute diligence, et seront les matiSres exp^diSes sommairement et de plein,
nos avocat et procureur et les parties (parties civiles) oiiyes. »
(4) Art. 107 : « Sans ce que rien en soil monstr6 ou communique aux parties. »
(Sj Art. 107.
(6) Art. 119 : « Les parties sont appointees contraires et en enquestes. » Art.
118 : « Sera la matifere plaidoyee publiquement. » Cf. Ordonn. de 1493 (Isambert,
XI, p. 241). Art. 84 : « Et quant aux matifires des prisonniers et gens ajournez a
comparoir en personne , ou autres qui cherront en plaidoirie , nous voulons et or-
donnons que nostre dit avocat, qui plaidera la matifere pour nous, recite bien au
long les charges, informations et confessions, et prenne conclusions pertinentes, a
ce que les delinquans puissent connoistre leurs fautes et que ce soit exemple a
tous. »
DU Xin° AU XVII" SIECLE. 137
pendant une procedure plus rapide pe'ut etre suivie; le procu-
reur du roi ou la partie peuvent declarer qu'ils veulent prendre
droit par la confession de I'accuse ; « ils bailleront leurs con-
clusions par ecrit seulement, ausquelles le confessant pourra re-
pondre afia de attenuation tant seulement , et ce fait , leur sera
fait droit ainsi que de raison (1). »
Si au contraire on decide qu'il sera procede par la voie ex-
traordinaire, I'ordonnance s'occupe de preciser les deux traits
qui distinguent ceUe-ci, le secret et I'emploi de la torture : « Art.
110. Quant aux prisonniers et autres accusez de crime, ausquels
faudra faire proces criminel , ledit proces se fera le plus diligem-
ment et secretement que faire se pourra , en maniere que aucun
n'en soit averti, pour eviter les subornations et forgemens qui
se pourroient faire en telles matieres, en la presence du greffier
ou de son commis , sans y appeler le geolier, sergens , clercs ou
serviteurs, et tons autres qui n'auront le serment k nous et a
justice (2). » Quant a la torture, I'Ordonnance de 1498 contient
des dispositions, qui sont en realite un adoucissement de la
pratique anterieure. Elle ordonne d'abord que la sentence , qui
prononce la question, soit rendue apres une deliberation se-
rieuse (3); surtout elle defend de renouveler la torture, tant
qu'il n'y a pas de presomptions nouvelles, « art. 114. Nous
defendons a tons nos baillifs, senechaux et juges ou leurs lieu-
tenans , qu'ils ne procedent a reiterer de nouveau ladite question
ou torture au dit prisonnier sans nouveaux indices. » Si Ton
(1) Art. 109; cf. art. 108.
(2) Art. 110. II ressort de ce texte et aussi de I'art. 108 que le jugement qui
ordonnait le rfeglement a I'extraordinaire n'fitait point prononc6 en auditoire et les
parties entendues.
(3) Art. 112 : « Et lesdits proems faits a toutes diligences dessus dites, jusques
a la question ou torture, nos dits baillifs, senechaux et juges, ou leurs lieutenans
feront d^lib^rer ladite question en la chambre du conseil, ou autre lieu secret.
par gens notables et lettrez , non suspects ne favorables , et qui n'auront est6,du
conseil des parties , prSsens , ou appelez nos avocat et procureur. » C'est exacte-
ment le Conseil que nous avons vu dans le Begistre du Chdtelel. Dans un autre
article, rordonnance de 1498, i. propos de la question k donner aux « essoreillez,
bannis ou vagabons, » parle encore des jugeurs : «Art. 94... Sans d^roger toutes
voyes aux coutumes , usages et droits observez en plusieurs lieux particuliers de
nostre royaume, oil on a accoustum6 de juger lesdits criminels en assistance, par
hommes jugeans. »
138 LA PROCEDURE CRIMINELLE
se rappelle la pratique attestee par Bouteiller et par le Registre
du Chdtelet, on constatera qu'il y a la un reel progres. On pres-
crit aussi de dresser un proces-verbal , contenant « la forme et
maniere de ladite question, et la quantite de I'eau qu'on aura
baillee audit prisonnier, et par quantes fois la reiteration de la
torture si aucune en y a (1), les interrogatoires et reponses , avec
la perseverance du prisonnier, la Constance ou variation, et le
lendemain de ladite question , sera derechef interroge ledit pri-
sonnier hors du lieu oil aura eu ladite torture pour voir sa per-
severance et sera le tout ecrit par ledit greffier (2). » Sans doute
I'accuse n'avait connaissance des charges que par les confronta-
tions dont parle I'article HI (3) ; mais d'autre part il parait qu'on
I'admettait a proposer ses defenses des le debut, et qu'on en
recevait aussit6t la preuve , conformement a ce qui s'etait pra-
tique jusque-la : « Art. 111. Seferont toutesles diligences neces-
saires de plus amples informations, recollemens ou confronta-
tions de temoins, ou pour la verification de 1' alibi, ou autre
fait si aucun en y a , recevable pour ou contre le prisonnier, le
plus diligemment et secretement que faire se pourra , en maniere
que aucun n'en soit averti. » Enfin la sentence de condamnation
etait prononcee en presence de I'accuse (4). Si « par le proces
(1) On pouvait done dans la m^me stance remettre plusieurs fois raocusS a la
question ; ce qui fitait difendu , c' etait de recommencer quand cette stance etait
terminSe.
(2) Art. 113. On donnait ainsi k I'accusfe vingt-quatre heures de reflexion, aprts
la torture .
(3) Voyez Dependant Ordonnance d'avril ISIO sur la reformation de la justice,
etc., rendue d'aprSs le r^sultat de I'assemblee des nobles tenue a Lyon (Isam-
bert, XI, 575, ssq.), art. 47, « Pour obvier aux abus et inconveniens, qui
s6nt par ci-devant advenus au moyen de ce que les juges des dits pais de droit
6crit ont fait les procfes criminels des dits pais en latin, et toutes enquestes pareil-
lement, avons ordonn6 et ordonnons, afinque les temoins entendent leurs deposi-
tions et les criminels les proems faits contre eux, que dorinavant tons les proems
criminels et les dites enquestes... seront faites en vulgaire et langage du pais. »
(4) Art. 116 : « Nos dits baillifs, senechaux et juges, ou leurs lieutenans, pro-
nonceront leur sentence en plein auditoire ou en la chambre du conseil, lui es-
tant en la charte ou prisons , selon les louables coutumes des lieux, esquels lieux
de I'auditoire ou de ladite chambre sera mene ledit prisonnier et lui sera prononci
ladite sentence ou la presence du greffier qui I'enregistrera au livre des sen-
tences. »
DU xni" Au xvn' siecle. 139
extraordinaire duement fait on n'auroit pu rien gagner, et il
seroit besoin oiiir les parties et les recevoir en proces ordinaires ,
DOS dits bailiifs... ordonneront que les parties seront otiies par le
conseil at certain jour, auquel le prisonnier sera mene en juge-
ment et la matiere plaidoyee publiquement (1). » Quant k la mise
en liberte sous caution , il semble qu'elle n'etait admise que lors-
que la procedure ordinaire etait suivie (2). On le voit, I'Ordon-
nance de 1498 est remarquable en ce qu'elle contient un expose
d'ensemble de la procedure ; elle est importante , surtout en ce
qu'elle prescrit le secret absolu dans le proces extraordinaire.
Desormais il existe une loi formelle repoussant la publicite, dont
nous avons trouve des restes dans la pratique des xiv'= et xv° sie-
cles. Le public est chasse de I'auditoire des tribunaux criminels,
et il n'y rentrera pas de longtemps.
Mais I'Ordonnance la plug importante en matiere criminelle
fut cells que rendit Frangois 1°' a Villers-Cotterets au mois d'a-
vril 1539, sur la justice et abreviation des proces. Modelee sur
une autre Ordonnance precedemment rendue pour la reforms du
style de Bretagne, cette ceuvre du chancelier Poyet, lequel subit
plus tard la dure loi qu'il avait faite, fixa deflnitivement en
France les regies de la procedure criminelle. Bient6t meme on
s'imagina qu'elle avait introduit tout ce qu'elle consacrait ; et ,
d'autre part, I'Ordonnance de 1670 ne fera que recueillir, en le
precisant dans ses details, en I'aggravant parfois dans ses ri-
gueurs, le systeme qu'elle avait organise. II est done utile de
s'arreter ici un instant pour exposer ce systeme , en 6clairant le
texte de I'Ordonnance par les observations des auteurs qui la
commenterent.
Cette procedure criminelle se distingue tout d'abord par un
certain nombre de traits saillants et caracteristiques. Dans tout
proces, le procureur du roi ou du seigneur est dorenavant
partie; sans doute, s'il y a une partie civile, il n'est que partie
jointe, mais des lors existe ce principe que I'instruction crimi-
nelle exige le concours de deux magistrals, le procureur qui
(1) Art. 119.
(2) Art. 119. Une Ordonnance dumois d'octobre 1485 sur la piiv6t& de Paris,
{Isambert , XI, p. 147, ssq.), contient d'intiressants details sur les prisons.
140 LA PROCEDURE CRIMINELLE
requiert , le juge qui instruit. Le proces se divise en deux pe-
riodes d'une dur^e fort inegale; rinstruction et le jugement.
La premiere , demesiirement enflee , comprend toute la recher-
che des preuves que va fixer I'eeriture, et elle est aux mains
d'un seul juge ; c'est « le juge criminel , » comme diront les
textes , parlant toujours au singulier, e'est-a-dire le lieutenant
criminel ou le juge seigneurial. Ce n'est que lorsque tout est
pr^t, que I'accuse comparail devant le siege entier, s'il y en a
un ; et ce tribunal n'a pour s'eclairer que la procedure ecrite et
le dernier interrogatoire de I'accuse. Tout est ecrit; et tout est
secret , I'instruction et le jugement ; ce dernier le plus souvent
n'est appuye sur aucun motif.
Exposons maintenant la suite entiere d'un proces. Desor-
mais , sauf le cas de flagrant delit , oii Ton saisit le coupable
qu'on interroge sur-le-champ , toute procedure criminelle com-
mence par I'information (1). Celle-ci est entreprise soit sur la
plainte de la partie civile , qui obtient permission de faire in-
former (2); soit sur la plainte du procureur du roi ou dusei-^
gneur, qui , averti par une denonciation ou autrement , requiert
le juge; soit enfin par un acte spontane du juge , qui peut
toujours se saisir d'offlce , c'est la un droit que maintient I'Or-
donnance de 1539 (art. 145). Les temoins, cites par la partie
civile ou par la partie publique, sont entendus un a un et secre-
tement, soit par le juge, soit par des officiers speciaux appeles
enqueteurs, soit le plus souvent par un simple sergent assiste
d'un notaire royal (3). La deposition de chaque temoin devait
etre redigee « tout au long, » mais il parait qu'il n'elait point
(1) Sinon quand il s'agit de d^lits si lagers, que la partie les6e puisse d'emblte
agir d Vordinaire.
(2) Toute plainte de la partie I6s&e est nicessairement une constitution de par-
tie civile; on ne connatt pas encore la distinction de ces deux choses.
(3) Imbert, Pratique, 1. Ill, ch. 2, n"^ 2 et 3. Cf. Le style de la cour de Parle-
ment, par Philbert Boyer, dernifere Edition revue apres la mort de I'auteur, 1610 :
« Faudra bailler la dicte requeste (pour avoir commission de faire informer) a un
clerc au greffe criminel , qui dressera la commission suivant icelle , adressant au
juge ou enquesteurs des lieux, ou au premier sergent sur ce requis. — Laquelle
information sera faite en la presence d'un adjoint homme de bien , qui ait ser-
ment a justice. »
DU XIII° AU XVn° SIECLE. 141
necessaire qu'elle fut relue et le temoin requis de signer (1).
C'etait un grand mal que cat emploi des subalternes dans un
acta si important , « n'y a si homme de bien qui ne soit mis en
peine par cas sergents et notaires... et font I'information grosse
ou maigre selon le desir de la partie, non pas selon que les
tesmoins veritablement dient (2). » L'ordonnance da 1539 tole-
rait cette pratique; « les juges, dit 1' article 14S, informeront ou
feront informer (3). »
L'information faite et remise au juge criminel, celui-ci de-
vait la communiquer au procureur du roi, pour demander ses
conclusions , lesquelles etaient donnees par ecrit (art. 145) :
« l'information faicta et communiquee a nostre diet procureur,
et veues sas conclusions , qu'il sera promptement tenu mettre
au bas des dictes informations, sans salaire an prendre. » II ne
parait pas qu'il y eut communication a la partie civile. Selon
les conclusions, le juge laissait dormir I'affaire, ou langait le
decret , c'est-a-dire Tordre qui devait faire comparaitre I'ac-
cuse. L'Ordonnance de 1539 etait vague a cetegard : « Sera de-
cerne, disait-elle, telle provision da justice qu'il aura ete a
faire selon I'axigence du cas (art. 145). » Mais la jurisprudence
avail introduit deux sortes de decrets, celui d'ajournement per-
sonnel et celui de prise de corps (4). Les « adjournements per-
sonnels doivent estre executes comme les adjournements sim-
ples en matiere civile, sinon quand I'accuse est homme craint
et redoute et accoustume d'exceder sergents , et qu'on n'ose Tal-
ler adjourner en sa personne ou a son domicile , le juge mande
etpermet de Tadjourner par cri public, a son de trompa au lieu
du marche ou autre auquel il y a affluence de gens plus pro-
(1) Imbert, III, ch. 13, n"^ 13, 14.
(2) Ibid.
(3) Parfois des moniioires fitaient dicemfes ; c'^taient des ordonnances du juge
d'Eglise , afflch^es aux portes des 6glises et lues au pr6ne , enjoignant k tous les
fiddles de declarer au cur6 ce qu'ils savaient concernant tel crime ; le cur6 re-
cueillait les depositions et les envoyait sous cachet au juge criminel. Dans cette
pratique il y a comme un 6cho de ces d^nonciations que les fiddles faisaient jadis
sous la foi du serment dans la. judicia synodalia; peut-£tre faut-il m£me chercher
dans ces derniers I'origine des monitoires.
(4) Imbert, Ill.ch. 2, no3.
142 LA PROCEDURE CRIMINELLE
chains de sa maison (1). » Le decret de prise de corps avait
pour effet de constituer I'accuse en etat de detention preventive ;
« selon le droict commun , il n'estoit permis de prendre aucun
au corps dans sa maison, mais aujourd'huy on le pent prendre
en sa maison pourvu que ce soit de jour et non de nuict et
avec deux records, et non avec grand assemblee de gens et
port d'armes ; et qu'on ne rompe rien en la maison et qu'on n'y
prenne rien; toutefois si les portes sont fermees on les peut
rompre (2). » Le decret de prise de corps ne devait intervenir
que dans les cas graves ; « en ce est requise grande prudence en
un juge, dit Imbert, qu'il ne bailie decret de prinse de corps
sinon de crime public et qu'il y ait grand matiere. » Cependant
aucun texte ne liait le juge ; il etait seulement necessaire qu'il
y eftt information precedente , encore les exceptions a cette regie
etaient-elles nombreuses (3), et la liberte individuelle ne trouvait
dans ces principes qu'une faible garantie.
L'accuse , comparaissant ou saisi , devait 6tre interroge par le
juge « incontinent bien et diligemment (4). » L'interrogatoire
avait lieu « dans la maison d'iceluy juge ou dans la chambre
criminelle ordonnee pour ce faire , » et c'etait un grand art que
celui d'interroger, un art terrible et perfide trop souvent, qui.
mettait l'accuse a la discretion du juge. L'accuse devait repondre
sans avoir I'assistance d'un conseil et sans avoir eu connaissance
de I'information (5). 11 pretait aussi le serment de dire la verite.
Cette odieuse formalite n'etait cependant imposee par aucune
loi, mais elle resultait d'un usage deja bien ancien, comme
nous I'avons constat6. Imbert est formel sur ce point : « Le
juge, dit-il, doit en premier lieu lui faire faire sermeni de dire
(1) Imbert, III, 3, n" 1.
(2) Ibid., 111,5,110 2.
(3) On peut commencer par le decret, non-seulement s'U y a flagrant delit, mais
encore s'il s'agit « d'un homme non r^seant , pauvre et non ayant biens immeu-
bles , ou que le delict soit tel qu'il fust vraisemblable que quelques biens qu'il ait
il s'absentera alors il est permis de prendre sans information et par apr6s la
faire » (Imbert). C'est d'ailleurs la pratique que nous avons relevfie daiis le Re-
gistre criminel du Chdtelet; ci-dessus, page 124.
(4) Ord.de 1539, art. 146.
(5) Ord. de 1539, art. 146 et 162.
DU XIII° AU XVII' SIECLE. 143
verite et apres I'interroge (1). » Toutes les reponses etaient
recueillies par ecrit : « Faut que le greffier escrivQ sous le juge
tout ce que le juge lui dictera et nommera. »
Si I'accuse avait avoue dans son interrogatoire , cette piece
etait communiquee au procureur du roi, qui voyait s'il voulait
prendre droit par elle, c'est-a-dire requerir jugement, sans plus
de forme. S'il etait de cet avis , ce qui , d'apres la theorie des
preuves alors en vigueur, n'arrivait pas dans les cas graves , on
communiquait egalement I'interrogatoire a la partie civile. Les
deux parties donnaient alors leurs conclusions par ecrit et celles-
cl etaient communiquees a I'accuse « pour y repondre par forme
d'attenuation seulement (2). » Des lors , il ne s'agissait plus que
de comparaitre pour recevoir jugement. Si, au contraire, les
parties ne voulaient point prendre droit par I'interrogatoire , ce
qui arrivait toujours en cas de denegation de I'accuse, ce qui
arrivait parfois en cas d'aveu , il y avait lieu au reglement du
proces a I'extraordinaire , ou au renvoi en proces ordinaire. A
cet effet, le juge, toujours seul, rendait un jugement interlocu-
toire. Avant I'Ordonnance de 1539 les trois parties en cause, ce
qui comprend I'accuse, posaient leurs conclusions a I'audience
oralement ou par ecrit (3) : « La litiscontestation, dit Imbert,
est quand , apres I'audition du prisonnier, les parties comparent
par devant le juge , et declare le prisonnier, en venant en per-
sonne avoir ete ouy et son audition communiquee aux advocat
et procureur du roy et requiert estre absous ou a tout le moins ,
estre receu en proces ordinaire et eslargy en baillant caution...
et par le demandeur partie civile est insiste au contraire et re-
quis qu'il soit precede centre I'accuse extraordinairement par
recolement et confrontation de tesmoins, et avoir pendant procez
provision d'aliments et medicaments. Et en aucun lieux comme
(1) L. Ill, ch. 10, n» 2. Le texte latin antMeur a I'ordonnance n'est pas moins
net : « Judex ergo primum ad nudandam veritatem reum jurejurandp adigit. »
Slile de Beyer : « Puis le commissaire faict comparoltre devant luy I'accusg , au-
quel il fait faire serment de dire la vfiritS, » p. 238 recto.
(2) Ord. de 1339, art. 148; cf. Ordon. 1498, art. 109.
(3) Voy. cependant ce que nous avons relev6 dans Fordonnance de 1498 ; ci-
dessus, p. 137, note 2. Le texte d'Imbert, que nous citons, paraft montrer que
la pratique n'avait pas sur ce point suivi rigoareusement la loi.
144 LA PROCEDUEE CKIMINELLE
en la cour de Parlement I'advocat du roy plaide le faict de I'ac-
cusation contenue en I'inforniation et conclust qu'il soit precede
extraordinairement comme dit est, et en autres lieux ils mettent
leurs conclusions au pied de I'audition (1). » C'etait le moment
pour I'accuse de presenter sa defense avec quelque avantage,
surtout s'il etait assiste d'un avocat, bien qu'il n'eut point en
communication de I'information (2). Mais I'Ordonnance de 1539
(art. 162), « abolit tons les styles, usances et coustumes par
lesquelles les accuses avaient accoustume d'estre ouys en juge-
ment pour scavoir s'ils doivent estre accusez et a cette fin avoir
communication des faicts et articles concernant les crimes et
delits dent ils etoient accusez, et toutes autres choses contraires
a ce qui est contenu cy dessus. » Dorenavant done les seules
conclusions de la partie publique et de la partie civile etaient
soumises au juge par ecrit ; I'accuse n'avait plus la parole. Ce-
pendant, conformement a I'Ordonnance de 1498 , lorsque le juge
se decidait pour la procedure ordinaire , il- devait prealablement
entendre toutes les parties en jugement; I'article 150 ajouteen
effet, « sinon que la matiere fut de si petite importance qu'apres
les parties ouies en jugement Ton deust ordonner qu'elles seroient
receues en proces ordinaire. » Sauf ce cas tres-rare, le juge
rendait un jugement portant qu'il serait precede extraordinaire-
ment , et il fixait un delai aux parties pour proceder aux recole-
ments et confrontations des temoins (3).
(1) Pratique d'Imbert, 1. Ill, ch. x, n" 6.
(2) Voy. Notice sw les archives du Parlement de Paris, dans Boutario : Actes
du Parlement. « Les registres subsistants de la fln du xv» sifecle et ceux du
xvi° jusqu'a I'annee 1529 sont de la catfigorie des plaidoiries. — Apres une lacune
de plasieurs annfies, le premier registre qui se prfisente dans la serie ordinaire
est un de ceux du conseil de Nov. 1535 a Nov. 1536. Depuis cette 6poque on ne
trouve plus de registres de plaidoiries et tons sont du conseil jusqu'a la fin de
ce siecle. II n'est pas exact de dire , comme le chancelier Siguier dans ses M6-
moires sur le Parlement de Paris, que la Tournelle ne donnail pas audience an
temps de son ^tablissement. Le contraire risulte des termes mfimes de I'edit d'a-
vril 1515 qui la rend permanente. II n'en a plus isl6 de m6me sous rordonnance
de Villers-Cotterets, d'aotlt 1539 ; elle prohibalt le ministfere des avocats dans les
al&ires criminelles (tome I, p. 227). »
(3) Ord. 1539, art. 151; Imbert, LIII, ch. xii, n» 1. L'ordonnance dMarait
mSme que, ce dflai expire, le procSs serait jug6 sur les pieces diji existantes,
sauf I'octroi d'un second dilai, pour cause importante, mais Imbert nous apprend
DU XIII° AU XVII° SIECLE. 145
Pour le r^colement, les t^moins etaient assignes de nouveaU;
« le juge faict faire premierement serment au temoin qu'il veut
recoler de dire la verite , et s'il se doute que le tesmoing soit
forge , il luy demandera qu'il luy die ce qu'il scait du fait de
I'accusation , qu'il luy recitera en brief, sans luy dire sa depo-
sition contenue dans rinformation , et s'il voit qu'il die au plus
pres de la dite deposition , il la luy fera lire par son greffier, et
apres icelle lue il luy demandera par le serment qu'il a faict , si
elle contenoit verite , et fera escrire ce en quoy il persistera
et en quoy il corrigera sa premiere deposition (1). » Immediate-
ment apres venait la confrontation du temoin avec I'accuse : « Et
s'il persiste et charge le defendeur incontinent luy sera confronte
le diet tesmoing , scavoir est le juge fera venir par devant luy le
defendeur present le tesmoing , et leur fera faire serment de dire
la verite , et apres les interrogera , s'ils se connoissent bien , et
si le defendeur est celuy duquel le tesmoing parle par sa depo-
sition et recoUement (2). » La confrontation avait un double but,
permettre a I'accuse d'alleguer les reproches qu'il pouvait faire
valoir contre le temoin , et en second lieu le mettre a meme de
combattre directement les charges qui s'elevaient contre lui ;
c'est la premiere fois que cette occasion lui est offerte , dorena-
vant il ne la retrouvera plus. L-'Ordonnance de 1539, rencheris-
sant sur ce qui etait observe jusque-la , decidait qu'a ce moment
meme, avant la lecture de la deposition qui allait lui 6tre faite,
I'accuse devait proposer tous ses reproches. « Art. 134. Aupara-
vant que lire la deposition du tesmoin en la presence de I'accuse,
luy sera demande s'il a aucuns reproches contre le tesmoin illec
present , et enjoint de les dire promptement , ce que nous vou-
lons qu'il soit tenu de faire , autrement n'y sera plus receu , ce
dont il sera bien expressement adverty par le juge... Art. 155.
Ne sera plus receu I'accuse (apres la lecture) a dire ne alleguer
aucuns reproches contre le dit tesmoin. » C'etait lui mettre le
que « la dicte ordonnance n'est point gardee , ains les juges royaux et autres
baillent encore aujourd'huy trois ou quatre d^lais , comme auparavant , dont les
pauvres prisonniers sont fort vexSs. »
(1) Imbert, III, ch. 13, n» 9.
(2) Imbert, ibid., n" 9.
10
146 LA PROCEDUKE CRIMINELLE
couteau sur la gorge. Cependant la pratique etait un peu moins
severe ; elle admettait que I'accus^ pouvait demander un delai
pour fournir ses reproches.
On procedait alors a la lecture de la deposition : « S'il n'al-
legue aucuns reproches et declare n'en vouloir alleguer, ou de-
mande delay pour dire ou bailler par escrit, le juge lira, present
le defendeur et le tesmoing, la deposition du tesmoing; et de-
mandera au tesmoing et apres au defendeur si elle contient pas
verite et fera escrire ce qu'ils en diront (1). » La confrontation,
bien qu'insuffisante comme moyen de defense , puisqu'elle avait
lieu en secret et sans I'assistance d'un conseil , offrait cependant
quelque ressource a un accuse habile et intelligent. 11 pouvait par
ses observations amener le temoin a se retracter ou a se contra-
dire. Les temoins n'etaient point en danger s'ils se retractaient :
« Le tesmoing n'est point tenu par son recollement et confronta-
tion de persister en sa deposition redigee par escrit en I'infor-
mation , et pent impunement varier et muer sa deposition (2). »
Tons les temoins etaient-ils confrontes? 11 semble que FOrdon-
nance n'exigeait la confrontation que pour les temoins a charge,
qui persistaient au recolement; « cependant, dit Imbert, plu-
sieurs gens de grande experience confrontent tous les tesmoings
tant ceux qui chargent que ceux qui ne chargent point. »
Jusque-la I'accuse n'avait joue dans le proces qu'un role passif :
il avait enfin pu discuter, lors de la confrontation, les temoins
produits par les parties publique et civile ; mais il n'avait pu citer
lui-meme aucun temoin ; il n'avait pas pu prouver directement
son innocence. Ne le pourrait-il jamais? On etait arrive sur ce
point a une theorie des plus etonnantes et des plus tristement
ingenieuses. On n'admettait pas d'une fagon generale que I'ac-
cuse put produire des temoins pour prouver qu'il n' etait pas cou-
pable. En effet, au point de vue de la pure logique, on ne saurait
prouver un fait negatif tel que la non-culpabilite , et avec la
theorie des preuves legales il s'agissait, non de convaincre le
juge , mais de demontrer des faits precis. Si le fait n'etait pas
(1) Imbert, III, ch. 13, n» 10.
(2) Imbert, III, ch. 13, ii» 12 ; cependant il se demande (n" 14) si le tfimoin qui
a sign6 sa deposition pent encore varier impunement.
DU Xm'AU XVII° SIECLE. 147
suffisamment prouve par les temoins qu'avait produits I'accusa-
tion , toute preuve de la part de I'accuse etait , disait-on , inutile ;
si le proces etablissait au contraire, par les preuves voulues, que
le crime avait reellement ete commis et que I'accuse en etait I'au-
teur, celui-ci pouvait seulement faire tomber les temoignages au
moyen des reproches qu'il avait proposes, ou prouver que ces
temoins etaient subornes, ou enfin proposer certains faits positifs,
qui contenaient sa justification. Ces faits , appeles justificatifs ,
etaient de deux sortes ; les uns demontraient indirectement, mais
d'une fagon indeniable , I'innocence de I'accuse , tels etaient I'a-
lihi, la representation de la personne qu'on croyait morte, la pro-
duction d'une sentence anterieure condamnant I'auteur veritable
du crime (1); les autres, sans detruire les faits etablis au proces,
enlevaient a I'acte toute criminalite ; c'etaient , par exemple , la
legitime defense, la folie chez I'agent au moment de Taction.
Reproches et faits justificatifs , voila les seuls moyens de defense
laisses a I'accuse. On voit que toujours sa preuve devait porter
sur un fait distinct de celui prouve par I'accusation. Ge n'est pas
tout, cette preuve il ne pouvait la fournir que lorsque I'accusation
avait produit toutes les siennes ; et encore que de difficultes il
rencontrait. Nous avons vu qu'il devait indiquer les reproches au
moment de la confrontation ; quant aux faits justificatifs, il devait
en principe les aUeguer des son premier interrogatoire : « s'il a
quelques faits justificatifs il les doit alleguer en la dicte confes-
sion (2) ; » il pouvait aussi les produire dans le cours de I'ins-
truction, toutes les fois qu'il etait amene en presence du juge,
ou meme sans cela , par une requete adressee a celui-ci. Mais
les produire n'etait pas tout ; il fallait encore , pour les faits jus-
tificatifs comme pour les reproches , etre admis par le juge a les
prouver.
Le proces entier, information , interrogatoire , recolements et
confrontations, toutes les pieces en un mot, etaient communi-
quees au procureur du roi : « S'il trouve que I'accuse ait allegue
aucuns faits peremptoires servant a sa decharge ou innocence ,
(1) Quelques-uns de ces faits, plus tard, furent prfisentfe parfois comme des
exceptions piremptoires contre I'accusation.
(2) Imbert, oh. 10, n» 4.
148 LA PROCEDURE CRIMINELLE
comme alibi ou aucuns faits de reproches legitimes et recevables,
11 requerra que I'accuse ait a nommer promptement les tes-
moings par lesquels il entead prouver les diets faicts... ou sinon
prendra conclusions de torture ou defflnitives (1). » Sur ces
conclusions, le juge statuait; il pouvait toujours refuser la
preuve des faits justificatifs en les declarant non recevables.
Supposons , an contraire , qu'il eut admis la preuve des repro-
ches et faits justificatifs , un dernier obstacle se dressait encore.
" Sera extrait, disait I'Ordonnance , des faits recevables, si au-
cuns y en a, a la decharge de I'accuse soit pour justifications
ou reproches , lesquels il (le juge) monstrera au diet accuse et
lui ordonnera nommer promptement les tesmoins par lesquels
il entend informer desdits faits , ce qu'il sera tenu de faire ,
autrement n'y sera plus receu (2). » Si I'accuse avait pu, a
brule-pourpoint indiquer tons ses temoins , comment etaient-ils
produits devant le juge ou I'enqueteur? lis etaient « ouys et
examines ex officio par les juges ou leurs commis et depu-
tez (3), » hors de la presence de I'accuse. C'etaient les pour-
suivants qui dirigeaient I'enquete a decharge; les temoins ce-
pandant ne pouvaient etre reproches. Le proces- verbal de cette
information s'ajoutait au « sac » du proces.
Cependant I'instruction etait terminee , restait a demander les
conclusions des parties publique et civile, et a porter I'affaire
devant le siege assemble ; « quand le proces est parfaict , le juge
ordonne qu'il sera communique aux gens du roy, pour y pren-
dre leurs conclusions dedans trois jours (4). » Mais on ne sou-
mettait point au tribunal, sans lui en faciliter la comprehension,
(1) Imbert, III, ch. 13, n" 15; Ord. de 1539, art. 157. — « Si on permettoit aux
accuses de proposer d6s le principe leurs faits justificatifs , le jugement qui leur
accorderoit cette permission , fatale au bien public , seroit pour eux un titre et
une assurance d'impunit^; sous pr^texte de faire leurs preuves, les accuses ^lu-
deroient indirectement celles qui pourroient les convaincre; et diminuant la force,
I'autorite, le poids des temoins, sans mfime avoir prouve leurs faits justificatifs,
lis mettroient souvent la justice hors d'etat de prouver et sur le crime et sur I'in-
nocence. » Siguier, Riquisitowt de 1786.
(2) Art. 158.
(3) Ord. de 1539, art. 159.
(4) Imbert, III, ch. 20, n» 1.
Du xnf Au xvn" siecle. 149
cet amas de paperasses relatant des fails auxquels personne ,
sauf le magistrat instructeur, n'avait assiste : un juge faisait
un rapport sur le proces. Cette institution du rapporteur est
une des necessites de la procedure ecrite; elle se trouve tou-
jours a la suite de celle-ci.
Les conclusions du ministere public, au lieu d'etre defini-
tives, c'est-a-dire de tendre a I'application d'une peine, pou-
vaient ne tendre qu'a I'application de la question preparatoire.
" Le juge par apres met le tout au conseil , et si le cas dont est
question est presque verifie, et prouve, par maniere qu'il ne
reste plus que la confession du defendeur, et que le cas soit
enorme, et tel que s'il estoit verifie il requerroit grande puni-
tion corporelle, le juge fera deliberer la question en quelque
lieu secret par gens notables et lettrez non suspects et favo-
rables, qui n'auront este au conseil des parties, presens ou
appelez les advocats du roy (1). » Dans ce cas, I'Ordonnance
de 1339 voulait que la question fut donnee immediatement, ii
moins qu'il n'y eiit appel (art. 164). Du reste, rien n'etait pres-
crit quant a la maniere de la donner, et les usages etaient aussi
varies qu'odieux. Hippolytus de Marsiliis avail en Italie soigneu-
sement eriumere quatorze modes de torture, et en France il
semble qu'on n'etait pas moins fecond : « Par la disposition du
droit, les juges ne se doivenl servir a la question que de cordes.
Et neanmoins , en diverses provinces , les juges el prevots des
mareschaux se servenl d'autres instruments , comme de riottes ,
de I'eau pour I'avallement de la serviette , du vinaigre , de I'huile
instiUee par le gosier, de poix ardentes , des ceufs cuits en la
braise appliquez sous les aisselles , quelques-uns de froid into-
lerable , de la faim , de la soif occasionnee par la manducation
de viandes extremement salees , donnees a I'accuse sans aucun
breuvage ; aulres par les doigts serres estroitement et en extre-
mite ou dans le chien d'une harquebuse ou pistolet, ou liez de
petites cordelettes ou fiscelles entre divers petils bastons qu'ils
(1) Imbert, III, ch. 14 , n" 1. Ces gens « experts et lettrez » que le latin appelle
« causidici, » ce sont les praticiens dont les juges k cette £poque s'entouraient
encore comme d'un conseil, et qui avaient succSd6 aux jugeurs de Tepoque teo-
dale. Cf. Ord. de 1498, ci-dessus, page 137, note 3.
150 LA. PROCEDURE CRIMINELLE
nomment gresillons , autres par la botte d'une corde , autres par
I'escarpin et autres diversement. Vide Hippolyt. de Marsiliis in corn-
men, super tit. de gussstion. in. 1. 1, ubi ponit quatuordecim species
tormentorum diversas. Mais le tout despend de I'ordonnance du
juge (1). » D'autre part, les praticiens semblent avoir en grande
consideration les sortileges et drogues, au moyen desquels les
accuses cherchaient a se rendre insensibles a la torture. 11 faut
lire ce que Damhouder raconte comme temoin oculaire et acteur
d'un de ces drames, pour concevoir a quelles aberrations peut
descendre I'esprit humain (2). Le proces- verbal de torture etait
dresse ; mais le lendemain on interrogeait de nouveau I'accuse ,
pour voir s'il perseverait dans ses aveux. Cela etait conforme
au droit anterieur, mais c'etait devenu une pure formalite :
« Pour autant qu'il y a plusieurs si fins et si malicieux que
quelque chose qu'ils aient confesse en la torture , quand lis sont
le lendemain interrogez, ils nient tout, lors on a accoustume
s'arrester a la confession faite en la torture, si eUe est vray-
semblable et conforme on approchant au contenu des informa-
tions (3). »
Lorsque la torture avait ete administree , ou que du premier
coup les conclusions du ministere public avaient ete definitives^^
" tout le proces criminel ainsi faict, doit estre mis par le juge en
deliberation avee le conseil de son siege , tel que dessus , en pre-
sence des advocats et procureur du roy, pour prendre le con-
seil de ce qui est a faire et doit escrire le greffier les opinions et
deliberations. » Alors avait lieu ordinairement un interrogatoire
de I'accuse devant le tribunal entier qui allait le juger (4). Mais
a aucun moment I'accuse n'etait assiste d'un avocat; I'Ordon-
nance le declarait expressement , art. 162, « en matieres crimi-
nelles ne seront les parties aucunement ouyes par le conseil ne
(1) Le procts civil et criminel, par Qaude Lebrun de La Rochette, a Rouen,
1616, 2i> partie, pag. 140.
(2) Damhouder. Praxis, ch. 36, ii°s 21 et ssq. — Lebrun de La Rochette , op.
cit., 20 partie, p. 144, ssq.
(3) Imbert, III, ch. 14, n" 6.
(4) Imbert ne parte point d'un interrogatoire de I'accuse devant tout le siege
assemble. Ce dernier interrogatoire, pourtant bien important, 6tait simplement fa-
cultatif.
DU XUf AU XVII° SIECLE. 151
ministere d'aucune personne ; mais repondront par leur bouche
des cas dont ils sont accusez. »
La deliberation sur la sentence pouvait se presenter diverse-
ment. La oii il n'y avail qu'un 'c conseil » de praticiens entou-
rant le juge , celui-ci ne prenait que des avis non obligatoires ;
mais la ou il y avait des conseillers ou assesseurs, il semble
qu'on decidait la question a la majorite simple (1). Dans ce cas,
les juges, suivant Ayrault, opinaient de vive voix ou par bal-
lotes (2). « Ce sont formalites qui dependent des ordonnances ou
des stiles des compagnies. Une cour use d'une facon, I'autre
d'une autre. Moyennant que tout ce qui est au proces soit veu,
il n'y a point de faute ii en user diversement (3). » Deja I'habi-
tude s'introduisait dans les juridictions superieures de ne pas
motiver les arrets. « Convient entendre qu'en sentence criminelle
il faut specialement declarer pour quel crime on condamne I'acr
cuse, et qu'ainsi I'observe la Cour du Parlement de Paris, a tout
le moins en general : toutesfois les juges royaux ne le gardent
point; ains mettent par leurs sentences, ceste clause : pour la
punition et reparation des cas dont il est trouve attaint et con-
vaincu par le proces (4). »
Alors meme que la procedure etait devenue secrete , pendant
quelque temps les sentences avaient ete prononcees publique-
ment, ou au moins en presence de I'accuse; mais cette derniere
trace de publicite avait elle-meme disparu : « Par la dite Ordon-
nance (de 1498), art. 116, est dit que si le prisonnier est con-
damne a mort ou a autre peine corporelle , le juge prononcera la
sentence en plein auditoire ou eu la chambre du conseil ou sera
amene le prisonnier, et lui sera lue sa sentence en presence du
(1) « Le juge met le proc6s criminel aveo les dites conclusions en dilibfiration
aux notables avocats de son sifege non suspects nl favorables. Et combien que
par I'ordonnance du Roy Louis le Douziesme, article 113.... soit diet que le gref-
fier doit escrire les opinions des dfilibSrants , toutefois on ne I'observe point ;
car le greffler n'aSsiste point 4 la dicte deliberation, sin on oti il y a des conseil-
lers que le juge est contrainct appeler es jugements des procez, et conclure a la
pluralite des opinions desdits conseillers. » Imbert , III , ch. xx , n» 4.
(2) Bulletins; anglais : ballot.
(S) L'ordre et formality, etc. iii, art. 4.
(4) Imbert, III, ch. xx, n» 6.
1S2 LA PROCEDURE CRIMINELLE
greffier qui I'enregistrera aux livres des sentences... mais on
ne garde aujourd'hui ceste forme, ains le juge envoie son dicton
au greffier, lequel le prononce au prisonnier en la chambre du
concierge, ou il fait venir le prisonnier (1). »
Dans tout le cours de cette procedure I'accuse avait tenu la
prison. Au xiv" siecle, nous avons constate que la liberte provi-
soire, moyennant caution, etait assez liberalement accordee;
mais les caracteres generaux de la nouvelle procedure devaient
I'exclure. Ici encore I'Ordonnance de 1539 consacra une rigueur
inconnue au passe : « Art. 152. Es matieres subjectes a confron-
tation ne seront les accusez eslargys pendant les delays qui
seront baillez pour faire la dite confrontation. » Ce n'etait done
que quand le proces etait regie a I'ordinaire que la mise en
liberte sous caution 6tait admise (art. 150). Bientdt nous allons
entendre Ayrault protester centre la maxime qui faisait de la
detention preventive une regie sans exception. Cependant cer-
tains indices montrent que I'Ordonnance en cela n'etait point
toujours respectee ; « en matiere de peu d'importance , dit un
homme qui vivait a la fin du xn^ siecle , la oii il n'y eschet au-
cune punition corporelle ou criminelle , les juges ont accoustume
d'eslargir les accusez en baillant caution ou a leurs cautions ju-
ratoires , ou bien a la garde d'un huissier ou sergent. L'on pour-
roit dire et respondre a cela que I'Ordonnance y resiste et que
les criminels ne doibvent estre eslargis jusques a ce que les re-
collements et confrontations soient fais , et que cela gasteroit un
proces et qu'il seroit impossible d'avoir preuve d'un crime qui
demeureroit impuni ; mais la replique est prompte , fondee sur la
raison naturelle , necessaire et peremptoire , qui est que lorsque
I'Ordonnance fut faite , les faux tesmoins n'estoient pas en si
grande abondance qu'ils sont a present. Cela se voit ordinaire-
ment et journellement , tellement que Ton faict autant et plus
d'executions de faux tesmoins que de tons autres crimes. Ce que
j'en dis n'est que pour I'horreur et detestation de cet abominable
crime de faux tesmoins , non pas que je veuille amener une pra-
tique nouvelle ; mais tout ainsi que la malice des meschans s'aug-
(1) Imbert, III, ch. xx, n" 5.
Du xm° Au xvn° siecle.' 133
mente il est aussi necessaire d'user de nouveaux remedes (1). »
Ainsi toutes les garanties de la defense disparaissaient peu a
peu. La procedure etait devenue absolument secrete, non-seu-
lement en ce sens que tout se passait loin des yeux du public,
mais en ce sens aussi qu'aucune communication de pieces n'etait
faite a I'accuse. A celui-ci on avait successivement enleve I'assis-
tance des conseils et la libre faculte de citer des temoins a de-
charge. Soumis i, des interrogatoires habiles et souvent perfides ,
menace de la torture , il etait saisi par un terrible engrenage :
on peut meme constater que depuis I'Ordonnance de li98 lapres-
sion est devenue plus forte; I'Ordonnance de 1S39 consacre des
rigueurs nouvelles. Cependant I'appel etait toujours possible en
matiere criminelle ; et depuis longtemps il etait toujours porte de-
vant les juges royaux. Imbert, qui reconnait encore aux juges sei-
gneuriaux un certain ressort en matiere civile , ne leur en recon-
nait aucun en matiere criminelle (2). L'Ordonnance de Cremieu de
1536, confirmant un usage anterieurement etabli, donnait aux
« appelants de peine afflictive de corps, » la faculte de sauter
par-dessus le juge moyen, et d'aller directement du juge inferieur
a la cour souveraine, pourvu qu'ils exprimassent formellement
leur volonte (art. 22) L'Ordonnance de 1539 alia plus loin. Dans
son article 163 , elle decida que dorenavant tous appels , en cause
criminelle, devaient « ressortir immediatement et sans moyen en
cour souveraine, de quelque chose qu'il soit appele, dependant
des matieres criminelles. » C'etait peut-etre depasser la juste
mesure; aussi une Declaration du 21 novembre 1541 decida que
la disposition precitee ne s'appliquerait qu'aux " appellations des
sentences et jugements de torture et autres peines afflictives de
corps , comme mort civile ou naturelle , fustigation , mutilation
de membre , bannissement perpetuel ou a temps , condamnation
a oeuvres ou services publics. » L'appel, ici comme en matiere
civile, devait en principe etre forme aussitSt que la sentence etait
rendue , mais ce n'etait la qu'une apparence mgme au civil , car
on obtenait facilement des lettres « de relief, » qui permettaient
(1) SHU de Boyer. Edit. 1610, partie IV, tit. 12, p. 239.
(2) L'ordre 6tait : 1» le jage seigneurial ou pr6v6t royal; 2o le bailli ou senS-
chal de la provinoe; 3» le Pariement. (Imbert, 1. Ill, ch. n, n™ 1-7.)
154 LA PROCEDURE CRIMINELLE
d'appeler posterieurement; en matiere crimiaelle c'etait de droit,
« quand I'accuse est prisonnier, il releve toujours de Villico (1). »
11 parait meme que le condamne a una peine afflictive n'avait pas
besoin de « relever » son appel ; a quand I'accuse est condamne
le plus souvent il ne releve point ; car s'il est condamne a la peine
corporelle, il est mene avec son proces a la cour ou devant le
juge moyen superieur. » On pouvait interjeter appel, non-seule-
ment des sentences definitives , mais encore de toutes les deci-
sions du juge , decrets , reglements a I'extraordinaire , sentence
de torture , etc. En general I'appel avait un effet suspensif.
Nous n'avons pas parle de la procedure par contumace , depuis -
que nous en avons decrit les premieres formes. Elle avait subi
d'assez profondes modifications. Les delais en particulier avaient
ete changes; on ne connaissait plus a cet egard de difference
entre le gentilhomme et le simple roturier. Le Registre criminel
de Saint-Martin-des-Champs contient plusieurs cas , tous concor-
dants, de procedure par contumace. II y avait un premier ajour-
nement donne a trois jours consecutifs , I'accuse etant ajourne « sur
ban, a bouche, » par un ou plusieurs sergents (2). Puis ve-
naient quatre nouvelles citations a quinzaine , dont les trois pre-
mieres seulement paraissent avoir ete rigoureusement exigees (3) ;
au dernier defaut intervenait le bannissement. Voici deux de ces
procedures completes et detaillees : « De I'an lii (1352) Girart
de Neelle... fu souffisamment appele et semons par Philipotde
la Villette et Jehan Lefournier nos sergents , a son domicile aus
gens de son hostel et aus voisins , segnefie ledit adjournement
pour la souspegon de la mort de monseigneur Guillaume des
Essars... a III jours pour faict de corps, c'est a scavoir au dy-
menche apres la Saint Denys , au lundi et au mardi ensuivans
(14, 15, 16 octobre) , des quix jours il fu tenuz pour defaillant,
et de chascun d'iceux appelez a chascun desdits jours en juge-
ment par Girart la Souris, nostre sergent, et pour ce que depuis
(l)Imbert, IV, ch. i, n» 1.
(2) P. 32-74 : « Perrin-Duport k III jours semons a bouche par Phelipot Mal-
gars, et Colin de Montmartre. » Cf. p. 85.
(3) « Fust appel6 a venir h. nos drois et aus drois du maire et de la cour, une
fois II et III et la quarte d'abondant , » pp. 211 , 212.
DU Xm° AU XVII" SIECLE. ISS
il fu appele a venir a nos drois et aux droits du maire et de la
court, une fois, II, III et la quarte d'abondant, c'est a scavoir
pour la premiere quatorzaine le mercredi veiUe de Saint Luc
evangeliste (17 octobre)ran cccui, au mercredi veille de la Touz
Sains (31 octobre) pour la seconde , au mercredi apres la saint
Martin d'iver (14 novembre) et au mercredi veille Saint Nicolas
(S decembre) , des quiex jours il fu tenuz pour defaillant et ne
vint ne ne comparut pour prendre droit sur ledit cas ; fu banys a
tous jours sur la hart en la maniere accoustumee (1). » — « 10-
12 Janvier 13S2... fu mis en deffaut Jehan Millon, pour la sous-
pegon de la mort de feu Symon de Cappeval... et pour ce de-
puis icelluy Jehan Millon fu appelle aus drois de la cour et du
maire dudit lieu, c'est a scavoir par trois fois et a paine de ban-
nissement ; et au lieu et en la maniere accoustumee , c'est a sca-
voir pour la premiere quatorzaine le dymenche apres la Tiphaine
(13 Janvier), pour la premiere; au dymenche apres la Conver-
sion saint Pol (27 Janvier) , pour la seconde ; au dymenche que
Ton cha.Tite Reminiscere (17 fevrier) pour la tierce, et au dymenche
que Ton chante Lsetare Jerusalem (3 mars) pour la quarte, des
quix jours il fu tenu pour defaillant , fut banny de toute la terre
de monseigneur de Saint-Martin ledit Jean Millon sur la hart (2). »
Des lors il y a deux phases dans la procedure par contumace;
d'abord une citation a trois jours rapproches, puis trois ou
quatre citations a quinzaine. Mais le proces etait fort long , I'Or-
donnance de 1539 I'abregea. EUe contient deux articles sur cette
matiere : « Art. 24. En toutes matieres civiles et criminelles oil
Ton avoit accoustume de quatre defaulx, suffira d'en avoir deux
bien et deuement obtenus , par adjournement fait a personne ou
a domicile, sauf que les juges ex officio en pourront adjouster
(i)P. 311,312.
(2) p. 213, 214.Parfois le Registre ne donne pas toute la procedure. Ainsi
pour un nomrn^ Guillon il indique seulement les dfifauts pour les trois jours con-
steutifs delapremifere citation; le 30, 31 dtembre 1332, 1" Janvier 1333, p. 32
33. — Pour un nomm6 Perrin Dupont il en est de mfime , pp. 74, 75 ; le 20 Jan-
vier 1337 on constate le difaut 4 trois jours de Jehannin de Senlis (p. 85), puis
le 21 Janvier 1337 onajoute : k Par Pons le Maire, Jehannin de Senlis, deffault
pour le premier jour pour le cas sp6cifl6 au lundi pr^c^dent, » et c'est tout; cf.
p. 133. Evidemment il y a la des lacunes.
1S6 LA PROCEDURE CRIMINELLE
un troisiesme, si lesdits adjourn ements n'ont ete fails a personne,
et ils Toyent que la matiere y feust disposes (1). » — « Art. 25 :
Que es matieres criminelles par vertu du premier deffault donne
sur adjournement personnel sera donnee prise de corps et s'y il
y a deux difaulx sera diet que a faulte apprehender le defaillant
il sera adjourne a trois briefs jours avec annotation et saisie de
ses biens, jusqu'i, ce qu'il ayt obei. » Ces textes n'etaient pas
tres-clairs, mais la pratique etait assez nette. On constatait d'a-
bord un seul defaut ou deux defauts , suivant que le decret lance
centre raccuse tendait k la prise de corps ou seulement a I'ajour-
nement personnel : « Quand il n'y a eu qu'adjournement per^
sonnel convient obtenir deux defauts avant que proceder par
adjournement a trois briefs jours, et par annotation; mais s'il y a
prise de corps , on peut mettre la clause d'adjournement a trois
briefs jours et annotation par le meme decret (2). » On n'etait
pas absolument d'accord sur le delai indique par ces trois « briefs
jours. » D'apres Imbert, il faut « qu'il y ait intervalle entre
chacun jour de trois jours entiers et francs, quant aux deux
premiers et quant au dernier et tiers jour il faut qu'il con-
tienne huitaine ou autre terme competent selon la distance des
lieux. » Mais selon Boyer, « lesdits adjournements a trois briefs
jours doivent estre distincts et separez par un meme exploict
avec competent intervalle I'un de I'autre comme de dix ou huict
jours poui' le moins; aucuns tiennent que de style suffit trois
jours seulement , toutefois par la loy ad peremptorum, ff. de judi-
ciis, faut-il qu'il y ait intervalle de dix jours (3). »
La contumace aboutissait a une condamnation veritable et defi-
nitive; dorenavant d'ailleurs, avant que celle-ci fut rendue, les
charges etaient verifiees. C'etait une idee bien admise, quoique
contraire aux lois romaines : « Combien que selon le droit civil
on ne peut bailler sentence definitive a I'encontre d'un contumax
en matiere criminelle , toutesfois nous usons du contraire en ce
royaume, ce qui est conforme a plusieurs statuts d'ltalie, par
lesquels le contumax est repute comme s'il avait confess^ le
(l)Cf. Jeaa des Mares , 58.
(2) Imbert, II, ch. 3, n" 5.
(3) Stile de Boyer, p. 234, v».
DU X1II° AU XVII° SIECLE. iS7
delit dont il est charge (1). » En principe, pour faire tomber cette
condamnation , il fallait toujours des lettres du prince ; mais I'i-
dee , qui consistait a considerer la sentence comme pouvant etre
purgee et aneantie par la representation du condamne , cette idee
s'accentue et va bient6t triompher. Imbert indique que la sen-
tence peut etre attaquee par la voie de I'appel, et s'il mentionne
qu'il faut ensuite des Uttres on voit bien qu'elles sont de pure
forme : « Done si 1' accuse ne compare en sa personne , on donne
sentence de contumace contre lui , mais il se peut porter tou-
jours appelant des sentences de contumace, et apres auroit lettres
royaux adressans au premier juge royal qui a donne la sen-
tence , par lesquels sera mande le recevoir a comparaitre et ester
a droit , nonobstant les sentences de contumace lesquelles seront
mises au neant par lesdites lettres en refondant les despens (2). »
Boyer va plus loin, il admet que par la representation la sen-
tence tombe de plein droit (3). Cependant il restera longtemps
des traces de I'idee primitive; Serpillon indique que la question
etait encore discutee et fut tranchee par un arrSt en 1633 [i).
Dans cette procedure , la saisie des biens du rebelle , que nous
avons vue naitre k I'epoque feodale , etait regulierement organi-
see ; c'etait \' annotation. Elle intervenait des que I'assignation a
trois brefs jours avait ete donnee (5). L'Ordonnance de Roussillon
(1) Imbert, loc. cil.; cf. Constantin, Commentavre sur I'ordonnance de 1539, p.
56 : « Bartolus... dicit valere statutum vel consuetudinem, quod judex oondemnet
et procedat contra contumacem , quae consuetudo viget in toto regno Franciae. »
— On joignait a I'arrfit la clause d'ex^cutlon : Si pris et appr4hend6 peut Stre.
Voy. Bornier : Ord. de 1670, tit. 17. Art. 15 : « Cette clause vraisemblable-
ment etoit de style ancien , parce qu'anciennement on exficutoit les sentences den-
udes par contumace sur les personnes des condamn^s s'ils se trouvoient comme
elle nVtoit introduite que ad terrorem et qu'elle n'6toit pas pratiqufie en France,
rOrdonnance I'a fort a propos abrog^e. »
(2) Ch. 4, p. 663.
(3) « Encores que ledit arrest soil ainsi donne et ex6cut6, toutesfois le d^faillant
se peut toujours purger de I'accusation et pour ce faire est tenu de soy rendre
prisonnier en la conciergerie du Palais ; et ce fait fciudra qu'il Ifeve acte des regis-
tres de I'emprisonnement pour poursuivre I'accusation sur I'instruction du procfes,
autrement estre eslargy ainsi que sera diet cy aprfes. y> Stile, p. 236, v".
(4) « On doutoit anclennement si la representation d'un condamn^ k mort an^an-
tissoit la contumace. Ce fut la matiSre d'une contestation qui fut d^cid^e par ar-
ret du mois de juin 1633. » Code criminel, p. 851.
(5) Ord. de 1539, art. 25.
158 LA PROCEDURE CRIMINELLE
(art. 80), declare que si les accuses ne comparaisseut pas dans
rannee apres la saisie, « les fruits de leurs heritages annotez
et saisis seront acquis a pure perte a qui ils appartiendront. »
C'etait un trait emprunte au droit romain, qui s'etait ajout§ a la
vieille procedure de contumace, toute coutumiere j usque-la.
L'Ordonnance de Moulins (art. 28) alia plus loin; elle decide
que si la sentence porte confiscation ou amende , les contumax ,
faute de se representer dans les cinq ans a compter du jour de
la condamnation, « perdront non-seulement les fruicts de leurs
heritages suivant nos dictes ordonnances, mais encore la pro-
priete de tons leurs biens adjugez par justice. Et demeureront
aux parties civiles leurs adjudications sans pouvoir estre repe-
tees , et a nous et aux seigneurs haut-justiciers ce qui leur aura
este adjuge par amende et confiscation. » Le texte ajoutait que le
roi pouvait accorder des lettres pour « recevoir les condamnes a
ester a droit et a se purger apres le dit temps et leur remettre la
rigueur de cette nostre ordonnance. » Les lettres de grlce repa-
raissaient dans la procedure de contumace. On considera gene-
ralement que cette loi avait abroge les dispositions de rOrdon-
nance de Roussillon. L'Ordonnance de 1670 ne fera que reprendre
ces principes , en les developpant et parfois en les completant.
IL
Nous avons vu comment et par quelles degradations des an-
ciennes formes , s'etait lentement donstitue le systeme consacre
par rOrdonnance de 1339. Ce qu'il est moins facile de comprendre,
c'est que cette procedure ait ete acceptee sans resistance par la
nation, et cependant c'est la un fait certain; les Ordonnances
que nous venons d'etudier coincident avec des reunions de repre-
sentants du pays, qui pouvaient faire entendre la voix de la
France. Cela s'explique cependant. Cette procedure , due en
grande partie a la pratique des juges royaux , avait grandi en
meme temps que la'royaute ; elle reposait sur un sentiment d'in-
faillibilite propre et de protection rude, que la Royaute avait em-
prunte a I'Eglise et qui faisait sa force intime. Le peuple , sor-
DU XII1° AU XVII" SIECLE. 1S9
tant de I'anarchie du Moyen-Age , et des grandes guerres centre
I'Anglais , dechire bient6t par les cruelles guerres de religion ,
sentait avant tout le besoin de securite et de paix (1). Mieux
qu'aucune autre loi , les nouvelles Ordonnances assuraient la re-
pression des crimes ; a cet egard , elles furent volontiers accep-
tees et presque populaires. Cependant TOrdonnance de 1S39 ne
passa point sans protestations de la part des juristes; des voix
faibles et des voix eloquentes s'eleverent centre les rigueurs
qu'eUe introduisait.
Le premier sans doute de ceux qui la commenterent fut un
avocat de Bordeaux , qui ecrivait en I'an 1543 (2). 11 s'appelait
Jean Constantin, et son commentaire est en latin. Ce n'etait point
un grand esprit , et Neron , dans la preface de son recueil , lui
donne peu d'eloges (3). En realite, c'est un honn§te homme, qui
n'aime point les prevots des marechaux , chose assez remarqua-
ble pour son temps (4). II porte avec lui une erudition indigeste,
toute farcie des textes du Corpus juris et des oeuvres des docteurs
italiens , qu'il allegue a tout propos , entassant citations sur cita-
tions entre les divers membres d'une meme phrase ; mais c'etait
la mode du temps, et Constantin merite cependant de nous arreter
un instant. II represente la pure doctrine des docteurs d'ltalie ,
et il montre bien que, si la France avait emprunte litteralement
(1) Pour ne parler que des pieces judiciaires , le Registre criminel du Ch&telet
montre k chaque page les brigandages et I'fitat d'msficurit^ , dont souffrait la
France a la fin du xiv" sifecle.
(2) Commentarii Johannis Constantini, in jure licentiati curiae que Parlamenti
Burdigalensis advocati, in leges regias seu' ordinaiiones de litibus hrevi decidendi!
recenler editas. — P. 248 : « Hoc anno mlUesimo quadragesimo tertio. »
(3) « Dix ans aprfes sa publication parut un commentaire sur oette ordonnance,
fait en latin par Maltre Jean Constantin, avocat au Parlement de Bordeaux. On
ne pent pas disconvenir que cet ouvrage ne soil tres-ample , mais certainement
il y a dedans peu de choses, si Ton en retranche celles qui sent inutiles, et si Ton
diminue le grand nombre de citations dont il est charge. » Recueil de N6ron,
preface. Paris , 1720.
(4) « Isti latrunculatores etjudicesmaleflciorum quos prsepositos maresoallorum
nominamus, et qui eis talia offlcia committunt, qui cum deberent esse litterati
viri , sunt ignari , et omnium bonorum litterarum expertes , tiranni vindicatores
sibi et suis complacentes, pereant a caterorum commercio et exterminentur
tales tyranni et homicidse et eorum officia bonis viris et litteratis commlttant. »
p. 237.
160 LA PROCEDURE CRIMINELLE
a ces docteurs certains points de sa doctrine criminelle , la theo-
rie des preuves par exemple , elle avait donne a la procedure
inquisitoire une tournure propre et une rigueur que ne connais-
saient pas les ultramontains. Les expressions elles-memes avaient
parfois change de sens , en passant en France , et Constantin en
donne un curieux exemple (1). Au nom des docteurs, il protests
centre les rigueurs de I'ordonnance.
Sur I'article 162, il s'eleve centre I'exclusion des avocats :
« Practicam antiquam quae hie toUitur et aboletur meminit An-
gelas in sue tractatu maleficiorum... ubi dicit quod ipse reus vel
ejus advocatus potest interrogatoria facere (2). » Sur les articles
157 et 158, il montre quelles faibles ressources la loi laisse a
I'accuse pour sa defense : •< Quomodo potest allegare reus aliquid
ad suam defensionem si sibi non detur copia (la copie) testium et
totius processus? Ideo quaero, numquid facta et completa inquisi-
tione , testes et totus processus debeant publicari et de his fieri
copia ipsi reo (3). » La-dessus il se lance dans une longue disser-
tation, ou il cite toutes ses autorites et d'oii il ressort que les
docteurs admettaient en principe la communication des pieces,
qu'elle etait meme de droit, toutes les fois qu'il y avait une partie
promovens inquisitionem. Quant a la disposition qui, pendant tout
le proces, arrete la preuve offerte par I'accuse et ne laisse passer
a la fin que celle des faits justiflcatifs , Constantin non-seulement
la declare odieuse , mais se refuse absolument a I'admettre. Voici
ce qu'il dit sur I'article 158 : « De severitate hujus articuli satis
(1) « Judices maleficiorum in senatu Burdigalensi hoc anno millesimo quingen-
tesimo quadragesimo tertio consedentes , qui , cum me ad se arcessissent , quod
quemdam furem senlentia torquendum dixissem , et ipsi suo arresto cum suis
furtis absolvendum, qusesiverunt inter alia quid erat ordinarife procedere; qui,
quum dixissem quod secundum formam et ordinem juris , subiidebant dicentes,
quod imo procedere ordinarie erat sine confrontationibus et extraordinarie per
confrontationes , et quia usus non eram confrontationibus in prooessu illius furis
dicebant me errasse in facto et in jure , et allegabant advocatus et procurator
regius 1. Ordo, If. Depubliciis judiciis; quod plusquam asininum est et tantis viris
indignum ; sed quia coram ipsis non audebam aperte loqui, ideo tacui : nam aliam
esse formam et ordinem juris in criminibus et aliam horum statutorum nemo est
qui nesciat. » P. 248.
(2) P. 288.
(3) P. 281-282.
DU Xin° AU XVII° SIECLE. 161
patet ex supra dictis , maxime in articulo cxlvi ubi habes quod
istae ordinationes , quae excludunt reum a defensione ante senten-
tiam, sunt omnino contra jus commune licet |Angelus dicat
talia statuta excludentia reum a defensione valere, ego limito
hoc esse verum si reus petat calumniose se admitti ad defensio-
nem alias secus quia confesso et condemnato datur defensio ;
ergo multamagis non confessus nee condemnatus, volens deinno-
centia sua probare, admittitur quandoque ante sententiam , si vi-
deas eum hoc calumniose non petere , ut puta quia hoc tempore ,
de quo loquitur ordinatio nostra, non habebat probationes et
postea reperit velalia modo constat de sua innocentia (1). » Sur
I'article 162, qui repousse les jugements contradictoires autrefois
admis , il est plus energique encore : « Nota quod dixi articulo
cxLix quod debet assignari terminus reo ad suam defensionem
faciendam ; alias non debet damnari... Ita dicit Bartolus, et
Imola... quod hanc practicam servat totus mundus, qui quidem
terminus tollitur his ordinationibus ut dicto articulo constat. Ergo
non servamus illam practicam quam servat totus mundus, juris et
iustitiae ignari; quare dico quod non valet tale statutum per quod
tollitur defensio quae est de jure naturali... cum jus naturale
jure civili toUi non possit , et quod judex , ipso non obstante , po-
test praefigere terminum ipsi reo ad suam defensionem facien-
dam alias poterit laedi innocens, quod non esse debet, (2). »
Sans doute tout cela, mSme debarrasse des citations qui I'encom-
brent, ne forme point de belles phrases ; c'est d'un assez pauvre
style ; mais les pensees n'en sont pas moins genereuses.
Gonstantin n'est pas le seul praticien qui ait blame les im-
pitoyables rigueurs de I'Ordonnance ; on trouve aussi ca et la
dans Imbert de breves observations dans ce sens. Mais des voix
plus hautes s'eleverent. Ce fut d'abord celle de Dumoulin , qui a
redige sur I'Ordohnance de 1539 des notes d'un style bizarre,
dans un latin grossier, mele de mots francais. Quelques-unes de
ses observations indignees et breves ont traverse les siecles,
comme une durable protestation. II a cherche d'abord a res-
(1) P. 284.
(2) P. 291-292.
41
162 LA PROCEDURE CRIMINELLE
■ treindre autant que possible la portee des textes par une inter-
pretation favorable. Voici ce qu'il observe sur I'article 155, qui ne
donne a I'aceuse aucun delai pour alleguei" ses reproches .: « Si
hoc verbum {ddlay) referatur ad singula et sic ea excludendo,
esset barbarica iniquitas : ide6 debet intelligi quod implicet non
distributive sed collective. Ita qjiod judex possit dare dilationem
modicam arbitrio suo , et sensus est quod verba non excludunt
aperte dilationem dari, quod est favorabile (1). » De meme il re-
pousse I'interpretation litterale de I'article 157, qui ordonne i
I'aceuse de nommer incontinent ses temoins pour la preuve des
faits justificatifs (2). Mais ce sont surtout deux exclamations qui
sont restees celebres, I'une sur I'article 158, par laquelle il attache
au nom de Poyet cette epithete d'impie qui y est restee fixee :
« Vide tyrannicam opinionem illius impii Poyeti (3) ; » I'autre,
sur I'article 15i, qui n'oblige point le juge a ^ecole^^es temoins
a decharge : « Vide duritiem iniquissimam per quam etiam de-
fensio aufertur, sed nunc judicio Dei justo redundat in authorem,
quia major pars judicum voluit banc servare constitutionem hoc
mense octobris 1544. Sed est perniciosissima consequentia (4). »
Mais plus haut encore que Dumoulin parle un autre homme,
qu'on ne saurait assez louer, c'est Pierre Ayrault. C'etait un
grand esprit et un grand coeur. Dans son principal ouvrage,
VOrdre, formalite et instruction judiciaire, nous allons aujou^
d'hui encore puiser de precieux renseignements sur le droit cri-
minel des Remains ; et cette ceuvre savante est ecrite dans une
langue admirable, chaude et coloree. S'elevant bien au-dessus
de ses contemporains, il demoritra jusqu'a I'evidence les dangers
de la procedure criminelle que la France s'etait.donnee. On nous
permettra de citer les principaux passages dans lesquels , soute-
(1) Recueil de Niron, torn. I, p. 250.
(2) Ibid., p. 251 : « Nommer intellige quacumque demonstratione, quia non sem-
per innocens scit nomina eorum per quos probabitur absentia allegata; faits jus-
tificatifs : etiam de facto vidi d Mascon 1550 reQU post 21 menses et dicere etiam
variando quae nova facta estoient venus a sa mimoire et nommer tesmj)ins 'pour ce
<prouver et ad requestam du procureur du Roy et tantum non vocato accusa-
tore. »
(3) Ibid., p. 251.
(4) Molineei opera , t. II, p. 792.
DU xra" AU XVII° SIECLE. 163
nant une cause imprescriptible, quoique perdue pour longtemps ,
il revendique I'oralit^ des debats , la publicite , la liberie de la
defense.
II a su tout d'abord degager les vices fondamentaux du systeme
qu'il combat , le secret , I'importance funeste des pieces ecrites ,
le pouvoir immense laisse au juge. « On faict de la justice, dit-
il, comme des saincts et saCres mysteres, qui ne se communiquent
qu'au prestre (1)... Anciennement a Rome et en la Grece, toute
cette instruction, recolement, confrontation et jugement se faisoit
a huis ouvert et en public , present le peuple , tous les juges et
parties presentes. Notre stile n'est pas plus contraire en autre
chose, car nous requerons si estroictement que les proces criminels
soient instruicts a part et en secret, que nous les jugerions nuls si
autre que le juge et son greffier y avoit assiste. D'ou vient cette
difference? Est-ce que la raison seroit autre es republiques oi le
peuple a part a I'administration , autre oii I'fitat ne depend que
d'un seul? II est certain qu'en France nous en usions ainsi il n'y a
pas longtemps... Ce n'est done pas la diversite de I'Estat qui ap-
porte cette difference d'instruction secrete ou apparente... II est
facile a huis-clos d'adjouster ou de diminuer, de faire brigues ou
impressions. L'audience est au contraire la bride des passions ,
c'est le fleau des mauvais juges. Cette instruction publique si
elle sert de bride aux mauvais , elle engendre un incroyable los et
repos aux bons juges. L'innocent ne sera jamais pleinement absous
ou le coupable puny trop justement , il y aura toujours quelque
chose a redire si leur proces n'a este veu, faict et examine en
public. Cette face composee de plus d'yeux , de plus d'oreilles ,
de plus de testes que celle de tous les monstres et geants des
Poetes, a plus de force, plus d'energie, pour penetrer, jusques
aux consciences et y faire lire de quel cote git le bon droit que
nostre instruction si secrete (2). » — « Est-il raisonnable d'ad-
jouster foy a ce qu'un juge et un clerc mercenaire rapportent de ce
que dix ou vingt ont depose?... Telles depositions ne sont ny le
dire ny le langage du deposant. C'est I'artifice d'un sergent , d'un
(1) L'ordire et formaliti, etc. Livre III , art. 3 , n» 21.
(2) Op. eit., 1. Ill , art. 3 , vfi^ 58 , 59 , 60 , 63 , 64.
164 LA PROCEDURE CRIMINELLE
enquesteur, d'un examinateur, voire d'un juge mesme , s'il I'a re-
ceue , lesquels font parler le tesmoin comme il leur semble. N'y
a-t-il rien qu'on peut reprendre, si y a-t-il neanmoins grande
difference aux termes , et Ja premiere grace, dont a use le temoin
en deposant , n'y est plus , quand nous venons a nos recolements
et confrontations ordinaires. J'ay souventes fois ouy dire au feu
sieur lieutenant general de ce siege , homme bien advise , que les
tesmoins ressembloient aux cloches. Tout ainsi qu'on leur faict
dire tout ce qu'on veut , ainsi le tesmoin , selon qu'il est examine,
et selon les termes dont on orne et habille son dire , charge ou
descharge... pour cette occasion il disoit qu'il n'y a rien de si
pernicieux a la justice dont nous usons que d'y avoir introduict
des mestiers et offices d'ouyr tesmoins. Au rapport d'un examina-
teur et enquesteur le juge croit a gens qu'il n'a point veus, et
s'il les fait revenir d'adventure, ils ne lui chantent le plus souvent
autre chose , sinon : qu'on me lise ma deposition , je me tiens a
ce qui y est escrit (1). » — « La bouche ment le plus souvent
ou se tient close tout expres de peur de se couper et se surpren-
dre soy mesme, mais nos gestes et mines exterieures, le veuilions
ou non, parlent toujours et parlent vray, si ce n'est en une facon,
c'est en 1' autre (2). »
Jamais on n'a mieux defendu ni dans un meilleur langage la
procedure orale et publique. Ayrault ne depeint pas moins vi-
goureusement la puissance terrible du juge d'instruction et la
faiblesse de la defense. « Je dy que ce qu'il y avoit de plus
beau en I'instruction criminelle des anciens estoit que cette action
d'interroger les parties dependoit d'eux mesmes ou de leurs ad-
vocats non pas desjuges C'est avoir bien change de forma-
lite , veu que la nostre est si contraire que si autre que le juge
avoit interroge 1' accuse et s'il I'avoit faict en presence de la partie
tout seroit perdu... ostant aux parties ceste faculte de s'inter-
roger, ouyr et examiner leurs tesmoins , nous I'avons tellement
attachee au juge qu'il semble que les pauvres parties soient
aujourd'huy en curatelle et plus aveugles que ceux qui escri-
(1) Op. cit., 1. Ill, art. 3,n»38.
(2) Ibid.. 1. Ill, art. 3,n» 64.
DU XIII'AU XVII" SIECLE. 165
vent en plein minuict aujourd'huy que toutes les fonctions
qui residaient aux parties et aux advocats sont en luy (le juge), il
faut qu'il approche tellement du nom de ruse et de finesse , s'il
veut bien tirer les vers du nez d'un criminel , qu'a grand peine
sauroit-on dire si ces artifices se doibvent appeler justice ou cir-
convention (1). »
C'est surtout la theorie des reproches et des faits justificatifs
qui parait insupportable a la bonne foi d'Ayrault. « Le tesmoi-
gnage estoit bien mieux destruict par dispute, argumentation
et refutation faicte a propos que par blasme et reprehension de
la personne. Cependant puisque nous sommes sur les reprosches,
voyons par maniere de disputer si Tordonnance introduicte par
M. le chancelier Poyet, que I'accuse les doit alleguer auparavant
qu'avoir entendu la deposition du tesmoin et qu'apres la lecture
il n'y sera plus regeu, est juste et equitable... il falloit done
ordonner par le mesme moyen qu'on n'ameneroyt jamais tes-
moins que les parens, voisins et concitoyens de I'accuse... I'ac-
cuse peut-il scavoir a I'instant si le tesmoin est corrompu ou s'il
a soUicite centre luy : ses parents , ses amis , ses solliciteurs et
procureurs ne peuvent pas mesmes sitost le decouvrir, comment
le fera-t-il en prison? Car I'invention d'alleguer les reproches
auparavant la lecture a apporte qu'a toutes aventures les accuses
sont contraints de reprocher, et que la plupart de leurs reproches
sont de style... il faut principalement pourvoir aux simples...
tous n'entendent pas I'ordonnance, quelque advertissement qu'on
leur fasse. Y a-t-il apparence d'establir tellement une formalite
que pour ne pas la faire devant ou apres, il y aille de la vie ou de
I'honneur?... tant de pauvres accuses qui ne scavent ne A ne B
ne scavent que c'est que reprocher ou recuser (2). Tout ce que
(1) L. Ill, art. Sjiios 21 et 22. Ces inconv^nients sont noUs dans Imbert (III,
ch. 10,n"s 2 et 3), qui donne aujuge interrogateur de sages conseils, etbleime
les pratiques desmagistratscauteleux.
(2) Imbert proteste egalement a cet figard : « Lesquelles ordonnances, dit-il,
sont merveilleusement rigoureuses , et est advenu a I'auteur d'icelles comme k
Perillus ; car c'est chose fort s6v6re et dure qu'un pauvre prisonnier eimuy6 de
la prison d'un an ou demy-an, soit tenu nommer promptement ses diets tesmoins ;
aussi que le prisonnier n'4utre pour lui ne pourra parler aux tesmoins qui vien-
dront pour estre ouys pour luy, et qu'il faut que le procureur du roy, qui est par-
166 LA PROCEDURE CEIMINELLE
dessus me donne quelque foUe hardiesse a dire que je ne scay
pas bonnement ce qui meut aussi le diet chancelier Poyet a chan-
ger ceste belle et honeste fagon de proceder que tout a coup las
deux parties faisoient leurs preuves , et que celle qu'il nous a
introduicte d'interloquer pour informer des faicts justificatifs et
reproches, nous I'ayons tous regeue si constamment... D'oi peut
venir cette invention que I'accuse ne face ses preuves que celles
de I'accusateur ne soient faictes et arretees... Y a-t-il de la jus-
tice a cela que I'un se peine et se tourmente a faire des preuves
et que I'autre cependant soit aux escoutes... Le duel ne seroit
pas ny juste ni a beau a voir, dont la paction seroit telle qu'un
seul tirast le premier tous les coups et I'autre apres. Voila en ce
faysant comme aujourd'huy les jugements sont arbitraires et les
hommes faciles ci s'arrester plutost a ce qu'ils se sont imprimez
qu'a ce qui est escrit , les accusez au hasard de se voir condam-
ner nonobstant et sans avoir esgard a leurs faicts justificatifs et
de reproches : bref , est-ce bien juger un proces que de n'y voir
que d'un seul coste? Or en ceste ordonnance que nous at-
tribuons au diet sieur Poyet chancelier, il y a encore deux
choses si esloignees des anciennes formes qu'elles font douter
de son equite : il est dit que I'accuse nommera ses tesmoins
sur-le-champ , et que ce ne sera pas luy qui les fera venir, ains
le procureur du roy. Que veut dire cela? L'aecusateur aura delay
de faire son inquisicion et I'accuse devinera a I'instant quels
temoins peuvent le justifier I Et ceux qu'il nomme pour sa defense,
un tiers les fera venir et non pas luy : son innocence dependra
done de la fidelite ou prevarication, diligence ou nonchalance
d'autruy. Y a-t-il procureur du roy si curieux de la justification
de I'aceuse que I'accuse lui-meme (1)? »
Ayrault s'eleve encore contre I'abus de la detention preven-
tive et des monitoires. Apres avoir, dans une magnifique ampli-
-fieation, loue la pratique de la liberte sous caution et glorifie
tie adverse, les face venir et par adventure on en baillera la charge a un sergent,
qui sera pratiqu6 par la partie adverse du prisonnier. Et par ce seroit bon de
modSrer un peu les diotes ordonnances. » (III, ch. xiii, n» 16.) II s'agitladela
preuve des fails justificatifs et des reproches.
(1) Ayrault, op. cit., 1. Ill, art. 3, n™ 50-52. '
DU XIII" AU XVII" SIECLE. 167
les anciens de I'avoir admise, voici ce qu'il dit de la prison :
« On la pent quasi mettre aujourd'huy parmi les formalites les
plus requises. II se faict, ne seals comment, que ce qui est
quelquefois le plus beau et le plus raisonnable a discourir, I'u-
sage en est toutesfois peu profitable. II a este necessaire pour la
securite publique laisser les exemples des hommes libres et se
servir de ceux des ennemis jurez, des vagabonds, des esclaves,
pour lesquels avoient este inventes les prisons, les questions,
les gibets. Toutes nos autres raisons soient si belles et bonnes
que Ton voudra, ainsi que le style de nostre justice est com-
pose, I'experience nous monstre que si les accusez ne tiennent
prison, il est impossible d'en convaincre pas un ; il n'y a tesmoin
qui ose parler ny jugement qui ne soit illusoire (1). » — « N'y a
rien de si vulgaire aujourd'huy que pour avoir preuve et reve-
lation du crime poursuivy ou a poursuivre par devant nous ,
aller aux monitoires et censures ecclesiastiques. Avons-nous
point quelque remarque aux anciens qu'a ces fins ils soient allez
mendier de leurs pontifes telles imprecations et maledictions?...
j'ai idee que non... d'allecher les tesmoins a prix d'argent ou
par crainte d'estre punys par devant Dieu ou devant les hom-
mes ils ne le firent jamais. Com me c'est crime a I'accuse de
corrompre les tesmoins de sa partie; aussi seroit-ce a I'accu-
sateur de les forcer, marchander et achepter. Les anciens enfin
estoient plus curieux de leur reUgion que nous ne le sommes.
Le public n'a point taut d'interet a averer et verifier un crime
qu'il remporte de detriment par la profanation et pollution des
choses saintes (2). )>
On nous pardonnera d'avoir multiplie ces citations; il n'etait
pas inutile de montrer que , dans notre pays , le sentiment de la
liberte vraie subsistait dans quelques ames elevees , alors meme
(1) Op. cit., 1. in, art. 2, n" 30. Chose curieuse, quanta I'horrible institution
de la torture, nous ne trouvons dans Ayrault que la parole de regret contenue
dans ce passage. — Sur la detention preventive , cf. Imbert : « Combien que ce
soit beaucoup arbitraire, si est-ce toutesfois qu'il seroit bon de designer par Or-
doimance expresse les cas pour lesquels on pourroit decreter ordonnance de prise
de corps, pour refresner la licence que plasieurs juges en cest endroit usurpent. »
L. Ill, ch. 2,n»4.
(2) Ayrault, op. cit., 1. Ill, art. 2, n» 31.
168 LA PROCEDURE CRIMINELLE
que les institutions s'en eloignaient le plus. II n'est pas tres-
exact de dire que « lorsque les Ordonnances royales changerent
la forme des proces criminels, pour substituer I'instruction
ecrite aux traditions de la vieille [procedure orale , aucune voix
ne s'eleva pour rappeler les garanties individuelles (1). » Ce
qui est vrai , c'est que ces protestations trouverent I'opinion pu-
blique indifferente. Le cri douloureux de Pierre Ayrault, que
nous recueillons aujourd'hui avec une admiration profonde,
tomba alors dans le vide : Vox clamantis in deserto, Le pays
acceptait avec reconnaissance tout ce qui tendait a reprimer les
desordres dont il avait si longtemps souffert. « Vers la fin du
Moyen-Age, dit M. Picot, apres cette terrible guerre de Cent-
Ans qui avait bouleverse la France , la royaut§ comprenait que
le premier besoin de la nation etait I'ordre interieur. On vit
alors le pays tout entier s'eprendre avec passion des garanties
qui devaient le mettre a I'abri des violences de la force. » D'ail-
leurs le mouvement qui avait transforme la procedure crimi-
nelle en France , se produisait en meme temps chez les nations
voisines du continent ; il y avait la une force toute-puissante.
III.
Aussi toutes les fois que la nation va parler par I'organe de
ses representants , dans les fitats-Generaux ou dans les assem-
blees de notables , elle approuvera la revolution qui s'est faite
dans la procedure criminelle. A peine le Tiers-fitat, par un vague
instinct de liberie qui ne I'abandonna jamais , et la Noblesse
par un sentiment de jalouse independance , elevent-ils des re-
clamations sur certains points de detail. A mesure qu'on avance,
la satisfaction est plus marquee, et les racines qu'enfonce la
nouvelle procedure sont plus fortes et plus tenaces.
Cette approbation de la procedure secrete et inquisitoire par
les Etats-Generaux a ete signalee a diverses epoques. L'avocat
general Seguier la rappelait en 1786 devant le Parlement de
(1) M. G. Picot, Histoire des itats-G^niraux , iom. IV, p. 231.
DU XIII° AU XVI1° SIECLB. 169
Paris , dans un requisitoire celebre , ot il condamnait les desirs
de reforme. « Une observation qui ne doit pas nous echapper,
disait-il, se fait jour au milieu des grandes Ordonnances du
royaume. L'Ordonnance de Villers-Cotterets est de 1539, I'Or-
donnance d'Orleans de 1560, 1'Ordonnance de Moulins de 1566,
et rOrdonnance de Blois de 1579. Elles sont toutes du meme
siecle; elles ont toutes pour objet la reformation de la justice.
Les trois dernieres ont ete rendues sur les plaintes , doleances et
remontrances des trois Eltats du royaume... et dans toutes ces
loix solennelles , ou la nation demandoit pour ainsi dire justice
k son souverain, on ne trouve aucune reclamation contre la forme
de procedure ni contre la barbaric de I'Ordonnance de Fran-
cois I". Eh! quoil la nation entiere assemblee pour deliberer
sur ses interets a ete assez aveugle pour ne pas demander en
cette partie la reformation d'une legislation bizarre et contraire
a la loi naturelle (1)? » Plus tard, lors de la redaction du Code
d'Instruction Criminelle , lorsqu'on introduisait dans nos lois les
juridictions prevotales sous le nom de tribunaux spMaux, les
redacteurs rappelaient que les Etats-Generaux du xvi° siecle
avaient appro uve cette institution. « II sufflra aux besoins de la
discussion de remarquer que , retablie sur toutes les parties de
la France par Francois I" au commencement du xvi° siecle , une
institution speciale , analogue a celle que nous vous proposons ,
fut reconnue , reclamee par les Etats-Generaux tenus a Orleans ,
a Moulins et a Blois , sanctionnee et reorganisee dans les cele-
bres Ordonnances rendues sur les remontrances de ces Etats (2).»
Seguier et M. Real trouvaient dans la conduite des Etats-Gene-
raux une justification de la procedure de I'Ordonnance de 1539;
la seulement etait- leur erreur.
II est interessant de voir d'un peu plus pres quel fut au juste
le langage tenu par les fitats; cela nous est facile, grice a la
belle Histoire des &tatSTG6n6raux de M. Picot. .
Aux JEtats de 1560, la Noblesse demanda seulement que le
procureur du roi fM « tenu de declarer le denonciateur a peine
(1)P. 240, 241.
(2) Exposi des motifs du titre VI, livre II, du Code d'Instruction Criminelle, par
M. R6al. (LocrS, torn. XXVIII, p. 47.)
170 LA PROCEDURE CRIMINELLE
d'etre pris en son propre et prive nom. » Le Tiers et le Clerge
reclament un redoublement d'activite dans I'exercice de Tac-
tion publique , et I'Ordonnance d'Orleans (art. 63) enregistre ce
vcEu dans la loi (1). Le Tiers cependant proteste contre la dis-
position qui « oblige les accuses a alleguer immediatement leurs
reproches contre les tesmoins , qui est chose dure et s'ensuit
souvent que I'innocence de plusieurs est grevee. » II desirait que
le juge put accorder ua delai; le Conseil du roi repondit que
« I'Ordonnance seroit gardee (2). » La preoccupation la plus vive
des fitats se porta vers les prevots des marechaux ; si le Tiers
reclama et obtint la concurrence au profit de certains sieges
royaux pour les faits dont connaissaient les prevots (3) , les trois
ordres furent unanimes pour demander qu'on activat et rendit
plus efficace le service de la marechaussee.
En 1576, El Blois, le Tiers-Etat voudrait que I'accuse fM « re-
gulierement informe du nom de son denonciateur avant toute
confrontation (4.). » Ce vceu ne devait point 6tre entendu; mais
il ne fut autrement d'un autre, egalement forme par le Tiers,
portant « que tous ceux qui informeront de crimes seront tenus
enquerir des tesmoins sur la pleine verite du fait , tant de ce
qui concernera la charge que I'innocence de I'accuse. » On pen-
sait par la faire assez pour la defense, en en remettant le soin
a la conscience du juge; ce n'etait au fond qu'une satisfaction
de pure forme, et la disposition fut inseree dans I'Ordonnance
de Blois (art. 203); elle passera dans I'Ordonnance de 1670
(titre V, art. 10). Ce qui etait plus important, et ce qui fut
egalement prescrit par I'Ordonnance de Blois , c'est que les juges
devaient demander aux temoins s'ils etaient « parents, allies,
domestiques ou serviteurs des parties, et en faire mention au
commencement de leurs depositions a peine de nuUite et des
dommages-interets des parties (5). » Mais ce qui etait demande
(1) M. Picot , op. cit., torn. II, pp. 169 , 170.
(2) Ibid., op. cit., torn. II, p. 171.
(3) Ord. d'Orlgans, art. 72.
(4) Picot, op. cit., lorn. II, p. 528.
(5) Ibid., op. cit., torn. II, p. 528. La Noblesse e<it voulu « que les prfivenus
61argis faute de preuves ne pussent 6tre recherchfe apres une annfie 6coul6e depuis
que Varrfit avait ordonni le plus ample inform^. » P. 526.
DU xm" AU XVU" SlilCLE. 171
avant tout, c'est qu'une impulsion plus active fut donnee k
I'exercice de Taction publique et au service de la naarechaussee :
« La lecture des cahiers, dit M. Picot, indique clairement que
les deputes etaient emerveilles de I'Ordonnance de 1539... L'in-
formation en elle-m§me ne leur semblait propre qu'a terrifier
leg mechants, et par consequent a rassurer les gens paisibles.
Aussi se gardaient-ils de critiquer I'instruction secrete (1). »
Aux nouveaux fitats de Blois, en 1588, ces questions preoccu-
perent encore moins les deputes , « ni le Clerge , ni le Tiers ne
s'occuperent de I'instruction criminelle (2). » La Noblesse re-
clama I'acceleration des procedures ; elle manifesta le desir de
reveiller les poursuites individuelles en face de Taction du minis-
tere public, proposant une disposition, qui d'ailleurs a passe
dans nos lois , la decheance de tout droit « contre les veuves ,
heritiers ou donataires des homicides qui ne feront poursuite des
meurtres et assassinats commis en la personne de leurs maris ou
parents (3). »
Les fitats de la Ligue de 1593 avaient une mission exclusive-
ment politique et la legislation criminelle n'6tait point le fait de
cette assemblee, dont la M^nipp^e contient la satire immortelle.
L'assemblee des notables, tenue a Rouen en 1596, n'eut egale-
ment aucune influence en cette matiere (4).
Ce fut aux Etats de Paris de 1614, et aux assemblees de no-
tables de Rouen (1617) et de Paris (1626, 1627), que, pour la
derniere fois, les representants du pays purent manifester leur
opinion, avant la redaction de I'Ordonnance de 1670. L'opinion
publique se montra de plus en plus favorable a la procedure
secrete et inquisitoriale : « toute une generation d'hommes de
loi s'etait formee au milieu des habitudes mysterieuses de I'ins-
truction ecrite , et Tindolence des parties lesees avait peu a peu
accepte cette initiative du magistrat , qui dispensait le citoyen du
soin de se defendre , et substituait a Taction de Tindividu la pro-
tection de TEtat (S). » Nous trouvons mSme dans les cahiers des
(1) Op. et loc. (At., p. S30.
(2) Picot j op. cit., torn. Ill, p. 184.
(3) Op. et loc. cit., p. 184.
(4) Voy. Picot, torn. Ill, pp. 237, 323.
(5) Picot, torn. IV, p. 61.
172 LA. PROC^DUEE CEIMINELLE
vceux qui tendent h aggraver encore les duretes de la procedure.
C'est sur la demande du Tiers que I'Ordonnance de 1629 defendra
expressement de plaider sur le reglement des procedures crimi-
nelles (art. 112), de peur que les avocats et procureur general ne
pussent meme, par allusion, designer les temoins assez clairemeM
« pour donner sujet aux prevenus de se preparer et munir de
reproches et recourir aux artifices centre les temoins de la
charge (1). » Les trois ordres insistaient pour qu'un seul juge
assiste de son greffler dirigeit I'information (2.) , il est vrai qu'il
y avait la surtout une pensee d'economie ; c'etait dans le meme
esprit que I'OrdonnancI de Moulins voulait (art. 37) « que dore-
navant fust commis un seul commissaire et non deux pour
vacquer a I'instruction des procez , en la presence toutefois de
son greffier ou commis , le tout a peine du quadruple. » Le Tiers
s'occupa aussi « des incidents dilatoires et des evocations, le
plus souvent pratiquees pour eluder la punition des crimes ; il
demandait que sous divers pretextes I'instruction ne put etre
suspendue, et que le juge ne s'arretat qu'au moment de pronon-
cer la sentence definitive (3). » — Cependant quelques adoucis-
sements etaient reclames. La Noblesse « persistait a demander
que , des le debut de I'instance , les procureurs generaux etant
parties fussent forces de nommer les denonciateurs (4). » Le
Tiers voulait que « I'interrogatoire de I'accuse eut lieu dans les
vingt-quatre heures de I'arrestation (5). » La competence des
prevdts des marechaux attira I'attention des deputes; iJs propo-
sent que leur « juridiction, qui est un veritable abus, soit reduite
a la repression des desordres commis par les gens de guerre (6). »
Les plaintes des fitats de 1614 et des assemblees de notables
qui les suivirent, donnerent lieu a la publication d'une Ordon-
nance. En 1627 Michel de Marillac rassembla autour de lui un
certain nombre de conseillers d'Etat et Ton passa en revue les
(1) Picot, torn. IV, p. 61 et 187.
(2) Ibid., IV, p. 64.
(3) Ibid., IV, p. 64.
(4) Ibid., IV, p. 60.
(5) Ibid., IV, p. 61.
(6) Ibid., IV, p. 65.
DU Xm" AU XVI1° SIECLE. 173
doleances des deputes : on en fit une Ordonnance , comprejjant
un grand nombre d'articles , dont beaucoup etaient consacres a
I'administration de la justice et k la procedure ; mais ce n'etait
point une codification systematique et detaill§e. Elle fut enregis-
tree au Parlement le 15 Janvier 1629. Mais ce Code Michaud,
comme on I'appelle , ne fut guere observe dans la pratique.
Au xvii^ siecle , nous venons de le voir, I'esprit public ne de-
mandait point de reformes dans le droit criminel; on ne soup-
connait mSme pas que la procedure qu'on suivait, piit etre
mauvaise. Mais bientdt on sentit le besoin d'un code criminel ,
precis et detaille , qui fix§,t tous les details , fit disparaJtre les
irregularites et les divergences dans Tadministration de la jus-
tice. La misere avait ete grande au temps de la Fronde. Les
crimes , produit fatal des mauvais jours , avaient pullule ; et en
meme temps, par un phenomene qui se reproduit toujours au
milieu des troubles politiques, I'administration de la justice
criminelle etait devenue plus incertaine et moins energique. Cinq
ans apres la mort de Mazarin, Denis Talon pouvait dire « que
le nombre des meschants estoit venu a tel exces par I'impunite
des crimes , qu'il n'y auroit tantost plus de surete pour la liberte
publique (1). » En 1665, les grands -jours d'Auvergne, dont
Flechier nous a laisse un tres-interessant recit (2), vinrent mon-
trer d'une facon saisissante les desordres et les hontes qui souil-
laient I'administration de la justice. D'autre part , si depuis
longtemps les grandes lignes de la procedure etaient arretees,
aucune loi generale n'en avait reglemente les details. Aussi
I'incertitude et la diversite des jurisprudences etait un mal plus
sensible tous les jours : « Le mal , dira I'un des redacteurs de
rOrdonnance de 1670, a passe jusqu'a ce point, que dans un
mesme Parlement plusieurs maximes ont change deux ou trois
fois depuis trente ans , et encore a present elles se jugent diffe-
remment dans les chambres d'un mesme Parlement (3). » Une loi
(1) Cit6 par M. Pierre Clement. Lettres, papiers et documents de Colbert, torn.
VI, Introduction, p. xxxix.
(2) Grands-jowrs d'Auvergne. Edit. Ch^ruel.
(3) Lettre d'Auzanet a un de ses amis. Voy. Pierre Clement, Lettres, papiers el
dociments de Colbert, torn. VI, App., p. 397.
174 LA PROCEDURE CRIMINELLE DU Xm° AU XVII° SIECLE.
generale pouvait seule apporter un remede ; elle etait aussi ap-
pelee a corriger un autre abus. Dans la procedure criminelle,
depuis qu'elle etait entierement ecrite, s'etaient introduites une
foule de formalites et de pieces inutiles , dont le resultat etait de
ralentir I'expedition des affaires, et dont le veritable but etait
d'augmenter outre mesure les frais des proces.
La monarchie etait sortie triomphante de la lutte, desormais
terminee, qu'elle avait soutenue pendant des siecles, d'abord
contre la feodalite , puis centre la Noblesse ; la Fronde avait ete
la derniere convulsion des forces opposees. Incontestee dorena-
vant, la Royaute venait d'asseoir ce gouvernement absolu et
centralisateur, qui laissera sur la France une empreinte si pro-
fonde. Le moment etait favorable pour une reforme des lois.
Toutes les fois qu'une nation arrive , apres des luttes seculaires
entre des forces rivales , a un etat qui lui semble deflnitif et
qui, en realite, doit lui assurer la stabilite pendant longtemps, elle
sent le besoin de refondre et d'unifier ses lois. On veut reunir
dans un ensemble harmonieux les regies de droit qui se sent
lentement formees et les debarrasser des elements heterogenes.
Une oeuvre semblable s'imposait au gouvernement de Louis XIV.
Ce qui montre bien qu'il y avait la un besoin veritable, une de
cesidees qui « sont dans I'air, » comme on dit aujourd'hui, c'est
qu'en meme temps deux bommes eminents , Lamoignon et Col-
bert, songeront a une codification des lois, et separement com-
menceront dans ce but les premiers travaux.
-^~^
DEUXIEME PARTIE.
L'ORDONNANCE DE 1670.
TITRE PREMIER.
L'ORDONNANCE DE 167 0.
CHAPITRE PREMIER.
La redaction, de rOrdonnance.
I. L'id^e d'une codification se produit : Colbert , Pussort et Louis XIV. — 11. Mi-
moires demandSs par le roi a divers membres du Conseil d'fitat. — III. Plan
de Colbert; le Conseil de justice et ses premiers travaux. — IV. Entree en
, scfene des parlementaires. — V. Discussion de I'Ordonnance de 1670 : Lamoi-
gnon et Pussort.
I.
Dans plusieurs passages de son Journal et de ses Memoires ,
Louis XIV, parlant des Ordonnances sur la justice qui datent de
son regne, s'en attribue non-seulement la gloire mais encore
I'idee premiere (1). Autour de lui on s'ingenia en effet a lui per-
suader qu'il en etait le veritable auteur, et la posterite semble
avoir ete du meme avis, lorsqu'elle a donne au recueil de ces
Ordonnances le nom de Code Louis. Aujourd'hui , grace a d'inge-
nieux travaux et a des publications precieuses , il est possible de
faire a chacun sa part. Dans I'etude que nous aliens maintenant
entreprendre , il est impossible de separer I'Ordonnance de 1670
de celle de 1667; ce sont deux fragments d'une meme ceuvre,
executes par les memos ouvriers.
La gloire de I'entreprise revient a Colbert et k son oncle Pus-
sort. Les jurisconsultes du xvui* siecle le sentaient deja, bien
qu'ils ne connussent que le proces-verbal des conferences entre
(1) Uimoires de Louis XIV [i&\\.. Dreyss.), torn. II, pp. IS6, 224, 368.
12
178 l'ordonnance de 1670.
les membres du Parlement et les conseillers d'Etat. Parlant de
rOrdonnance criminelle , ils appelaient Pussort « le principal re-
dacteur de cette loi. » Colbert et Pussort etaient deux hommes
capables de mener a bien un pareil travail. On connait I'apre vo-
lonte du premier, et le second etait egalement energique et intel-
ligent; ecoutons Saint-Simon, qui n'etait pas fait pour I'aimer.
« M. Colbert I'avoit fait ce qu'il etoit , son merite I'avoit bien
soutenu... il etoit fort riche et fort avare, chagrin, difficile,
avec une mine de chat fache , qui annongoit tout ce qu'il etoit et
dont I'austerite faisoit peur..., parmi tout cela beaucoup de
probite , une grande capacite , beaucoup de lumiere et extreme-
ment laborieux , et toujours a la tete de toutes les grandes com-
missions du Conseil et de toutes les affaires importantes au de-
dans du royaume (1). »
La pensee de Colbert est revelee par un travail ecrit de sa
main et trouve dans ses papiers (2). C'est une « table surle faict
des Ordonnances royales faictes par nos rois pour le reglement
de justice , police , finances et milice du royaume. » Ce tableau,
destine au roi , va du regno de saint Louis a I'annee 1626; il se
fermine par ce resume : « Par toutes ces tables il paroit claire-
ment que depuis Charlemagne, qui a fait les Capitulaires qui com-
prennent le reglement de tons les ordres de son royaume, et ceux
de Louis le Debonnaire , son fils , aucun roy n'a travaille de son
mouvement a mettre en un corps toutes les Ordonnances du
royaume; que tons nos grands rois Charles V, Charles VII,
Louis XII , Frangois l"', Henri IV, aussitot qu'ils ont este en paix
et memo bien souvent pendant la guerre, ont fait des Ordon-
nances sur le fait de la justice et autres matieres ; que le seul
Henry III eut la pensee de reduire le tout a un seul corps, a quoi
il commit le president Brisson, qui compila le code Henry, le-
quel n'a point eu d'execution ; le garde des sceaux Marillac eut
la memo fortune ; en sorte que ce grand travail a este reserve en
entier a Louis XIV. » On ne connait pas la date de ce memoirs,
mais on peut affirmer que des 1661, le laborieux Pussort travail-,
(1) Mimaires, 6dit. Ch^ruel, torn. I, p. 325.
(2) Lettres, papiers et documents de Colbert, publics par M. Pierre Clement,
tome VI, App., p. 362.
l'ordonnance de 1670. 179
lait deja a la realisation du plan de Colbert : « J'ai effleure, ecri-
vait-il a ce dernier le 6 septembre 1661, le travail que je vous
avois propose concernant les ordonnances ; mais j'ai reconneu
que c'estoit un ouvrage d'une prodigieuse estendue et d'epineuse
discussion. Je ne laisseray pas d'y travailler lorsque je n'aurai
rien de plus presse. Si vous avez besoin de moy et de mon tra-
vail, disposez-en '(1). » C'etait en effet une oeuvre immense que
la codification des Ordonnances , meme sans y comprendre I'uni-
fication du droit civil; aussi, jusqu'en 1665, I'idee de Colbert
parait-elle sommeiller.
Le ministre autoritaire voalait que I'oeuvre nouvelle fut une
oeuvre directe de la Royaute. C'etait une maxime de I'ancien droit
que le pouvoir legislatif residait dans le roi et dans le roi seul (2).
Sans doute les grandes Ordonnances des xv° et xvi° siecles avaient
ete souvent rendues apres des convocations d'Etats-Generaux et
d'apres les cahiers des deputes; mais legislativement elles n'en
procedaient pas moins du roi seul. Les Coutumes avaient ete
redigees par les delegues et representants des trois ordres , mais
elles n'etaient devenues des lois ecrites que par la promulgation
royale. C'etait la un point inconteste. Mais le roi, pour accomplir
sa tache legislative , devait s'entourer de conseillers et de redac-
teurs : pour des Ordonnances concernant la justice, il semblait
naturel de s'adresser aux Parlements; c'est ceque ne voulait pas
Colbert. Nous trouvons dans ses papiers, a la date meme de 1665,
une minute autographe « sur les moyens de remettre le Par-
lement dans I'estat ou il doit estre naturellement , et luy oster
pour toujours les maximes sur lesquelles cette compagnie a entre-
pris de troubler I'Estat, en voulant prendre part A I'administration
d'iceluy (3). » Le ministre, d'accord avec son maitre , ne vou-
lait point associer les parlementaires a I'entreprise glorieuse qu'il
meditait; il ne voulait demander aide qu'aux conseillers d'Etat et
(1) Lettres, etc., de Colbert, tome IV, App., p. 368.
(2) Auxvm« siecle encore, I'avocat Barbier se fait IMcho de la tradition sur ce
point : « Chaque roi, dit-il, jouissant d'un plein pouvoir, peut changer et abroger
les lois de ses pr^decesseurs , comme ceux-ci ont fait des lois et usages qui les
4voient pricfides. » {Journal, tome VII, p. 281.)
(3) Lettres, etc., de Colbert, tome II, VI, p. 15.
180 l'ordonnance de 1670.
aux praticiens celebres, aux membres illustres du barreau.
« Toutes ces grandes choses , dira-t-il , ne se peuvent presque
executer que par la voie des conseillers d'Estat , et des Maistres
des Requestes (1). »
Colbert communiqua son plan au roi probablement en I'annee
1664 ou 1665; il le fit, en ayant I'habilete, d'ailleurs facile, de
le donner comme si c'etait une idee spontanee de la Majeste
royale. C'est ce qu'il declare dans un important memoire du 15
mai 1665. « Le dessein que le roy tesmoigne avoir de travailler
a la justice de son royaume est le plus grand et le plus glorieux
qui puisse entrer dans I'esprit d'un roy. . . Sa Majeste connoissant
parfaitement les deux devoirs des rois, le premier de la pro-
tection et le second de la justice qu'elle doit rendre a ses peuples,
et s'estant deja si parfaitement acquittee du premier... Elle fait
en mesme temps connoistre qu'elle veut s'acquitter avec la mesme
perfection du second.., puisqu'EUe ne nous laisse pas la liberie
de dire ce qui est a faire pour y parvenir, nous ayant dit en deux
mots tout ce que la plus profonde meditation des plus habiles
hommes du monde pourroit inventer sur ce sujet en plusieurs ,
annees (2). »
II.
Tout d'abord Colbert conseilla au roi de se faire remettre par
les principaux membres du Conseil d'Etat des Memoires sur les
abus existants et sur les remedes a y apporter. C'etait un moyen
de recueillir d'utiles renseignements et en meme temps de con-
naltre les plus capables parmi les conseillers (3). Ces. Memoires
furent fournis, et lis existent a la Bibliotheque Rationale (4). Col-
(1) Letires, etc., de Colbert, torn. VI, p. 8.
(2) Ibid., torn. VI, p. S, 6.
(3) « II semble que la premiere chose que Sa Majesty doive faire est de faire
choix des sujets capables de travailler a une si grande ceuvre ; et c'est ce qu'il
paratt qu'elle a prudemment resolu en ordonnant 4 tous ceux de son conseil de
luy donner leurs avis , afln de pouvoir former avec connaissance de cause le
nombre de personnes dont elle veut se servir a un si grand dessein. » Lettres, etc.,
torn. VI, p. 6.
(4) BiblioMque Nationale. Manuscrits : Milanges CUrambauU, n" 613.
l'ordonnance de 1670. 181
bert ne parait pas en avoir fait un grand cas ; il nous reste en
effet de sa main un « extraict abrege » de ces Memoires; cette
mention revient souvent : « rien de general , ni qui soit propor-
tionne au dessein ni a la grandeur du Roy. » Seul le Memoire de
Pussort est analyse avee soin (1). Cette appreciation de Colbert
' ne nous empechera pas de nous arrSter quelques instants sur ces
pieces curieuses et inedites. Sans doute, le travail de Pussort est
bien au-dessus des autres ; il est remarquable non-seulement par
la fermete des idees , mais encore par la belle langue dans la-
quelle il est ecrit , et la hauteur des sentiments qu'il exprime.
Mais les autres Memoires pourront nous indiquer ce qu'on atten-
dait des reformes projetees ; en particulier, nous verrons ce que
pensaient les conseillers de la legislation criminelle, et quels abus
ils voulaient corriger.
II resulte de I'ensemble des Memoires que les conseillers
entendaient , par reformation de la justice , plut6t la reforme de
la magistrature que celle de la loi. Sans doute on se plaint de la
diversite des Coutumes , et on pense qu'il est utile de codifier les
dispositions eparses dans les Ordonnances; mais ce qu'il faut
surtout, c'est assurer I'exacte observation des lois. Pussort, a cet
egard, exprime bien I'idee generate. « La France a I'honneur des
plus belles et des plus sages ordonnances qui soient dans I'Eu-
rope , mais elle a assez la reputation de les faire plus mal execu-
ter qu'aucun autre estat; la prevoyance a ete si exacte en cha-
cune matiere, que Vostre Majeste y trouvera pen de cbose a
adjouster. Mais a I'esgard des moiens de la faire executor, c'est
en ce point que nous avons besoin de son authorite tout entiere ,
parce que Ton a a combattre ou la nature du climat, ou une
habitude si ancienne et si fortement establie, qu'elle imite de bien
pres les mouvemens de la nature (2). o C'est surtout le Code
(1) Leitres, etc., torn. VI, p. 21.
(2) Milmges CUrambault, 613, p. 443. Pussort developpe les causes de ce
desordre : « La cause de cette InexScution vient premierement du penchant natu-
rel de la nation, qui est amatrice de la nouveaut^, pourvu qu'elle y rencontre les
marques de I'honneur et de la vertu , mais qui n'a point assez de flegme dans sa
constitution pour se pouvoir fixer dans le choix de la chose qu'elle a cherchfi,
estant incontinent emportS par les apparences d'un autre bien plus sp^cieux. «
P. 411. Que de fois dans la suite ne rfipetera-t-on pas ces idees en de moins
182 l'ordonnance de 1670.
Michaud, qu'on regarde comme tres-bon et devant etre repris.
« J'estime que nous devons specialement nous attaclier aux der-
nieres Ordonnances, entre lesquelles est celle de M. le garde des
sceaux de Marillac, qu'il faut avouer avoir este dresses avec
grand soin et avec un esprit plein de zele et de justice (1). » —
« laquelle quoique tres-bonne et judicieuse n'a pas este receue
avec I'approbation qu'elle debvoit, et ne se pratique quasy point
dans les Parlemens , qui seroient bien empeschez d'en dire les
raisons (2). »
Pour la reforme de la magistrature , les conseillers montrent
une ardeur veritable ; ce qu'ils lui reprocbent surtout, c'est I'igdo-
rance et la cupidite, resultats inevitables de la venalite des offices
et du systeme des Apices. « On y a mis, dit Pussort, toutes
sortes de personnes indifferemment , des enfans au sortir du
college pour juger de la vie et des biens de vos sujets et donner
les advis sur les plus importantes affaires de I'Estat , eux que les
lois n'ont pas juge capables de se defifendre sans I'autborite d'un
tuteur dans les moindres affaires qui -regardent leur interet ; des
ignorans qui sans le secours de leur bien seroient demeures dans
la lie du peuple , pour decider sans aucune application les ques-
tions qui out fait suer les docteurs les plus esclairez , et pour
penetrer ce que la malice et la ruse des hommes a subtilise plus
artificieusement; des corrompus et des gens nourris dans la de-
bausche et la prostitution que leurs peres ou eux on fait de la
justice, pour acquitter Vostre Majeste du plus grand et duplus
saint de tous les debvoirs de sa couronne (3). » — « Le plus
grand mal que le temps ait introduit dans le palais , et qui nour-
rit et entretient la chicane et les procez , c'est ce petit et sordide
gain des especes, qui croist tous les jours; c'est un poison qui se
repand insensiblement dans les plus nobles parties et en etouffera
a la fin ce qui reste de 1' esprit de justice (4). »
bons termes! — Dans toutes les citations des Mimoires, qui vont suivre, nous
conservons I'ortliographe du manuscrit.
(1) Mimoire de d'Aligre, p. S.
(2) Mimoire de la Maugrie, p. 277.
(3) P. 406.
(4) Mimoire de Barillon de Morangis, p. 33 ; cf. Mimoire de Boucherat, p. 84.
l'ordonnance de 1670. 183
Aussiies conseillers proposent-ils des mesures qui nous eton-
nent d'abord par leur hardiesse. lis reclament des garanties,
assurant le savoir et la moralite des magistrals ; ils demandent ,
quelques-uus du moins, la suppression de la venalite des charges
et des epices (1), meme de rinamovibilite des magistrats. Ici , il
est vrai , c'est le sentiment politique qui domine ; on se souvient
de la Fronde. « II sera necessaire de deroger a I'Ordonnance de
Louis XII, icelle confirmee dans les mauvais temps derniers par
Sa Majeste r^gnante, portant qu'il ne sera pourveu aux offices
de judicature que par mort, resignation, ou forfaiture Mais
le Roy donnant les charges et n'estant plus venales, il est juste
qu'elles soient revocables a sa volonte (2). « Pussort, qui de-
mande seulement pour le moment qu'on retranche un quart ou
un cinquieme des officiers de justice, est au fond du meme
avis. « II n'y a que les seuls offices de judicature de la dispo-
sition desquels les Roys , s'estant depouilles , premierement par
la venalite qu'ils y ont introduit , et enfin par I'establissement de
la Paulette, les ont affranchis de leur dependance particuliere ,
et se sont prives des seuls moyens qu'ils avoient de pouvoir
gratifier ceux qui le merileroient... Si ce moien eust ete en
usage , nous n'aurions pas veu les compagnies souveraines s'en-
gager indiscrettement dans les caballes et les mouvemens qui
ont agite ce roiaume , les chefs n'auroient pas manque de faire
souvenir les conseillers de leur debvoir, et si les presidens eus-
sent este assez aveugles pour oublier ce qu'ils doibvent a leur
Roy, a leur honneur, a leurs charges , ils eussent trouve en teste
tous les principaux officiers de leur compagnie, lesquels aiant
de la vertu, du coeur et de I'ambition, eussent este ravis de
(1) « Le meilleur des expedients serait d'oster entiferement la v6nalit6 aux of-
fices et que le roy en disposast absolument, vacation en arrivant, en faveur de
ceux qui auroient les qualit^s requises. » {M41. Cler., n» 613 , p. 625.) Pour les
epices, voy. pp. suivantes.Ceci est extrait d'un M^moire, qui, dans le volume, com-
mence au folio 609, et oii nous n'avons pas trouv6 de nom d'auteur. II y a seule-
ment cette mention a la suite du litre : « Ce M^moire a este porte a Monseigneur
a Saint-Germain, le 19 juin 1665. » — D'Estampes propose aussi trfes-nettement
I'abolition de la vtoalitS des charges et des epices, p. 101 ; cf. Pussort, p. 418. —
Boucherat, p. 62.
(2) Mimoire de d'Esfampes , p. 107.
184 l'ordonnance db 1670.
rencontrer une occasion aussy favorable de monter par leurs
services en des places dent leurs chefs se seroient rendus indi-
gnes (1). »
Une autre proposition bien hardie, et qui reviendra dans la
discussion de I'Ordonnance de 1670, se trouve dans plusieurs
Memoires, on veut supprimer les justices seigneuriales et eccle-
siastiques. Pussort signale « le grand nombre de justices qui soot
dans le royaume ; il en nait quatre sortes de maux, multiplication
des juges, contention entre eux, multiplication des proces, et
vexations ^ux sujets de Sa Majeste. Le veritable remede i
ce desordre seroit de reunir toutes les justices des seigneurs,
tant ecclesiastiques que laiques a la royalle, de laquelle elles
sent emanees (2). n — « II est de la grandeur du Roy de sup-
primer toutes les justices seigneurialles du royaume, et d'en
establir de royalles aux lieux oil I'establissement sera juge ne-
cessaire, estant peu convenable a la Majeste royale que des juges
establis par des seigneurs particuliers , paisans pour la plupart,
incapables de toutes fonctions , qui deshonorent le caractere du
juge et jettent la justice dans le mepris , soient preposez pour
juger des bi^ens , de I'honneur et de la vie des subjects du Roy,
et ayent ce droit de sang , c'est-a-dire de la haulte justice , qui
est le droit- qui distingue davantage les souverains d'avec le reste
des hommes... En effet, dans I'antiquite il ne se trouveroyt
point que des personnes priyees en ayent joui... et aujourd'huy
mesmfes dans tons les Estats de I'Europe, il est inouy que ce
droit d'institution des juges reside en d'autres mains qu'en celles
qui ont I'authorite souveraine dans les Estats. Cela est constant
en Italie, en Espagne, en Angleterre, a Venise et ailleurs, ex-
cepte en AUemagne (3). » Le conseiller Lemaistre de Bellejame
propose seulement de reserver aux seuls juges royaux la justice
criminelle (4). De Seve demande que, si dans les trois jours du
■ (1) Pussort, p. 428-431.
(2) P. 445.
(3) Mdmoire sans mm d'auieur, pp. 615-616.
(4) Voici ce qu'il dit des juridictions ecclfeiastiques : « La justice de I'figlise
n'est pas en meiUeur estat. On instruit le procfes par ccBur, on prend espioes et
taxations , il ne se faict point de proems criminels s'il n'y a partie qui advance
l'ordonnance de 1670. 185
crime , les juges seigneuriaux n'ont pas informe , le juge royal
les previenne (1). Deshameaux veut que « les officiers des moyens
et has justiciers ne puissent prendre autre connoissance que de
ce qui concerne les mouvances, censives , et autres droits sei-
gneuriaux. »
Cependant , bien qii'ils aient surtout en vue la reforme de la
magistrature , les auteurs des Memoires pensent qu'il est neces-
saire aussi de refondre et renouveler les Ordonnances. On veut
« etablir une procedure certaine et uniforme dans le roiaume (2), »
poser « des maximes generales sur la justice (3), » « former
un corps de toutes les Ordonnances que Sa Majeste voudra estre
gardees et observees dans le roiaume (4), » imposer « une
mesme forme et pratique (5). » Mais une question se posait
necessairement : comment proceder a cette codification? 11 est
curieux de voir que les conseillers songent naturellement aux
Etats-Generaux ; ils n'acceptent point I'idee d'une convocation
des fitats, mais en general ils croient devoir la produire, au
moins pour la refuter. « On pourroit proposer a Vostre Majeste
une assemblee d'Etats-Generaux de vostre royaume , mais elles
ont souvent des suites de consequence et sont remplies d'un si
grand nombre de deputez , que la diversite des opinions destruit
les bonnes intentions. Le feu Roy de glorieuse memoire se servit
d'assemblees particulieres de notables en 1617 a Rouen et en
1626 a Paris, composees de prelatz, principaux seigneurs de
les frais , impunite y r^gne , et tout cela provient de ce qu'on vend les charges
d'offlcial, de promoteur et de greffier. » P. 49.
(1) Mimoire de de Sive, p. 485.
(2) Mimoire de Boucher at , p. 75.
(3) Mimoire de d'Estampes , p. 117.
(4) Pussort, p. 447.
(5) Mimoire sans nom d'auteur, p. 494. L'un des Memoires (p. 646) propose m^me
d'^tablir un droit civil uniforme , une coutume gen^rale et unique; — mais d'au-
tres conseillers pensent qu'on ne pent changer les Coutumes (d'Estampes, p. 1 17) >
et de Seve les d^signe comme « des lois establies par le consentement gtoSral des
peuples sous I'authorit^ des Roys , qui sont pour la plupart aussi anciennes que
la monarchie, et s'appellent Coutumes, entre lesquelles je voudrais ranger ce qu'on
appelle Droict Escrit dans aucunes provinces de la France , d'autant que ses de-
cisions n'emprumptent point leur force des Empereurs , mais des peuples qui les
ont volontairement embrass^s, comme a escrit Procope. » P. 465.
186 l'ordonnance de 1670.
vostre noblesse et officiers de vos cours souveraines , qu'il vou-
lut choisir avec ceux de son conseil, par I'advis desquels fust
arrestee une nouvelle Ordonnance sur la reformation de la jus-
tice... et apres la dite assemblee de notables de 1626 fut faite
rOrdonnance de 1629... Sans assemblees d'Estats ni de nota-
bles, qui causent de tres-grands embarras, sur les memoires
et advis que Vostre Majeste nous a commande de dresser... et
par telle autre maniere que sera juge convenable, Vostre Majeste
pourra faire, si elle I'a agreable, son Ordonnance (1). » Mes-
grigny rappelle aussi les Etats-Generaux (2). Pussort lui-meme
en parle, mais c'est pour les traiter de haul. « Faut demeurer
d'accord que les reformations des Etats qui sont les plus purs
et les derniers efforts de la prevoyance royale, ne compatissent
guerre avec les secousses des guerres civiles et la division des
subjets d'avec leur souverain; ce sont des temps auxquels les
rebelles ne manquent jamais de demander des reformations pour
donner couUeur a leur revolte et profiler des occasions d'afoi-
blir I'authorite royalle , et les Roys ne manquent jamais de leur
accorder, tant pour tesmoigner leur affection pour le bien de
I'Estat , que pour separer et escarter la nuee. Mais on ne voit
jamais d'execution de ces reformations, parce qu'il n'estoit pas
le dessein de ceux qui les ont demande ny de ceux qui les ont
accorde , et c'est pent etre une des resons (oultre celles que j'ai
marque devant) pour laquelle nous n'avons en France aucuns
regleme'nts qui aient este pleinement executez, parce que si on
les examine soigneusement , on trouve qu'ils ont tous pris nais-
sance au milieu des desordres des guerres civilles , et on peut
dire que le bruit des canons a empesche d'entendre les remon-
trances des lois (3). » Dans la discussion au Conseil d'fitat, le
mot d'Etats-Generaux sera aussi prononce, on verra avec quel
succes.
La plupart des Memoires s'accordent a faire participer les
officiers de justice k la reformation. « Cette matiere est plus
propre a discuter par des officiers du palais, occupes chaque
(1) Mimoire de la Maugrie, p. 227.
(2) P. 376.
(3) P. 422.
l'ordonnance t)e 1670. 187
jour dans I'instruction et le rapport des proces , qui connoissent
mieux qu'aucuns autres les abus et artifices des plaideurs et de
ceux qui les conduisent (1). » « II est necessaire d'avoir I'advis des
principaux officiers des Parlemens (2). » On desirerait « qu'il fust
mande aux premiers presidents et procureurs generaux de faire
assembler les Parlemens soit en corps ou par deputez pour con-
venir des maximes generates et en estre dans six mois au plus
tard envoye des Memoires a Sa Majeste (3). » « Sa Majeste fera
prealablement conferer, s'il lui plaist , avec les principaux offi-
ciers de ses cours souveraines de Paris, qui sauront les abus
particulliers qui s'y commettent et dans les bailliages et jus-
tices inferieures, sur lesquels on dit mesme qu'ils travaillent
presentement (4). » « II semble a propos... d'ecrire aux Par-
lemens et autres compagnies souveraines de choisir en corps
de deputez parmi eux quatre ou six des plus notables d'entre
eux , sans plus grand nombre afin d'oster confusion , pour revoir
les Ordonnances et compiler celles qui ne s'observent pas , pour
en faire recueil (5). » Seul Pussort, qui sait oii il va, dresse
un plan tres-pj-ecis , dans lequel la magistrature ne joue aucun
role. « Get ouvrage , dit-il , qui est de grande estendue peut et
doit estre I'occupation de plusieurs personnes auxquelles les
matieres pourront estre distribuees selon leurs capacites et les
connoissances particulieres que les emplois qu'ils ont eu peu-
vent leur avoir acquis.
« Je suis persuade que six hommes sufflsent pour la perfection
de ce travail , qu'un moindre nombre causeroit du retardement et
qu'un plus grand y apporteroit de la confusion.
« Je croirois qu'il seroit a propos qu'ils quittassent tout autre
employ, et se sequestrassent meme par une retraite a la campagne
de toutes les occasions d'affaires qui les pourroient destourner,
afin qu'appliquez entierement a celle-la ils pussent s'en acquitter
au plus tost et avec plus d' exactitude.
(l)D'Aligre, p. 4.
(2) Barillon Morangis , p. 31.
(3) D'Estampes, p. 117.
(4) La Maugrie, p. 277.
(3) P. 493 ; — cf. Mimoire de Mauroy, p. 355.
188 l'ordonnance de 1670.
« Ces six personnes travailleroient tous separement, puis rap-
porteroient en commuD I'un des jours de la semaine ce qu'ils
auroient fait.
« Je voudrois preposer a ceste assemblee une personne deme-
rite, de suffisance et de consideration qui conduiroit I'ouvrage,
feroit la distribution des matieres , presideroit aux assemblees , et
feroit rapport a Vostre Majeste des choses plus importantes sur
iesquelles il seroit besoin de recevoir ses ordres (1). » On verra
plus loin quel succes aura le plan de Pussort.
Que nous apprennent les Memoires sur ce qui nous interesse
specialement, sur la procedure criminelle? On proclame qu'il n'y 3
qu'a reprendre, en la developpant, I'Ordonnance de 1539, qui est
un parfait modele. « Ceste mesme Ordonnance a demesle ce qu'il
y avoit de confus dans I'instruction de la procedure criminelle, es-
tant surtout qu'auparavant il n'y avoit aucune rfegle certaine pour
I'instruction des proces criminels , et ainsy il arrivoit souvent que
par le defaut d'une valable instruction plusieurs crimes demeuroient
impunis, ou se punissoient quelquefois avec trop de severite , soil
que le fait ne fut pas suffisamment esclaircy , ou que les preuves
eussent depery par la longueur de la procedure (2). » « II ne faut
obmettre la justice criminelle qui est I'objet ordinaire de leur ne-
gligence (aux juges) et ou je voy peu de remede, puisqu'elle des-
pend de leur seule conscience. Car pour la formalite il n'y a rien a
adjouster aux articles de I'Ordonnance de 1539 qui regardentles
procedures criminelles , que de tenir la main a ce qu'ils soient
executez (3). » Quanta trouvercette procedure trop severe, on n'y
songe point ; tout au contraire , si on lui reproche quelque chose,
c'est plut6t sa trop grande douceur, et quelques-unes des aggra-
vations, que contiendra I'Ordonnance de 1670, sont visees dans
les Memoires. « L'impunite des crimes est le plus grand de tous .
les desordres qui se rencontrent en I'administration de la justice ,
elle nait de I'interpretation favorable et condescendante que les
juges out donne de temps en temps aux Ordonnances qui ont este
(1) Pussort, p. 447.
(2) Boucherat, p. 62; voy. aussi d'Estampes, p. 118.
(3) De S&ve, p. 483.
l'ordonnance de 1670. 189
faictes sur ceste matiere (1). » — « II ne sera donne liberie aux
accuses de communiquer avec qui que ce soit avant leurs inteiro-
gatoires ni aucun conseil avant la confrontation des tesmoings ,
pourvu qu'elle se fasse dans un mois ou deux au plus tard , selon
qu'il sera ordonne par les juges apres I'emprisonnement, passe
lequel temps les accuses pourront avoir conseil libra , sans toute-
fois qu'il prejudicie a la surete et garde des prisonniers ainsy que
de tous temps il a este practique , sinon qu'il s'agisse de crime
d'Estat, dont le secret imports, auquel cas ils n'auront ni commu-
nication ni conseil sans I'ordre et permission des juges (2). » —
« Les affaires criminelles qui ont este traictees depuis quelques
annees ont fait connoistre que les Ordonnances n'ont pas pourveu
a toutes les formes necessaires par les instructions des proces cri-
minels, comme sur le fait des appointements a ouir droit, sur les
conseils a donner aux accuses libres ou en presence, faire les dis-
tinctions que Ton y peut apporter;... il semble que les condamnes
par contumace soient traites trop favorablement par I'Ordonnance
qui leur donne cinq annees pour se faire restituer (3). »
Ce que revelent surtout ces documents ce sont les prevarica-
tions et abus, tels que ceux qui apparaissent aux Grands-jours de
Clermont. Pussort parle « de I'appui que les personnes puissantes
qui ont este accusees ont regeu des officiers de la robbe par les
liaisons qu'ils pratiquent avec eux , erf sorte qu'il est rare de voir
la punition d'un crime quelque qualiffie qu'il soit , et fort ordi-
naire de voir ceux qui ont fait les poursuites ruines et accables
paries frais excessifs des procedures. »'I1 signale « ces societes
de crimes appuiees de I'authorite des magistrats et mises en
quelque facon sous la protection des lois (4). » — « Rien li'est
si dangereux que de souffrir des rebellions a justice , des asiles
dans les maisons des grands pour les criminels , que les huissiers
n'ayent pas liberte de faire leurs saisies et executions et que la
justice demeure sans etre obeye. Un huissier avec sa baguette
(1) Passort, p. 400.
(2) p. 525 Mimoire sans mm cCauteur.
(3) P. 646.
(4) P. 400.
190 l'ordonnance de 1670,
porte I'authorite du prince (1). » On denonce Tabus des frais et
la rapacite des juges (2). A Rouen on ne communique les proces
aux gens du roi que pour donner des conclusions definitives (3) ;
" a Toulouse on charge d'epices les arrets rendus par contumace
« ce qui empesche egalement I'absolution des innocents et la
punition des coupables, centre I'esprit de I'Ordonnance qui, pour
faciliter I'une et I'autre, a pris un soin tres particulier de charger
de peu d'espices les proces criminels (4). » On signale en parti-
culier cet abus si grave des informations faites par des incapables
ou des gens tares. « Je suis oblige de dire a Votre Majeste un
mauvais usage qui se pratique en quelques presidiaux... Pour
multiplier la pratique et la chicane ils establissent des commis es
villes et bourgades de leur ressort, lesquels, pour de I'argent,
distribuent des commissions pour informer de crimes et de delits
adressantes au premier sergent royal , lesquelles sent intitulees
du Presidial, du Lieutenant general ou du Lieutenant criminel, et
comme Ton delivre de telles commissions a tous venans sans
cognoissance de cause, bien souvent le coupable faict informer
contre I'innocent, porte I'information decreter; I'innocent est
amene prisonnier, ce qui faict beaucoup de vexations (5). » Le
conseiller de Seve montre un double vice dans la procedure;
d'un cote il y avait une tendance a prendre la voie de la proce-
dure extraordinaire, meme pour des delits tres-legers; d'autre
part, meme en cas de crimes graves, s'il n'y avait point de partie
civile qui se constituat, bien souvent la poursuite etait negli-
gee (6).
Mais I'institution la plus defectueuse ,etait bien cette terrible
juridiction prevotale , dont le nom restera avec une signification
funebre. Quelques-uns des Memoires sont a ce sujet d'une vivacite
remarquable. « II seroit expedient pour le bien de la justice de
supprimer les petites mareschaussees , ou les reunir aux grandes
(1) Barillon Morangis , p. 30.
(2) Boucherat , p. 73.
(3) Boucherat, p. 83.
(4) Boucherat, p. 84; of. Barillon, p. 75.
(5) D'Estampes, p. 382.
(6) P. 485.
' l'ordonnance de 1670. 191
qui sont dans les villes ou il y a des presidiaux. Car les petites
mareschaussees font une ruine incroiable au pauvre peuple ; le
prevost demeure en un lieu , le lieutenant en une bourgade et
I'assesseur encore en une autre. Comme ils n'ont pas des archers,
ils commettent des gens de sac et de corde et vont prendre les
pauvres paisans , qu'ils croient avoir quelque peu de bien , leur
font croire qu'ils ont vole , qu'ils ont porte des armes a feu , les
emprisonnent en chartres privees jusqu'a ce qu'ils en aient tire
de I'argent. Apres la paix il n'y a point de paisan en Morvan, qui
n'ait paie aux petits prevosts des mareschaux ou leurs lieutenants
ou assesseurs, deux pistoles chascun pour le port d'armes. J'ou-
bliois de dire que si Vostre Majeste ne supprime pas les petites
mareschaussees , au moins elle doit supprimer les assesseurs , qui
font plus de mal que les autres, a cause qu'ils sont graduez , ils
scavent mieux les detours de la chicane (1). » D'Estampes cons-
tate aussi que les prevosts ne font pas leur devoir, parce que les
archers ne sont pas payes et il veut qu'on leur fasse defense
expresse de prendre de I'argent des parties (2). Mesgrigny et
d'Estampes demandent I'un et I'autre que les prevosts fassent les
proces « incontinent et sans delai, » et qu'ils soient tenus de
declarer aux accuses qu'ils vont les juger prevotalement et en
dernier ressort, « des le premier interrogatoire , affin que les
accusez ne soient point surpris et puissent proposer leur declina-
natoire et incompetence, laquelle sera jugee en la maniere accous-
tumee suivant les Ordonnances... i'esprit de I'homme estant
autrement agite quand il doit estre juge en dernier ressort , que
quant il y a appel (3). » Tous deux s'accordent pour vouloir qu'on
defende aux juges superieurs de prendre connoissance des appels
des prevosts , vice-baillifs , et vice-seneschaux (4) ; cela etonne
d'abord de la part de gens qui n'aiment guere cette juridiction ,
mais Mesgrigny donne la raison de ce voeu. « Depuis I'Ordon-
nance de 1629, il y a eu une declaration qui attribue aux prevosts
(1) Mesgrigny, p. 383; cf. une lettre de I'evSque de Tarbes a Colbert, du 21
mai 1664. {Correspondance administrative sous Louis XIV, tome 11, p. 133.)
(2) P. 132.
(3) D'Estampes, p. 133.
(4) D'Estampes, p. 132; Mesgrigny, p. 382.
192 ' l'ordonnance de 1670.
des mareschaux le pouvoir de juger a la charge de I'appel, qui
est une tres-mauvaise institution, car les prevosts en abusent, et
quand un ennemi veut faire injure a un bourgeois domicilie,
mesme souvent a un gentilhomme qualifie, c'est a eux qu'il
s'adresse (1). » Ce qui paraissait absolument necessaire, c'etait
de determiner etroitement' la competence flottante encore des pre-
vots (2). L'Ordonnance fera cette determination ; mais 11 faudray
revenir encore au siecle suivant.
Nous nous sommes arretes longtemps sur ces Memoires;
mais ces documents inedits nous ont paru presenter quelque
interfit. On y parle franc , plus qu'on ne le fera souvent dans la
discussion au Conseil d'Etat ou dans les Conferences.
III.
Colbert avait adopte pleinement le plan propose par Pussort.
Dans la note qi^'il a redigee sur les Memoires , il inscrit cette
mention : « Pour ce qui concerne le corps de toutes les Ordon-
nances, nommer six personnes habiles avec un president qui
se retireront a la campagne pour composer le corps de toutes
les Ordonnances pour etre suivies et executees dans tout le
royaume (3).j) C'est alors qu'il adressa au Roi ce Memoire du
15 mai 1665, dont nous avons parle plus haut.' II y etablit
nettement d'abord qu'il s'agit d'une vaste codification. « Comme
Sa Majeste ne pense et n'execute rien que de proportionne a
I'estendue de son esprit, elle nous a suffisamment fait cognoistre
qu'elle ne veut pas entreprendre ce dessein pour suivre I'exemple
des rois ses predecesseurs , qui se sont contentes de faire quel-
ques ramas d'Ordonnances , de I'execution duquel ils ne se sont
pas mis fort en peine. Sa Majeste nous ayant dit qu'elle veut
reduire en un seul corps d'Ordonnances tout ce qui est ne-
cessaire pour etablir la jurisprudence fixe et certaine et reduire
le nombre des juges... il ne nous reste qu'a expliquer nos sen-
(1) P. 383.
(2) Barillon Morangis, p. 76.
(3) Lettres, etc., torn. VI, p. 21.
l'ordonnance de 1670. 193
timents , suivant I'ordre qu'il a plu a Sa Majeste nous en donner,
des moyens que Ton peut pratiquer pour parvenir a ces deux
grandes fins. »
Le plan que va proposer Colbert, est, comme on I'a remar-
que , celui qui fut suivi plus tard pour la redaction des Codes
qui nous regissent encore aujourd'hui. Il^comprend deux parties :
une discussion au Conseil d'Etat de projets prepares par des
commissions ou sous-commissions ; et , en meme temps , pour
faciliter le travail, une vaste enquete ouverte dans tout le pays
parmi les corps competents.
On formera d'abord « un Conseil de justice » compose des
membres les plus habiles du Conseil d'Etat. « II faudrait en
fegler la seance a jour fixe, une fois la semaine ou en treize
jours, et en mesme temps falre le departement des matieres,
scavoir : I'examen de tout le corps des Ordonnances pour con-
noistre tons les changements qu'il y auroit a faire. Pour ceste
matiere , qui est la plus grande et la plus etendue de tout ce
travail, il seroit necessaire de mettre quatre ou six des plus
habiles conseillers d'Estat , qui prendroient avec eux les quatre
ou six plus habiles avocats du Parlement, dont il seroit com-
pose une compagnie particuliere , qui se tiendroit chez le doyen
des conseillers d'Estat. — 11 seroit encore necessaire de separer
ceste matiere de celle de la justice distributive civile. — En
chacune de ces matieres deux conseillers d'Estat et deux avocats
travailleroient ; pour examiner dans I'assemblee des douze , ce
qui auroit ete regie par les quatre , et ensuite apporter le tout
bien digere au Conseil du Roy. » Colbert ne se contente pas de
dessiner cette sage division du travail et d'assigner a chacun
son role; il indique de plus I'esprit dans lequel le travail doit
etre fait. Void ce qu'il dit de la procedure criminelle : " Exami-
ner tout ce qui concerne la justice criminelle du royaume ,
comme la plus importante , en retrancher toute chicane , et
prendJ^ garde d'establir des moyens assures , pour, en conser-
vant et en assurant les innocents , parvenir promptement a la
punition des criminels. » On verra comment Colbert fut compris.
Four YenquSte, dont nous avons parle, il fallait « des la pre-
miere seance faire choix de huit maitres des Requetes habiles et
13
194 l'ordonnance de 1670.
de probite, autant qu'il se pourroit, pour aller servir actuelle-
ment dans tous les Parlements du royaume ; » ils recevraient « une
ample instruction ; » et dans les assemblees p^riodiques des com-
pagnies, ils recueilleraient les doleances et observations qu'ils
adresseraient au Conseil de justice. Afin de faciliter les rapports,
on devrait designer certains membres du Conseil pour recevoir
les communications de tel ou tel maitre des Requites en mission,
« pour tenir correspondance avec tous les maistres des requestes
faisant leurs visites dans les provinces ; faire rapport au conseil
de tous les desordres qu'ils trouveront sur le fait de la justice,
pour y apporter sur-le-champ les remedes qui seroient trouves
convenables et porter ensuite en I'assemblee particuliere des six
ce qui concerneroit la redaction de I'Ordonnance. » Cela s'executa,
au moins en partie (1) ; mais nous n'avons point les resultats de
cette vaste information. Cost a elle que Louis XIV fait sans
doute allusion, lorsque, dans « ses feuillets pour 1667, » il in-
dique, en parlant de la redaction des Ordonnances, des « Me-
moires envoyes des autres Parlements (2). »
Le Conseil de justice, propose par Colbert, se reunit pour la
premiere fois au Louvre le 25 septembre 1665. Des lors le grand
travail est commence, il se continuera sans interruption jusqu'a
complet achevement. L'histoire de ces discussions ne nous est
pas integralement connue. Tandis que le proces-verbal des con-
ferences , tenues plus tard entre les membres du Conseil et les
delegues du Parlement, fut publie de bonne heure et servit de
fondement a I'interpretation des Ordonnances; pendant long-
temps rien ne transpira des seances du Conseil d'Etat. Un pro-
ces-verbal de ces seances fut pourtant redige, et un manuserit
de la Bibliotheque Sainte-Genevieve en contient une partie sous
(1) Au dernier feuillet du volume 613 des Milanges CUrambauU, nous trouvons
une note du 2 octobre 1665, contenant les noms des « maistres des requestes
rtpartis pour servir dans les dSpartements , » avec des observations sur chacuii
d'eux.
(2) Mimoires, edit. Dreyss, torn. II, p. 252. Colbert, d'ailleurs, accumulaitles
documents. Nous trouvons au mois de septembre 1665 (sans indication de jour),
une note par laquelle il demande J. M. de Gomont, cfilfebre avocat, « de faire
un plan ou projet de la conduite que le roi pent et doit tenir pour la reformation
de la justice de son royaume. » Lettres, torn. VI, p. 12.
l'ordonnance de 1670. j9S
le litre : « Deliberation du conseil de la reformation de la justice. »
Ce document signale et utilise pour la premiere fois par M. Fran-
cis Monnier (1), a ete publie en entier par M. Pierre Clement
dans ses Lettres, mSmoires et instructions de Colbert (2). Mais ce
n'est malheureusement qu'ua fragment; il ne contient que le
proces-verbal de trois seances. D'autre part, nous possedons une
lettre tr6s-int6ressante de I'avocat Auzanet a I'un de ses amis sur
la reformation de la justice. C'est le temoignage d'un des princi-
paux acteurs, mais il est tres-bref, et on voit que I'auteur ne
veut point completement devoiler ces mysteres (3). Ces deux
documents se rapportent surtout a la redaction de I'Ordonnance
de 1667; neanmoins, comme la marche adoptee au debut fut
suivie jusqu'au bout, il n'est pas inutile pour nous de les exami-
ner rapidement.
La premiere seance du Conseil de justice se tint, comme nous
I'avons dit, le 25 septembre 1665 , « dans le cabinet de Sa Ma-
jeste, a Tissue de la messe. » On avait choisi pour composer le
Conseil MM. Voisin, de Villeroy, Colbert, Hotman, le chance-
lier Seguier, de Machault , de Verthamon , Poncet , Boucherat et
Pussort. Le chancelier Seguier paraissait pour la premiere fois
dans la grande entreprise ; jusque-la Colbert avait tout mene , et
le Chancelier 6tait si peu au courant de ce qu'on projetait , qu'il
commit dans cette premiere seance un certain nombre de mala-
dresses (i).
(1) Guillaume de Lamoignon et Colbert. Essai sur la legislation frauQuise au
xvn» siicle, 1862. (Extrait da compte-rendu de rAcadSmie des, Sciences morales
et politiques.)
(2) Tom. VI, App., pp. 369, ssq.
(3) « Vous m'avez souvent sollicit6 de vous faire scavoir le detail de tout ce qui
s'est passe dans toutes les assemblees qui se sent tenues pour la reformation de
la justice, ilquoije n'ai peu ni deu satisfaire, k cause du secret qui avoit est6
ordunn^; mais comme les choses les plus particuliferes se decouvrent dans la
suite des temps, a present que cette affaire a est^ rendue publique, et que j'jiy
liberty de satisfaire vostre curiosity , je vous expliqueray les causes de cette
assembl^e et les ordres qui ont esU donnas et suivis a ce sujet. » Lettres, etc.,
de Colbert, torn. VI, Append., pp. 396, ssq.
(4) « Colbert k I'oreille du roi, et c'est lui qui devientle veritable chancelier, en
mfime temps qu'il reforme toutes les branches de radministration... Siguier
preside toutes les commissions de reforme, mais c'est I'inspiration de Colbert qui
domiue dans ces conseils. » Le chancelier Siguier, par M. Rene de Kerviler,
p. 379.
196 l'oedonnance de 1670.
La seance s'ouvrit par une allocution du roi : il declara qu'il
voulait la reforme de la justice , « qu'il etoit resolu de s'y appli-
quer avec assiduite, et que le Gonseil qu'il avoit assemble au-
jourd'huy n'estoit pas pour une ou plusieurs'annees, mais qu'il
entendoit I'employer et I'appeler aupres de luy pendant le cours
de toute sa vie. » Le Chancelier, apres avoir loue le dessein du
roi, dit qu'on devait commencer par ce qui regarde I'etat eccle-
siastique ; « il distribua les matieres k Messieurs du Gonseil qui
estoient a sa gauche. » Le roi evidemment n'etait pas satisfait.;
« quoique les choses ne se passassent point, ni dans le dessein,
ni dans Tagrement du Roy, Sa Majeste, avec une moderation
extraordinaire, a laisse agir M. le Chancelier pour cette distribu-
tion ; » cherchant alors dans les poches de son justaucorps,
« entre plusieurs memoires et papiers, en a tire un ecrit de sa
main , qu'il a dit avoir compose estant a Villers-Cotterets pour
expliquer ses intentions sur les principaux points du sujet de
I'assemblee. » Quel etait ce memoire? Le souvenir de I'Ordon-
nance de 1S39 avait-il inspire le roi a Villers-Cotterets, oun'etait-
ce que le rapport adresse par Colbert? Ce qui est certain, c'est
que Louis XIV proposa tout d'abord deux des mesures indiquees
par son ministre : des reformes dans le Conseil d'Etat , et ren-
voi de maitres des Requetes dans les provinces. La-dessus on se
separa.
La seconde seance se tint le U octobre 1665, toujours au
Louvre. MM. d'Estampes, de Morangis et de Seve figuraient
pour la premiere fois au Conseil; M. Poncet n'y etait plus. On
allait cette fois arreter la marche a suivre. Aussi Colbert avait-il
prepare un discours , dont nous avons I'original dans ses papiers,
mais qui , semble-t-il , ne fut pas prononce : il y insiste sur cette
idee que c'est bien une veritable codification que le roi. de-
sire (1).
Hotman parla le premier comme le plus jeune; il parut tout
a fait instruit des projets de Colbert; il montra qu'il s'agissait
non pas de faire des lois vraiment nouvelles , mais de reformer
les lois anciennes, observant en particulier que « la juridiction
(1) Letlres, etc., torn. VI, p. 14.
l'ordonnance db 1670. 197
criminelle a trop peu de lois et de reglements... et qu'ainsy
on voit un style de proceder si estendeu et si different dans
les matieres criminelles, ou I'indulgence des derniers temps a
introduit tant de relaschement , qu'il semble absolument neces-
saire d'y pourvoir par des reglements certains et qui confirment
et assurent toutes les formes. » II propose a Sa Majeste « d'en
partager les soins aux personnes qu'elle a voulu assembler; » il
demande aussi une large enquete. « MM. les commissaires recher-
cheront les moyens d'y parvenir par les avis qu'ils retireront
des provinces , scavoir en matiere criminelle par I'avis des lieu-
tenants criminels, et anciens procureurs du roy, des juges et
des assesseurs dans les mareschaussees. »
M. Voisin, qui parla ensuite, proposa de suivre le Code
Henry et d'employer des commissaires. Pussort declara que Jus-
tinien a dans un pareil dessein, avoit employe dix annees d'ap-
plication assidue de douze des plus habiles et experimentes
jurisconsultes , » et que par suite « il ne pouvoit presentement
donner un avis motive. » M. Boucherat dit que la « reformation
des Ordonnances estant d'une estendue infinie et meritant les
soins et I'application d'un grand roi, ne pouvoit pas estre re-
solue ni entreprise sans une grande et serieuse meditation ; que
les rois et predecesseurs de Sa Majeste avoient tantost assemble
les Estats, quelquefois des personnes notables et en des ren-
contres les premiers officiers du Conseil et des compagnies du
royaume; et qu'ainsi il croyoit que le plan de Sa Majeste me-
ritant une grande attention , on ne pouvoit s'y resoudre sur-le-
champ (1). » II est curieux d'entendre prononcer ici ce mot
d'Etats-Generaux , que nous avons deja trouve dans les M€moires.
II est clair que Boucherat voulait faire participer a I'ceuvre les
corps qui representaient plus ou moins directement le pays ; cet
homme, que Saint-Simon traite fort cavalierement (2), exprima
alors la pensee la plus elev6e. Aussi voit-on se ranger a son
avis MM. de Morangis, de Seve et Le Tellier. Cela devait
(1) Lettres, etc., torn. VI, p. 374.
(2) « II est difficile de comprendre comment M. de Turenne s'en coiffa, et com-
ment ce magistrat soutint les emplois , quoique fort ordinaires , par lesquels il
passa. » M6moires, torn. II, p. 217.
198 l'ordonnance db 1670.
deplaire fort a Colbert, mais M. de Verthamont revint au projet
de travailler simplement par commissaires ; puis on ferait le rap-
port en presence du roi pour que « la decision fut resolue at
establie par les grandes lumieres que Dieu avoit departies a
Sa Majeste, ce qu'il ne disoit pas par I'honneur qu'il avoit
d'estre en sa presence, mais par la connoissance publique de
tous les sujets de Sa Majeste ainsi que des estrangers, qui es-
toient, obliges d'avouer que Dieu luy avoit departi une intelli-
gence et uQ genie tout extraordinaire et tout a fait eleve au
dessus des autres hommes. » II ne s'arreta pas la et continua
par des rapprochements , qu'il dut trouver fort ingenieux , entre
Justinien ei Louis XIV. II y avait la de quoi rasserener le roi,
M. de Machault fut d'avis « qu'il suffisoit de prendre les con-
ferences des Ordonnances, le Code Henry, ou I'Ordonnance de
M. de Marillac, pour ajouter les choses omises, retrancher les
superflues et mettre en peu de temps les choses en estat de loy
parfaite. »
Ce fut au tour de Colbert de prendre la parole. II commenca
par louer le roi ; puis bientot d'une fagon nette et breve , il exposa
le plan qui devait etre suivi, c'est celui que nous connaissons
deja. Alors tout le monde s'y rallia. Le roi demanda son avis
au Chancelier, qui suivit le courant. « L'ouvrage de la refor-
mation des lois estoit une prerogative de la souverainete, tous
les avis et meme les reglements des compagnies ne pouvoient
avoir aucune force de loy, dont la forme ne pouvoit estre impri-
mee que par le caractere du prince. » II adopta la distribution
des matieres a des conseillers aides par des avocats, et pro-
posa qu'on tint chez lui des conferences pour preparer ce qui se-
rait porte au conseil du roi. Le roi declara que c'etait la ce
qu'il avait resolu ; mais il repoussa I'idee de conferences chez le
Chancelier : « en toutes affaires il avoit toujours souhaite qu'on
s'adressat a lui directement afm de connoistre librement et plus
naturellement les sentiments de tous ceux qui traitoient ses af-
faires, ce qui ne pourroit se reconnoistre , si avant que parler
en sa presence, on estoit d'accord et dans des sentiments uni-
formes. » Ce langage n'etonne point dans la bouche de Louis XIV.
Le Chancelier fit alors au roi des propositions pour la distribution
l'ordonnance de 1670. 199
des matieres ; mais « le roi se levant a dit qu'il en confereroit
avec lui dans le particulier et que la chose meritoit quelque dis-
cussion. »
Le mardi 13 octobre, Colbert, par ordre du roi, remit au Chan-
celier la liste des commissaires choisis. Elle etait dressee par
avance, car elle se trouve jointe au M^moire du mois de mai,
dont nous avons parle plus haut ; elle n'avait subi presque aucun
changement. Nous trouvons : « pour la justice {k subdiviser en
civile, criminelle et police), MM. de Verthamont, Colbert, Pus-
sort, Voisin, Caumartin, Le Pelletier de LaReynie; pour servir
de secretaire, M. Hotman. — Avocats qui doivent servir a la
dite reformation : MM. Auzanet , I'Hoste I'aine , de Gomont , Ra-
gueneau, Rellain etun sixiemequi sera nomme (1). »
Le travail utile allait commencer ; mais ici nous trouvons une
lacune considerable dans nos documents. Nous n'avons plus que
le proces-verbal d'une seule seance de Conseil de justice, celle
du dimanche 25 octobre 1665. Le debat porta sur les articles qui
composerent plus tard le titre I de I'Ordonnance de 1667, sur
I'observation des Ordonnances. C'etait le point auquel tenaient le
plus le roi et Colbert. II s'agissait de dompter les Parlements et
de rendre illusoire le droit d'enregistrement. Lamoignon disait
de I'Ordonnance de 1667 : « qu'elle commence d'abord par des
menaces centre les Parlements et toutes les compagnies souve-
raines. » Une discussion interessante eut lieu au Conseil de jus-
tice; on declara que les tribunaux ecclesiastiques devaient au
meme titre que les autres etre soumis aux lois de I'Etat , et qu'il
fallait supprimer la qualification de « Cours souveraines » attri-
buee aux Parlements. Louis XIV intervint avec sa hauteur habi-
tuelle. « Le Roy a dit que pendant sa vie les remontrances ne
feroient aucun prejudice , parce qu'il sauroit bien retrancher les
inutiles et tumultueuses , et faire consideration de celles qui se-
roient respectueuses etraisonnables. » Mais tout cela nous eloigne
de notre sujet.
Cependant les conferences des commissaires et des avocats
(1) « Depuis le 16 dudit mois d'octobre, le roy a nornm^ M. Foucault, greffier
de la Chambre de justice, pour travailler en quality d'avocat. » Lettres, etc.,
torn. VI, p. 377.
200 l'ordonnance de 1670.
avaient commence ; nous en connaissons la physionomie par cette
lettre d'Auzanet que nous avons citee. Cast au mois d'octobre
1665, probablement tres-peu apres le 13, que M. de Vertha-
mont, qui devait presider la commission, « envoya des billets
chez les avocats, portant ordre de se rendre chez M. le Chan-
celier. » lis s'y rendirent en robe et furent regus par Seguier,
qui les avertit de ce qu'on attendait d'eux. « Peu de jours apres
les commissaires s'estant rendus chez M. de Verthamont, mon-
dit sieur de Verthamont prit la seance au bout d'en haut du
bureau ou de la table dans un fauteuil; a sa main droite estoit
M. Pussort, conseiller d'Estat, aussi dans un fauteuil, ensuite
MM. de Caumartin et Le Pelletier de La Reynie, maistres des
Requestes , et les sieurs L'Hoste , de Gomont, et Foucault,
avocats; et a main gauche estoient MM. Voisin et Hotman,
maistres des Requestes , les sieurs Auzanet , Ragueneau et Bel-
lain, avocats. » C'est la, comme nous dirions aujourd'hui ,. la
photographic de la seance. Cette preoccupation des questions
d'etiquette, qui se montre dans plusieurs passages de la lettre
d'Auzanet , troublera plus tard quelque peu la premiere confe-
rence avec les parlementaires.
D'abord il y eut deux vacations par semaine ;• puis , le roi
etant a Fontainebleau , on ne fixa qu'un jour et on se reunit a
Essonne, « afin que MM. les conseillers d'Estat et MM. des Re-
questes de leur part, et les avocats d'autre part, fissent chacun
la moitie du chemin. » Au cours des travaux, M. de VerthamoBt
mourut, et I'assemblee fut transferee chez Pussort. « Le sieur
L'Hoste ayant ete appele a la direction des hopitaux , on ne le
remplaga point et le nombre des commissaires fust reduit a neuf
personnes. » Plus tard, Colbert vint a ce conseil, « le ministre
d'Estat, dit Auzanet, dans les soins duquel le roy confioit
I'ordre, I'administration et les plus importantes fonctions de
I'Estat ; » il ne voulut point presider et « a quelque instance qui
lui fust faite , il se contenta de la seconde place. »
On devait s'occuper en premier lieu de I'observation des Or-
donnances et les articles , qui furent discutes au Conseil de jus-
tice, le 25 octobre, furent presentes comme ayant ete elabores par
les commissaires. En realite, ceux-ci n'y toucherent point. « Cela
l/ORDONNANCE DE 1670. 201
ne demeura pas longtemps sur le tapis, dit Auzanet, car en
I'assemblee suivante , le roy nous fist scavoir sa volonte sur ce
sujet et envoya les huit articles , qui composent le premier titre
de rOrdonnance de 1667. » Pour le reste, voici comment on pro-
ceda.
Pussort faisait d'abord un travail preparatoire , cela ressort
du moins d'un passage du proces-verbal des conferences poste-
rieures , publie en 1709 par le sieur Foucault. « Entre Mes-
sieurs les commissaires du Conseil, M. Pussort fut charge de
dresser le plan des articles de la reformation. Ce grand homme
s'y appliqua avec beaucoup de soin et d'exactitude ; son travail
fut anime de cette vive penetration, et de cet attachement in-
violable pour la justice , que chascun reconnoissoit estre la plus
excellente de ses sublimes qualites. » Puis les matieres etaient
distribuees « a chascun des avocats pour y travailler en son
particulier, ,a I'effet de diviser les matieres par articles et de
mettre les articles par ordre. Et dans I'assemblee, apres la lec-
ture du titre entier, chacun article estoit exaniine , couche et
arreste a la pluralite des voix, et bien que fort souvent les
opinions aient este differentes, neanmoins aucun n'a fait pa-
roistre la moindre jalousie ni contention pour faire prevaloir son
avis , mais le tout a passe avec tout I'honneur et la civilite que
Ton peut desirer (1). » Les articles, ainsi fixes, etaient portes
au Conseil de justice. « Apres que les articles estoient arrestes
entre nous , on les portoit au Conseil du roi , et la en la presence
de Sa Majeste, on autorisoit ceux qui estoient trouves justes,
et les autres estoient reformes ou rejetes absolument. » Les avo-
cats n'assistaient point a ces discussions, car Auzanet ajoute :
« en plusieurs rencontres le roy a fait I'honneur a notre com-
pagnie.de prendre son avis sur les affaires proposees, qui se
traitoient directement , et devoient estre resolues au Conseil , en
la presence de Sa Majeste. »
(1) Auzanet. Lettres, etc., de Colbert, torn, VI, p. 399.
202 l'ordonnance de 1670.
IV.
Cependant I'Ordonnance sur la procedure civile se trouva
completement elaboree. « Nos assemblees, dit Auzanet, ayant
continue I'espace de quinze mois, on trouva qu'il y avoit assez
de matiere pour faire un premier volume, et pour en faciliter
I'execution. » 11 semblait qu'il n'y eut plus qu'a publier ce
travail, quand tout a coup, on ramena en scene le Parlement.
De nouvelles conferences vont s'ouvrir, mais cette fois a cote
des conseillers d'Etat et des maitres des Requetes, figureront les
delegu6s du Parlement de Paris. Comment expliquer ce coup de
theMre? Auzanet rapporte le fait, et dit simplement que le roi
« trouva bon » d'agir ainsi. Louis XIV lui-meme s'est expli-
que sur ce point. « A I'egard du reglement general de la justice,
dont je vous ai deja parle , voyant un bon nombre d'articles redi-
ges en la forme quej'avois desiree, jenevoulus pas plus long-
temps priver le public du soulagement qu'il en attendoit; mais
je ne crus ni les devoir simplement envoyer au Parlement, de
peur qu'on y fist quelque chicane , qui me faschast , ni les porter
aussi d'abord moi-meme , de crainte que Ton ne put alleguer un
jour qu'ils avoient este verifies sans aucune connoissance de
cause ; c'est pourquoi , prenant une voie de milieu , qui remedioil
a la fois a ces deux inconvenients , je fis lire tous les articles
chez mon chancelier, oil se trouvoient les deputes de toutes les
Chambres avec des commissaires du Conseil; et quand dans la
conference il se formoit quelque difficulte raisonnable , elle
m'estoit incontinent apportee pour y pourvoir, ainsi que j'avi-
serois. Apres laquelle discussion j'alloi enfin en personne faire
publier I'Edit (1). » Ces scrupules et ces crainles sont assez
peu vraisemblables chez le prince, qui, peu de temps aupara-
vant, traitait de si haut le droit de remontrances du Parlement;
aussi a-t-on cherche ailleurs la cause de ce fait, et voici ce qu'on
a trouve.
(1) Mimoirespour 1667, 6dit. Dreyss, tome II, p. 224.
L'ORDONNANCE DE 1670. 203
Le premier president de Lamoignon avail ete frappe , presque
en meme temps que Colbert, de la necessite de codifier les lois.
Ne pouvant aborder une semblable entreprise , il voulait seule-
ment fixer les points controverses dans le ressort du Parlement
de Paris. II voulut employer a ce travail des magistrats et aussi
des avocats , et parmi ces derniers ce meme Auzanet que nous
avons vu tout a I'heure choisi egalement par Colbert. Cette mar-
que d'estime venant des c6t6s opposes , etait pour cet homme un
supreme eloge ; c'est encore par lui-meme que nous savons ce qui
se passa. « M. de Lamoignon, Premier president du Parlement de
Paris, souffrant avec impatience la diversite des sentiments dans
sa compagnie, et pour y apporter le remede necessaire, ayant sceu
qu'autrefois j'avois commence quelques memoires sur une partie
de ces questions douteuses , il m'ordonna de faire recherche de
ces memoires et d'y ajouter ce que je jugerois a propos, ce qui
fut execute ; et ensuite M. le Premier president ayant propose
et fait agreer son dessein au Roy, il fit assembler trois ou quatre
fois en son hostel jusqu'au nombre de douze avocats, et prit
leurs sentiments sur les premiers articles. Et en d'autres jours
furent assembles aussi dans son hostel deux deputes de la
Grand Chambre et pareil nombre de chacune des Chambres des
Enquestes , en presence desquels , lecture ayant ete faite des
memos articles et des avis des avocats, quelques articles furent
resolus et les autres laisses sans decision. Mais les choses s'y
passerent avec si peu de satisfaction que M. le Premier presi-
dent jugea des lors qu'il n'arriveroit jamais ou il pretendoit
par cette voie , et rompit le cours de ces assemblees (1). » Cepen-
dant Lamoignon n'abandonna pas completement son projet; il
demanda a Auzanet de continuer son travail, employant aussi un
autre avocat au Parlement, Bonaventure Fourcroi. « Ce travail
a dure plus de deux annees , pendant lesquelles on tenoit deux
assemblees par chacune semaine, I'une en des lieux particuliers,
ten laquelle se trouvoient les deux avocats avec MM. de Brillac,
conseiller en la Grand Chambre, et M. Le Pellefier, president
aux Enquestes , pour digerer les matieres et donner la forme
(1) Auzanet. Lettres, etc., de Colbert, tome VI, p. 397, 398.
204 l'ordonnance de 1670.
aux articles , et I'autre en la presence de M. le President pour
conclure et arrester par son advis les articles... Voila oii le pre-
mier ouvrage s'est termine, en attendant qu'il voye le jour
sous I'autorite publique (1). » Ce ne fut jamais qu'une oeuvre
privee , on le salt ; 11 n'en est reste que les « arretes du president
de Lamoignon. »
L'entreprise de Lamoignon , qui s'etait attaque du reste a la
partie la plus difficile de la legislation , au droit civil, n'avait pas
abouti. Le President dut trouver bien dur cependant de se voir
mis en dehors de la grande oeuvre offlcielle, lui qui, d'apres
Auzanet, avait ete autorise par Louis XIV lui-meme a tenter
quelque chose de semblable. Avec sa haute intelligence et son
loyal caractere , il alia droit au roi ; mais , avec une grande habi-
lete, il eut I'air de ne pas savoir ce qui se faisait en dehors de lui.
11 vint faire a Louis XIV une proposition semblable a celle que
Colbert avait produite et fait adopter ; c'est du moins ce que nous
apprend son biographe Gaillard. « Colbert avait charge Pussort
d'un travail pour la reformation de la justice. Son projet etaitde
ne communiquer I'Ordonnance a personne, et de la publier par la
seule autorite souveraine, en I'enregistrant dans un lit de jus-
tice. M. de Lamoignon, averti de ce projet, alia trouver Louis
XIV, et lui proposa, comme un moyen d'illustrer son regne,
cette idee de reformer la justice apres les finances. Le roi lui dit :
M. Colbert emploie actuellement M. Pussort a ce travail; voyez
M. Colbert et concertez-vous ensemble (2). » Surpris de la confi-
dence que le roi avait faite au Premier president , Colbert vit ses
projets deconcertes. « Alors commencerent des conferences dont
le proces-verbal a este publie et prouve combien elles etoient ne-
cessaires, quantite d'articles ayant este modifies (3). » Ce cu-
rieux recit est-il bien con forme a la realite? On pent revoquer en
doute la ruse de Lamoignon et la reponse de Louis XIV, mais ce
qui parait certain , c'est que le Premier president alia voir le roi ,
et celui-ci , songeant peut-gtre aux encouragements qu'il avait
(1) Ceci se passait avaat 1665.
(2) Vie du president de Lamoignon, citSe par M. Pierre Clement. Lettres, etc.,
torn. VI, p. 14.
(3) IMi.
l'oedonnance de 1670. 205
donnes jadis au chef du Parlement de Paris, ordonna les nou-
velles conferences; il est fort possible que Louis XIV en mfime
temps ait ete heureux de supprimer par la toute difficulte pour
I'enregistrement.
Quoi qu'il en soit, « le 24 Janvier 1667, le roi en ecrivit au Par-
lement, et en particulier a M. le Premier president et a M. le
Procureur general, avec ordre a M. le Premier president et a mes-
sieurs les autres presidents du Parlement , a quatre conseillers
de la Grand Chambre et aux cinq anciens presidents des Cham-
bres des Enquestes, avec les doiens des memes Chambres, al'an-
cien president des Requestes du palais et au doien de la premiere
Chambre et a messieurs les avocats et procureurs generaux , de
s'assembler incessamment chez M. le Chancelier pour conferer
avec lui et a MM. les Commissaires du conseil par I'avis desquels
les articles avoient ete dresses. » Ceci se trouve dans le proces-
verbal des conferences, mais ce n'etait pas le Chancelier qui
avait fait decider ce point ; il est mSme a pen pres certain qu'il
n'en fut averti que lorsque tout etait pret. Voici en effet le billet
que lui adressait le secretaire d'Etat Guenegaud : « Monseigneur,
suivant I'ordre du roi, j'ai escrit au Parlement de Paris, pour lui
faire entendre que Sa Majeste , n'ayant pas juge a propos de
faire publier les articles d'Ordonnances qu'elle a fait rediger en
corps pour la reformation de la justice , qu'elles n'aient este au-
paravant veues et examinees avec vous et aucuns de messieurs
du Conseil par plusieurs principaux des officiers du Parlement
que Sa Majeste a nommes , et que M. le Premier president as-
sembleroit incessamment et le plus frequemment que faire se
pourroit en vostre maison , pour sur le tout donner leur avis a
Sa Majeste, dont j'ai creu, Monseigneur, devoir vous avertir,
afin que vous scachiez ce qui se passe en ceste affaire (1). » Les
conferences commencerent le mercredi 26 Janvier a I'hotel Se-
guier. 11 y eut d'abord quinze seances , dont la derniere eut lieu
le 17 mars 1667. Les commissaires du Conseil etaient neuf, y
compris le Chancelier, et les deputes du Parlement vingt-neuf , y
compris le Premier president, le Procureur general et deux Avo-
(1) Lettre citee par M. de Kerviler. Le president Siguier, p. 385-6.
206 l'ordonnance de 1670.
cats gen^raux (1). Le greffier de I'assemblee etait M. Joseph
Foucault. II y eut une discussion serieuse et digne , oii brillerent
surtout Pussort, defendant les articles comme son oeuvre propre,
et le Premier president.
Apres la cloture de la discussion , les divers articles dont on
avait demande la modification furent de nouveau soumis au con-
seil du roi , qui statua definitivement , et enfin Auzanet nous ap-
prend comment la derniere main fut donnee a I'Ordonnance
civile. « Pour ce que les articles, qui avoient este composes par
diverses personnes se trouvoient concus en des styles differents,
le Roy commit MM. Morangis, Pussort et Boucherat, conseil-
lers d'Estat , et M. Hotman , maistre des Requestes, et moy seul
avocat, pour donner la forme a I'Ordonnance, reduyre a un
mesme style et mettre les titres en ordre. Et a cela il fut vaque
durant I'espace de sept semaines entieres, en donnant cinq et
quelquefois six vacations par semaine ; et a la fin la premiere
Ordonnance se trouva redigee en la forme qu'elle paroist aujour-
d'huy au mois d'avril 1667, portee au Parlement de Paris et
publiee en la presence du Roy seant en son Parlement le 20 du
mesme mois d'avril (2). »
Tout ce que nous venons de raconter, c'est I'histoire de la
redaction de I'Ordonnance civile, mais c'est aussi I'histoire de la
redaction de I'Ordonnance criminelle. Toutes les deux sont des
parties de la meme oeuvre. L'organisme qui avait produit la pre-
miere , produisit la seconde et par le meme travail.
Ici nous avons beaucoup moins de details sur la preparation
des articles par les commissaires et sur la discussion dans le
Conseil de justice. Auzanet, terminant cette lettre du 1" de-
cembre 1669, que nous auroos bientot, piece a piece, citee dans
son entier, declare que I'elaboration de I'Ordonnance criminelle
commenca au mois de mai 1667, et elle n'etait pas encore ter-
(1) Proas-verbal de I'Ordonnance de 1667, p. 4.
(2) Lettres, etc., de Colbert, t. VI, p. 400.
l'ordonnance de 1670. 207
minee au moment ot. il ecrit. « Au mois de may 1667, les
mesmes commissaires, reduits au nombre de neuf, ont continue,
comma ils font encore tons les jours, a travailler aux dites ma-
tieres en la maniere cy-dessus remarquee, pour faire at com-
poser d'autres Ordonnances lorsque Sa Majeste le jugera a pro-
pos. » Ge fut saulement au milieu da I'annee 1670 que ce travail
preparatoire fut tormina.
Alors commencerent de nouvelles conferences avec les deputes
du Parlement. Le proces-verbal indique qu'an realite elles 6taient
la suite das conferences de 1667 : « Le sixiesme juin 1670,
messieurs les commissaires du Roy et messieurs les deputes du
Parlement se sont assembles chez M. le Chancalier, sur les trois
heures apres-midy, et ont pris leur seance dans la gallerie basse,
en la maniere et disposition qu'ils avoient faite lors de la con-
ference de I'annee mil six cent soixante-sept. » La composition
da I'assemblee diflferait assez peu de celle de 1667; la voici :
I. Commissaires du conseil : le chancelier Seguier, MM. d'Ali-
gre , de Morangis, d'Estampes, de Seve, Poncet, Boucherat,
Pussort, Voisin, Hotman.
II. Deputes du Parlement : le Premier president (1), les Pre-
sidents de Maisons , de Novion , de Mesrbes , Le Coigneux , de
Bailleul, Mole de Champlastreux , de Nesmond; — conseillers de
(1) Vers la fin de I'ana^e 1663, Colbert sMtait fait remettre par I'autorltS ad-
ministratiye una note sur le personnel des Parlements . II est interessant de voir
comment y sont jug^s les^ prinoipaux deputes du Parlement. Voy. Correspond,
administrative sous Louis XIV, torn. 11, p. 33, ssq. : — Lamoignon, « soubz
I'affectation d'une grande probite et d'une grande intSgritfi , conservant pour cet
effet une grsinde liaison avec tous les devests de quelque parti et caballe que ce
soit, tesmoignant vouloir une reformation qui ne lui concilie pas MM. de la Grand
Chambre; a m^diocres biens et n'en acquerra que par voies legitimes. » — Pot-
tier de Novion, « est homme de grande prfisomption de peu de seuretfi. » —
De Mesmes « est homme d'int^grit^ dans la discipline, et de regularity au palais,
oi il a acquis grande reputation. » — Le Coigneux, « homme violent, fier, et
affectant la justice pour s'acqu^rir credit , et neanmoins peu aime du barreau ,
pour quelque mauvais traitement qu'il a faict k des advocats; s'applique peu
aux lettres, aime ses int^rfits et ses divertissements. » — Bailleul, « doux , d'hu-
meur facile , s'acquerant par sa civilite beaucoup d'amis dans le palais et a la
cour, ou il en recherche volontiers. » — De Champlastreux « est picqui, fier, de
peu de seurete , a peu d'amis dans la compagnie , et conservant peu ceux du
dehors. » II serait interessant de rapporter egalement les notes sur les autres
deputes, mais cela nous mSnerait trop loin , sans grand profit pour notre etude.
208 l'ordonnance de 1670.
la Grand Chambre : MM. de Catinat, de Brillat, Fayet, de Re-
fuges, Paris, Royault; — deputes des Enquestes : MM. Potier
de Blanc -Mesnil, de Bermond, de Bragelone, Maudet, de
Fourcy, Faure , Le Pelletier, Le Vasseur, Maupeou , Malo ; —
deputes des Requestes du Palais : MM. Charton et Leboult; en-
fin MM. de Harlay, Procureur general; Talon et Bignon, pre-
mier et second Avocats generaux.
II y eut seulement sept conferences, dont, la derniere se tint
le mardi 8 juillet 1670. Apres une revision dans le Conseilde
justice, rOrdonnance criminelle fut « donnee a Saint- Germain-en-
Laye au mois d'aoust I'an de gr^ce mil six cent soixante-dix ,
puis enregistree a Paris en Parlement le 26 aoust 1670. » Le pro-
ces-verbal de ces conferences, comme celui des conferences de
1667, fut publie de bonne heure. De nombreuses copies manus-
crites circulerent d'abord , et dans le cours du xvii° siecle il en
parut deux editions imprimees. Mais en 1709 il s'en publia une
nouvelle edition quasi officielle « chez les associes choisis par
ordre de Sa Majeste pour I'impression de ses nouvelles Ordon-
nances. » II ressort du « privilege du Roy » mis en tete, que
cette publication est faite par le sieur Foucault , conseiller d'Es-
tat et du Conseil prive, et que celui-ci reproduit un manuscrit,
qui lui aurait ete remis par « le sieur Foucault, secretaire d'Es-
tat et directeur des finances, son pere. » Ce dernier etait le secre- .
taire des conferences de 1667 et peut-etre aussi de celles de
1670 (1).
Nous avons done des renseignements suffisants. La physio-
nomie generale de la discussion pent etre aisement resumee.
Trois hommes, deux surtout, sont au premier plan : ce sont Pus-
sort, le president de Lamoignon, et I'avocat general Talon.
Pussort et Lamoignon qui deJEi s'etaient heurtes I'un contre
I'autre en 1667, sont cette fois de veritables adversaires, tout en
conservant la plus inalterable dignite; et il n'est point d'article
important sur lequel ils n'aient pris la parole. Pussort represen-
tait I'esprit, dans lequel , selon le voeu de Colbert , on avait re-
dige la loi nouvelle. On avait voulu avant tout debarrasser la
(1) C'est cette Edition que nous citons toujours.
l'ordonnance de 1670. 209
procedure des complications et des chicanes qui I'entravaient ,
arracher toutes les plantes parasites , diminuer les lenteurs et les
frais. On voulait aussi avoir un instrument de repression ener-
gique et stir, sans qu'on s'inquietclt beaucoup des droits de la
defense.
Lamoignon se montra sous un double aspect. Esprit eleve et
ame genereuse , il protesta contre les rigueurs de cette procedure
terrible; lui seul dans cette assemblee fit entendre la voix de
I'humanite , comme on dira au siecle suivant ; par la il depasse
de beaucoup ses contemporains. Nous le verrons protester contre
le serment impose aux accuses, contre la disposition qui leur
refuse I'assistance des conseils , contre Particle qui punit comme
faux temoin celui qui se retracte a la confrontation. Enfin, s'il
s'eleve avec moins de force contre la question, ce n'en est pas
moins un grand honneur pour un magistrat du xvii" siecle , que
d'avoir declare : « qu'il voioit de grandes raisons de I'oster, mais
qu'il n'avoit que son sentiment particulier (1). »
Mais d'autre part Lamoignon avait , au plus haut degre , I'es-
prit de corps et le respect de la tradition ; et cette tendance
conservatrice I'amena a combattre un certain nombre d'articles ,
qui cependant realisaient un progres. C'est ainsi qu'il defend les
justices seigneuriales , qu'une disposition menagait de ruiner.
C'etaient cependant le plus souvent de singulieres justices ; mais
les supprimer eut ete « depouiller les seigneurs de la principale
partie de leur bien, sans laquelle les terres n'auroient plus de
consideration , etant certain que les gentilshommes n'ont rien de
plus a coeur que la conservation de leurs justices, parce qu'il
n'y a rien qui les distingue plus d'avec les autres sujets du
Roy (2). » II proteste contre la necessite imposee d'interroger
I'accuse dans les vingt-quatre heures de son arrestation (3), et
contre la disposition excellente qui veut que les jugements en
premier ressort soient rendus au moins par trois juges et ceux
en dernier ressort par sept au moins (4). On sent ici le magis-
(1) Prods-verbal, p. 222.
(2) Ibid., p. 15.
(3) Ibid., p. 151.
(4) Ibid., p. 246.
14
210 l'ordonnance de 1670.
trat qui s'inquiete avant tout de la facilite du service. Cast
surtout centre les articles , qui reduisent les droits et profits pe-
cuniaires des officiers de judicature, que nous voyons protester
le Premier president : il parle en faveur des greffiers (1), des
procureurs du roi (2), meme des geoliers (3). La, comme lors-
qu'il s'agissait des justices seigneuriales , il defend le droit de
propriete. « Ce sent des charges qu'ils ont achetees cherement,
et qui composent la plus grande partie de leur bien. »
Talon prit souvent la parole et avec une grande autorite ; mais
le caractere de ses observations est beaucoup moins tranche. II
appuya tant6t Pussort et tant6t le Premier president ; il parut
avec les traits propres aux magistrals du ministere public. II
etait magistrat, mais il etait en meme temps « I'homme du roi. »
Les autres magistrals et conseillers, le Chancelier lui-meme,
jouerent un r61e peu important. Ceux qui prirent le plus sou-
vent la parole, gengralement sur des points de detail, furent
MM. Boucherat et de Novion. Ce dernier etait bien un homme
fait pour controler les details , si Ton en croit Saint-Simon : « il
n'etoit ni injuste ni malhonnete, comme I'autre premier presi-
dent de Novion , son grand-pere ; mais il ne savoit rien de son
metier que la basse procedure , a laquelle a la verite il excelloit
comme le plus habile procureur ; mais par de la cette tenebreuse
science il ne falloit rien attendre de lui (4). » On est etonne de
I'attitude effacee de MM. de Harlay et Bignon ; c'etaient , en
effet, des hommes de haute valour, ficoutons encore Saint-Si-
mon. « Issu de ces grands magistrals, Harlay en eut touts la
gravite , qu'il outra en cynique , en afFectant le desinteressement
et la modestie... II estoit scavant en droit public, il possedoit
fort le fond des diverses jurisprudences; il egaloit les plus verses
en Belles-Letttres ; il connoissoit bien I'histoire (b). » — « Bi-
gnon etoit un magistrat de I'ancienne roche, pour le scavoir, I'in-
tegrite, la modestie; digne du nom qu'il portoit, si connu dans
(1) ProcH-verlal, p. 82.
(2) Ihid., p. 108.
(3) Ihid,, p. 135.
(4) Mimoires, torn. XIV, p. 216.
(5) Mimoires; torn. I, p. 136.
l'ordonnance de 1670. 211
la robe et dans la republique des Lettres , et qui , comme son
pere , avoit ete avocat general en grande reputation (3). »
Apres avoir ete discutes dans ces conferences , les articles
repassaient, nous le savons, devant le Conseil de justice; quel-
quefois on tint compte des observations qui avaient ete faites
au nom du Parlement , mais bien souvent on passa outre. Plus
tard on regrettera de n'avoir pas mieux ecoute la voix du presi-
dent de Lamoignon.
(1) Memoires, torn. I, p. 392.
212 l'orbonnance de 1670.
CHAPITRE' DEUXIEME.
La procedure d'apr&s I'Ordonnance de 1670.
I. Les rfegles de competence. — II. La procedure. — III. La justice retenue
et les lettres royaux.
Nous ne saurioos songer a commenter I'Ordonnance de 1670;
mais il est necessaire d'indiquer brievement ce qu'elle apportait
de nouveau , et , pour cela , de relever, a vol d'oiseau pour ainsi
dire , ses principales dispositions. Elle contenait el des regies de
competence et des regies de procedure criminelle proprement
dite; c'est done la une division qui s'impose a nous (1).
I.
Depuis le xiii" siecle, un mouvement continu s'etait produit,
nous I'avons vu , appauvrissant et depouillant au profit des juri-
dictions royales les juridictions seigneuriales et ecclesiastiques.
Pour arriver a ce resultat, les juristes avaient pen h peu modifle
les anciennes regies de competence; la competence du tribunal
du lieu du delit, la theorie de la prevention, la theorie des cas
royaux avaient ete, en dehors de I'appel, leurs principales inven-
tions; voyons ce qu'elles etaient devenues dans la loi nouvelle,
aujourd'hui que la victoire appartenait irrevocablement a la
Roy ante.
I. La competence du tribunal du lieu du delit triomphait deflni-
(1) Nous citerons les principaux Commentateurs de rOrdonuance d'aprSs les
Editions suivantes : Bornier, Conference des novvelles Ordonnances de Louis XIV,
6dlt. 1703. — Jousse, Commentaire sur I'Ordonnance criminelle, 1766.— Muyart
de Vouglans, Institutes au droit criminel, edit. 1757; Instruction criminelle, 1762.
— Rousseau de La Combe, Traits des matUres criminelles, edit. 1769; — Serpil-
lon, Code criminel, 66.it. 1767. — Pothier, Procidure criminelle, 6dit. Bugnet.
l'ordonnancb de 1670. 213
tivement. C'etait meme le seul tribunal competent (tit. I, art. 1) ;
on ecartait le tribunal du domicile de I'accuse et celui du lieu de
la capture. Le president de Lamoignon , dans la discussion , pro-
testa centre cette disposition, montrant les difficultes qui en
resulteraient dans la pratique; mais I'article fut maintenu. « II
etoit important d' avoir un juge certain, » avail dit Pussort (1).
Du reste , en realite cette competence n'etait point exclusive
de toute autre : si le plaignant a saisi un autre juge , et que
I'accuse ne reclame pas son renvoi avant la lecture de la premiere
deposition , lors de la confrontation , le proces continuera.
II. L'article 11 du titre premier enumerait les cas royaux attri-
bues aux baillis, senechaux, et juges presidiaux, « privative-
ment a nos autres juges et a ceux des seigneurs. » Nous savons,
que toutes les Ordonnances , qui jusque-la ayaient fait une sem-
blable enumeration, I'avaient terminee invariablement par la
clause : « et tous autres touchant au droit royal. » Dans le projet
des commissaires , pour la premiere fois cette clause manquait.
On avait sans doute considere comme inutile de conserver cette
arme, aujourd'hui que la lutte etait finie. Lamoignon demanda
le retablissement de ces mots dans un long discours : c'est la
une preuve de cet esprit de conservation que nous avons signale
chez le Premier president. Pussort repliqua, que I'intention du roi
n'avait pas ete d'etendre son pouvoir, etant maitre absolu , mais
de trancher toutes les contestations : « L'edit de Cremieu a spe-
cifie cinq ou six cas royaux et a ajoute « et autres, » mais c'est
une matiere a proces. » Lamoignon, ici plus royaliste que les
gens du roi , revint a la charge et obtint gain de cause ; on tor-
mina la lists par la mention : « et autres cas expliques par nos
Ordonnances et reglements. »
III. Quant a la- prevention des juges royaux sur ceux des sei-
gneurs , le projet contenait un article qui ruinait de fond en
comble les justices seigneuriales. « Nos juges, etait-il, dit, pre-
viendront les juges subalternes et non royaux de leur ressort
s'ils ont informe et decrete le meme jour; » les tribunaux des
seigneurs n'auraient plus retenu que les causes, qui auraient
(1) Prods-verbal, p. 4-6.
214 l'ordonnance de 1670.
echappe a la vigilance des officiers royaux, ou que ceux-ci
auraient dedaignees. Le Premier president se porta encore ici
I'energique defenseur du passe; c'etait, selon lui, une question
de justice absolue et de propriete. Pussort soutint le projet; il
montra que la plupart des juges seigneuriaux etaient « sans
capacite , » que I'administration de la justice etait onereuse aux
seigneurs eux-memes; il revendiqua enfin hautement les droits
de la royaute. « La veritable propriete de la justice (criminelle),
qui s'appelle jus gladii, est un droit de sang sur les sujets du
Roy, residant a proprement parlor en la main de Sa Majeste ,
qui le communique a ses officiers (1). » Mais la Royaute n'eut
pas la hardiesse de reduire a rien les seigneurs justiciers. Deux
modifications furent apportees a I'article : on donna la preven-
tion seulement aux baillis et aux senechaux et non point a tous
les juges royaux ; on fixa un terme aux juges des seigneurs, avant
I'arrivee duquel la prevention ne pourrait pas intervenir (2).
Pussort avait admis le premier temperament , et il avait repousse
le second; tous deux figurent dans la redaction definitive.
Quant aux juges royaux , dans leurs rapports entre eux , les
prevdts pouvaient etre prevenus par les baillis « trois jours apres
le crime commis (3) ; » on maintint aussi la disposition tradition-
nelle, d'apres laquelle les prevdts ne connaissaient point des
crimes des gentilsbommes (J^).
IV. Pour ce qui est de I'appel, I'Ordonnance en traitait longue-
ment dans son titre XXVI; mais sur ce point la Royaute avait rem-
porte sur les seigneurs une victoire si decisive qu'elle ne jugeait
pas necessaire de I'enregistrer formellement. Les juges d'appel
etaient toujours des juges royaux ; en seconde instance , les juri-
dictions des seigneurs n'intervenaient jamais. « II n'y a que les
lieutenants criminels des bailliages et senechaussees royales qui
aient droit de ressort au criminel. C'est ce qui est decide par
I'article 22 de I'edit de Cremieu , et encore plus clairement par
I'article de I'Ordonnance qui ne parle que des baillis et senechaux
(1) Procis-verhal , p. 15-17.
(2) C'est un d^lai de 24 heures, tit. i, art. 9.
(3) Tit. I, art. 7.
(4) Tit. I, art. 10.
l'ordonnance de 1670. 215
royaux; en sorte que les juges des seigneurs, qui connoissent
au civil de I'appel des sentences de quelques autres juges, n'ont
pas le mfime droit au criminel (1). »
V. La juridiction eccl^siastique avail peu a pen perdu du ter-
rain, grace a la theorie du delit commun et du cas privil^gie. Le
delit commun pouvait etre retenu par le juge laique , tant que le
renvoi n'etait pas demand^ ; et dans ce cas c'etaient seulement
les baillis et senechaux royaux qui etaient competents , a I'exclu-
sion des juges seigneuriaux (2). Quant au cas privilegie, le juge
laique ne s'en dessaisissait point. L'Ordonnance de Moulins avait
decide que le juge seculier retiendrait I'ecclesiastique accuse,
jusqu'a ce que son proces fut fait et parfait; seulement il devait
le remettre ensuite au juge d'Eglise pour ce que celui-ci jugeeit
le delit commun compris dans le cas privilegie (3). De cette
intervention successive des deux juges naissaient de grandes dif-
flcultes. On imagina de reunir en une seule les deux instances;
cela fut decide par I'edit de Melun de 1380, dans son article 22.
« L'instruction des proces centre les personnes ecclesiastiques
pour cas privilegies sera faite conjointement tant par les juges
ecclesiastiques que par les juges royaux , et en ce cas seront
ceux desdits juges royaux tonus d'aller au siege de la juridiction
ecclesiastique. » Mais cette instruction conjointe etait, on le
congoit , fertile en conflits et en complications , elle n'avait pour
but que de realiser un compromis entre les droits de la Royaute
et les vieilles immunites de I'Eglise. Maintenant que la Royaute
redigeait une loi nouvelle , n'allait-elle pas se debarrasser de
cette gene? On le tenta, et le projet primitif contenait deux articles
qui ne conservaient de competence aux juges d'Eglise que pour
les delits purement ecclesiastiques. .G'etait fort raisonnable, et
c'6tait ce qu'avaient a plusieurs reprises demande les Etats-Gene-
raux; mais cela ne put point passer, la Royaute ceda devant
(1) Serpillon , Code crim., p. 1139.
(2) Muyart de Vouglans. Instr. crim., III^ partie, p. 50, 51.
(3) « Ordonnons que dos officiers instrairont et jugeront en tous cas les dSlits
privilegies eatre les personnes ecclesiastiques, avant que de les deiaisser au
juge d'Eglise, lequel deiaissement sera fait, i la charge de tenir prison pour la
peine du delit privilegie, oil elle n'auroit este satisfaite, de quoy les officiers de
I'Evesque devront respondre en cas d'eslargissement. »
216 l'ordonnance de 1670.
I'Eglise , comme elle avait cede devant les seigneurs. Ici encore
ce fut Lamoignon qui vint defendre le passe. « II etoit oblige de
representer au Roi que les deux articles touchent beaucoup au
privilege clerical, et semblent presque I'aneantir... Cependant ce
privilege clerical est observe par tout le monde oil il y a des
catholiques , et Ton pent dire que cet usage general est comme
attache a I'autel (1). » Et il refaisait I'histoire des immunites de
I'Eglise , rappelant que ce privilege « etoit confirme par une
possession de pres de quatorze cents ans ; » il invitait « Sa Ma-
jeste a faire les reflexions qu'elle trouvera necessaires. » Pussort
se leva alors et vint retablir les droits de la puissance civile.
« L'intention du Roy n'est pas de restreindre la juridiction eccle-"'"'
siastique , mais de la regler. . . A I'egard du spirituel , on laisse
absolument la discipline aux juges de I'Eglise... II est vrai que
I'article est centre I'usage , mais il est conforme a la raison... il y
a de I'indecence au magistral royal d'etre I'assesseur d'un autre
juge... ainsi I'article est juste (2). » On ne pouvait mieux dire,
mais Pussort invoquait la raison, une autorite dont le regne ne
viendra qu'un siecle plus tard , et il avait contre lui la tradition
toute-puissante. Talon vint au secours du Premier president.
Etant des « gens du roi , » il commenga par faire hommage a la
royaute. " 11 est vrai , dit-il , que ce privilege est une grice que
les princes ont faite au clerge , par des motifs de piete et par le
respect qu'ils ont de la saintet^ de leur ministere... ainsi Ton ne
pent pas douter qu'il ne soit au pouvoir du prince de revoquer ou
limifer un privilege accorde par ses predecesseurs ; » mais il
concluait au maintien de I'immunite , « il suffit de donner des
bornes a ce privilege ; par la on corrigera autant qu'il sera pos-
sible le mauvais effet qu'il produit en quelques rencontres ; on
previendra les plaintes que les eveques et tout le clerge du
royaume , et le Pape lui-meme ne manqueraient pas de faire , si
d'un seul trait on renversait un privilege fonde sur les constitu-
tions des empereurs romains, renouvelees par Charlemagne et
confirmees par quatorze cents ans de possession (3). »
(1) Prods-verbal, p. 44, 45.
(2) Procis-verbal, p. 46, 47.
(3) Procis^erhal, p. 47,48.
l'ordonnance de 1670. 217
Cette opposition formidable , que Talon indiquait , fit reflechir
le roi, qui, dans le Conseil de justice, avait semble cependant
tenir beaucoup a ces articles. On les supprima et on les rem-
plaga par un texte qui maintenait le statu quo : « Art. 13. N'en-
tendons deroger par le precedent article aux privileges dont les
ecclesiastiques ont accoutumedejouir. » Cependant TOrdonnance
ne reglant point la procedure conjointe, il etait necessaire de lui
faire une sorte de Code a part. Ce fut I'objet de plusieurs lois :
d'abord I'Edit du mois de fevrier 1678 developpa des principes
contenus dans I'Edit de Melun , il n'y apportait qu'une restriction
de nature a menager I'amour-propre des Parlements (1) ; puis
vinrent une Declaration du mois de juillet 1684, I'fidit general
sur la juridiction ecclesiastique de 1695, et enfin une Declaration
du 4 fevrier 1711 (2).
VI. Quant aux juridictions des villes, maires, echevins, con-
suls, etc., rOrdonnance ne s'en occupait point et ne modifiait
en rien leurs droits. Partout elles avaient la simple police; c'etait
ce que les Etats-Generaux avaient demande pour elles a Or-
leans (3); c'est ce que leur accorda I'Ordonnance de Moulins ,
art. 71 et 72. Cependant ces textes, qui enlevaient auxjuridicT-
tions municipales la connaissance des affaires civiles , leur lais-
saient celle des causes criminelles , lorsqu'elles en etaient en pos-
session. Mais individuellement la plupart des villes perdaient la
haute justice. La Royaute cependant ne reussissait pas toujours
dans ces usurpations, et nous avons un curieux document du
temps meme de Louis XIV, qui nous fait assister a I'un de ces
petits drames. C'est une lettre de Colbert a Talon; il y est
question d'une suppression des justices echevinales operee dans
le Hainaut. « Par tout ce qui nous revient de ces pays fron-
tieres , il paroit que rien ne fait une plus mauvaise impression
dans les esprits que la suppression de leurs justices echevinales
(1) Lorsqu'xl devait fitre procSdS en Parlement centre un ecclesiastique, les
eveques ttaient obliges « de donner. leur vicariat a I'un des conseillers clercs,
pour conjointement avec celui des conseillers laics de ces Cours qui sera commfs
a cet effet, 6tre le proces fait et parfait aux dits eccl6siastiques. »
(2) Muyart de Vouglans : Instr. crim., IIIo partie , p. 70, ssq.
(3) Picot : Histoire des ]Stats-G(ti6raux, torn. II, p. 216, ssq.
218 l'ordonnance de 1670.
et I'etablissement qu'on a fait des sieges en la maniere usitee
dans le royaume , pares qu'ils sont prevenus que la plupatt des
officiers n'achetent ces charges que pour exercer avec plus de
facilite des exactions sur eux (1). » Aussi Colbert conclut-il qu'H
faut sous main racheter les charges et retablir I'ancien ordre de
choses. Ici on s'etait brise centre le vieil esprit communal des
Flandres ; dans un certain nombre de villes du Midi on rencon-
tra les memes resistances. II en resulta que , sinon d'une facon
generale , au moins dans bien des cas , « les villes ont conserve
jusqu'a la Revolution, un droit de jugement en matiere crimi-
nelle. La royaute leur avait pris la juridiction civile , et chose
etrange, elle leur avait laisse la juridiction criminelle (2). »
Ainsi etait fixee la competence des juges royaux en face des
autres juridictions. Mais nous avons vu que, dans I'ensembledes
tribunaux de la royaute , flguraient un certain nombre de tribu-
naux d'exception. L'Ordonnance , pour le plus grand nombre
d'entre eux, s'en referait simplement aux lois existantes, mais
elle avait detache, pour en traiter specialement , une de ces juri-
dictions , la plus importante , celle des prevots des marechaux.
Nous Savons comment la juridiction prevotale , toute militaire
a I'origine, avait peu a peu etendu son empire; c'etait un
solide instrument aux mains de la Royaute, pour reprimer les
desordres qui troublaient la securite publique , mais c'etait ua
terrible tribunal. Ces « gens d'^rmes » jugeaient sommairement,
rudement et sans appel. On trouvait que c'etait assez bon pour
leurs justiciables , ceux qu'Imbert appelle le « gibier des prev6ls
des marechaux; » c'etaient autrefois les vagabonds et surtout
« les gens d'armes tenant les champs et mangeant la poule du
bonhomme (3). » Cependant les fitats-Generaux s'etaient plaints
souvent des desordres qu'eatrainait cette juridiction (.4). L'Or-
donnance nouvelle devait au moins la regler d'une fagon precise :
ce fut I'objet d'une partie du litre I, et du titre II dans son entier.
L'article 13 du titre premier elargissait en realite la competence
(1) Letires, etc. de Colbert, torn. VI, p. 2.
(2) Laboulaye : Revue des cours littiraires, annie 1865, p. 723.
(3) Imbert, liv. II, ch. b, n" 4.
(4) Picot, op. cit., I, 447; II, 135, 172-75, 529-530; IV, 63-65.
l'oedonnance de 1670. 219
des prevots; aussi ne passa-t-il pas sans difficulte (1). Le presi-
dent de Lamoignon dficlara « qu'il se peut dire que le plus grand
abus qui se rencontre dans la justice criminelle a precede de ces
offlciers... qui oppriment les innocents et dechargent les coupa-
bles. La plupart sont plus a craindre que les voleurs eux-memes. »
II y avait la un mal si grand, que ceux qui defendent I'institution
sont eux-m6mes obliges de le reconnaitre. « Les prevots des ma-
rechaux, selon Pussort, ayant vecu avec peu d'integrite, leur
mauvaise conduite les a fort decries. » Talon dit de son cote que,
« comme les offlciers ni leurs archers n'ont point de gages pour
subsister, il n'y a point de malversations auxquelles ils ne se
soient abandonnes ; ils ne font aucune fonction s'lls n'esperent en
retirer de remolument. » Enfin le president de Novion ajouta
« que ce n'estoit pas etablir le repos public que d'etendre le pou-
voir des prevosts des marechaux (2). » Cependant la Royaute
voulait le maintien de cette juridiction , et la discussion ne pou-
vait porter que sur les details ; on admit, a peu de choses pres , la
liste des cas prevotaux que contenait le projet.
En maintenant la juridiction prevotale , on maintint aussi et
on augmenta les garanties que la jurisprudence avait imaginees ,
pour la regler et la contenir.
1° Les prevots devaient de toute necessite faire juger leur com-
petence par le Presidial , dans le ressort duquel la capture aurait
ete operee, « dans les trois jours ou plus tard, encore que I'ae-
cuse n'ait point propose de declinatoire (3). »
2° Dans les vingt-quatre heures de la capture , I'accuse devait
etre interroge par le prevot en presence de Vassesseur de la pre-
v6te, lequel etait un gradv£ en droit; et des ce premier interro-
gatoire il fallait declarer a I'accuse qu'on entendait le juger
prevdtalement.
3° Les jugements de competence ne pouvaient etre rendus
(1) Outre les d^lits commis par les vagabonds et exc6s des gens de guerre, les
prevots devaient juger « les assemblies illicites et vols sur les grands chemins, les
vols faits nuitamment dans les villes , les sacrileges avec effraction , assassinats
prem^dit^s , seditions , Amotions populaires, fabrication de fausse monnaie , quelle
que itX la quality des auteurs. »
(2) Procis^erlal, p. 28, ssq.
(3) Tit. II, art. 15; voy. aussi art, 19, 20.
220 l'ordonnance de 1670.
qu'au nombre de sept juges, comme d'ailleurs toutes les sen-
tences prevotales, preparatoires , interlocutoires at definitives (1).
4° Lorsqu'il s'agissait de crimes prev6taux ;)ar leur nature, et
non pas par la qualite des personnes, s'ils avaient ete commis
dans les villes de la residence des prevots , ceux-ci ne pouvaient
pas en connaitre. Cette disposition rappelait le vrai caractere
de I'institution. Les prevots, « guetteurs de chemins, » avaient
ete crees pour battre la campagne dans des chevaucbees inces-
santes; les anciennes Ordonnances etaient strictes a cet egard.
« Allans par les champs, ne sejourneront en un lieu plus d'un
jour, si ce n'est pour cause necessaire (Orleans, 68; Moulins,
art. 43). » Appeler les prevots a juger les crimes commis dans
les villes de leur residence, eut ete les engager a resider effecti-
vement.
5° Des precautions minutieuses etaient prises pour eviter les
desordres et les malversations (2) ; en particulier on devait
dresser inventaire de tout ce dont le captif etait trouve saisi,
et cela « en presence de deux habitants les plus proches du lieu
de la capture, qui signeront a I'inventaire (31. »
6° On donnait, ou plutot on confirmait, aux Presidiaux le
droit de prevention sur les marechaux; ils connaissaient des
cas prevotaux, « preferablement aux prevots des marechaux,
lieutenants criminels de robe courte , vice-baillis et vice-sene-
chaux , s'ils ont decrete ou avant eux ou le meme jour ; » pour
juger en dernier ressort ils devaient se conformer a toutes les
regies que nous venons d'etablir. Les juges ordinaires , pour un
cas prevotal, ne pouvaient qu'informer et decreter en cas de
flagrant debt, et devaient renvoyer I'affaire a qui de droit.
L'Ordonnance de 1670 ne devait pas Stre le dernier mot de
I'ancien droit sur cette matiere; en 1731 (5 fevrier) fut donnee
une Declaration royale sur les cas prevotaux et presidiaux. EUe
comprenait 30 articles et etait beaucoup mieux redigee que les
titres correspondants de I'Ordonnance. EUe distinguait nettement
pour la premiere fois les cas prevotaux par la qualite des per-
(1) Tit. n, art. 18, 24.
(2) Voy. tit. u, art. 10, 14.
(3) Tit. II, art. 9, 11.
l'ordonnance de d670. 221
sonnes et ceux qui I'etaient par la nature des crimes. Elle etait
aussi sur plusieurs points plus douce que la loi ancienne (1). Les
gentilshommes, non condamnes anterieurement, etaient soustraits
a la juridiction prevotale ou presidiale en dernier ressort. — Si
nous avons assez longuement insiste sur la juridiction prevotale ,
ce n'est pas seulement a cause de la grande place qu'elle tient
dans I'Ordonnance et dans I'ancienne societe frangaise ; mais
aussi parce que nous la verrons reparaitre au commencement du
xix° siecle, pour disparaitre ensuite a tout jamais.
Pour terminer cet expose des principes sur la competence,
disons que les ecclesiastiques , gentilshommes , secretaires du roi
et offlciers de judicature avaient le droit d'etre juges dans la
« Grand Chambre des Parlements et non dans la Tournelle
criminelle... sur appel seulement, et lorsqu'ils demandoient
d'etre renvoyes avant que les opinions aient ete entamees en la
Tournelle (2). »
II.
L'Ordonnance laissait reposer la poursuite sur les regies qu'a-
vait etablies la jurisprudence anlerieure. Dorenavant et plus que
jamais, il est vrai de dire qu'il n'y a qu'un veritable accusateur,
le procureur du roi ou du seigneur; la partie privee ne pent
demander que des dommages-interets. Gependant les dernieres
traces du vieux systeme accusatoire n'avaient pas encore disparu.
Pour les delits qui ne meritaient pas peine afflictive, la tran-
saction intervenue entre la partie lesee et le coupable , arretait et
eteignait encore Taction publique (3). Le titre III, a cote des d&
nonciateurs, parle des accusateurs (4); et la loi place toujours les
particuliers en premiere ligne pour la poursuite des crimes :
« S'il n'y a point de partie civile , les proces seront poursuivis a
la diligence et sous le nom de nos procureurs ou des procureurs
(1) Voy. art. 17 et 20.
(2) Tit. I, art. 21, 22.
(3) Titre xxv, art. 19.
(4) Tit. in, Des plaintes, dinonciations et accusations.
222 L'ORDdNNANCE DE 1670.
des justices seigneuriales (1). » Le ministere public n'a I'air de
venir qu'a la suite at a defaut des plaignants; mais c'est IS, une
vaine apparence ; ou plut6t, si cette fagon de presenter les choses
a quelque realite, c'est au point de vue fiscal; s'il y a une partie.
civile , c'est elle qui fait les frais du proces ; sinon c'est le roi ou
le seigneur justicier (2). D'ailleurs la theorie de Taction civile,
telle qu'elle est venue jusqu'a nous, est definitivement arretee
dans ses grandes lignes ; c'est en commentant le titre des Plaintes,
que nos anciens auteurs en ont fait cette etude si ingenieuse et
si approfondie, qui peut encore aujourd'liui servir de modele.
I. L'Ordonnance distingue nettement les denoaciations et les
plaintes. Les denonciateurs s'adressent au procureur du roi; ils
ecrivent et signent leur denonciation, ou le greffier I'inscrit en leur
presence; plus tard, si I'accuse est absous , ils peuvent etre con-
damnes comme calomniateurs ou imprudents ; mais ils ne figurent
pas dans I'instance. Quant aux plaintes, laloi innove. Elles pourront
se faire par requete adressee au juge , lequel y repondra (art. 1) ,
c'est I'ancienne demande de permission d'informer; ou encore
elles seront ecrites par le greffier en presence du juge ; mais c'est
toujours au juge qu'il faut s'adresser. L'Ordonnance, fidele a
I'esprit de reforme dans lequel elle est congue, repousse ici
les huissiers , sergents , archers et notaires. Mais voici ce qui
etait vraiment nouveau et fecond. Jusque-la toute plaints,
etant la demande d'une permission d'informer, constituait par
la meme le plaignant a I'etat de partie civile, lui imposant la
lourde charge des frais. Les particuliers devaient done hesiter
k saisir le juge ; ils restaient inactifs ou se portaient denoncia-
teurs pres du procureur du roi, qui n'agissait pas toujours. L'Or-
donnance declare que « les plaigpants ne seront reputes parties
civiles , s'ils ne le declarent formellement par la plainte (3). » On
faisait plus ; jadis la constitution de partie civile n'avait lieu que
par une plainte ; on ne la concevait pas intervenant au cours du
proces. Dorenavant elle pourra se produire dans un « acte sub-
sequent qui pourra se faire en tout etat de cause. » Enfin, par une
(1) Tit. Ill, art. 8.
(2) Tit. XXV, art. 16, 17.
(3) Tit. Ill, art. 5.
l'ordonnance de 1670. 223
derniere faveur, on permettait a la partie civile de se desister
(( dans les vingt-quatre heures et non apres ; » et en cas de desis-
tement elle n'etait point tenue des frais faits posterieurement.
C'etaient autant d'innovations contenues dans un seul article ;
elles etaient heureuses, et le president de Lamoignon le remarqua :
« II dit que I'article est nouveau , mais qu'il parait bon (1). »
Le juge etant saisi, il s'agissait tout d'abord pour lui de cons-
tater le corps du delit, et I'Ordonnance contenait des prescriptions
tres-sages sur les proces-verbaux des juges , et sur les rapports
des medecins et chirurgiens (2).
II. Le titre VI, dans cette loi, qui jusqu'ici suivait I'ordre chro-
nologique des faits, etait consacre aux informations, et c'etaitla par-
tie capitale du proces. Le principe du secret de la procedure etait
rigoureusement suivi : « Les temoins seront ouis secretement
et separ6ment (3). — Defendons aux greffiers de communiquer
les informations et autres pieces secretes du proces (4). » Ces
dispositions semblaient tellement 'naturelles qu'elles ne souleve-
rent aucune observation. Mais a c6te de cette sev6rite tradi-
tionnelle , I'Ordonnance contenait des reformes de detail excel-
lentes. On abolissait entierement I'usage de faire informer « par
un sergent et un notaire. » Dorenavant la deposition sera ecrite
« par un greffier en presence du juge (5). » — Les temoins, avant
de deposer, devaient faire '< apparoir I'exploit qui leur aura ete
donne pour deposer, dont sera fait mention dans leurs deposi-
tions. » C'etait un moyen de faire respecter la regie qui voulait
que les temoins ne fussent administres que par la partie publique
et par la partie civile (6) ; pour eviter que des temoins de I'accuse
ne se glissassent dans le nombre, il etait necessaire de faire
produire la citation (7). — Le serment a faire preter aux te-
(1) Procis-^erbal, p. 66.
(2) Tit. IV et T.
(3) Tit. VI, art. 11.
(4) Tit. VI, art. IS. .
(5) Tit. VI, art. 9, cf. art. 6.
(6) Tit. VI, art. 1.
(7) Cette disposition a 61& reproduite dans le Code d'Instruotion criminelle
(art. 74); mais elle n'a pas la mfime valeur, I'accusi ou prSvenu pouvant toujours
citer a I'audience les temoins a d^cbarge.
224 l'ordonnance de 1670.
moins , les questions a leur poser, la lecture des depositions , la
defense de laisser des interlignes , la necessite d'approuver les
ratures, la tenue materielle du registre (art. 5, 9, 11, 12), tout
etait calcule pour que I'information , cette piece si importante ,
ftit sincere et non alteree ; toutes ces prescriptions etaient impo-
sees a peine de nullite.
La taxe des temoins etait faite.par le juge (art. 13). Le projet
des commissaires ajoutait que le paiement serait fait par les
mains du greffier, defendant aux parties de rien donner en
plus ; mais le Premier president fit observer " que les temoins
sont quelquefois eloignes ; et si les parties ne prennent soin de
les faire venir et de payer la depense de leur voyage, ils neglige-
ront de se trouver aux assignations. » On supprima les mots
« par la main du greffier, » defendant seulement aux parlies
de rien donner au dela de la taxe. Lamoignon avail conlribue
a maintenir un abus.
Apres les informations, les monitoires (tit. VII). Les juges
decernaient la permission de les obtenir, et I'official devait
obeir. Cela etait possible « alors meme qu'il n'y avoit aucun
commencement de preuve ou refus de deposer des temoins; »
c'etait exorbitant, d'autant qu'il etait dit que le jugement qui
interviendrait sur I'opposition, s'il y en avail une, serait execute
nonobstant « appellation meme comme d'abus. » Lamoignon fit
observer « que Ton ne commence pas I'instruction d'un proces
par un monitoire (1); » mais tout passa.
III. L'information , si elle contenait des charges, donnait lieu
au Mcret, qui devait toujours etre rendu sur les conclusions du
procureur du roi (2). Le projet decidait que pour ces conclusions
il ne pourrait etre reclame « ni epices ni droits. » Lamoignon
protesta. Pussort eut beau dire " que le roi n'avoit point eu
en vue de diminuer les emoluments de ses officiers, mais bien
de retrancher les proces, en leur otant I'occasion de requerir
des decrets avec trop de facilite et sans beaucoup de fonde-
ment (3) ; » la disposition fut supprimee.
(1) Procis-verhal , p. 74.
(2) Tit. X, art. 1.
(3) Procds-verbal, p. 108.
l'ordonnance de 1670. 225
L'Ordonnance admettait trois sortes de decrets, celui d'as-
signe pour etre oui, celui d'ajournement personnel , et celui de
prise de corps. Le premier, que nous n'avons pas trouve dans
Imbert, avait ete introduit par la jurisprudence; il etait plus
doux que rajournement personnel, en ce qu'il n'entrainait point,
comme ce dernier, I'interdiction d'exercer toutes fonctions (1).
Pour choisir entre ces differents decrets , il fallait se rapporter
a la qualite des crimes, des preuves et aussi « des personnes; )>
on ne pouvait decemer un decret de prise de corps centre un
domicilie, « si ce n'est, pour peine afflictive ou infamante. »
Le decret d'assigne pour etre oui', faute de comparution, etait
converti en decret d'ajournement personnel , et celui-ci , dans le
meme cas , en decret de prise de corps (2) , a moins que I'accuse
n'eiit fait valoir, dans les formes determinees par le litre XI, un
empechement ou excuse. C'etaient la les « essoines des accuses; »
et c'est la derniere fois que cette sorte d'exception dilatoire, si
importante jadis dans la procedure f6odale, paraitra dans nos
lois avec son sens propre (3).
Les decrets ne pouvaient etre decernes sans information pre^
cedente; c'etait un principe general, mais il subissait bien des
exceptions, non-seulement en cas de flagrant debt, mais aussi
dans d'autres hypotheses moins favorables. « Pourra etre de-
cerne prise de corps sur la seule notorite pour crime de duel ,
sur la plainte de nos procureurs centre les vagabonds, et sur
celle des maitres pour les crimes et debts domestiques (4). »
(1) Tit. X, art. 10 et 12.
(2) Tit. X, art. 3 et 4.
(3) Si celui qui 6tait personnellement ajourn^ comparaissait, on ne pouvait I'em-
prisonner a moins qu'il ne survlnt de nouvelles charges (art. 7) ; ou que « par
deliberation secrfete de nos cours, il ait 6t6 rfisolu qu'en comparaissant il sera
arrfite, ce qui ne pourra fitre ordonn^ par aucun autre de nos juges. » — Ce re-
tentmm indique bien I'esprit de cette procedure, qui souvent joue au plus fin avec
I'accuse.
(4) Tit. X, art. 8, of. art. 5 et 6. — Les decrets pouvaient etre decernes par
le juge d'instruction seul. Bornier les considerait, il est vrai, comme nuls « lors-
qu'ils etaient rendus par un seul juge sans autres opinants, » p. 348; mais I'opi-
nion contraire etait dominante. « Les decrets se rendent ordinairement par le
juge d'instruction. >• Jousse, Comment., p. 187. — « L'usage contraire prouve
assez que le sentiment de Bornier n'est pas conforme aux rdgles. » Serpillon .
Code crim., p. 532.
15
226 l'oedonnance de 1670.
Le decret de prise de corps constituait I'accuse en 6tat de
detention preventive; et, pour que relargissement eftt lieu, il
fallait toujours une ordonnance du juge (art. 23). Mais la miss
en liberte provisoire sous caution n'etait pas possible toutes
les fois qu'il y avait reglement a I'extraordinaire (1). Cepen-
dant, apres I'interrogatoire , s'il n'y avait eu k I'origine qu'un
ajournement personnel , et que le decret de prise de corps n'eiit
ete rendu que faute de comparaitre, on pouvait elargir rac-
cuse (art. 21). Cette loi etait fort dure, et menageait tres-peu
la liberte individuelle ; pourtant elle etait plus precise qu'aucune
des Ordonnances qui I'avaient precedee, et contenait quelques
garanties. Les procureurs du roi etaient tenus d'envoyer deux
fois par an aux procureurs generaux un « etat , signe des lieu-
tenants criminels et par eux, des ecroues , et recommandations
faites pendant les six mois precedents es prisons de leur siege ,
et qui n'avoient point ete suivies d'un jugement definitif , conte-
nant la date des decrets , ecroues , recommandations , le nom,
surnom , qualite et demeure des accuses et sommairement le titre
de I'accusation et I'etat de la procedure (2). » C'etait la une
mesure excellente, et elle a inspire certainement les articles
249 et 250 du Code d'Instruction criminelle.
Les redacteurs de I'Ordonnance, apres avoir parle des decrets,
etaient tout naturellement amenes a se preoccuper de la police
des prisons; c'est ce qu'ils firent dans le titre XIII.
Aux XVII* et xviii° siecles , les prisons furent d'atroces sejours.
« Osez descendre un moment dans ces noirs cachets , oi la lu-
miere du jour ne penetre jamais , et sous des traits defigures
contemplez vos semblables , meurtris de leurs fers , a demi
converts de quelques lambeaux , infectes d'un air qui ne se re-
nouvelle jamais et semble s'imbiber du venin du crime , roughs
vivants des memes insectes qui devorent les cadavres dans leurs
tombeaux, nourris k peine de quelques substances grossieres
distribuees avec epargne, sans cesse consternes des plaintes
de leurs malheureux compagnons et des menaces de leurs gar-
(l)Tit. XV, art. 12.
(2) Tit. X, art. 20.
l'ordonnance de 1670. 227
diens (i). » G'est un magistral qui parle ainsi dans un discours
de rentree, et sous Famplification oratoire on sent la verity
poignante. Voltaire dira aussi : « II ne faut pas qu'une prison
ressemble a un palais, il ne faut pas non plus qu'elle ressemble
a un charnier. On se plaint que la plupart des ge61es en Europe
soient des cloaques d'infection, qui repandent des maladies et
la5 mort , non-seulement dans leur enceinte , mais dans le voisi-
nage. Le jour y manque, I'air n'y circule point. Les detenus
ne se communiquent que des exhalaisons empestees. lis eprou-
vent un supplice cruel avant d'etre juges. La charite et la bonne
police devraient remedier a cette negligence inhumaine et dan-
gereuse (2). » Dans le meme sens les cahiers de 1789 fournis-
sent un temoignage irrecusable. Le Tiers -Etat demande a
I'unanimite que « les prisons soient saines et sures , qu'elles
n'alterent plus la sante des detenus et qu'il y soit etabli des
infirmeries (3). » — Memes reclamations dans les cahiers de la
Noblesse : « les prisons* dit I'un d'eux, sont dans un etat in-
humain et indecent (4). » Le Clerge eleve sa voix avec une
force egale : « que les prisons , oii gemit trop souvent I'innocent
a cote du coupable, cessent d'etre, centre I'intention de la loi, ~
un s^jour d'horreur et d'infection ; que les malheureux y jouis-
sent au moins d'un air salubre , d'une nourriture saine et suffi-
sante; que les infirmeries des prisons soient aerees, et tene-
ment disposees qu'on y puisse faire le service des malades (5). »
Ce sont la des faits incontestables ; cependant il ne faudrait
point croire que les legislateurs et les magistrats de I'ancienne
France se montrassent indifferents au sort des prisonniers. Cette
durete de regime et ces souiTrances leur semblaient naturelles
et necessaires; mais d'autre part on prenait des precautions
multiples pour empecher les malversations et les vexations de
la part des gedliers. Certains usages des Cours avaient quel-
que chose de touchant. C'est ainsi que la Tournelle du Par-
(1) Servan : Discours, etc., p. 14.
(2) Idee de la justice et de I'humaniU, art. xxv.
(3) Prudhomme : Risumi des cahiers. III, p. 588 , 173, 174.
(4) Prudhomme : op. cit., t. II, p. 152 et 411.
(5) Prudhomme : op. cit., I, p. 165 et 357.
228 l'oedonnance de 1670.
lement de Paris tenait tous les ans,' la veille de I'Ascension, une
seance au Chatelet pour recevoir les plaintes et s'inquieter du
sort des prisonniers (1). Les Parlements faisaient souvent des
reglements pour la police des prisons de leur ressort ; celui du
Parlement de Paris, du 1" septembre 1717, est celebre et fort
etendu.
C'est le meme sentiment qui inspira les redacteurs de I'Or-'
donnance. Dans le titre XIll, nous trouvons peu de dispositions
concernant la question p^nitentiaire , comme nous dirions aujour-
d'hui. Les hommes et les femmes devront etre separes (art. 20);
les guichetiers visiteront tous les jours les prisonniers dans les
cachots, et devront indiquer ceux qui sont malades, pour qu'ils
soient visites par les medecins et au besoin trarisferes dans des
chambres (art. 21); on donnera aux prisonniers « du pain, de
I'eau et de la paille bien conditionnes , suivant les reglements
(art. 25). » C'est tout. Presque tous les autres articles ont pour
but de reprimer les vexations des gardiens : ils revelent des
desordres graves et surtout une venalite honteuse (art. 2, 6,
7, 9, 15, 19, 10, 11, 14, 18, 22, 28, 30, 33). A chaque instant,
on defend aux geoliers de prendre de I'argent pour des actes
obligatoires de leur ministere. II est ordonne aux procureurs du
roi ou des seigneurs « de visiter les prisons une fois chaque se-
maine , pour y recevoir les plaintes des prisonniers (art. 25) (2). »
IV. L 'accuse, cite ou prisonnier, devait etre interroge par
le juge. C'etait un acte des plus importants. Nous verrons que
dans la plupart des cas, sans I'aveu de I'accuse, on ne pouvait*;
pas prononcer les peines les plus graves. Aussi, dans cette
procedure secrete , I'art d'interroger etait une qualite tout a fait
precieuse chez le magistrat instructeur. Les auteurs des traites
(1) « Le jeudi de I'Ascension , grande f6te de I'aanfie , le Parlement tient sa
seance au ChStelet pour les prisonniers. C'est le, president a mortier dernier re^u
qui, a dix heures et demie , se transporte au Ch4telet avec les conselUers de la
Tournelle; quand ils arrivent I'audience cesse, le lieutenant civil quitte sa place, '
et pendant que le Parlement tient I'audience , le lieutenant civil , le lieutenant de
police, le lieutenant criminel , le procureur du roi, le lieutenant criminelde robe
courte sont dans le banc des gens du roi , pour toe en 6tat de rfipondre s'il y
avait quelque plainte contre eux. » Barbier; Journal, II, p. 328.
(2) Comparez les art. 610 et suivants du Code d'Instruction criminelle.
l'ordonnance de 1670- 229
de droit criminel exposaient a ce sujet une serie de preceptes
devenus classiques , fruits de I'experience et de la meditation.
Les observations, dont Jousse a fait preceder le titre XIV de
rOrdonnance , sont restees comme le plus judicieux de ces petits
traites , qui rappellent vaguement les manuels du confesseur.
Une amelioration legere §tait apportee dans la pratique des
interrogatoires , qui devaient etre commences dans les vingt-
quatre heures de I'emprisonnement au plus tard ; mais les regies
severes introduites par la jurisprudence et les Ordorinances an-
ciennes etaient maintenues et meme renforcees. L'inte^rrogatoire
devait avoir lieu en secret, devant le juge et son greffier. Le
serment introduit par I'usage, etait formellement impose a I'ac-
cuse (art. 7).
lei , on le salt , intervint , dans les conferences preparatoires ,
une discussion memorable. Le president de Lamoignon montra
toute la hauteur de sa grande ame , et on crut entendre la voix
des anciens magistrats, dont il cita les exemples. II lutta de toutes
ses forces pour faire ecarter la necessite du serment : il montra
que ce n'etait qu'un simple usage, qui s'etait introduit , « comme
ces choses dont on ne connoit pas bien ni I'origine ni la raison. »
II rappela la saintete du serment. « S'il est obligatoire , c'est en-
gager infailliblement I'accuse a commettre un nouveau crime , et
ajouter au mensonge , qui est inevitable dans ces rencontres , un
parjure qui se pourroit eviter. S'il n'est pas obligatoire, c'est
prendre le nom de Dieu en vain. » — « En France tout le monde
dit qu'il faut le faire ainsi sans examiner pourquoi on le fait;
car il n'y a aucun des peuples dont nous avons tire toutes nos
bonnes maximes, qui I'ait pratique ainsi. » II fit voir " que le
droit civil, bien loin de I'autoriser, y etoit certainement contraire,
et que meme dans le droit canonique , avant qu'il fut embrouille
des formalites de I'inquisition , il n'y en avait pas la moindre
trace ; » il fit remarquer que la Caroline n'en parlait pas , et que
dans les Pays-Bas tout au moins il n'avait pu s'introduire. II
invoqua enfln la tradition de I'ancienne magistrature francaise.
« Nul n'est tenu de se condamner soi-meme par sa bouche , »
avait ditle president Lemaitre; et de Thou, « dont la memoire
est en si grande veneration au pa,lais et partout ailleurs... inter-
230 l'oedonnance de 1670.
rogeant ua accuse de crime qualifle , ne voulut jamais lui faire
preter serment, pares qu'il n'y avoit aucune Ordon nance qui
obligeat les juges de I'exiger de I'accuse^ et qu'il ne vouloit pas
I'engager a un parjure manifesto (1). »
Pussort chercha a refuter cette vigoureuse argumentation;
mais il fut tres-faible. « On ne convient pas des principes qui
ont este avances , n'etant jamais permis en aucun cas de fairs
un mal afm qu'il arrive au plus grand bien ; la loi naturelle etant
combattue par celle du Christianisme, elle lui doit naturellement
ceder, personne ne revoquant en doute que la mort ne soit pre-
ferable i un peche mortel... I'usage du serment est tres-ancien
et s'observoit avant I'Ordonnance de 1539... et I'usage en est
d'autant plus solennel qu'il a este establi sans loi... il n'est pas
meme entierement inutile... il se trouvoit des consciences ti-
morees que la crainte du parjure pouvoit entrainer a reconnoitre
la verite. » M. Talon vint au secours de Pussort, il soutint
« qu'en Espagne , en Italie , et Ton pent dire parmi toutes les
nations de I'Europe on fait prater le serment aux accuses avant
de les interroger... Cette difficulte, dit-il, aiant este levee, il est
absolument necessaire d'en faire un article d'Ordonnance. » La-
moignon , a qui Ton n'avait point repondu en realite , demanda
qu'on en parlftt au roi ; le roi maintint I'article.
Mais il ne suffit pas qu'une chose soit commandee pour qu'elle
soit executee. Comment faisait-on si I'accuse refusait de preter
serment? L'Ordonnance avait prevu I'hypothese oil I'accuse re-
fusait absolument de repondre (2) ; elle decidait qu'on lui ferait
alors son proces comme a un muet volontaire (3). Apres trois
(1) Procis-verbal, p. 153, 159.
(2) Titre xriii , Des muets et sourds et de ceux qui refusent de ripondre.
(3) On n'admettait point qu'un present p(it 6tre contumax. « II y avoit au-
trefois une contiimace de presence qui 6toit celle qui s'instruisoit oontre les muets
volontaires , mais cette forme de procedure fut biamee par arrfet du Parlement
de Paris du 1" dScembre 1663. » Serpillon : Code crim., p. 900. — « Ancienne-
ment on donnoit un curateur aux muets volo«taires , mais I'Ordonnance a cru
devoir abroger cet usage, et les priver d'un secours dont ils se rendent indi-
gnes. » Muyart : Instr. crm., 1™ part., p. 684. — « L'usage du Chatelet a change
dans les diff^rents temps sur la forme de faire le procfes aux muets volontaires ;
anciennement on leur cr^oit un curateur, mais on y a reconnu de rinconvenient
l'ordonnance de 1670. 231
interpellations d'avoir a repondre et trois avertissements sur
les consequences de ce mutisme, le juge passait outre, consta-
tant , toutes les fois qu'il y avait lieu de faire comparaitre I'ac-
cuse, qu'il refusait de parler. Tous les actes etaient valables
cependant , et quand meme I'accuse voulait repondre plus tard ,
on ne recommensait rien , pas meme la confrontation. Cette pro-
cedure tres-rigoureuse , plus dure que celle suivie en cas de
contumace , fournissait un moyen de contraindre indirectement
I'accuse au serment. On assimilait a un muet volontaire celui
qui etait pret a jrepoadre, mais sans preter serment. C'est
ce que decidait Jousse; apres avoir parle du muet volontaire,
il ajoute : « il en est de m^me si I'accuse refuse de preter le
serment, comme cela arrive quelquefois (1). » Et Serpillon, en
protestant centre cette jurisprudence, semble bien la constater.
« On ne pent regarder comme tel (comme muet volontaire) celui
qui repond en disant qu'il ne veut pas prater serment; il ne
refuse pas de repondre, il ne fait pas le muet, et il n'y a aucune
peine prononcee contre celui qui refuse de preter serment. II
est cependant vrai que MM. les commissaires du Parlement de
Paris , dans la procedure de I'infame Damiens , firent , le 8 fe-
vrier, trois interpellations a cet accuse de preter le serment
qu'il refusa ; ce qui prouve leur usage a cet egard (2). »
L'assistance des conseils etait de nouveau interdite par I'Or-
donnance ; les accuses devaient toujours repondre par leur bou-
che. .Cela s'appliquait non-seulement au premier interrogatoire ,
oil cela pouvait tres-bien se concevoir, mais encore a tout le
cours de I'instruction , soit devant le lieutenant criminel, soit
devant le siege assemble. Cependant, s'il s'agissait d'un crime
non capital , « les juges pouvaient , apres I'interrogatoire , per- ,
mettre de communiquer avec qui bon leur semblera, » sans
qu'il ptit jamais etre question d'une defense traduite dans un
plaidoyer. S'agissait-il, au contraire, d'un crime capital, toute
communication etait interdite « nonobstant tous usages contraires
en ce qu'il falloit recommencer la procedure lorsque I'accus^ ofTroit de repondre
par sa bouche. » M. Talon : Procis-verbal, p. 217.
(1) Comment., p. 384.
(2) Code crim., p. 902.
232 l'ordonnance de 1670.
que nous abrogeons, si ce n'est pour crime de peculat, con-
cussion , banqueroute frauduleuse , vol de commis ou associes
en matiere de finance ou de banque , a I'egard desquels crimes
las juges pourront ordonner, si la matiere le requiert , que les
accuses, apres I'interrogatoire , communiqueront avec leurs com-
mis. » Tel etait le projet propose : en ayant I'air d'edicter une
prohibition moins absolue que celle de I'Ordonnance de 1539,
on rencherissait en realite sur cette derniere, dont les termes
un peu vagues laissaient un certain pouvoir aux juges. Lamoi-
gnon ici encore eleva la voix en faveur des accuses. « Get ar-
ticle defend aux juges de donner conseil aux accuses, meme
apres la confrontation, ce qui est nouveau et rigoureux envers
les accuses. » Prenant en main la cause de la libre defense, il
prononfa des paroles, qui semblent antidatees d'un siecle. « Si
le conseil a sauve quelques coupables , il pourroit arriver aussi
que des innocents periroient faute de conseil. — Entre tons les
maux qui peuvent arriver dans I'administration de la justice,
aucun n'est comparable k celui de faire mourir un innocent , at
il vaudroit mieux absoudre mille coupables. — Ce conseil qu'on '
.a accoutume de donner aux accuses n'est point un privilege
accorde par les Ordonnances ni par les lois, c'est une liberte
acquise par le droit naturel , qui est plus ancien que toutes les
lois humaines. — Nos Ordonnances ont retranche aux accuses
tant d'avantages qu'il est bien juste de leur conserver ce qui leur
reste. — Si on vouloit comparer notre procedure a celle des Re-
mains et des autres nations, on trouveroit qu'il n'y en avoit
point de si rigoureuse que celle qu'on observe en France , parti-
culierement depuis I'Ordonnance de 1539. — On pouvoit bien or-
donner en general que les juges ne donneroient point de conseil
aux accuses que pour les crimes meles de beaucoup de fails,
mais il paroissoit extremement dangereux de declarer en par-
ticulier quels etoient ces crimes, et d'en exclure par la tous les
autres (1). »
En face de Lamoignon , Pussort se fit de nouveau I'avocat de
la repression inflexible : « I'experience faisoit connoilre que le
(1) Prods-verbal, p. 162-164.
l'Ordonnance de 1670. 233
conseil qui etoit donne se faisoit honneur et se croyoit permit
en toute stirete de conscience de prouver par toutes voies I'iin-
punite de I'accuse. » II osa rappeler le proces du chancelier
Poyet pour marquer la portee de I'Ordonnance de 1539. a II est
vrai , dit-il , que le silence de I'Ordonnance a ete interprete' dif-
feremment... cela a donne lieu aux juges d'en user differemment,
les uns refusant (le conseil) absolument, les autres I'accordant
a toutes sortes d'accusations , et d'autres seulement en certains
cas... L'on sait combien ces sortes de conseils sont feconds |en
ouvertures pour former des conflits de juridiction , combien ils
inventent de subtilites pour trouver des nuUit'es dans les proce-
dures et pour faire naitre une infinite d'incidents. Cependant,
comme on ne refuse rien a un accuse, et qu'il faut lire toutes
les pieces du proces, aussi bien celles qui vont a sa decharge
que celles qui sont a sa conviction, pourvu qu'il ait moien de
faire travailler beaucoup d'avocats et de fournir aux frais, les
expedients ne manquent pas pour immortaliser son proces.
Ainsi, c'est proprement aux riches et pour I'impunite que le
conseil est accorde (1). » Ici, comme I'a fait observer un eminent
criminaliste , Pussort se trouvait en face d'une verite d'expe-
rience. Par une logique necessaire, il se fait que la procedure
ecrite et secrete, surchargee de formalites pour pouvoir me-
riter encore le nom de procedure , offre a la chicane un terrain
admirablement prepare.
M. Talon proposa un temperament. II voulait qu'on exclut le
conseil d'une facon generale « dans les causes qui dependent
purement des tesmoins , » mais que d'une facon generale aussi ,
et sans proceder a une enumeration dangereuse , on Taccordat
(( dans les accusations oii il y a des pieces rapportees pour la
conviction de I'accuse et ou il pent en produire pour sa de-
fense. » II cita comme exemples les suppositions de part et de
personnes, et voulait qu'on ajoutat cette clause : « et autres
de cette nature. » L'article passa avec cette modification : on
ajouta aux cas ou le defenseur serait admis « les suppositions de
part et autres crimes , ou il s'agisse de I'etat des personnes (2). »
(1) Procis-verbal, p. 164-165.
(2) Tit. XIV, art. 8.
234 l'ordonnance de 1670.
Pour assurer les droits de la defense , on crut assez faire eu ins-
crivant cette reserve dans le texte : « Laissons au devoir et a
la religion des juges d'examiner avant le jugement s'il n'y a point
de nuUite dans la procedure. » C'etait la meme idee qui avait
fait dire que dans I'information les temoignages seraient redi-
ges a a charge et a decharge. » Le juge, dans ce systeme, a
quelque chose de la Providence ; il est infaillible et defend I'ac-
cuse en meme temps qu'il le poursuit.
Toutes les formalites de I'interrogatoire etaient du resteminu-
tieusement et soigneusement reglees (1). L'interrogatoire etait
ensuite communique a la partie publique et a la partie civile
(art. 17, 18), lesquelles, s'il y avait aveu, pouvaient prendre droit
immediatement, c'est-sl-dire demander jugement, mais celaseu-
lement , comme nous I'expliquerons plus tard , si le crime ne
meritait pas peine afflictive. L'accuse dans le meme cas pouvait
demander a prendre droit par les charges , qui alors lui etaient
communiquees ; dans ces deux hypotheses, 11 y avait des re-
quetes adressees au juge par les poursuivants , et des reponses
de la part de l'accuse (art. 20). S'il n'y avait pas lieu de prendre
droit ainsi, les parties civile et publique donnaient leurs conclu-
sions tendant au reglement a I'extraordinaire. L'accuse pouvait
aussi presenter requete pour etre regu en proces ordinaire ; mais
cette civilisation du proces n'etait admise que lorsque le delit en-
trainait simplement une peine pecuniaire (2).
V. Le reglement a I'extraordinaire resultait d'un jugement
portant que les temoins entendus dans I'information seraient
« oui's de nouveau, recoles en leurs depositions, et, si besoin est,
confrontes a l'accuse (3). » Par qui ce jugement si important
allait-il etre rendu? « Par le juge, » disait I'Ordonnance. II sem-
blait logique d'en conclure qu'il s'agissait la du juge d'instruc-
tion seul , qui seul du reste a jusqu'ici paru en scene. Gependant
Jousse, consid§rant sans doute quel immense pouvoir on allait
(1) Voy. art. 9, H, 13, 16.
(2) II rSsuUait d'un article de rOrdonnance (tit. xx, art. 3) que la conversion en
procfes ordinaire pouvait avoir lieu mdme apres le reglement a I'extraordinaire ,
pourvu que ce Mt avant la confrontation.
{3)Tit. XV, art. 1.
l'ordonnance de 1670. 233
mettre ainsi aux mains d'un homme , decidait au contraire « que
ce jugement doit etre rendu a la Chambre , comme jugement au
fond, par trois juges si le jugement est st charge de I'appel, et par
sept lorsque le jugement est en dernier ressort (1). » Mais c'etait
la une opinion isolee. « Dans les bailliages et autres justices su-
jettes i, I'appel, il ne faut que le juge d'instruction pour rendre
un jugement de recolement et confrontation. — II y a lieu d'etre
surpris que M. Jousse , si verse dans cette matiere , ait observe
sur cet article que le jugement a I'extraordinaire doit etre rendu
par trois juges, si le jugement est a charge de I'appel; cela est
contraire aux autorites qu'il cite, puisqu'elles ne parlent que du
dernier ressort , ce qui decide tacitement que les lieutenants cri-
minels peuvent les rendre seuls a I'ordinaire , comme une infinite
de reglements I'ont decide : d'ailleurs , c'est I'usage de tons les
tribunaux du royaume , que le juge d'instruction rende seul ces
jugements a I'ordinaire. II serait ennuyeux de rapporter les re-
glements pour refuter cette erreur (2). »
Le recolement etait necessaire pour que la deposition fit charge
contre I'accuse; mais dans la visite du proces il etait au con-
traire fait lecture des depositions des temoins a decharge,
quoiqu'ils n'eussent ete ni recoles ni confrontes, pour y avoir
egard par les juges (3). Par suite, on se demandait s'il etait
utile de confronter tous les temoins ; cela paraissait plus juste ,
mais pourtant on decidait communement que cenx-la seulement,
qui faisaient charge, devaient etre confrontes.
La confrontation etait la premiere occasion, que cette procedure
impitoyable donnait a I'accuse , de saisir I'accusation , jusque-la
pour lui enveloppee de voiles; mais I'Ordonnance rendait cette
ressource presque entierement illusoire. Dans I'origine, le recole-
ment avait eu pour but de faire contrSler par le juge I'informa-
tion, qu'avait recueillie un simple sergent assiste d'un notaire;
aujourd'hui cette utilite n'existait plus, le juge informant toujours
lui-meme. On fit du recolement un moyen d'immobiliser le te-
(1) Commmt. sw I'ord. de 1670, p. 296.
(2) Serpillon : Cod. crim., p. 690.
(3) Tit. XV, art. 10 .
236 l'ordonnance de 1670.
moignage et de rendre inutile tout debat a la confrontation ; « les
temoins, disait I'article 11, qui depuis le recolement retracteront
leurs depositions ou les changeront dans des circonstances essen-
tielles, seront poursuivis et punis comme faux temoins. » Lamoi-
gnon protegta en faveiir de la defense , comme il I'avait fait deux
fois deja. « II pent etre dangereux de fairs une loi si exacts,
parce que quelquefois un accuse peut redrssser un temoin a la
confrontation en des circonstances considerables st Is faire souve-
nir de la vsrite d'un fait qui lui auroit echappe. Cela peut se fairs
quelquefois de bonne foi de la part des accuses et de la part dss
temoins , st c'cst rsndre la condition de I'accuse bien plus mau-
vaise si on oblige le temoin a ne se point retracter a la confron-
tation, a moins que d'etre traite comme un criminsl... Tout est
centre I'accuse jusqu'a la confrontation : car c'est la ou il com-
mence a se reconnaitre st a etrs informs ds la qualits du crime
st de la preuvs. C'est pourquoi il ssmbloit plus a propos de kis-
ser cela a la discretion du juge , qui peut connaitre si la contra-
rists qui se trouve entre la deposition , le recolement et la con-
frontation du temoin tient de sa mauvaise foi ou bien de son
ignorance (1). » II etait impossible de parler d'une facon plus
sensse ; mais Pussort declara « que jusqu'ici il avoit passe pour
une loi constante, fetablie par les autsurs st confirmee par I'u-
sage , que tout homme qui a prete deux serinents a la face de la
justice ne peut changer impunement... que Ton avoit cru I'article
necessaire a la slirete publiqus , st bisn loin de produire de faux
temoins , dans la necessite oti il les jstte de soutenir Isur tsmoi-
gnage vrai ou faux lors de la confrontation, qu'au contraire, il
obligera les temoins a s'observer et a ne pas rsndrs legerement
leur deposition... qu'au surplus ess mots ds circonstances essen-
tisllss, qui sent dans I'articls, satisfont a tout. » On est vraiment
etonne de la puissance ds csrtainss idsss prsconcues. Aprss avoir
dscide I'article , comme le voulait Pussort , on insera cette depo-'
sition : « Si I'accuse remarque dans la deposition du temoin
quelqus contrarists ou circonstancs qui puisse eclaircir Is fait ou
justifisr son innocencs , il pourra requ^rir le jugs d'interpeller le
(I) ProUs-verbal , p. 178.
l'ordonnance de 1670. 237
temoin de la reconnaltre. » Cela a presque Fair aujourd'hui d'une
raillerie.
Si la confrontation ne devait plus guere servir a 1' accuse pour
discuter les^ depositions , elle lui elait toujours utile pour propo-
ser ses reproches ; mais on avait conserve la regie introduite en
1539, d'apres laquelle il devait les produire £i brtlle-pourpoint et
avant la lecture de la deposition (1); plus tard, il n'etait plus
regu a les faire valoir. Cela passa sans observation; c'etait un
point admis depuis longtemps. On eut soin seulement de declarer
expressement que I'accuse pourrait « en tout etat de cause pro-
poser des reproches, s'ils etoient justifies par ecrit (art. 20). »
VI. Lorsque les informations , interrogatoires , recolements
et confrontations etaient termines , le proces etait dit instruit ,
et sortait des mains du juge d'instruction pour passer aux mains
du rapporteur, qui devait depouiller la procedure , et en exposer
les resultats au siege entier assemble. Mais auparavant le « sac »
etait confie au procureur du roi, pour qu'il prit ses conclusions
definitives (2), ce qu'il etait tenu de " faire incessamment. » Ces
conclusions pouvaient tendre a I'application de la peine , mais
elles pouvaient tendre aussi a I'application de la torture ou a la
preuve des faits justificatifs. Elles etaient « donnees par ecrit et
cachetees, » et ne devaient etre ouvertes que plus tard, apres
le rapport; elles ne devaient pas « contenir les raisons sur les-
quelles elles etaient fondees (3). » C'etait alors que le rapport
intervenait : « lorsque le proces a regu son entiere instruction,
et que le procureur du roi ou fiscal , apres en avoir pris commu-
nication, I'a remis au greffe avec ses conclusions cachetees, le
proces doit etre remis a I'un des juges qui en fait le rapport au
siege assemble (4). » Cela avait une extreme importance; sans
doute toutes les pieces de la procedure etaient lues devant les
conseillers; mais comment ces magistrats, qui intervenaient pour
la premiere fois dans I'affaire , pouvaient-ils en prendre une con-
naissance suffisante? lis jugeaient d'apres le rapport. Aussi le
(1) Tit. XV, art. 15 et 16.
(2) Tit. XXIV, art. 1.
(3) Tit. XXIV, art. 3.
(4) Pothier : Instr. crim., p. 466.
238 l'ordonnancr de 1670.
rapporteur devait-il « opiner le premier. G'est I'usage inviolahle
de tous les tribunaux, parce que le rapporteur est presume mieux
instruit des fails du proces que les autres offlciers (1). » Le
rapporteur ayant une autorite fort grande, le choix de ce ma-
gistral elait grave ; cependanl c'etail un point que I'Ordonnance
ne decidait pas. Dans les bailliages les lieutenants criminels
rapportaient les proces, « ils ont droit, dit Serpillon, de rap-
porter tous les proces de leur juridiction, ce droit est fonde sur
I'Edit de mai 1553; » il cite aussi un Edit de iSS7, et une in-
finite d'arrets et de reglements , qui montrent que c'etait la sur-
tout une question £ if ices (2). Mais, d'autre part, le lieutenant
criminel etait le juge instructeur ; le proces etait done presque
remis a son entiere discretion. C'etait un abus que I'Ordonnance
de Blois avait voulu supprimer (3) ; mais comme elle ne parlait
que des Parlements , on n'appliqua point sa disposition aux ja-
ridictions jugeant en premier ressort. On est etonne de voir que
les redacteurs de I'Ordonnance, si preoccupes d'ordinaire d'as-
surer les details de I'administration de la justice , aient passe
ce point sous silence.
Personne autre que les juges n'assistait a la visite du proces et
au rapport : on excluait meme expressement les « gens du
roi (4). » Cependanl avant de passer au jugement, on faisail com-
paraitre I'accuse pour qu'il subit un dernier interrogatoire ; c'etait
la premiere fois que les magistrals , autres que le juge d'instruc-
tion , le voyaient et entendaient sa voix. Lorsque les conclusions
du ministere public tendaient a une peine afflictive, le dernier in-
terrogatoire devait avoir lieu sur la sellette (5), dans les autres
cas , il avait lieu « derriere le barreau , ou parquet de la
chambre... les accuses sont alors debout et decouverts derriere
la barre qui ferme le barreau (6). » L'Ordonnance ne parlait,
(1] Serpillon : Code crim., p. 1052.
(2) Op. cit., p. 1230, »sq.
(3) Art. 130 : « Les proc6s criminels fails ou instruits aux Parlements en pre-
miere instance, ne pourront fitre rapport^s par celui qui aura fait les r^colements,
les confrontations, et instruit lesdits proems. »
(4) Tit. XXIV, art. 2.
(5) Tit. xiT, art. 21.
(6) Serpillon : Code crim., p. 682.
l'ordonnance de 1670. 239
comme d'une formalite necessaire, que des interrogatoires sur
la sellette. Aussi I'abus s'etait glisse dans plusieurs sieges de ne
pas entendre les accuses lorsqu'il n'y avait point de conclusions
a des peines afflictives. Une Declaration royale du 13 avril
1703, supprima cet abus : « I'esprit de notre Ordonnance de
1670, etait-il dit, n'a jamais 6t6 de priver les accuses dans
aucun cas du droit nature! qu'ils ont de se defendre par leur
bouche , n'y d'oter aux juges les moyens qu'ils ont de s'eclaircir
par ces voies des circonstances des actions qui se poursuivent
extraordinairement. » Les accuses devaient toujours etre enten-
dus ou sur la sellette ou derriere le barreau.
II pouvait se faire cependant que I'instruction du proces ne
fut pas terminee. « Lorsqu'apres la visite du proces et que
I'accuse a subi son dernier interrogatoire , le juge vient k recon-
naitre que la preuve n'est pas suffisamment acquise , et qu'il lui
reste encore des doutes sur le jugement qu'il doit porter, alors
ou ces doutes sont combattus par des presomptions violentes,
qui s'elevent contre I'accuse de maniere k le faire regarder plutot
comme coupable qu'innocent, et qu'il ne manque plus que sa
propre confession pour le convaincre; c'est le cas ou il peut
ordonner la torture ... ou bien ces doutes sont tels qu'ils font
pencher la balance en faveur de I'accuse, comme lorsque par
son dernier interrogatoire et sa confrontation il a articule cer-
tains faits ou fourni certains reproches contre les temoins , dont
la preuve une fois acquise pourroit servir a justifier entierement
son innocence; alors le juge doit, sur la requete qui lui est pre-
sentee par cet accuse , ou mgme d'office , choisir parmi ces faits
ou ces reproches ceux qui lui paraissent les plus relevans , pour
en faire la matiere d'une enquete qu'il ordonnera par un juge-
ment particulier, et c'est ce qu'on appelle admettre I'accuse a ,
ses faits justificatifs (1). » Examinons les deux branches de cette
alternative.
VII. La torture , dont nous avons raconte les lamentables pro-
gres , presentait plusieurs varietes. Envisagee au point de vue de
I'intensite des tourments, elle se divisait en question ordinaire,
(1) Muyart de Vouglans : Inst, crim,., p. 390.
240 l'ordonnance de 1670.
et question extraordinaire : le juge avait toujours plein pouvoir
pour s'arreter a I'une ou pour pousser jusqu'a I'autre (1). Si
Ton envisageait la torture sous le rapport de la fonction qu'elle
remplissait, on distinguait la question pr^paratoire , qui servait
a arracher a un accuse I'aveu de son crime , et la question pr^ala-
ble qui etait donnee aux condamnes pour les forcer i, reveler leurs
complices. C'est de la question preparatoire qu'il est ici parle.
L'Ordonnance reglait les conditions moyennant lesquelles on
pourrait recourir a la torture. Elle exigeait que le corps du
delit fut constate; et qu'il y eut deja « preuve considerable (2). »
Les sentences , pronongant la question etaient de droit soumises
a I'appel (3). L'accuse, interroge avant d'etre tourmeate, de-
vait I'etre encore immediatement apres , pour qu'on vit s'il main-
tiendrait ses aveux. Point important , « quelque nouvelle preuve
qui survint, l'accuse ne peut pas etre applique deux fois a la
question pour le meme fait (4) ; » et « s'il avoit ete delie et en-
tierement 6te de la question , il ne pouvoit plus y etre remis (5). «
C'etaient la quelques adoucissements apportes a cette horrible
procedure ; mais en revanche I'Ordonnance consacrait la ques-
tion avec reserve des preuves , que la jurisprudence avait intro-
duite et dont nous parlerons plus loin. Tout cela passa sans
soulever de'difficulte. C'etait chose naturelle a cette epoque. Ce-
pendant, Lamoignon et Pussort, etonnes , sans doute, de se
trouver d'accord , parlerent tons les deux centre la question pre-
paratoire, mais sans insister, et comme par acquit de cons-
cience. Pussort declara « que la question preparatoire lui avoit
toujours semble inutile, et que si Ton vouloit oter la prevention
d'un usage ancien, Ton trouveroit qu'il est rare qu'elle ait tire
la verite de la bouche d'un condamne. » M. le President « a dit
qu'il voioit de grandes raisons de I'dter, mais qu'il n'avoit que
son sentiment particulier (6). »
(1) On se rappelle « le petit et le grand tresteau , » dans le Registre crimiul
du Chdtelet.
(2) Tit. xrx, art. I.
(3) Tit. XIX, art. 7.
(4) Tit. XIX, art. 12.
(5) Tit. XIX, art. 10.
(6) Prods-verbal, p. 225.
l'ordonnance de 1670. 241
Cependant Lamoignon proposait quelque chose de plus pra-
tique. Aucune regie fixe n'existait sur la maniere de donner
la torture; les usages des compagnies etaient la seule loi. N'e-
tait-il pas urgent de faire cesser ici tout arbitraire? « II seroit a
souhaiter que la maniere de donner la question fut uniforme
dans tout le royaume , parce qu'en certains endroits on la
donne si rudement que celui qui la souffre est mis hors d'etat
de pouvoir travailler et demeure souvent estropie le reste de ses
jours. » A cela Pussort fit cette reponse etonnante : « 11 etoit
difficile de rendre la question uniforme... la description qu'il
en faudroit faire sei'oit ind^cente dans une Ordonnance... mais
il est sous-entendu dans I'article que les juges prendront garde ,
lorsqu'ils la feront donner, que les condamnes n'en demeurent
pas estropiez (1). »
Rien ne fut done fixe a cet egard , et les jurisprudences varie-
rent comme par le passe. C'est ainsi que nous trouvons dans
Muyart de Vouglans une description sommaire des methodes
les plus usitees. « Au Parlement de Paris, la question se donne
de deux manieres, a I'eau et aux brodequins. » Le Parlement,
par arret du 18 juiUet 1707, avait donne un memoire detaille
pour la question, qui comprend vingt-trois articles. C'est une
piece fort curieuse ou tout est prevu (2). Ge reglement fut adopte
dans beaucoup de ressorts , mais dans certains autres on con-
serva les anciennes habitudes. « Au Parlement de Bretagne on
la donne (la question) en serrant le pouce ou autres doigts , ou
une jambe du patient avec des machines de fer appelees valets...
Au Parlement de Bretagne, on approche les pieds du patient
assis et attache sur une chaise devant un feu, les pieds nus...
Au Parlement de Besangon , la question se donne de deux
facons. Le patient, ayant les bras lies derriere le dos , est eleve
en I'air par une poulie attachee aux bras hes,... pour la ques-
tion extraordinaire, on attache aux orteils de chaque pied du
patient un gros poids de fer ou de pierre , qui lorsqu'on I'eleve
demeure suspendu a ses pieds (3). » Serpillon, de son c6te, decri-
(1) Proeis-^erhal , p. 224.
(2) Voy. dans Serpillon : Code crim., p. 930, ssq.
(3) Muyart : Inst, crim., p. 403.
16
242 l'ordonnance de 1670.
vant la question par I'huile bouillante , telle qu'elle se donne au
presidial d'Autun, ajoute : « Je ne connois dans la province ni
ailleurs aucun tribunal qui soit dans I'usage de cette cruelle
torture, que Ton dit avoir eu lieu anciennement dans toute la
France (1). »
Pour la question prealable , I'Ordonnanee declarait seulement
que le « jugement pourroit I'ordonner. »
Les anciens principes sur les faits justiflcatifs etaient main-
tenus et plus formellement exprimes qu'ils ne I'avaient jamais
ete. ,11 elait « defendu aux juges, meme aux Cours, d'ordon-
ner la preuve d'aucuns faits justiflcatifs, ni d'entendre aucuns
temoins pour y parvenir, qu'apres la visite du proces (2). » Ne
pouvaient etre recus en preuve que « les faits choisis par le juge
du nombre de ceux que I'accuse aura articules dans les interroga-
toires et confrontations, » et celui-ci devait nommer sur-le-champ
les temoins, qui etaient assignes a la requete du ministere public
et entendus sans que I'accuse les vit. On voit combien la de-
fense elait faible; cependant on devait communiquer a I'accuse
les requetes que la parlie civile presentait aux juges et les pieces
y attachees, « en sera bailie copie a I'accuse, autrement les
requetes et pieces seront rejetees (3). »
VIII. Le jugement allait etre rendu. L'Ordonnance renouve-
lait les prescriptions traditionnelles qui command aient aux juges
de faire passer les affaires criminelles avant les causes civiles,
et qui leur defendaient de juger de relev^e les proces conside-
rables (4). Mais elle contenait aussi des dispositions nouvelles et
importantes.
(i) Code crim., p. 907.
(2) Tit. XXVIII, art. I.
(3) Tit. XXIII, art. 3. On se demandait si Ton devait communiquer k I'accus^ les
depositions des temoins sur les faits justiflcatifs. Voy. Poullain du Pare : Prin-
cipes du droit frangais, torn. XI, p. 374. « L'article 8 n'ordonne la communica-
tion de I'enqu^te qu'a la Partie publique et k la Partie civile, ce qui donne lieu
de croire que I'accuse ne peut pas en demander la communication. Cependant ce
n'est pas une information, c'est una enqufite; et puisque la partie civile en doit
avoir la communication , il parott injuste qu'elle soit refuses a I'accusfi. Le silence
de I'Ordonnanee n'est point nSgatif de cette communication, quoiqu'il fasse natlre
une grande difflcultS sur cette question. »
(4) Tit. XXV, art. 1 et 9.
l'ordonnance de 1670. 243
Dans toutes les justices , oii Ton jugeait a charge de I'appel ,
la sentence devait etre rendae par trois juges au moins, « si
tant y a dans' le siege, ou gradues, et se transporteront au lieu
ou s'exerce la justice, ou I'accuse est prisonnier, et seront pre-
sents au deruier interrogatoire (1). » C'etait une reforme excel-
lente, surtout si Ton songe a ce qu'etaient les juges des sei-
gneurs. Cependant Lamoignon fit quelque opposition ; il defendit
encore les interets des justices seigneuriales ; il voulait meme
qu'on n'exigeeit pas que les assesseurs fussent toujours gradues ,
« dans les petites justices, il peut y avoir des gens de bon sens
et propres a etre officiers, qui ne sont pas neanmoins gradues. »
Mais Pussort lui repondit victorieusement : « On ne pouvoit
apporter trop de precautions, lorsqu'il s'agit de la vie et de
I'honneur des sujets du roi, particulierement si Ton considere
que des gentilshommes pouvoient etre justiciables des juges des
seigneurs, qui sont tous sans experience et qui peuvent etre
facilement corrompus (2). »
Quant aux jugements en dernier ressort, ils devaient toujours
etre rendus par sept juges, qu'il s'agit de sentences d'instruction
ou d'arrets au fond ; a defaut de juges on appelait des gradues (3).
Le partage des voix profitait toujours a I'accuse, et s'il s'agissait
d'une sentence en dernier ressort, I'avis le plus severe ne pou-
vait passer qu'a la majorite des deux voix (art. 12); c'est cette
derniere disposition que Montesquieu appelait une loi divine.
Pour qu'on sut quel etait I'avis le plus severe, I'Ordonnance
etablissait une echelle des peines (i). Gela etait fort important,
etant donne le systeme des peines arbitraires qui dominait dans
I'ancien droit. On remarquera que dans cette enumeration, la tor-
ture figurait comme une peine, alors qu'on etablissait d'autre
part que ce n'etait qu'un moyen d'instruction ; on avait ete oblige
de revenir a la verite des faits. Le bienfait que semblait assurer
(1) Tit. XXV, art. 10.
(2) Prods-verbal , p. 246.
(3) Tit. XXV, art. 11.
(4) Art. 13 : « Aprfes la peine de mort naturelle la plus rigoureuse est celle
de la question avec la reserve des preuves en leur entier, des galferes perp6-
tuelles , du bannissement perpituel , de la question sans reserve des preuves, des
gaUres a temps , du fouet, de 1' amende honorable et du bannissement a temps. »
244 l'ordonnance de 1670.
cet article n'etait pas tres-grand en realite. Cette liste des peines
n'etait pas complete ; la jurisprudence en connaissait beaucoup
d'autres , comme il est facile de s'en assurer en parcourant les
anciens auteurs (1). EUes se divisaient en peines corporelles et
afflictives, peines simplement afflictives, peines infamantes et
peines legeres qui n'etaient point infamantes.
L'Ordonnance n'exigeait point que les sentences fussent moti-
vees. Cependant les juges inferieurs « devoient exprimer la cause
de la condamnation ou celle de I'absolution. Aussi toutes les fois
que cela se rencontre (qu'ils ne I'expriment pas) , le Parlement
ou autre cour inflrme la sentence ou le jugement et prononce
neanmoins la mSme chose que la sentence; mais a I'egard des
Parlements et Cours ils ne sont point astreints a cette formalite ,
on met seulement dans I'arret que I'accuse est condamne pour les
cas resultant du proces (2). »
Les anciennes dispositions sur le paiement des frais etaient
maintenues. lis etaient supportes par la partie civile , s'il y en
avait une au proces , sinon par le roi ou par les seigneurs. L'ac-
cuse n'y etait jamais condamne directement, seulement la partie
civile pouvait recourir centre lui, et lorsque le roi faisait les frais
du proces, on pronongait centre I'accuse une amende, qui etablis-
sait une sorte de compensation.
Les arrets de condamnation devaient etre executes le m§me
jour qu'ils etaient prononces. Seulement on differait I'execution
des femmes grosses, jusqu'a I'accouchement. On devait offrir aux
condamnes a mort le sacrement de confession (3).
Si I'accusation etait jugee mal fondee, il semble que toujours
I'absolution dut etre prononcee ; cependant il n'en etait pas ainsi.
Lorsque la condamnation n'intervenait pas, trois solutions etaient .
possibles : I'absolution , la mise hors cour, et le plus amplement
inform^. L'absolution etait le rejet pur et simple de I'accusa-
tion et donnait a I'accuse le droit d'agir en dommages-interets
centre la partie civile. Le « hors cour » etait une absolution
moins complete : « quand I'accuse n'est pas renvoye absous, mais
(1) Voyez en particulier I'^numfiration que donne Jousse. Comment., p. 208-211.
(2) Rousseau de Lacomhe , Mat. crim., p. 457.
(3) Titre xxv, art. 23 et 24.
l'ordonnance de 1670. 245
seulement mis hors cour, il ne peut pretendre des dommages-
interets , il n'est pas entierement lave. Gette facon de prononcer
laisse des soupcons centre I'aceuse qui s'echappe faute de
preuve (1). » Ce genre de sentence n'etait, du reste, permis
qu'aux cours souveraines (2). Enfm , le plm amplement inform^
etait seulement une absolution provisoire ; « ce dernier paroit le
plus siir et le plus regulier de tous , comme le plus conforme ^
I'esprit de I'Ordonnance , et il doit avoir lieu lorsqu'il n'y a pas
assez de preuves pour condamner et qu'il y en a assez pour ne
pas absoudre (3). » II etait a temps, ou indefini : « le plus ample-
ment informe a temps a lieu pour les crimes qui ne sent point
absolument atroces ou dent les indices sont legers ; il a lieu aussi
dans tous les cas oil il n'y a d'autre partie que le procureur du
roi ou celui des seigneurs , et qu'il y aurait lieu de mettre hors
de cour, s'il y avait une partie civile... le plus amplement in-
forme indefini n'est au contraire prononce que dans les cas graves
et dont les indices sont considerables; ce qui fait que I'aceuse
demeure toujours incerti et duhii status, et que le ministere pu-
blic peut , s'il survient de nouvelles preuves , reprendre la pour-
suite centre lui... il est la peine non du crime, mais des pre-
somptions et des indices violents qui n'ont point ete purges (i). »
Une fois qu'on etait pris dans I'engrenage de cette procedure , il
semble qu'il fallait necessairement y laisser quelque pen de son
honneur et de sa liberte.
IX. L'Ordonnance consacrait un titre entier (tit. XXVI) aux
appellations, et ici en apparence elle etait liberale. L'accuse pou-
vait appeler de toutes les decisions du juge , non-seulement des
jugements sur le fond , mais encore des sentences d'instruction
preparatoires et interlocutoires (5). S'il s'agissait d'une condam-
nation a une peine afflictive, I'appel etait directement porte de-
vant les Cours ; dans les autres cas porte aux bailliages ou aux
Cours « au choix et option des accuses. » Pour certaines condam-
(1) Serpillon : Code crim., p. 409.
(2) Ihid., p. 1069.
(3) Muyart : Inst, crim., p. 362.
(4) Muyart de Vouglans : Inst, crim., p. 363.
(5) Tit. XXVI, art. 1.
246 l'ordonnance de 1670.
nations tres-graves; « a peines corporelles, galeres, bannissement
aperpetuite, amende honorable, » I'appel etait de droit et la cause
necessairemeot portee aux Cours (1).
L'appel pouvait'offrir quelque ressource aux accuses,; la pro-
cedure n'y etait pas necessairement secrete ni I'assistance des
avocats absolument interdite. Avant I'Ordonnance de 1670- du
moins, il parait qu'une distinction devait etre faite. S'agissait-jl
d'une sentence emportant peine afflictive ou torture, le proces.en
appel se continuait dans les memes formes qu'en premiere, ins-
tance et sans plaidoiries ; les autres appellations , au contraire , et
particulierement celles dirigees contre les decisions d'instruction,
se jugeaient en la meme forme que les appels civils (2); elles se
jugeaient done a I'audience et sur plaidoyers, si I'appelant choi-
sissait la procedure orale, Vappellation verbale (3), et non la pro-
cedure par ecrit, comme il pouvait le faire. L'Ordonnance de 1670
confirma cette pratique. L'article 2 du titre XXVI declare en
effet « que les appellations de permission d'informer, des decrets
(1) Tit. xxvr , art. 6.
(2) Pratique de Boyer, p. 117 v» : « Les appellations interject^es des juges ordi-
naires de toutes sentences et jugemens de torture ou autres afflictions de corps,
comme de mort civile , naturelle , fustigalion , mutilation de membres , bannisse-
ment perpStuel ou a temps, condamnation a oeuvre ou service public, amende ho-
norable a justice, et autres, ne se relevent, ains faut incontinent que l'appel est
interjects faire bailler et dSlivrer le prisonnier au rabais pour le mener en la
conciergerie du Palais avec son procfes pour ^tre jug6 par la Cour. » — P. 219 :
« Les autres appellations gfeneralement quelconques des sentences donnies ea
matifere criminelle, dScret de prise de corps et adjournement personnel, et autres
qui ne sont de la qualite cy-dessus dSclarSe se doibvent relever par lettres royaux,
et la poursuite s'en fait tant pour les adjournements , anticipations, desertions,
appellation verballe, proems par escrit tout ainsy et en la forme qu'il a este dit
cy-dessus (pour les affaires civiles). «
(3) Ibid., p. 220-221 : a Quant aux appellations verballes des matiferes crimi-
nelles, elles se poursuivent et vuident a raudience en la chambre de la Tour-
nelle, oii Ton plaide les samedis , tout ainsi et en la forme et maniere que les au-
tres appellations verballes, en matifere civile..., fors et excepts que lorsque les
causes sont appelies et plaidfes i I'audience, tons appelans de d^cret de prise de
corps ou d'adjournement personnel sont tenus de comparoir et de se rendre in
statu suivant les ordonnances , autremeut est donn6 congi. » — P. 221 v° : « La
poursuite desdits procez par escrit criminels se fait en la mesme forme et ma-
nifere qu'il aesti dit cy-dessus en matifires civiles... et concluant 6s diets proofs
criminels, Ton met au bout de I'appointement de conclusion : sauf a faire collation
des pieces non secrettes. »
l'ordonnance db 1670. 247
et de toutes autres instructions seront portees a I'audience de
nos Cours et juges. » Mais on cherchait a restreindre cetle dispo-
sition, qui n'avait ete edictee que pour accelerer le jugement
des appels sur las mesures d'instruction. « Les appels des ju-
gements d'instruction ou preparatoires , dit Muyart de Vouglans,
doivent etre portes devant les cours et juges £i I'audience ; par
consequent, I'appel des jugements interlocutoires , dont il n'est
pas parle dans cet article , doit comme celui des jugements defl-
nitifs etre juge en la chambre a huis-clos et avec espices; de
meme que ceux sur les proces par escrit (1). » D'ailleurs cette
faculteelait rendue presque illusoire parl'article de FOrdonnance
qui decidait que « aucune appellation ne pourroit empecher ou
retarder I'executioU des decrets, I'instruction et le jugement (2). »
Si le proces etait juge au fond assez rapidement, I'appel sur
rincident se jugeait dans le meme temps et dans la meme fotme
que I'appel sur le fond (3). Cependant il y avait la une porte
ouverte a la defense. On pouvait faire plaider sa cause non sur
le fond , mais sur un incident ; seulement il fallait se hater, et
pour cela avoir du credit et de I'argent. En fait , il y eut done
encore des audiences criminelles : « au petit criminel et dans les
debats suscites par divers incidents relatifs aux appellations et
a certains actes d'instruction, la plaidoirie ne tarda pas a etre
admise. Aussi le president Seguier fait-il remarquer que la Tour-
nelle a donne audience « dans la suite et depuis tres-longtemps. »
Les feuilles d'audience constatent cet usage (4). »
(1) Instruct, mm., p. 832.
(2) Tit. XXVI, art. 3.
(3) Serpillon : Code crim., p. H41 : « Get article ne porte pas que les appella-
tions, dont il fait meation, seront jug^es a I'audience, il veut seulement qu'elles y
Solent portees; ce qui laisse la liberty au juge, lorsque depuis rappellation il est
intervenu dans la premiere justice une sentence definitive , de juger par escrit en
cause d'appel; il s'agit alors de prononcer non-seulement sur Tinstruction , mais
encore sur I'appel de la sentence definitive rendue, a vfl de pieces ; si cette maxime
n'a pas lieu dans le ressort du Parlement de Paris , nous sommes en Bourgogne
dans I'usage de la suivre. »
(4) Notice sur les archives du Parlement de Paris, 'pai A. Grun, dans Boutaric ,
Actes du Parlement, t. I , p. 227. — On tendait cependant k ramener le petit cri-
minel a la procedure purement ecrite : « En Bourgogne, le petit criminel est souvent
jug6 comme procfes par ecrit (Serpillon, p. 977). » Remarquons , en sens inverse,
248 l'ordonnance de 1670.
Pour les sentences definitives dans les proces regies k I'ex-
traordinaire , les accuses trouvaient dans la procedure d'appel
pour seule garantie la valeur plus grande des magistrats. II n'y
avait point de debat veritable. L'avocat general Seguier est force
d'avoiier « que I'Ordonnance borne presque toute la procedure
d'appel a interroger les accuses sur la sellette ou derriere le bu-
reau (1). » — « Get interrogatoire en la Cour est le moment ou
I'accuse peut proposer ses griefs contre la sentence , et par con-
sequent sa justification. C'est pour ceia que dans les arrets on
met toujours : Oui le dit accuse en ses causes d'appel et cas a
lui imposes (2). » Ici, plus que jamais, le rapporteur etait tout
puissant. 11 ne faut point oublier, d'ailleurs , que les accuses de
crimes prev6taux et presidiaux etaient juges en dernier ressort
par les prev6ts des marechaux ou les presidiaux.
La partie publique pouvait appeler de son cote. « II est permis
aux procureurs du roi ou procureurs fiscaux d'interjeter appel
a minima des sentences dont lis estimeraient les condamnations
n'etre pas proportionnees a la qualite et gravite du crime, et
n'etre pas en cela conformes a leurs conclusions (3). » La partie
civile pouvait aussi appeler « en ce qu'il ne lui a pas ele adjuge
assez de reparation civile , interets civils ou dommages interets. »
Dans les cas oi I'appel n'etait pas de droit les diverses parties
pouvaient le former tant que Taction n'etait pas prescrite , mais
on admettait la renonciation a ce droit et I'acquiescement au
jugement.
L'appel en principe etait suspensif (nous parlons de I'appel
interjete, non du delai pour le former). S'agissait-il d'une sen-
tence de condarhnation , I'execution des peines etait suspendue;
mais les condamnations pecuniaires etaient executees par provi-
sion lorsqu'elles ne depassaient pas certains chiffres (4). Quant
11 s'agissait au contraire de decisions d'instruction, I'appel n'etait
qu'il y avait encore d^bat a I'audience et plaidoirie, lorsqu'un monitoire 6tait lanc6
et qu'une opposition 6ta.it form^e 4 sa publication.
(1) Riquisitoire de 1786 , p. 157.
(2) Ibid., p. 139.
(3) Rousseau de Lacombe : MatUres crim., p. 481.
(4) Tit. XXV, art. 6.
l'ordonnance de 1670. 249
pas suspensif; il n'en etait autrement que lorsque I'execution
aurait cause un dommage irreparable , comme pour les sentences
de torture. Cependant on n'abrogeait point completement I'usage
des « arrets de defense de continuer I'instruction ; » mais on le
restreignait (1). Quant aux sentences d'absolution , s'il y avait
appel du ministere public , I'accuse devait rester en prison , et,
si « I'appel a minima n'avait ete interjete qu'apres que le pri-
sonnier auroit ete elargi et mis hors des prisons a I'instant de la
prononciation de la sentence, le prisonnier seroit tenu de se
rendre en etat lors du jugement du proces (2). » Si la partie civile
avait seule appele , I'appel se poursuivait comme dans un proces
civil. Pour les details , I'Ordonnance reglait minutieusement la
procedure sur appel; elle restreignait aussi le droii d'evocation
des cours (3).
X. Un dernier recours pouvait etre ouvert au condamne, mais
I'Ordonnance n'en parlait pas, et nous aliens dire pourquoi; c'e-
tait le recours au Conseil du roi, le pourvoi en cassation.
Les sentences des Cours souveraines etaient definitives et en
principe inattaquables. Cependant elles pouvaient etre annulees,
grace a une theorie qui joue un grand r61e dans I'ancien droit,
et dont nous aurons a parler bientot, celle de Injustice retentie.
Toute justice residait dans le roi et emanait de lui ; en en dele-
guant I'exercice a ses officiers , il n'en conservait pas moins la
plenitude en lui-meme, et pouvait aneantir jusqu'aux decisions
des juridictions souveraines (4). Mais le pourvoi ne pouvait re-
poser que sur une violation de la loi. « II y a pareillement lieu
de demander la cassation d'un arret lorsqu'il a ete rendu centre
les dispositions des Ordonnances et des Coutumes : la raison en
est que les Cours souveraines ne sent pas moins assujetties que
les juges inferieurs a I'observation des lois (5). » L'avocat general
(1) Tit. XXVI , art. 4.
(2) Rousseau de Lacombe : Mat. crim., p. 480.
(3) Tit. xxvr, art. 5.
(4) Avant que la theorie du pouvoir en cassation se format, ii existait un autre
moyen d'attaquer les arrets des Cours souveraines, c'itaient les propositims d'er-
reur, qui subsisterent d'ailleurs longtemps a c6t6 du recours en cassation et qu'a-
brogea TOrdonnance de 1667. Voy. Guyot, Ripertowe, V" Cassation.
(5) Guyot : Ripert., V" Cassation.
2S0 l'okbonnance de 1670.
Seguier, dans un requisitoire que nous avons plusieurs fois cite,
exposait largement la theorie. « Le legislateur h'a pas oublie que
la dignite de la magistrature ne mettoit pas le magistrat a I'abri
des surprises et des faiblesses attachees a la nature. 11 a reconnu,
peut-elre par sa propre experience, que I'erreur eloit le partage
de I'huraanite, et que rhomme meme le plus attentif etoit capable
de se tromper, sans pouvoir etre accuse de partialite et de pre-
varication. La loi, garante des regies qu'elle a fixees, jalouse
des formes qu'elle a consacrees , et auxquelles seules elle recon-
nait son ouvrage , la loi par un exces de precaution a cru devoir
permettre, malgre I'epuisement de tous les degres de juridiction,
de recourir encore au Souverain lui-meme, dans le cas oil Ton au-
roit juge centre la disposition des Ordonnances, et dans tous ceux
oii les formes prescrites n'auroient pas ete exactement observees.
Tout homme condamne a done une voie pour echapper a la con-
damnation (1). » La requete etait portee au Conseil des parties
ou Conseil prive « compose du Chancelier, des quatre secretaires
d'Etat , des conseillers d'Etat et de maitres des Requetes , qui y
servent par quartiers... les maitres des Requetes rapportent les
affaires au Conseil prive (2). » II y avait, suivant les cas, rejet de
la demande ou cassation et renvoi a une nouvelle juridiction. La
procedure fut fixee d'une fagon definitive par le Reglement du
Conseil du 28 juin 1738, dont les dispositions, on le sail, ont
passe en partie dans notre legislation moderne. En matiere cri-
minelle, ce reglement exigeait la consignation d'une amende et
la mise en etat , dispositions qui furent adoptees par notre Code
d'lnstruction criminelle.
II semble qu'il y eut la une arme puissante mise aux mains des
accuses. Ces procedures, ecrites et herissees de formalites, de-
vaient etre bien souvent semees de nullites, et devant le Conseil du
roi on pouvait presenter des memoires, qu'on ne manquait pas de
publier (3). II n'en etait rien cependant. La possibilite d'intenter
(1) HiquisUoire de 1786, p. 9.
(2) Guyot : Bipert. V" Conseil; il remarque que « aucune requSte en cassation
ne pent 6tre portee au Conseil qu'auparavant elle n'ait 6te communiqu^e aux com-
missaires nomm^s en general pour I'examen des demandes en cassation. »
(3) Guyot : R6pert. V» Cassation. « line peut dtre distribufi aucune requite, ni
l'ordonnance de 1670. ' 2S1
ce recours ne resultait souvent que d'une faveur royale. Ea effet,
le recours en cassation intente ne suspendait point ] 'execution de
I'arret. En matiere civile, cela n'empechait point la demande de
produire son resultat, I'execution n'ayant pas des consequences
irreparables. En matiere criminelle, la main du bourreau fut sou-
vent intervenue, avant qu'on efit pu saisir le Conseildu roi; pour
que la cassation fut possible , il fallait une grace nouvelle de la
Majeste royale, un ordre du Souverain arretant I'execution. « En
maftere civile, I'arret que Ton attaque n'en regoit pas moins
son execution ; mais en matiere criminelle , le remede extraor-
dinaire du recours au Souverain doit etre precede d'une sur-
seance a I'execution du jugement, parce qu'il n'est pas au pou-
voir des magistrats de suspendre la con damnation qu'ils ont
prononcee (1). » Get ordre sauveur intervenait assez frequem-
ment, et ce ne sont pas seulement les dernieres annees de la
monarchic absolue qui nous en offrent de frequents exemples (2).
Mais pour I'obtenir, il fallait des sollicitations puissantes , ou un
heureux hasard , comme le passage d'un grand personnage dans
la province; souvent le messager, qui portait I'ordre du roi, n'ar-
rivait, comme dans les yieux contes, qu'au moment oule supplice
sepreparait deja(3).
Le pourvoi en cassation etait la seule voie de recours extraor-
consultatioD , ni memoire imprime relativement aux demandes en cassation, avant
qu'il ait 6te ordonne que ces demandes seront communiquSes ; c'est pourquoi ii
est defendu aux avocats au Conseil de signer des ecrits de ce genre. Les par-
ties ou leurs defenseurs peuvent seulement distribuer aux commissaires ou aux
autres juges des pieces manuscrites de leurs moyens. »
(1) Siguier : Riquisitoire cite, p. 9, 10.
(2) Voyez par exemple : Correspon ance administrative sous Louis XIV, tom. II,
p. 184; il s'agit de sorciers condamnes au bflcher, le courrier arrive le jour mgme
de I'execution; — p. 190, il s'agit d'une femme pendue une premiere fois et qui a
sarvecu; cf. p. 206.
(3) Voici ce que .nous lisons dans un memoire que nous examinerons plus
loin : « Reprenez vos sens, lui dit I'abbfe, tout n'est pas perdu; tachez de dire
votre affaire; monseigneur Ic garde des sceaux est ioi (et cela 6tait vrai); je
lui ferai presenter une requete par une personne qui a du credit 4 la cour de
France... La sagesse du l^gislateur, la vigilance du tres-digne chef de la justice
envoyerent a M. le marquis de Belbceuf, procureur general au Parlement de Rouen,
Tordre de surseoir a I'execution... il 6toit temps, car les ordres ^toient donnas et
I'execution fixSe au lendemain (Memoire de Lecauchois, p. 7, 8, 11). »
2S2 l'ordonnance de 1670.
dinaire ouverle contre les arrets criminels en dernier ressort.
lis ne pouvaient, en effet, etre attaques par la requete civile (1).
XI. La procedure par contumace que contient I'Ordonnance
est celle du droit anterieur, simplifiee et precisee. Faute de
pouvoir executer le decret de prise de corps contre I'accuse.il
y avait lieu a la perquisition de sa personne et a rannotation
de ses biens ; puis venaient une assignation a quinzaine et une
citation a huitaine par un seal cri public ; tout autre delai etait
defendu(2). Mors, surles conclusions du ministere public, inter-
venait un jugement ordonnant le recolement des temoins , lequel
valait confrontation; enfln « le meme jugement declarera la
contumace bien instruite, en adjugera le profit et contiendra
la condamnation de I'accuse. »
Le caractere essentiellement revocable de I'arret de contu-
mace , etait nettement etabli , on defendait d'y inserer la clause :
« Si pris et apprehende peut estre. » A la place de Texecution
reelle , impossible , on organisait une execution par effigie pour
la peine de mort ; pour quelques autres peines , I'afflche sur un
tableau en place publique; pour les autres enfin la signification
du jugement au domicile de I'accuse. Gela avait une grande
importance : cela faisait courir les delais , a I'expiration desquels
de graves decheances etaient encourues.
A quelque epoque que le condamne se represents, tant que
Taction n'etait pas prescrite, le jugement par contumace torn-
bait de plein droit (3) ; mais au bout d'un an ou de cinq ans
certains eifets persistaient. Au bout d'un an, les fruits percus
sur les biens du contumax et le prix provenant de' la vente de
(1) Le oontraire semblerait ressortir de certains tdmoignages de nos anciens
jurisconsuUes , voy. Muyart de Vouglans : Institutes, p. 368; mais cela ne doit
s'entendre que du cas ou le proems suivait la forme ordinaire, celle des procJs
civils. Jousse I'explique fort bien : « On peut aussi se pourvoir par requ6te civile
contre les arrSts et jugements en dernier ressort rendus ei^ matifere criminelle,
quoique definitifs, quand its ont iU rendus a I'audience, et en general contre tous
oeux d'instruotion [Commentaire sur I'Ordonnance , p. 329). » — Guyol : Ripert.
V" Revision : « Les lettres de revision sont en matiere criminelle a peu prfes oe
que sont les lettres de requite civile en matifere civile. » Cf. Dupaty : Moyens de
droit, p. 67.
(2) Tit. XVII, art. 7-10.
(3) Tit. XVII, art, 28.
l'ordonnance de 1670. 2S3
ses meubles etaient definitivement perdus pour lui ; au bout de
cinq ans , « les condamnations pecuniaires , ameudes et confisca-
tions etaient reputees contradictoires et valaient comme ordon-
nees par arret (1). » La mort civile etait alors encourue d'une
fagon definitive si la peine, portee dans le jugement, etait de
nature a I'entrainer.
Lorsque la contumace etait purgee, on procedait a la con-
frontation des temoins avec I'accuse, bien que jadis un juge-
ment eut declare que le recolement vaudrait confrontation (2);
cependant, si les temoins etaient decedes , ou qu'il fut impos-
sible de les confronter, leurs depositions restaient valables : il
etait fait seulement une confrontation UtUrale, et les seuls re-
proches possibles etaient ceux justifies par pieces.
Si I'accuse avail ete capture au debut , et s'etait evade , mais
seulement depuis son interrogatoire , lie proces continuait con-
tradictoirement , malgre son absence (3).
A cote des procedures que nous avons esquissees, et qui
etaient normales , TOrdonnance en decrivait quelques-unes faites
pour les cas extraordinaires : c'etaient les proces faits aux muets
et aux sourds (4), ceux faits a des communautes de villes,
bourgs, villages, corps et compagnies; enfin les odieuses pour-
suites que I'ancien droit dirigeait parfois centre le cadavre ou
centre la memoire d'un defunt (5).
III.
Telles etaient les regies de la procedure criminelle d'apres I'Or-
donnance de 1670, mais certains faits pouvaient y porter le
trouble ou en arreter le cours.
Dans I'ancienne France, il etait absolument vrai de dire que
(1) Jusqae-la les parties avaient pu poursuivre le paiemeot de leurs dommages-
interSts, mais en dormant caution (Serpillon, p. 870). Ce systSme ^tait fort sim-
ple, et il 6cartait bien des difficult6s qui se pr^sentent sous la loi actuelle.
(2) Tit. XVII, art. 10.
(3) Tit. xvm, art. 24.
(4) Tit. xviii.
(5) Tit. xxn.
254 l'ordonnance db 1670.
toute justice emanait du roi; sans doute il en avait delegue
I'exercice aux officiers de judicature, mais il pouvait intervenir
quand bon lui semblait. C'etait la theorie de la Justice retenue; de
la les Lettres de grace emanant du roi , terme generique qui
comprenait de nombreuses varietes. « Rien n'etait plus digne de
la bonte de nos rois que la reserve qu'ils out faite de ce pouvoir,
en meme temps qu'ils ont confie aux magistrats le soin de rendre
la justice a leurs sujets ; c'est-a-dire que le pouvoir de ceux-ci
est uniquement borne a poursuivre le crime, en prononcer les
peines et les faire executer ; mais les poursuites , les condamna-
tions et cette execution cessent d'avoir lieu aussitdt qu'il plait au
prince d'interposer son autorite et de declarer le crime et Faccu-
sation eteinte (1). » Ce n'etait pas tout : le roi, depositaire de la
toute-puissance, non-seulement pouvait arreter le cours de la jus-
tice , il pouvait aussi suppleer a son action d'une facon myste-
rieuse , au moyen des lettres de cachet. Examinons d'un peu pUis
pres ces deux sortes de lettres.
Le terrae de grace, dit Jousse, est un terme generique qui,
comprend toutes les lettres emanees directement de la souveraine
puissance (2). Les especes en etaient nombreuses et I'Ordonnance
avait pris le soin de les enumerer, mais elles se ramenaient toutes
a deux types. Les unes intervenaient apres une cdndamnation
prononcee , pour en arreter I'effet ; les autres , plus energiques ,
arretaient toute procedure et effacaient le crime meme , elles cor-
respondaient a ce que nous appelons aujourd'hui un acle d'am-
nistie, avec cette difference qu'elles etaient delivrees dans I'in-
teret d'un simple particulier.
Les plus importantes parmi les lettres de grace etaient celles
d'abolition. « Ce sent celles que Sa Majeste accorde pour des
particuliers , prevenus de crimes qui meritent la mort suivant la
disposition des lois et ordonnances du royaume ; elles ne s'accor-
dent que rarement et pour de grandes considerations et ne s'ex-
pedient que dans la grande chancellerie. » Elles intervenaient
(1) Muyart : Imt., p. 103.
(2) Comment. , p. 322. Elles se distinguaient des lettres de justice proprement
dites, comme celles d'appel, de requite civile, qui etaient pour ainsi dire de sim-
ples formalit^s de procedure.
l'ordonnance de 1670. 25S
generalement avant la condamnation , cependant « corame le roi
declare qu'il pardonne le cas de quelque maniere qu'il soit ar-
rive... elles peuvent etre obtenues meme apres le jugement de
condamnatioa (1). » Les lettres de remission avaient un caractere
assez curieux; elles etaient accordees pour les « homicides invo-
lontaires seulement ou qui seront commis daas la necessite d'une
legitime defense de la vie. » Pourquoi ces lettres de grace, alors
que la legitime defense exclut toute culpabilite? C'est qu'ea
France, a cette epoque, « quoique le crime ait ete commis pour
cause raisonnable et dans la necessite d'une legitime defense,
on seroit puni d'homicide sans lettres de remission (2). » Pour
I'homicide involontaire ou casuel, la meme chose etait admise. Au
fond il n'y avail la qu'un precede fiscal. II y avail aussi une autre
espece de lettres de remission ; c'elail une reproduction des
lettres d'abolition , congues en termes differents. Les lettres de
pardon etaient accordees pour les cas « auxquels il n'echoit
peine de mort et qui neanmoins ne peuvent etre excuses. »
Toutes ces lettres , qui arretaient le cours de la justice , etaient
I'un des fleaux de Taocien regime et souvent les filats-Gene-
raux avaient proteste contre cet abus (3) ; mais tout ce qu'on put
obtenir, ce furent des declarations 'contenues dans les Ordon-
nances , et par lesquelles le roi renoncait au droit de faire grace
dans les cas les plus graves; I'Ordonnance de 1670 contenait une
enumeration de ce genre (4).
Les autres lettres , dont il nous reste a parler, n'intervenaient
qu'apres la condamnation. C'etaient d'abord les lettres pour ester
a droit, qui etaient necessaires au contumax cinq ans apres
I'execution par effigie , pour faire tomber la confiscation de ses
biens ; puis les lettres de rappel de ban de galeres et les lettres
de commutation de peine semblables aux lettres de grace qui sont
en vigueur aujourd'hui ; les lettres de rehabilitation, « accordees
(1) Muyart : Instil., p. 110.
(2) Rousseau de Lacombe, p. 83, cf. Muyart : Inst, p. 512. Cela n'^tait pas
trfes-conforme k la thSorie qui voulait qu'on classSt la legitime defense parmi les
faits justificatifs. Voy. Jousse, p. 495.
(3) Voy. Picot, I, p. 121 ; II, 191, 555, 556; III, 186; IV, 84.
(4) Tit. XVI , art. 4.
236 l'ordonnance de 1670.
pour retablir le condamne en son honneur et en ses biens; elles
supposent toujours qu'il a satisfait a la peine et paye les in-
terets civils ; elles s'obtiennent egalement et pour les personnes
vivantes et pour celles qui sont decedees, » Venaient enfin les
lettres de revision « accordees par le roi pour revoir et faire juger
a nouveau un proces criminel , soit a cause des vices de nullite
dont il peut etre infecte dans la forme , soit a cause de I'injustice
evidente qu'il renferme au fond. Elles sont, en matiere crimi-
nelle, ce que sont pour le civil les lettres en forme de requete
civile (1). »
Toutes ces lettres , bien qu'elles constituassent I'exercice de
la. justice retenue, se rattachaient cependant a la juridiction de-
leguee en ce qu'elles devaient 6tre enregistrees , ent6rin6es, par
les tribunaux; a savoir, par les Cours, s'il s'agissait de gen-
tilshommes, et par les presidiaux et bailliages s'il s'agissait de
roturiers (art. 12 et 13). Get enterinement n'etait point toujours
une simple formalite; dans certains cas, les juges devaient ve-
rifier si les lettres etaient «• conformes aux charges et informal •
tions, » et s'il n'y avail point concordance ils passaient outre
au jugement; « la Majeste royale ayant] ete trompee, le crime
qui se poursuit alors n'est point celui que Sa Majeste a par-
donne. » II en etait ainsi pour les lettres d'abolition, de re-
mission et de pardon. Si d'autre part le crime etait enqrine,
ou surtout s'il s'agissait d'un de ceux pour lesquels le roi avail
renonce au droit de grice, les tribunaux pouvaient adresser
des remontrances , les Cours directement au roi , les autres
juridictions au Chancelier. S'il s'agissait de lettres de rappel
de ban de galeres, de commutation de peine, de rehabilita-
tion, elles devaient 6tre enterinees « sans examiner si elles
etaient conformes aux charges et informations, sauflexlroit de
representation; » mais comme garantie de sincerite, I'arret ou
jugement de condamnation devait etre attache « sous le contre-
sceel de ces lettres. » L'Ordonnance , pour I'enterinement des
lettres , organisait une sorte de procedure contentieuse ou figu-
raient la partie civile et la partie publique. Les lettres de revision
(1) Muyart : Inst., p. Hi.
l'ordonnance de 1670. 257
donnaient lieu k un veritable proces ; pour les obtenir, il fallait
intenter una action devant le Conseil du roi. (Art. 8-10.)
Les lettres de cachet constituaient un acte bien plus fort de
la puissance royale. Elles tiraient leur nom de leur forme :
« C'est une letlre ecrite par ordre du Roi , contresignee par un
secretaire d'Etat et cachetee du cachet du roi (1). » Elles pou-
vaient contenir toutes sortes de commandements, et en particulier
un ordre d'exil ou d'emprisonnement : « le roi etant considere
comme la source de toute justice, avait le singulier privilege
de pouvoir disposer de la liberie et des proprietes des citoyens
sans jugement, par sa volonte particuliere (2). » Bien entendu
^ il n'etait pas question d'adresser ces lettres aux cours de jus-
tice, on etait sur le domaine du bon plaisir : « Ces sortes de
lettres sont portees a leur destination par quelque officier de
police... celui qui est charge de remettre la lettre fait une espece
de proces-vei'bal de I'execution de sa commission (3). » On salt
quel usage fit la royaute de cette ressource deplorable. Les lois
criminelles etaient muettes sur ce point. On ne reglemente pas
ce qui de son essence est arbitraire. Cependant souvent des pro-
testations se faisaient jour, et qui parfois partaient de haut.
Malesherbes, en particulier, parlant au nom de la Cour des
Comptes adressa un jour a Louis XV des remontrances d'une
male energie (4) ; et le Parlement , dans ces luttes qui agiterent
le regne de Louis XV et que des recherches recentes ont mises
en lumiere, en arriva a contester les lettres de cachet. En 1753
(avril), a propos de certaines remontrances, voici comment s'ex-
prime I'avocat Barbier : « On parle surtout de I'article des let-
tres de cachet qui va jusqu'a attaquer I'autorite de tons les
ministres, et d'ailleurs qui attaque aussi la personne du roi,
comme si on supposait qu'il signat des lettres de cachet sans
qu'il sut de quoi il s'agit, ou que les ministres soient maitres
(1) Guyot : Rip. V" Lettre de cachet. Voy. Mirabeau : « Des lettres de cachet
et des prisons d'Etat. » Ouvrage compose en 1778, Hambourg, 1782 (toute la
premiere partie).
(2) Laboulaye : Revue des Cours littiravres, ann^e 1866, p. 9.
(3) Guyot : loc. cit.
(4) Voy. Laboulaye : Revue des Cours litUraires, 1864, p. 643.
17
238 l'ordonnance de 1670.
d'en delivrer sans en parler au roi (1). » Dans lameme annee,
il dit encore : « On n'a point encore les remontrances du Par-
lement de Rouen imprimees , mais les Jansenistes ont fait courir
dans Paris les motifs de ces remontrances, qui ne peuvent pas
etres les veritables, d'autant qu'ils attaqueraient ouvertement
I'autorite souveraine. On y dit formellement que le roi ne peut
user de lettres de cachet qu'a I'egard de ses ministres et des
officiers de sa maison, mais non pas envers aucun sujet parti-
culier ; que s'il est coupable ou soupgonne de I'etre en quelque
chose, le roi doit le deferer a la justice pour 6tre juge par les
tribunaux et suivant les lois (2). »
Une autre manifestation de la puissance souveraine etait la
nomination par le roi de commissaires charges de juger les pro-
ces criminels , ou les Evocations qu'il en faisait a son conseil.
« En France , on distingue les commissaires nommes par le roi
et les commissaires nommes par les cours et autres juges...
La commission generale se donne par des lettres de chanceUerie
et il n'y a que le roi qui puisse la donner. II n'y a que le roi
qui puisse donner des commissions extraordinaires , et ces com-
missions doivent contenir I'etendue et les bornes du pouvoir
accorde aux commissaires. Toutes sortes de particuliers peuvent
etre choisis par le souverain soit pour Juger soit pour reformer...
Les commissaires ainsi nommes doivent faire publier leurs lettres
de commission au lieu oii ils veulent en faire usage, surtout lors-
qu'il s'agit de faire quelque acte de justice ou de rigueur, sinon
on pourra leur refuser obeissance. Dans I'instruction et le juge-
ment des affaires pour lesquelles il a ete nomme des commis-
saires , ils sont tenus ainsi que les autres juges de se conformer
aux lois et aux ordonnances du royaume. On n'est point admis
a appeler d'un jugement de commissaires nommes par le roi a
moins qu'ils n'aient excede les bornes de leur commission...
Lorqu'ils sont etablis pour le jugement de quelque affaire crimi-
nelle , ils peuvent annuler leur procedure si elle est vicieuse et
ordonner qu'elle sera recommencee. Au reste, on regarde en
(1) Journal, VI, p. 368.
(2) Journal, V, p. 415.
l'ordonnance de 1670. 2S9
general les commissions extraordinaires , comme etant d'une dan-
gereuse consequence. C'est pourquoi les parlements ne les admet-
tent pas aisement (1). » On sait quel abus fit parfois la royaute de
cette institution , centre laquelle protesterent maintes fois les
Etats-Generaux.
(1) Guyot : Rupert. V» Commissaires.
260 l'ordonnance db 1670.
CHAPITRE TROISIEME.
La thSorie des preuves 16gales.
I. Les preuves du vieux droit coutumier; les pr^somptions; changements dans
la th^orie : le droit romala et les docteurs. — II. La th^orie des preuves ISgales;
le corps du d^lit; la culpability. La preuve complete, temoins, ecritures, aveu,
pr^somptions. Les indices prochains « ou semi-preuves ; » la torture.
La'; procedure criminelle que nous avons etudiee jusqu'ici, ce
mecanisme terrible qui s'organise peu a peu pour arriver a sa
tension extreme dans I'Ordonnance de 1670, ne peut bien se
comprendre que si Ton en rapproche la theorie des preuves qui
s'etait formee en meme temps. G'est le systeme qu'on appelle
dans rWstoire du droit, celui des preuves Ugales. Pour que le
juge condamne dans ce systeme , il faut qu'il reunisse certaines
preuves determinees d'avance ; mais d'atitre part , mis en face de
ces preuves, il doit necessairement condamner; peu importe dans
I'une ou I'autre hypothese sa conviction intime. La grande maxima
de I'ancien droit, c'est qu'on doit juger « secundum allegata et
probata (1). » Le juge est comme un clavier, qui repond inevita-
blement lorsqu'on frappe certaines touches.
La procedure inquisitoire et secrete appelait comme un conlre-
poids necessaire cette tyrannic des preuves , et il semble que ce
soit dans I'interet de la defense qu'on ait exige ces preuves plus
lucides « que le clair jour luisant a midi. » Mais, d'autre part, la
(1) Loysel : Inst. cout. Titre des jugements, rfegle 11. — « Nee praesumant judi-
cesjudicare secundum eorum conscientias, ut faciunt Veneti juris et justitiae ignari,
sed solum secundum leges et jura et probationes sibi factas, licet aliud viderint
ooulata fide, vel habeant in conscientia sua quantum sit probatum, nisi eis esset
notum ut judici'. » Constantin {Comment, de VOrd. de 1539, p. 238). — « II ne suffit
pas que le juge ait la conviction que peut avoir tout homme raisonnable, sur un
assemblage de prfisomptions et d'indices. Rien n'est plus fautif que cette mani^re
de juger qui, dans la v^rite, n'est qu'une opinion plus ou moins fondle. » Poul-
lain du Pare, Principes du droit franQais, torn. XI, p. 112.
l'ordonnance de 1670. 261
th^orie des prevfves legales , rendant la conviction du coupable
plus difficile a obtenir, fit resserrer de plus en plus les mailles de
la procedure criminelle : il y eut un double mouvement tendant
fatalement dans le meme sens.
Ce sysleme s'introduisit peu a peu; c'est dans les textes du
droit remain que les baillis et les prev6ts en trouverent les pre-
miers elements ; mais il existait en puissance le jour oil les ju-
ristes remplacerent les hommes jiigeurs dans les cours feodales.
Lorsque, pendant longtemps, un corps de magistrats permanents
a seul administre la justice criminelle , la formation lente d'un
systeme de preuves legales est inevitable , et si , par impossible ,
le jury disparaissait de nos lois, on pourrait s'attendre a voir re-
paraitre cette subtilite et cette casuistique, qui sont aujourd'hui si
loin de nous.
L'Ordonnance de 1670 ne contenait point I'expose de ces regies
minutieuses et compliquees, mais elle les supposait. Une telle
exposition ne pouvait guere convenir a une ceuvre legislative;
mais pour ne se trouver que dans -les livres de doctrine et de ju-
risprudence, ces regies n'en avaient pas moins I'autorite de lois
veritables. Nous nous proposons d'examiner rapidement comment
ces pfincipes s'introduisirent dans notre droit , et apres avoir de-
gage la theorie, telle qu'elle etait formulee aux xvu' et xvni^ sie-
cles, nous montrerons comment elle s'harmoniait avec les formes
de la procedure.
I.
Dans la procedure feodale si les preuves etaient grossieres,
souvent peu raisonnables , leur appreciation etait du moins fa-
cile; le juge, simple spectateur, n'avait le plus souvent qu'a
constater un fait materiel. L'avea etait la plus complete des preu-
ves et dispensait meme de toute procedure ulterieure , mais au-
cune violence, aucune ruse n'etaient employees pour le provo-
quer. Ce sont les traits que conserve aujourd'hui encore la pro-
cedure anglaise. L'accuse niait-il? on recourait au duel judiciaire
ou aux temoins ; dans la bataille , la victoire ou la defaite ne lais-
saient aucun doute , et le temoignage , a I'origine, consistait dans
262 l'ordonnance de 1670.
une formule que le juge n'appreciait pas. Riea de plus simple
que ces modes de preuve , et c'etait leur simplicite qui les faisait
accepter de ces esprits primitifs, alarm^s par ce probleme si grave
en lui-meme : comment prouver et mettre hors de doute une chose
niee?
La liste cependant ne s'arretait pas la , on connaissait aussi les
presomptions ; mais , elles etaient egalement simples , brutales , et
pour ainsi dire formalistes. Ainsi Ton admettait que I'accuse em-
prisonne , qui prenait la fuite , reconnaissait par la meme sa cul-
pabilite. « Li presontions qui est si clere qu'ele vaut prueve du
fet si est quant aucuns est tenus en prison pour aucun souspecon
de vilain fet et il brise le prison, car quant il a le prison brisee, le
presontion est si grans qu'il n'oza atendre droit et por ce s'il est
repris il est justicies du fet por lequel il est repris (1). » — « Ceux
qui sont prins et arrestez en la cause declairee par aucun meffait
ou pour souspegon d'aucun meffait et ils brisent leurs prisons ou
trespassent bonnes (2), et ilz sont prins au dehors de leurs bonnes,
ilz sont actaints du meffait par quoi ils estoient prins et seront
puniz selon le meffait (3). » De mSme les defauts multiplies, qui
amenent si la mise hors ban dans la procedure par contumace, sont
consideres par les coutumiers comme une presomption invincible
de culpabilite (4).
Dans la procedure particuliere qui se deroulait lorsque
I'homme soupconne acceptait I'enquite du pays, le juge avait
sans doute une appreciation plus libre et une tache plus deUcate ;
mais nous n'avons guere de renseignements sur cette forme de
jugement , qui devait de tres-bonne heure disparaitre de nos lois.
Lorsque I'Ordonnance de 1260 eut supprime le temoignage
formaliste fourni en pleine audience , la theorie de la preuve se
modifia par la meme; le juge avait a apprecier la deposition;
(1) Beaum., xxxix, 15; xxx,<13.
(2) Bonnes-bomes; il s'agit d'un individa laissfi en liberty, mais i. condition
qu'il ne s'Sloignera pas d'un certain lieu.
(3) Livre des Droiz, § 333.
(4) Beaum., xxxix, 16; xxx, 13. Livre des Droiz, § 331. On est alors dans le
syst^me, d'aprfes lequel la contumace aboutit k une condamnation sur le fait et
non plus k une simple mise hors la loi.
l'ordonnance de 1670. 263
mais on conserva le vieux principe qui voulait, pour une con-
damnation, deux temoins oculaires et concordants. Ge fut sur-
tout V uprise , qui , augmentant les pouvoirs du juge , eut une
grande influence sur le developpement de la theorie des preu-
ves (1). Des le debut on se montra dispose a gtre tres-exigeant
quant a la preuve, mais en meme temps la jurisprudence s'inge-
nia a trouver des combinaisons d'indices qu'on avail negligees
jusque-la : ce furent surtout les presomptions qu'on etudia.
Quelques-unes des anciennes presomptions et des anciennes
preuves perdirent de leur force. Cela arrivera bientdt pour I'a-
veu; ilne formera plus par lui-meme et isole, une preuve com-
plete. C'est qu'il n'etait plus libre et spontane, mais arrache
par d'habiles interrogatoires , et c'est une regie qui ne com-
porte guere d'exceptions dans I'histoire du droit : I'aveu ne fait
preuve entiere centre le coupable que la ou il est absolument
volontaire. II semblerait meme, d'apres un texte, qu'a un moment
donne on aurait exige k la fois pour condamner et I'aveu et le
temoignage, mais le passage du Livre des Droiz, Jqui affirme
cela , ne doit etre regarde que comme demontrant la force de
croissante de I'aveu parmi les modes de preuve (2). La presomp-
tion de culpabilite que contenait la contumace s'attenuera aussi ,
et on arrivera a admettre que le juge ne doit pas alors necessaiT
rement condamner. La fuite du prisonnier ne sera pas non plus
une charge invincible centre lui.
Mais, d'autre part, de nouvelles presomptions, plus fines que
les anciennes , s'introduisent , un tres-petit nombre d'entre elles ,
il est vrai , pouvant motiver une condamnation. Beaumanoir les
divise ainsi : « les unes poent donner le fet si cler que il est
proves par les presontions et les autres sent si douteuses que
li meffet ne se proevent pas par elles (3). » Parmi les premieres ,
(1) Voy. Beaumanoir, xxxix , 12 , 13 , 14.
(2) § 644 : « II est droit que si un homme est condamn^ a mort par aucune
justice, il peut appeler au souverain juge ou autre de son lignage pour lui... Et
dit droit que si cellui qui est condempn6 n'est convaincu par confession et par ga-
rans que sa condamnation n'est nulle; et si la. confession y esloit sansgarans ou les
garans sans confession, que ces demo choses n'y fussent , que la bondempnacion se-
rojt centre droit. »
(3) Beaum., zxxix, 11.
264 l'ordonnance de 1670.
il en enumere quelques-unes qui garderont jusqu'au bout toute
leur energie , celle par exemple qui consiste , en cas de meurtre ,
en ce que deux temoins ont vu I'accuse s'enfuir tenant a la main
un couteau nu et ensanglant§ (1).
Mais d'autres s'affaibliront, telle est celle qui consiste en ce que
des menaces ont ete adressees avant le crime ; I'auteur des me-
naces, lorsqu'il les niait, etait considere comme I'auteur du
crime, « quant manece est faite et apres la manece la coze est
fete qui en la manece fut promise (2). » Bientot ce ne sera plus
la qu'un indice prochain. Mais le nombre des presomptions qui
pouvaient faire condamner un homme etait fort limite , et quel
que fut le nombre des autres indices ils ne pouvaient entrainer
une condamnation. « Nus ne doit autrui justicer par presontion,
se la presontion. n'est moult aperte si comme noz avons dit des-
sus , tant soit qu'il ait moult de presontions douteuses contre
celui qui est tonus (3). »
Une semblable theorie, empreinte peut-etre de scrupuleuses
exagerations , n'aurait rien eu que de bienfaisant ; mais le juge
arrete par des obstacles accumules chercha un moyen de les
surmonter, ce moyen ce fut la torture, nous 1' avons deja dit.
Lorsqu'il n'y avait qu'un temoin oculaire deposant contre I'ac-
cuse ou lorsqu'il existait une presomption tres-forte mais non
invincible suivant le droit , la justice n'hesita pas a recourir a la
question, placee qu'elle etait dans cette alternative, ou de laisser
echapper un homme qu'elle sentait coupable, ou de completer sa
preuve , coute que coute.
(1) « lis virent que Jehan se partit de la presse le coutel nu et ensanglant^ et vi-
rent que eel qui mourust dist : « II m'a mort. » Et en cheste aprise ne pot en veir
fet notoire fors par presontion , car nus ne vit le coup doner ; ne porquant li dis
Jehans fut condampn^s et justici6s par cele presontion. » jjoix, 12.
(2) Beaum., xxxix, 13, 14; — Ancienne coutume de Bourgogne, art. 53 : « Item
se je menace aucun de son corps et de ses biens ej aprfes ce , mal ou dommaige
lui vinct et je lui nye sa menace et il la prouve, le juge aura et tiendra pour
prouv6 ce qui aura 6te fait au menacii ; et se je lui confesse la menace et jure
que par moy ne par mon pourchain mal ne domaige ne lui est venus , combien que
je I'aye menace il en sera quictes pourtant; et s'il offre de prouver aprfes mon
serment , que pour ladite menace mal et dommaige lui est venus , il ne prouvera
pas par tesmoings ne par enqueste, si n'est par gaige de bataille. » Ch. Giraud;
Essai sur I'histoire du droit [ran^ais , II, p. 278.
(3) Beaum., xxxix, 18.
l'ordonnance de 1670. 265
Ces principes nouveaux, les juristes croyaient les trouver et les
trouvaient meme en grande partie dans les textes du Digests et
du Code. A Rome , tant que les juges avaient ete les jures des
qusestiones perpetuae, aucune theorie des preuves bien precise
ne s'etait developpee. Les rheteurs avaient seulement degage
un certain nombre de regies qui devaient faciliter la composition
des plaidoyers et rendre plus stir le triomphe de I'orateiir. Mais
lorsque le pouvoir de juger passa aux mains de magistrals
permanents, en meme temps que le principe des peines arbi-
traires et la ressource de I'appel , naquit une theorie des preuves
legales : elle fut Tceuvre de la jurisprudence, et les juriscon-
sultes de I'epoque classique contribuerent grandement a sa for-
mation, sans que cependant elle arrival jamais a un complet
developpement (1). On admit bient6t que I'aveu ne serait une
preuve complete qu'autant qu'il serait appuye par des fails
concordants (2). On determina les causes qui pourraient faire
ecarter un temoignage, limitant ainsi la libre appreciation du
juge; on trouve meme les traces d'un classement des indices
et les rudiments d'une theorie de la preuve ecrite. Ehfm , I'u-
sage de la torture est ramene a des regies fixes , qui enseignent -
d'un c6te que ce n'est qu'une' ressource qui doit etre employee
seulement a defaut de toute autre, et d'autre part, qu'il faut
pour I'admettre trouver deja de graves presomptions (3).
Ge sont ces principes que les auteurs du xv" et du xvi" siecle
developperent en les precisant : ils en firent sortir une theorie
qui certes n'etait tout au plus qu'en germe dans les lois ro-
maines. Cette theorie, due surtout aux criminalistes Italiens,
s'imposa partout oii s'introduisait la procedure inquisitoire. Nous
en avons trouve des traces certaines dans Bouteiller, et I'Or-
donnance de 1498 lui doit, entre autres, une bien curieuse dis-
position. Elle declare, nous I'avons vu , que si Ton n'a pu arriver
a aucun resultat par le proces extraordinaire, il faut renvoyer
les parties au proces ordinaire, c'est-a-dire aux formes ci-
(1) Geib : Geschichle der Rom. Criminalprozess bis auf Justinian, p. 611, ssq.
(2) L. I, §§ 17, 27, D. 48, 18.
(3) L. 8, pr. L. 1, § 1. L. 18, § 2. L. 20, D. 48, 18.
266 l'ordonnance de 1670.
viles (1) ; cela s'explique si Ton songe que pour prononcer les
peines capitales, but normal des proces extraordinaires , il fal-
lait des preuves toutes speciales.
II.
Aux XVI' et xvii" siecles le systeme des preuves legales
etait completement arrete; il subsista tant que dura la proee-
dure criminelle de I'Ordonnance , c'est-a-dire jusqu'eu 1789.
Nous aliens tclcher de I'exposer rapidement ; nous emprunte-
rons surtout nos renseignements a Muyart de Vouglans, qui
a consacre a cette matiere la sixieme partie de ses Institutes au
droit criminel, resumant et coordonnant les opinions des doc-
teurs, celles du moins qu'avait recues la jurisprudence frem-
caise.
Quatre moyens de preuve etaient adnais, qui se retrouvent
du reste dans toutes les legislations : les temoins, I'aveu ou
preuve vocale, les ecrits ou preuve instrumentale , et les pre-
somptions ou preuve conjecturale (2). Mais ces divers modes
peuvent donner lieu a bien des combinaisons , qui sont propres
au systeme.
Ce qu'on cherche, c'est une preuve complete, permettani
d'asseoir une condamnation capitale; car c'est la I'hypothese
dans laquelle se plagaient toujours les criminalistes , les crimes
capitaux etant , suivant eux , le fond meme du droit criminel (5).
Dans les accusations moins graves , on ne maintient point la
rigueur des principes quant a la preuve (-4). Procedant avec une
(1) Voy. ci-dessus, p. 139.
(2) C'est ce que reconnalt implicitement I'Ordonnance, tit. xxv, art. 5 : « Les pro-
c6s pourront estre instruits et jug6s, encore qu'il n'y ait point d'information , si
d'ailleurs il y a preuve suffisante par les interrogatoires ou par pieces authentiquBS
ou reoonnues de I'accusi, ou autres pr^somptions et circonstances du prooJs. »
(3) « Comme il n'y a aucune loi qui puisse autoriser la punition de I'innocent, il
faut, sur quelque crime que ce soit, une preuve complette, pour prononcer une
peine capitale , et cette preuve ne pent 6tre faite que dans les formes prescrites
par la loi... Sans cela tout jugement de condamnation est au moins tSmSraire ; et
Ton peut dire en quelque sorte qu'il est injuste , quand mfime dans la v6rit6 I'ac-
cus§ seroit coupable. » PouUain du Pare, torn. XI, p. 112, 113.
(4) Ibid., p. 116 : « Dans les accusations qui ne sont pas capitales, il est evi-
l'ordonnance de 1670. 267
logique parfaite, nos anciens auteurs enseignaient que, pour la
conviction de I'accuse, il fallait 6tablir deux points : 1° un crime
a ete commis ; 2° I'accuse en est I'auteur.
fitablir le premier point, c'etait constater le corps du Mlit :
a De re priusquam de reo inquirendum (1). » Cette constatation
prealable etait exigee deja dans le vieux droit coutumier; mais
elle etait alors grossiere et formaliste , il fallait montrer au juge
mdme la plaie ou le cadavre. « L'en doibt scavoir que en telles
suytes, si le sang et le mesfaict ou il y ait peril de corps, si
comme de mort ou de mehaing , n'est montre a la justice et veu
suffisamment , bataille n'en doibt estre gaigee (2). » Quand il
le fallait, les juges se transportaient sur les lieux, pour proce-
der « a la vue, » qu'ils venaient ensuite recorder. « Du temps
de saint Louis, la violence ne pouvait etre constatee que par
I'inspection par les juges du sang de la blessure ou de la plaie...
la preuve sur I'auteur du delit, c'est-a-dire le combat, n'etoit
accordee a I'accusateur qu'autant que le fait etoit constant et
reel et prouve par I'effusion du sang, ou blessure, plaie vue en
justice (3). )) Mais bientot ce mode grossier fit place a I'inspec-
tion par les hommes de I'art. Dans le Registre de Saint-Martin, le
« mire jure , » et la « matrone juree » jouent un rfile important
et font de nombreux rapports.
Quant a la constatation du corps du delit, on distingua deux
sortes de delits. Les premiers etaient ceux qui laissent des traces
materielles , « delicta facti permanentis , » par exemple , I'homi-
cide, I'incendie, le vol avec effraction. Ici Ton pouvait saisir le
fait dans sa materialite , et la constatation des traces , qu'il avait
laissees, etait le premier devoir du juge. Elle s'operait au moyen
dent qu'il ne faut pas des preuves aussi fortes... Mais lorsqu'il n'y a que de forts
indices, leur force ne peut determiner qu'a des peines pecuniaires, si le juge ne
se porte pas au renvoi quousque, c'est-a-dire auplus amplement inform^. »
(1) Muyart de Vouglans : Inst., p. 308.
(2) Grand Coutumier de Normandie, oh. lxxv. Comparez la formule de la plainte
dans le Livre de Jostice et de Plet , xix, 9, § 1 : « Et vez-ci le mahaing aperte-
ment. » — Ihid., xix, 2, § 2 : « Et se aucuns apMe aucun de la mort d'un homme
qui ne soit pas trovez Ten demande qu'en dit droiz? Et l'en respont que ce n'est
pas demande, come nus n'est pas veuz mort, s'il n'est veuz mort ou s'il n'est veuz
morir. Cil est bien veus! morir qui est getez en Loire et n'est pas trovez. »
(3) Dupaty : Moyens de droit pour trois hommes condamnis d la roue, 1786, p. 117,
ssq.
268 l'orbonnance de 1670.
des proces-verbaux du magistrat, qui se transportait sur les
lieux ; s'il s'agissait de faits dont I'examen exigeait des connais-
sances techniques , au moyeu des rapports des medecins , chi-
rurgiens et experts. En principe, aucune autre preuve n'etait
admise (1), sauf dans des cas exceptionnels oil il etait impossible
d'agir ainsi (2). Cette matiere des proces-verbaux et des rap-
ports d'experts avait ete soigneusement reglee par rOrdon-
nance (tit. iv et v), et, chose curieuse, I'ancienne jurisprudence
reconnaissait a I'accuse le droit de demand er une contre-exper-
tise. « II peut demander la permission de faire faire une contre-
visite a ses frais par d'autres chirurgiens, ce qu'ii obtient aise-
ment sur sa requete , pourvu qu'elle soit presentee peu de jours
apres la premiere visite (3). »
Pour les delits qui ne laissent pas de traces durables , a delicta
facti transeuntis, » par exemple les injures verbales, la consta-
tation du corps du delit ne pouvait Stre separee de la preuve de
la culpabilite. Dans ce cas, certains auteurs, comme Jousse,_
declaraient que « le corps du delit ne pouvait point etre prouve ; »
d'autres, et parmi eux Muyart de Vouglans, disaient qu'alors
« la preuve du corps du delit ne peut s'acquerir autrement que
par la confession de I'accuse jointe a des indices et conjectures. »
Mais au fond il n'y avait la que des facons de parler differentes
pour exprimer'une seule et meme chose.
Pour demontrer le second point vise plus haut, a savoir la
(1) Muyart de Vouglans : Instit., p. 308, 309 : « Cette preuve est tellement essea-
tielle, qu'elle ne peut €tre suppl^^e nl paf la deposition des temoins, ni parde
simples indices et conjectures , quelles qu'elles soient d'ailleurs , pas m6me par la
confession de I'accus^. »
(2) PouUain du Pare , torn. XI , p. 81 : « Dans tous les cas oi il n'est pas pos-
sible de constater le corps du dSlit , il n'en r^sulte pas que le crime doive Stre
impuni. Mais les juges doivent agir et juger avec une plus grande circonspection ,
parce qu'il est possible que le crime soit imaginaire , comme on I'a vu dans I'af-
faire de Pivardifere et dans plusieurs autres. » P. 109 : « Lorsque le corps du
delit ne se trouve pas, il faut des preuves 6videntes, qui aillent, en quelque sorte,
jusqu'a pouvoir dire qu'll est impossible que le crime u'ait pas 6li commis. »
(3) Muyart de Vouglans : Instit., p. 226. II est vrai que souvent la premiere
visite etait faite a la requite de la partie civile, avant que le juge ne fflt saisi.
Les procfes-verbaux n'etaient point communiques a I'accuse. PouUain du Pare,
torn. XI, p. 90 : « II est de maxime oonstante en Bretagne que I'accuse ne doit
pas 6tre appeie au procSs-verbal du juge ni aux rapports des experts. »
l'ordonnance de 1670. 269
culpabilite de I'accuse, la theorie des preuves intervenait dans
toute sa largeur. Tous les modes de preuve , consideres quant a
leur energie, etaient divis^s en trois classes, les preuves com-
putes, les indices prochains et les indices 6loign6s, chaque classe
comprenant des modes tres-divers.
La preuve complete seule suffisait par elle-meme , pour asseoir
une condamnation capitale. « Lorsque toutes les conditions mar-
quees par la loi se trouvent remplies , alors la preuve est censee
juridique et parfaite , et c'est celle qui est abSolument necessaire
pour operer condamnation a une peine capitale (1). » Elle pou-
vait du reste etre obtenue par le temoignage , la production des
ecrits , ou les presomptions. L'aveu formait-il une preuve com-
plete? Celan'etait pas generalement admis.
1° La preuve par temoins etait consideree, et cela est naturel,
comme la preuve par excellence au criminel, « la plupart des
crimes ne pouvant se prouver d'une autre maniere ; » mais pour
etre complete, elle devait reunir de nombreuses conditions.
II fallait de toute necessite qu'il y eut deux temoins deposants
du meme fait; c'etait la tradition incontestee. « Testis unus, testis
nullus, )) ou comme dira Loysel : « Voix d'un, voix de nun. »
Un temoignage isole n'etait point considere comme n'ayant au-
cune valeur, mais il ne pouvait faire prononcer une condamna-
tion capitale (2) ; « il est certain en general que les depositions
des temoins qui roulent sur des faits singuliers et differents entre
eux ne peuvent former aucune preuve (3). » II fallait en outre
que les deux temoins fussent des temoins oculaires, « qu'ils eus-
sent vu I'accuse commettre le crime. » Les temoins par out-dire
ne pouvaient jamais, quel que fut leur nombre, former une
preuve complete; ni ceux appeles testes ex auditu propria, qui
declaraient « avoir entendu les menaces de I'accuse et les cris
d'un mourant ; » ni ceux dits testes ex parte accusati , qui af fir-
(1) Mnyart de Vouglans, op. cit., p. 307
(2) On ne pouvait tirer une preuve complete de la deposition de deux temoins
singuliers, c'est-a-dire deposants de faits difT^rents, quelorsqu'ils'agissait de cri-
mes « qui se commettent par des aotes rtit^r^s tels que I'inceste , I'adultere , le
blaspheme, la sodomie, le peculat, la concussion, I'usure et le vol. » Muyart de
Vouglans.
(3) Muyart de Vouglans, op. cit., p. 322-323.
270 l'oedonnancb de! 1670.
maient avoir recu de I'accuse I'aveu de son crime ; ni a plus forte
raison les simples temoins par oui-dire, testes ex auditu alieno.
Ce n'est pas tout , les temoins devaient donner une deposition
concluante et en rendre raison. S'ils s'exprimaient en termes non
affirmatifs, « comme : je crois... si je ne me trompe... il peut se
faire... si je m'en souviens bien, » ils etaient dits vacillants ei
ne « pouvaient servir en matiere criminelle, ne formant pas meme
un indice. » La deposition devait avoir ete toujours identique a
elle-meme, dans les trois interrogatoires que le temoin avait
subis, dans I'information , au recolement et a la confrontation.
Nous Savons d'ailleurs que I'Ordonnance avait pris ses precau-
tions pour qu'a la confrontation au moins aucune variation ne
fut possible. Enfm les temoins ne devaient Stre ni reprochables
ni reproches. Si Ton avait singulierement entrave I'usage du droit
de reproche dans la procedure, la jurisprudence avait, par
contre-coup, multiplie les causes de reproches : I'affection, la
crainte, I'inimitie capitale, la faiblesse de I'age et de I'esprit,
I'infamie, I'interet personnel, la parente, et bien d'autres causes
encore elaient admises. La liste de personnes reprochables que
donne Muyart de Vouglans commence par les parents et finit par
« les pauvres et les mendiants , » dont on peut ecarter le temoi-
gnage sous de certaines conditions.
Les deux temoins parfaits quand ils se rencontraient , ((7'arx
aves, » entrainaient inevitablement la condamnation; le juge etait
enchaine.
2° Apres la preuve testimoniale venait la preuve ecrite, beau-
coup plus rare en matiere criminelle , si rare meme que certains
criminalistes soutenaient qu'elle n'y etait point possible. Cette
opinion , bien que fausse , se congoil , quand on songe que dans
ce systeme, la preuve devait constater directement la perpetra-
tion du crime (1). En examinant les choses de pres, on avait
reconnu qu'il y avait certains crimes qui ne pouvaient guere se
prouver que par ecrit, « parce qu'ils consistent principalement
(1) Muyart reconnatt qu'il y a des cas nombreux oil la preuve testimoniale exclut
entiferement la preuve instrumentale, « comme lorsqu'il s'agit de crimes tels que
I'injure verbale, le blaspheme, I'adultdre, le rapt, la fabrication de fausse mon-
naie. » Op. cit., p. 327.
l'ordonnance de 1670. 271
dans la pensee, tels quel'heresie, la confidence (?), la conjura-
tion envers le prince, I'usure, la subornation des temoins; »
et d'autres « ou la preuve testimoniale et instrumentale con-
courent , » comme le faux.
Pour que I'ecriture, dans le cas oti elle etait ainsi admise,
formit une preuve complete, il fallait d'abord « qu'elle fut precise
sur le fait du crime, e'est-k-dire , s'il s'agit de faits d'injure,
de debauche , de subornation ou conspiration , il faut que les faits
soient contenus expressement dans la piece meme dont on veut
exciper centre I'accuse , en sorte que si Ton s'en sert seulement
pour tirer des inductions contre lui, elle cesse des lors d'etre
regardee comme preuve litterale, et rentre dans la classe des
simples preuves conjecturales (1). » En second lieu, il fallait que
r^crit fut authentique, ou, s'il etait sous signature privee, qu'ii
fut reconnu par I'accuse. Cela ressortait implicitement de I'art. 5,
tit. XXIV, de I'Ordonnance de 1670. Jamais done une verification
d'ecriture ne pouvait fournir une preuve complete. « En efifet ,
dit Muyart de Vouglans , outre que les experts s'expliquent tou-
jours d'une maniere vague et incertaine , par ces mots : « Nous
croyons , nous estimons , » personne n'ignore que leur art est par
lui-meme sujet a une infinite d'erreurs (2). » — " Si c'est une
ecriture privee et qu'il soit besoin d'une verification en justice
pour faire foi contre I'accuse, ce n'est plus proprement une
preuve litterale, puisque ce n'est plus la piece qui prouve par
elle-meme... de sorte que ce n'est qu'une simple conjecture et
une preuve testimoniale (3). » Ces reserves etaient fort raisonna-
bles : I'art des experts etait incertain, et Ton pent dire qu'il Test
encore. Dans le projet discute entre les parlementaires et les com-
missaires en 1670, il y avait meme un article ainsi concu : « Sur
(1) Muyart de Vouglans, op. cit., p. 330. — « II faut que la pifece contienne et
prouve pr^cistoent le fait dont 11 s'agit , car si le titre ne contient point formel-
lement le crime ou delit dont est question , et qu'on s'en serve seulement pour en
tirer des consequences et des inductions , alors cette preuve ne s'appelle plus
preuve litterale complete; ce n'est qu'une preuve litterale conjecturale et im-
parfalte. » Rousseau deLacombe : Matiires crminelles , p. 371.
(2) Muyart, op. cii.,p. 330.
(3) Rousseau de Lacombe : Mat. crim., p. 371, 372. Cf. PouUain du Pare, torn.
XI, p. 191, ssq.
272 l'ordonnance de 1670.
la seule deposition des experts et sans autres preuves , admini-
cules , ou presomptions , ne pourra intervenir aucune condamna-
tion de peine afflictive ou infamante (1). » II fut supprime, sur
Tobservation de M. Talon , que les juges n'etaient « que trop
circonspects sur ces matieres , sans qu'il soit besoin de leur lier
les mains (2). » Mais la theorie n'en subsista pas moins telle
qu'elle. Dans ce systeme, les papiers domestiques de I'accuse,
alors meme que celui-ci les reconnaissait , ne pouvaient jamais
faire preuve complete centre lui, car ils ne pouvaient contenir
qu'une confession extra-judiciaire , et la confession judiciaire,
nous aliens le dire bientot, n'avait pas elle-meme cette ener
gie(3).
3° La. preuve complete enfin pouvait encore resulter despr^-
somptions , a condition , bien entendu , que le fait dont on allait
tirer des consequences, fdt lui-meme etabli d'une facon sufflsante,
c'est-a-dire par deux temoins oCulaires , ou par ecrit. La juris-
prudence avait en effet conserve quelques-unes de ces presomp-
tions invincibles comme nous en avons trouve dans le tres-an-
cien droit ; on les appelait indices manifestes et n^cessaires et on
les comparait souvent aux presomptions juris et de jure du droit
civil. En voici un exemple : « Lorsqu'en fait de meurtre deux
temoins irreprochables deposent avoir vu 1' accuse, qui avait I'epee
nue et ensanglantee a la main , sortir du lieu , ou quelque temps
apres le corps du defunt a ete trouve blesse d'un coup d'e-
pee (4). »
Quant a I'aveu de I'accuse, fait en justice, les auteurs n'e-
taient point d'accord sur sa valeur comme preuve. II en etait
et des plus celebres, Jousse par exemple, qui tenaient pour
(1) C'Stait I'art. 15 du litre viii.
(2)Procis^erbal, p. 99.
(3) Muyart, op. cit. p. 336. L'Ordonnance (tit. iv, art. 2 ; tit. xiv, art. 10 ; tit. n,
art. 9), Youlait n^anmoins qu'on fit I'inventaire des papiers de I'accus^.
(4) Muyart de Vouglans , op. cit., p. 346. Cf. PouUain du Pare, torn. XI, p. 118 :
« II ne parott pas ^galement juste d'admettre la comparaison des indices mani-
festes avec la pr^somption /uris et dejure... la preuve n'est presque jamais re^ue
centre la pr6somption jMris et de jure, au lieu qu'en matifere criminelle la preuve
est refue contre les indices manifestes. » Cette preuve contraire dont parle Poul-
lain du Pare, ce sent, comme il I'explique, les faits justificatifs , p. ex., la legi-
time defense.
l'ordonnance de 1670. 273
I'ancienne opinion d'apres laquelle c'etait la preuve par excel-
lence et la plus complete : « de toutes les preuves qu'on pent avoir
en matiere criminelle , la confession de I'accuse est la plus forte
et la plus certaine , et par consequent cette preuve est suffi-
sante... une pareille confession est la plus complete des preuves
qu'on pent desirer (1). » Jousse s'appuyait sur I'autorite de Bar-
tole , de Paul de Castro et de Julius Clarus ; il faisait remarquer
« qu'on ne presumera jamais, sans renverser toutes les lois de la
nature , qu'un homme veuille de sang-froid s'accuser d'un crime
dont il n'est pas I'auteur. » II invoquait aussi dans le sens de
son opinion les formalites des interrogatoires si bien reglees
d'apres I'Ordonnance ; eut-on pris tant de soin pour obtenir un
aveu, s'il n'avait pas eu une valeur decisive (2)?
G'etaient en realite ces formalites m ernes des interrogatoires
qui empechaient d'attribuer a I'aveu sa force naturelle. Aussi
I'opinion de Jousse restait isolee, et voici ce qu'on decidait
generalement. S'il s'agissait d'un crime grave pouvant entrainer
une peine capitale ou meme une peine afflictive, I'aveu ne suffi-
sait point pour faire prononcer une telle condamnation : Nemo
auditur perire volens; il fallait qu'a la confession il s'ajoutslt des
indices pressants ou la deposition d'un bon temoin. C'etait deja
I'opinion de Louet (3); c'etait I'avis de Domat (4), et de Duples-
sis (5). Les auteurs du xviii° siecle ne sent pas moins formels :
(1) Jousse : Comm. sur I'Ordonn. de 1670 , sur I'art. 5, tit. xxv, n™ 1 et 2.
(2) Du reste, Jousse ne voyait dans I'aveu une preuve complete que lorsque le
« corps du d^lit est constant et bien vfirifie au moyen d'une visite, ou d'un pro-
cfes-verbal ou par la deposition des t^moins. » Si au contraire le crime 6tait un
de ceux « que la volonte seule pent commettre , comma I'iiiresie, dans des senti-
ments non manifestos a I'exterieur... le corps du dfelit ne pouvant 6tre prouvfi, la ■
confession de I'accuse ne peut suffire pour le faire condamner. » Op. oil., p. 434.
(3) LettreC, no34.
(4) Le droit public , livre III, tit. i , Des crimes et des dilits : a Si I'accusO re-
connolt le crime et que le crime soit capital, on ne laisse pas d'achever les preu-
ves; car il ne seroitpas juste de condamner un innocent sur une fausse confes-
sion. »
{5J Riponse de Duplessis it Colbert sur le prods de la Voisin : « L'aveu par un
criminel de son crime ne peut op&ret sa condamnation, s'il est toiit nu, mais si,
outre son aveu, il y a un seul tOmoin, cela suffit pour le condamner. De m€me , si '
outre son aveu il y a quelque indice , ou reel ou procfidant de la deposition m6me
d'un seul temoin, cela sufflt pour la condamnation. » Lettres, etc. de Colbert,
torn. VI, Append., p. 429.
18
274 l'ordonnance de 1670.
« La confession ne pent de sa nature operer la condamnation k
une peine capitale , et il faut pour cela le concours de plusieurs
autres conditions... elle doit estre accompagnee de quelques
indices pressans ou de la deposition d'un bon tesmoin (1). » —
« La confession libre et volontaire de I'accuse ne forme point une
preuve complete contre lui : Nemo non auditur perire volens (2). »
Enfm Serpillon combat I'opinion de Jousse de la facon la plus
respectueuse mais la plus energique en meme temps (3). S'il s'a-
gissait au contraire d'une peine legere , on admettait que I'aveu
fait en jugement pouvait entrainer la condamnation, pourvu
que le corps du delit fut constate d'une facon certaine : « II est
vrai qu'il y a des arrets , qui , sur la confession seule des accu-
ses, les ont condamnes, mais a des peines moindres que celles
que meritaient les crimes (4). »
Du reste, les dispositions de I'Ordonnance de 1670 etaient Men
conformes a cette theorie. L'article 5 du titre xxv declare « que
les proces criminels pourront etre instruits et juges , encore qu'il
n'y ait point d'informations , et si d'ailleurs il y a preuve sutfi-
sante par les interrogatoires et par pieces authentiques ou re-
connues par I'accuse , et par les autres presomptions et circons-
tances du proces. » On voit par la que pour eviter de recourir a
la preuve testimoniale il ne suffit pas d'avoir obtenu I'aveu du
coupable , il faut y joindre encore la preuve ecrite ou des pre-
somptions (5). L'article 17 du titre xiv decide qu'aussitdt apres
la comparution de I'accuse, et avant qu'il soit passe outre, « les
interrogatoires seront incessamment communiques a nos procu-
reurs ou a ceux des seigneurs , pour prendre droit par eux ou
requerir ce qu'ils aviseront, » et les auteurs ont toujours entendu
cette disposition en ce sens , que s'il s'agissait d'un crime meri-
tant une peine grave, les requisitions , malgre I'aveu , ne pour- ,
(1) Muyart, op. cit., p. 339.
(2) Rousseau de Laoombe , op. cit., p. 372.
(3) Code criminel , p. 1012.
(4) Serpillon, loc. cit.
(5) II s'agit 14 des ((indices r^els qui se trouvent naturellement dans la chose
et ne procedent point de la deposition des tSmoins. » Duplessis [Lettre a Colbert,
ciWe).
l'ordonnance de 1670. 275
raient point tendre a une condamnation immediate. « Si le cas
lui parait grave, (la partie publique) conclut au reglement extraor-
dinaire de recolement et confrontation ; car dans ce dernier cas ,
' quand meme I'accuse aurait avoue tons les chefs de I'accusation
qui lui sont imputes, il ne faudrait pas moins une instruction
complete a I'extraordinaire (1). » Enfin, I'article 19 de ce meme
titre XIV est encore en complete harmonie avec toute cette th^orie ;
il permet a I'accuse de crime « auquel il n'echerra peine afflic-
tive, » de prendre droit par les charges apres I'interrogatoire.
Cette faculte rappelle de bien loin le « plead guilty » de la pro-
cedure anglaise; elle etait utile a I'accuse, en lui permettant
d'eviter les longueurs d'une procedure a I'extraordinaire; elle
n'existait, cela se congoit, qu'autant qu'il y avait aveu, mais
I'aveu ne suffisait pas , il fallait encore que le crime ne meritat
pas une peine afflictive, sinon on etait force de poursuivre la
procedure jusqu'au bout. Quoique parfois les anciens auteurs
aient cherche a expliquer autrement cette decision, elle ne se
congoit bien que si Ton admet que dans les crimes graves I'aveu
ne constituait point une preuve complete. L'imporlance de I'aveu
etait cependant considerable; joint a ce qu'on appelait un indice
prochain , il formait une preuve veritable et suffisante ; et les
indices prochains se trouvaient bien plus frequemment que les
preuves completes.
II. Les indices prochains etaient aussi appeles des semirpreuves.
Ce mot , contre lequel protestera plus tard le bon sens de Vol-
taire , n'etait pas adopte par tous les juristes (2) ; mais neanmoins
il etait usite , et n'etait pas deraisonnable , etant donne le sys-
teme general.
Les indices prochains ne pouvaient par eux-memes motiver la
condamnation capitale de I'accuse. Cependant quelques-unes de
(1) Serpillon, sur cet article.
(2) « Quelques auteurs out defini la seml-preuve un moyen de prendre le faux
pour le vral. » Denisart , V" Semi^reuve. — « II n'y a point de seml-prenves ;
plusieurs auteurs bUment cette fason de s'exprimer. C'est un nom barbare et
imaginaire, ce qui est si vrai qu'on ne trouve pas un seul texte de droit qui en
parle. On ne pent dicouvrir a demi la v6rite ; il n'y a point de demi-v6rit6... il
est aussi impossible qu'il y ait des demi-preuves , qu'il est impossible qu'il y ait
des demi-hommes. » Serpillon , Code criminel, p. 1074.
276 l'ordonnance de 1670.
ces presomptions etaient si fortes , qu'il semblait bien difficile de
ne pas infliger au coupable les chatiments qu'il meritait. Si Ton
avait eu I'aveu volontaire cela eut ete possible ; a defaut de con-
fession volontaire il fallait se procurer une confession forc6e , et
cela au moyen de la torture. Le principal effet des indices pro-
chains dans les accusations graves etait done de permettre I'ap-
plication a la question. Cela est dit avec la meme nettete aux
xvi% xvii'= et xviii'= siecles. « Oii il n'y auroit preuve pleine ni
entiere centre I'accuse, mais il y auroit preuve semi-pleine du
cas par un tesmoing de notable qualite et non de vile condition
deposant du fait principal , qui seroit sans aucun reproche ni
suspicion quelconque, ou qu'il y aura vehementes iconjectures
et indices equipollents pour le moins a la dite semi-pleine preuve,
non elidez ou diminuez par la preuve qui aura etle faite ex officio
pour la justification de I'accuse , sufflsans pour bailler torture,
procedera (le juge) au jugement de torture et question (1). »
« II est vrai de dire que chaque indice fait semy-preuve qui peut
suffire pour faire donner la question (2). » « Parmi les crimes il
y en a qui sent de nature a meriter la mort , et c'est dans ceux-ci
singulierement que les indices peuvent donner lieu a la tor-
ture (3). » Ainsi cette theorie, en apparence si favorable a I'ac-
cuse , aboutit a rendre la torture presque inevitable ; elle devenait
le complement indispensable de ce systeme de preuves.
Un autre moyen d'arriver a une condamnation capitale eM ete
d'additionner les indices et certains jurisconsultes I'admettaient :
(c S'il y avoit deux indices pressans , prouves chascun par deux
tesmoins , ils pourroient faire preuve entiere , sans question ,
selon leur qualite... si ces indices estoient de telle qualite, qu'ils
eussent une liaison naturelle , I'un avec I'autre sans aucune con-
tradiction, et qu'ils fussent tous du nombre des indices prochains
et pressans , on pourroit dire que ces indices seroient prouves
I'un par I'autre, et que les preuves imparfaites sur chaque fait
se joindroient ensemble pour faire une preuve parfaite , qui suf-
(1) Pratique de Lizet, 1577, p. 28, vo.
(2) Duplessis : Lettre i Colbert, cit6e.
(S) Muyart de Vouglans, op. cit., p. 351.
l'ordonnanoe de 1670. 277
firoit pour la condamnation (1). » Mais on se refusait generale-
ment a admettre ces combinaisons : « La semi-preuve n'a rien de
plus concluant qu'une demi-verite, et par la meme raison que
deux incertitudes ne peuvent pas operer una certitude, deux
semi-preuves ne peuvent pas non plus operer une preuve com-
plete (2). »
Les indices prochains, s'ils ne suffisaient pas pour faire pro-
noncer la peine de mort , permettaient d'ailleurs au juge d'infli-
ger « quelques peines afflictives, infamantes ou pecuniaires (3), »
s'il les jugeait assez forts pour cela. Mais, on faisait remarquer
avec soin qu' « avant de prononcer une peine inferieure a la
nature du crime, par le motif que les preuves, quoique conside-
rables , ne le sont pas assez pour operer la peine de mort , il faut
que les juges ayent epuise tous les moyens que les Ordonnances
indiquent pour la preuve et I'approfondissement du crime (4). »
On avait essaye de soutenir parfois que dans les crimes atroces
la preuve complete n'etait point necessaire pour la condamnation
capitale : In atrocissimis leviores conjecturae sufjiciunt et licet
judici jura transgredi. « Jamais , dit PouUain du Pare , cette
proposition barbare et absurde n'a ete admise en France. C'est le
caractere de la tyrannic et d'un cruel despotisme. Plus le crime
est atroce , plus la punition doit etre terrible ; et consequemment
les preuves doivent etre d'autant plus evidentes contre I'accuse ,
a proportion de I'atrocite du crime qu'on lui impute (5). »
Quels faits constituaient des indices prochains? Ici encore
(1) Daplessis , loc. cit.
(2) Denisart. V" Semifreuve.
(3) Muyart de Voaglans, op. cit, p. 346, 351. PouUain du Pare (torn. XI,
p. 115) demontre mSme que le juge peut aloTs prononcer la peine des galferes a
perp6tuit6 : « La question pr6paratoire avec la reserve des preuves est plus
rigoureuse que les galferes perpetuelles ; et puisqu'elle peut etre ordonn^e sur
des preuves considerables, quoiqu'insufflsantes pour condamner amort, on doit
necessairement conclure que le juge peut condamner aux galeres, quelque atroce
que soit le crime , sur des preuves considerables , lorsqu'il n'y en a pas assez
pour prononcer la peine de mort. De mfime , si les preuves sont moins conside-
rables , le juge peut modifier la peine. »
(4) PouUain da Pare, XI , p. 116.
(5) Ibid., p. 110. Cf. Dupaty : Mimoire et Moyens de droit pour trois hommes
condamnis a la roue, passim.
278 ' l'ordonnance de 1670.
rOrdonnance n'avalt rien precise. Elle disait seulement que
pour que la question put etre donnee, il fallait que le crime
meritat la mort, at qu'il y eut preuve considerable, laquelle
pourtant « ne fut pas suffisante (1). » Cela laissait forcement
une grande latitude aux juges. « L'Ordonnance , n'ayant point
determine dans I'article... la qualite des presomptions et des
circonstances qu'elle veut faire servir de preuves dans les proces
criminels, semble s'en Stre rapportee a la prudence des juges
sur ce point (2). » — « Quand les temoins ne deposent point
d'avoir vu faire le coup , et qu'ils ne rap{)ortent tous que des
indices, les indices pouvant estre plus pressans et plus con-
cluans les uns que les autres , et les juges pouvant estre plus
touches des faits les uns que les autres..; la chose depend
ordinairement de I'arbitrage des juges (3). » Mais cependant des
regies etaient determinees par la jurisprudence.
Parmi les demi-preuves nous trouvons d'abord la preuve tes-
timoniale ou ecrite imparfaite , la deposition d'un temoin ocu-
laire unique, ou une ecriture privee verifiee par des experts,
et aussi I'aveu extrajudiciaire de I'accuse lorsqu'il etait deni6
par lui , mais qu'il etait prouve « par deux bons temoins , »
ou par les « journaux et papiers domestiques (4). » Puis dans
cette classe des indices prochains venaient se ranger une foule
de presomptions. Muyart de Vouglans les divise en indices
generaux et indices speciaux a certains crimes. II en enumere
seize , appartenant a la premiere categorie et dont quelques-uns
sont bien etranges ; nous y trouvons , « la qualite de I'accusa- '
teur, si c'est une personne considerable , ou un maitre pour les
delits commis par ses domestiques; » la « qualite de I'accuse,
si c'est un vagabond ou un non domicilie. » Les indices spe-
ciaux aux differents crimes sont indiques avec grand soin; et
pour quelques-uns d'entre eux la nomenclature serait risible,
si Ton n'entrevoyait la torture par derriere. Ainsi nous trouvons
ranges parmi les indices prochains du crime de magie et de
(1) Ord. de 1670, tit. xix, art. 1.
(2) Muyart de Vouglans, op. cit., p. 347.
(3) Duplessis : Lettre citfee.
(4) Muyart de Vouglans : Inslit., p. 336, 350.
l'ordonnance de 1670. 279
sortilege les faits suivants : « Si Ton a trouve chez I'accuse des
livres ou instruments qui ont rapport a la magie , comme hos-
ties , membres humains , images de cire transpercees d'aiguilles ,
ecorces d'arbres, os, clous, cheveux, plumes entrelacees en
forme de cercle ou a peii pi^es, epingles, charbons, paquet de
charbons trouve au chevet du lit des enfants... 2° Si Ton a vu
mettre quelque chose dans une etable , et que le betail peu de
teB»ps apres soit peri. So Si Ton a trouve un ecrit contenant un
pacte fait avec le demon... 7° Si Ton a vu changer de demeure a
ceux qui vivaient en liaison avec I'accuse, aussit6t apres qu'il
a este arreste... 8° S'il a continuellement le nom du diable dans
la bouche et s'il a coutume d'appeler de ce nom ses enfans ou
ceux d'autrui (1). » Cela s'ecrivait au dix-huitieme siecle !
Muyart de Vouglans ajoute, il est vrai : « Tous ces indices
peuveat, suivant les auteurs, donner lieu a la torture, mais
nous verrons en traitant de ce crime (le sortilege) avec quelle
circonspection le juge doit se comporter dans une matiere aussi
delicate et que la trop grande credulite des peuples pourroit
faire degenerer en des superstitions dangereuses. »
Tous les indices prochains pouvaient en principe donner lieu
a I'application de la torture , pourvu qu'ils fussent prouves eux-
memes , un seul temoin suffisant pour cela. Cependant , pour un
assez grand nombre de semi-preuves, il fallait y joindre un indice
eloign^ tout au moins , pour justifler la torture. C'etait alors
qu'intervenait cette troisieme classe d'indices , sous le nom d'arf-
minicules : ils ne valaient que comme soutien (2). C'etait la une
bien faible garantie , car en fait d'indices eloignes on se conten-
tait de peu. Muyart de Vouglans en donne les exemples sui-
vants : « L'inconstance des discours de I'accuse , le tremblement
de sa voix, le trouble de son esprit, sa taciturnite... la proxi-
mite de la maison de I'accuse du lieu ou le crime a ete commis...
I'affectation de I'accuse d'avoir I'oreille dure, ou d'avoir perdu
I'esprit ou la memoire lorsqu'on I'interroge... la mauvaise phy-
sionomie de I'accuse ou le vilain nom qu'il porte (3). » Les in-
(1) Muyart de Vouglans : Instit., p. 353.
(2) Voy. Muyart de Vouglaus : Instil., p. 346, 350-351.
(3) Ibid., p. 350.
280 l'ordonnance de 1670.
dices eloignes devaient etre prouves par deux temoins, ou par
le proces-verbal du juge.
Cependant certains auteurs se montraient plus exigeants. « II
faut, oa ne peut trop le repeter, plusieurs indices joints pour
fournir une preuve considerable , telle que I'exige eel article de
rOrdonnance (1). La plupart des auteurs en exigent trois; mais
il faut distinguer, il y a les indices manifestes et des indices
eloignes ; les premiers fournissent des consequences necessaires
d'un fait certain... par exemple, un indice manifeste est le cas
de deux temoins sans reproche qui deposent avoir vu I'accuse
sortir d'un lieu , ou il vient d'etre commis un meurtre , ayant son
epee nue et ensanglantee ; cet indice parait luce clarior (2). Ce-
pendant , pour condamner a la question , il faudrait encore d'au-
tres indices appeles eloignes, comme des menaces precedentes,
une inimitie prouvee et autres pareils adminicules , a moins que
ce ne fut un vagabond ou un homme mal fame qui fiit ac-
cuse (3). » Duplessis professe une opinion semblable. « On dis-
tingue communement trois sortes d'indices, savoir : 1° les indices
generaux et eloignes , comme la mauvaise vie de I'accuse , s'il a
este deja prevenu de semblables crimes , et ceux-la ne peuvent
guere servir sinon a emouvoir les juges et a leur donner de sim-
ples soupgons. 2° Les indices plus proches mais non attaches a
Taction , comme si en matiere d'homicide I'accuse estoit ennemy
mortel de celui qui a este tue , ou qu'il I'ait menace , ou se soit
vante qu'il le tueroit et ainsy des autres semblables , et ceux-la
sont un peu plus forts , mais pourtant ils ne concluent rien abso-
lument et ne font pas mesme semy-preuve; 3° les indices pro-
chains, attaches a Taction, comme s'il y a eu un homme tu6 dans
une maison ou dans un bois , et que dans le mesme temps I'ac-
cuse ait ete vu sortir de la maison ou du bois , Tepee nue et en-
sanglantee et s'enfuyant... Ge sont des indices bien concluants
(1) II s'agit de 1' article 1, tit. xiv, qui indique a quelles conditions la sentence
de torture peut §tre prononc6e.
(2) II y a ici un classement qui , compare a celui de Muyart de Vouglans, sem-
ble faire descendre les divers indices d'un degr6. Cf. Poullain de Pare , XI i
p. H9.
(3) Serpillon, Code criminel, p. 912.
l'ordonnance de 1670. 281
que c'est I'accuse qui a commis le crime , mais ils ne sent pas
pourtant absolumeiit infaillibles ; ces sortes d'indices s'appellent
indices plains, et ils font ordinairement semy-preuve {i). » Au
fond , il fallait reconnaitre qu'il etait difficile d'indiquer avec une
precision suffisante las preuves sur lesquelles on ferait donner la
torture. « La difficulte est de savoir quelles sont les preuves qui
doivent. passer pour considerables. Celles qui peuvent I'etre a
regard d'un vagabond ou autre mal fame ne doivent pas estre
regardees de meme ceil, quand I'accuse est domicilie et bien
fame, par consequent rien n'est si arbitraire ni si difficile a fixer.
Cela depend du lieu , du temps , de la qualite des personnes , et
d'une infinite d'autres circonstances (2). »
Les indices eloignes , a eux seuls , permettaient au juge de pro-
noncer des peines pecuniaires , ou un plus amplement inform^;
il pouvait encore , s'il y avait une partie civile , regler le proces a
I'ordinaire. « Et oil par le proces il n'y aura ni pleine ni semy-
pleine preuve , mais il y aura seulement quelques indices ou con-
jectures moindres que la dicte semy-pleine preuve et non suffi-
santes pour mettre a la torture, et verisimilitude resultant du
proces que le demandeur en matiere d'exces pourroit plus ample-
ment prouver et verifier les cas par luy pretendus contre I'accuse
en proces ordinaire , en ce cas si le juge a faict ce que Ton peul
et doit faire pour la perfection du proces extraordinaire, ap-
poinctera les parties en proces ordinaire (3). » « Lorsqu'il n'y a
que de forts indices, leur force ne pent determiner qu'a des
peines pecuniaires, si le juge ne se porte pas au renvoi quousque,
c'est-a-dire au plus amplement informe (4). »
Au milieu des hesitations , que nous avons relevees plus haut ,
il restait un point certain, reconnu de tons, c'est qu'oQ ne pou-
vait point condamner a mort , s'il n'y avait une preuve complete ;
et il etait excessivement difficile de s'en procurer une. Hors le
cas ou elle avait ete obtenue, aux indices pressants il fallait neces-
sairement joindre I'aveu de I'accuse. Dans ce but on avait orga-
(1) Duplessis , loc. cit,
(2) Serpillon : Code crim., p. 911.
(3) Pratique de Lizet , p. 28 v".
(4) PouUain du Pare, torn XI, p. 116.
282 l'ordonnance de 1670.
nise deux machines puissantes : I'unie etait I'interrogatoire subtil
et secret, oil I'accuse sans defense devait jurer de reveler la
verite et par lequel on obtenait Faveu soi-disant volontaire;
I'autre etait la question par laquelle on obtenait la confession
forcde. Voila a quoi aboutissait le systeme des preuves legales ;
et c'est en lui qu'il faut rechercher la vraie raison du maintien
de la torture. Muyart de Vouglans le declare d'une facon expli-
cite. « Les raisons qui semblent devoir I'autoriser sont fondees
sur ce qu'etant souvent impossible d'acquerir une entiere convic-
tion du crime , soit par les depositions des temoins soit par les
pieces, soit par les indices qui concourent rarement ensemble
pour former cette preuve plus claire que le jour qu'il faut pour
condamner, il n'y aurait pas moins d'injustice a renvoyer absous
celui qui d'ailleurs est suspect de crime , qu'il y en auroit a con-
damner celui qui n'est pas entierement convaincu , outre que le
bien de I'humanite demande que les crimes ne demeurent point
impunis. C'est pour cela que faute d'autres moyens pour parve-
nir a cette entiere conviction , on s'est vu oblige de tourmenter
le corps de I'accuse (1). » Ces paroles si froides n'etonnent point
chez Muyart de Vouglans qui s'est fait toujours I'avocat de cette
odieuse procedure; mais elles exprimaient une necessite logique
qui s'imposait a tons. « Dans I'embarras ou se trouvent les juges,
dit Poullain du Pare, lorsqu'ils voyent de tres-forts indices centre
un accuse, et que tous les moyens de preuve sont epuises, ils
sont reduits a la ressource de la question preparatoire (2). » Void
enfin ce que dit Serpillon , qui , lui , a commence par protester
centre la question : « II y a environ vingt-cinq ans que nous
fttmes encore forces de condamner a la question preparatoire le
nomme Auribaut, de la paroisse de Planche-en-Nivernois, accuse
de dix ou douze crimes , dont la plus grande partie etoient des
assassinats sur les grands chemins , sans qu'il y en etit un seul
parfaitement prouve (3). » Par quoi Serpillon etait-il force? par
la theorie des preuves legales.
Cependant il pouvait rester une derniere ressource a i'accuse.
{i) Instil., p. 341.
(2) Tom. XI, p. 114.
(3) Code crim., p. 909.
l'ordonnance de 1670. 283
S'il resistait aux tourments et n'avouait pas a la question , I'accu-
sation etait sans doute completement purgee, etles indices graves,
qui avaient permis d'appliquer la torture , effaces a tout jamais.
Ce dernier espoir pouvait etre vain ; on connaissait en efifet la
question avec reserve des preuves. Alors si I'accuse , &, force de
Constance, refusait tout aveu, on pouvait cependant, en vertu des
indices , le condamner a une peine autre que la mort. L'usage de
la question avec reserve des preuves remontait assez haut, et void
en quels termes extraordinaires ij est decrit par Imbert. Apres
avoir dit qu'il y a des criminels « si fins et si malicieux que quel-
que chose qu'ils aient confesse a la torture , quand ils sont le len-
demain interroges, ils nient tout; » il ajoute : « Au moyen de
quoy, quand le juge voit qu'il n'y a preave suffisante pour as-
seoir punition corporelle , mais pecuniaire seulement , afln qu'en
niant tout par la question , il n'evade la peine pecuniaire qu'il
devrait souffrir et qu'a raison de cela il ne s'endurcisse plus a
souffrir la question , il ordonne que le delinquant sera mis en
torture, sans que pour cela les indices resultant du proces soient
purgez. Car jagoit que par indices, voire indubitables , on ne
doive asseoir punition de mort, ou autre corporelle fort grieve,
toutesfois, on pent adjuger peine pecuniaire et quelque corporelle
legere (1). » N'eut-on pas pu inscrire au fronton des cours cri-
minelles : " Vous qui entrez ici , quittez toute esperance I »
(1) Pratique, liv. Ill, ch. 14 (p. 739).
284 LA PROCEDURE CRIMINELLE
CHAPITRE QUATRIEME.
La proc6dure criminell© k l'6tranger,
I. L'ltalie. — II. L'Espagne. — III. L'AUemagne, les Pays-Bas. —
IV. L'Angleterre.
La procedure criminelle qui s'etait etablie en France, n'etait
point une institution purement nationale; elle formait au con-
traire le droit commun de I'Europe. II suffira pour s'en con-
vaincre de jeter un coup d'oeil sur les nations qui entouraient la
nfitre : l'ltalie , I'Espagne , I'AlIemagne et les Pays-Bas. La aussi
s'etait accomplie la meme evolution ; la aussi le droit canon avail
introduit le proces inquisitoire et le droit romain exerce son
influence. A la procedure accusatoire et publique avait succede
I'instruction ecrite et secrete; aux rudes preuves de I'epoque
feodale la theorie savante des indices. Mais cependant la proce-
dure frangaise se distinguait des autres procedures congeneres
par des traits qui lui etaient propres. NuUe part les formes
n'avaient ete mieux precisees , les regies plus nettement et plus
solidement etablies, et a ce point de vue Muyart de Vouglans ■
pourra ecrire sans exageration : « On pent dire k I'honneur de
notre France que la jurisprudence y a ete portee a un degre
de perfection qui lui fait tenir un rang distingue parmi les nations
policees (1). » Mais en meme temps nulle part les rigueurs du
systeme n'avaient ete poussees plus loin et la defense plus etroi-
tement entravee. En bien comme en mal le systeme avait ete
pousse a I'extreme. II faut cependant faire une exception pour
ce qui est de la torture; l'ltalie et I'AlIemagne en particiilier
I'appliquerent avec un acharnement qui depassait ce qu'on pra-
tiquait en France. Une institution surtout distinguait la France
(1) Lettre svr le Uvre des dilits et des peines, p. 20.
A l'ktranger. 28S
des nations voisines, c'est celle du ministere public. Ce n'est pas
qu'on ne la trouve aussi a I'etranger, mais ou bien elle a ete
introduite par I'influence frangaise , ou elle est imparfaite et ne
forme pas comme chez nous une piece essentielle du mecanisme
de la procedure (1).
En face de la France, de I'autre c6te de la Manche, commen-
gait un nouveau monde. L'Angleterre avait conserve la procedure
accusatoire et publique, la libre defense des accuses. Develop-
pant des elements, qu'avaient aussi possedes les autres nations
europ^ennes, mais qu'elles avaient laisse perir, elle avait cree
la procedure par jures, qui constituait alors une sorte d'anomalie,
mais qui, par un puissant rayonnement, devait s'etendre sur I'Eu-
rope entiere.
Essayons d'exposer en quelques pages ce que nous venons
d'enoncer en quelques lignes.
I.
L'ltalie sous la domination des Lombards avait connu la pro-
cedure et le droit criminel des coutumes germaniques , les
compositions , 1' accusation privee , le debat oral et public , les
disculpations par le serment et les cojurantes, les ordalies et
specialement le duel judiciaire (2). Mais l'ltalie etait la terre oil
s'etait developpe le droit de la Rome antique , oii celui de la
Rome moderne s'elaborait peu a pen ; plus que tout autre pays
elle devait ressentir I'influence du droit romain et du droit
canon. II est demontre aujourd'hui que I'etude du droit romain
n'y fut jamais interrompue. L'ecole de Bologne n'est pas une
resurrection; c'est la floraison nouvelle d'un vieil arbre, qui pen-
dant longtemps n'avait pousse que de maigres rameaux, mais
dont la seve avait toujours coule sous I'ecorce.
Les ecoles de droit se succedent en se continuant, a Rome
d'abord, puis a Ravenne, a Pavie des la premiere moitie du
xi° siecle , a Verone a la meme epoque. On arrive ainsi a l'ecole
(1) Biener : Beilragezu der Geschichte des Inquisitionsprozesses, p. 208, ssq.
(2) Voy. Sclopis : Histoire de la Ugislation Italienne, torn. I , p. 199, ssq.
286 LA PROCEDUKE CRIMINELLE
de Bologne qui , des la premiere moitie du xii= siecle , s'eleve k
une telle hauteur que « tout ce qui I'avait precedee est tombe
bientot dans uq profond oubli (1). » Les professeurs de Bologne
etaient en meme temps des praticiens. " L'ecole de Bologne
n'a pas ete seulement I'initiatrice d'un mouvement scientifique,,
elle eut aussi son influence dans la pratique du droit; car les
glossatores s'etudiaient a appliquer les lois aux faits de la
vie (2). » Dans le Corpus juris, s'ils voyaient dominer le systeme
accusatoire, ils trouvaient en meme temps la torture; ils y
trouvaient aussi les germes de cette theorie des indices, qu'ils
furent les premiers a construire , et qui de I'ltalie se repandit sur
I'Europe. A cote d'eux, les canonistes construisaient la proce-
dure inquisitoire qu'allait consacrer definitivement la papaute.
Des lois positives naissaient aussi. C'etaient d'abord les sta-
tuts municipaux, les lois des cites libres. « Les cites, s'inspi-
rant du principe romain et chretien levaient haut leurs vues et
punissaient les delits pour eux-memes et pour le bien commun.
Dans la revision constante de ces statuts, I'influence du droit
romain allait toujours en augmentant (3). » II en etait de meme
pour le droit canonique , et peu a pen la procedure inquisitoire
prenait place a cote de I'accusation. L'organisation judiciaire
variait suivant les cites, cependant on pent distinguer deux
types successifs de gouvernement communal. D'abord les villes
sont administrees par des consuls (4). L'origine de cette magis-
trature est douteuse. M. Fertile pense que les consuls sortirent
au debut du conseil, dont les eveques s'entouraient pour I'admi-
nistration de leurs dioceses et souverainetes temporelles (5). Au
(1) M. Rivier : La science du droit dans la premUre moilii du Moyen-Age (Nou-
velle revue historique de droit frangais et stranger 1877, p. 1 , ssq).
(2) Pessina : Elementi di diritto penale (3« 6dit., p. 51) cf. Fertile : Storia del
diritto Italiano, § 168 : « I glossator! e i loro successori commentavano ed inse-
guavano come legge viva ed universale anche 11 diritto criminale delle Pandette
e del Codice. »
(3) Fertile, op. cit., § 168. Le paragraphe 66, qui traitera en detail des statuts
communaux consid6r6s au point de vue du droit criminel, fera partie d'un volume
qui n'a pas encore paru.
(4) Fertile, op. cit., torn. It, part. 1 , § 48. Prime governo comunale.
(5) Op. cit., torn. II, 1, p. 25 : « Con maggiore verisimiglianza si potrebbe far
uscire i consoU da consiglio del vescovo , oioe dal numero di colore que egli solea
A l'etranger. 287
nombre de deux ou de trdis , selon les lieux et les temps , ils
jugeaient au civil et au criminel , exercant en commun la juri-
diction repressive (1). lis etaient assistes d'ailleurs d'un college
de juges ou d'un conseil de praticiens (2). line revolution trans-
forma dans la suite le gouvernement des cites , et remit le pou-
voir aux mains d'un seul (3), lequel presida ii la justice comme
aux autres branches de radministration ; mais pour la juridic-
tion les formes changerent peu. « Lorsqu'on chercha a reunir
dans un faisceau plus serre les formes politiques et civiles, et
qu'on appela du dehors le podestat, dont on fit le premier
magistrat de la republique, on exigea que celui-ci eut avec lui
des juges, ou bien on lui adjoignit les conseils de justice (4). »
Ces conseillers, ces assesseurs, etaient presque toujours de sa-
vants jurisconsultes , de celebres professeurs.
Parmi les vieilles lois de I'ltalie il faut citer celles donnees a
la Sardaigne {Carta di Logu), ou sont determinees « les regies de
la procedure; I'accusation y est la regie, mais on reconnait la
necessite d'une inquisitio, faute d'accusateurs (5). » Dans I'ltalie
inferieure paraissaient les Constitutiones Regni siculi, reunies en
un code par Frederic II en 1231. Dans ces lois on abolissait les
justices feodales et ecclesiastiques , mettant a leur place les
baillis et justiciers et la grande cour du royaume (6). Le droit
penal fut specialement ravive a la source romaine , on abolit les
violences des guerres privees et le duel judiciaire. L'influence
consultare nelle cose di govemo , come pure nelle elezioni dei parocci e nell'
amministrazione dei beni delle diocesi , il che ci renderebbe ragione delle parte
ch'ebbero da prima nel consolato la nobilita et in particolare i vasalli dei ves-
covi. »
(1) Fertile, op. cit., t. II, part. 1, p. 25 : « Giudicavano nelle materie civlli et
penali... quanto alia giurisdizione , la penale che rechiedieva il banao di sangue
la tenuero in comune. » P. 43, 44.
(2) Ibid., p. 49 : « I consoli erano assistiti nel lore ufficio dal collegio dei giu-
dici od avTOcati et dai sapientes. I primi aveano per prinoipale incarico d'aiutare
i consoli nell' amministrazione della giustizia. »
(3) Fertile, op. cit., § 40. Secondo govemo comunale.
(4) Sclopis, op. cit., torn. II, p. 293."
(5) IbU., II, il3, ssq.
(6) Ibid., II, 254, ssq.
288 LA PKOCEDUKE CRIMINELLE
du droit romain se fait aussi sentir par I'introduction de la pro-
cedure inquisitoire (1).
Mais ce furent a vrai dire la pratique et les ecrits des juriscon-
sultes qui amenerent la procedure crimiQelle a son complet
developpement : rapidement la procedure de Vinquisitio prit le
dessus, et elouffa I'aiicienne accusation. Nous ne pouvons donner
la longue liste des docteurs dont les CEuvres contribuerent a
cette evolution (2). Nous ne citerons que quelques noms qui
dominent les autres,et marquent des etapes. Vers 1271 Guil-
laume Durand public son Speculum juris (3). Canoniste il decrit
surtout Vinquisitio d'apres le droit canon , mais montre qu'elle a
lieu egalement selon le droit civil : « leges... semiplene de inqiai-
sitione tractant , sad secundum canones plenius patet forma et
natura inquisitionis et quando et qualiter in ea procedatur. »
Albertus Gandinus, mort probablement en I'an 1300, admet la
procedure inquisitoire , comme une institution de droit commun :
« hodie de jure civili judices potestatum de quolibet maleflcio
cognoscunt ex officio suo per inquisitionem. Et ita servant judices
de consuetudine et ita vidi communiter observari, quamvis sit
contra jus civile (4). » Bartole et Balde au commencement du
xiv° siecle decrivent et expliquent Vinquisitio (5). Au xv° siecle,
c'est Angelus de Gambilionibus de Aretio , qui dans son Tractatus
de maleficiis expose longuement le proces inquisitoire , la torture,
la theorie des indices (6). Mais c'est surtout au xvi' siecle que
les criminalistes italiens brillent d'un eclat incomparable. L'ltalie
semble alors la patrie du droit criminel , et chose curieuse , de
nos jours un mouvement semblable parait se reproduire. Hippo-
lytus de Marsiliis (7), Julius Glarus (8), Farinacius (9), Meno-
(1) Pessina : Elementi, p. 46, 47.
(2) Voy. M. A. du Boys : Histoire du droit criminel 4e la France du xvi» au xix'
slide, compar6 avec celui de l'ltalie, etc., torn. I, p. 125, ssq. — Biener : Bei-
trdge, iv" chapitre ; Glossatoren und italienische Praktiker, p. 78, ssq.
(3) Sur Durand, voir M. Glasson. Nouvelle Revue historique, 1881, p. 417, 418.
(4) Biener, op. cit., p. 96.
(5) Ibid., p. 98, ssq.
(6) Du Boys, op. cit., I, p. 300, 311; Biener, op. cit., p. 106, 110.
(7) Practica causarum criminalium, Lugduni, 1528. V. Biener, op. dt., p. 110, 112.
(8) Sententiarum receptarum liber quintus. Lyon , 1772.
(9) Farinacii opera (Duaci 1618).
A l'etranger. 289
chius (1), pour ne citer que les docteurs les plus celebres de
cette epoque , etablissent definitivement les principes de la pro-
cedure criminelle et le systeme des preuves legales : Hippolytus
de Marsiliis etudia specialement la torture, et Menochius la
theorie des indices.
Tous a c6te de I'inquisitio , admise presque sans restriction,
connaissent encore I'accusation-; mais celle-ci ne joue plus qu'un
r61e secondaire et efface (2). Le juge se met en mouvement soit
ex officio, soit ad instantiam partis , et dans ce dernier cas nous
avons Vinquisitio cum promovente, dont nous avons parle plu-
sieurs fois. Clarus decrit aussi soigneusement, a c6te de I'accusa-
tion , la querela partis offensse qui ressemble fort a notre action
civile (3). Avant tout, s'il s'agit d'un delictum facti permanentis ,
il faut que le corps du delit soit constate. Cela fait, le juge pro-
cede a une informatio , qui a pour but d'etablir la diffamatio; il
entend en secret les temoins et recueille par ecrit leurs depo-
sitions. Cette premiere phase du proces se termine par la redac-
tion de la charta inquisitionis ou libellus criminalis, sorte d'acte
d'accusation , qui servira de base a la procedure posterieure (4).
(1) De prwsumpHonibus , conjecturis , signis et indiciis commenlaria {id. 1628).
(2) Jul. Clarus : Practica mm., qu. 3, n»s 6, 8, p. 416 : « Sed certe, quidquid
sit de jure communi haec omnia cessant ex consuetudine prsesentis temporis ; nam
etiam de jure civili hodie in quocumque casu permissum est procedere ex officio
et sic per Inquisitionem . . . et consequenter hodie superilua est etiam ilia practica
quam tradit Alex, in apast. ad Bar. quod scilicet judex omniao statuat parti offen-
sse lerminum ad accusandum, quo elapso poterit deinde, ubi pars non accusal, ex
officio procedere , nee poterit postea pars etiamsi velit accusare impedire proces-
sum ipsius judicis inquirentis. »
(3) Qu. 10, n"> 1, p. 428 : « Licet isti duo modi procedendi sc. ad querelam et ex
officio videantur non modo diversi , sed etiam quodammodo incompatibiles , ta-
menconsuetudo admittit quod super querela partis judex statim incipiat inquirers.
Scias autem quod hsec querela multum differt ab accusatione... si non esset via
aperta judici ad inquirendum aliter quam per querelam, puta quia non praecederet
denunciatio neque diffamatio neque aliquid ex his... non deberet judex procedere
super hujusmodi querela, nisi haberet legitima requisita, licet contrarium plerum-
que pbservetur de consuetudine... Si talis instigator prius querelavit et ad ejus
querelam judex Inquisivit , tenet locum partis et ideo est citandus. »
(4) Jul. Clarus, qu. 7, n" 1, p. 424 : « Facta'denuntiacione , judex super ea
assumit informationes et indicia , et eis assumptis format libellum , sive inquisi-
tionem, in quo narrat quomodo propter denunciationem datam... inteudit ex offi-
cio procedere, et Ita communiter servatur in practica. »
49
290 LA PROCEDURE CRIMINELLE
Alors I'accuse est cite ou capture, et on lui soumet le Ubellus; il
doit repondre sur les points qui y sont contenus. S'il nie, le juge
entend de nouveau les temoins, apres qu'ils ont prgte serment
en presence de I'accuse (1) ; puis viennent la question , s'il y a lieu
de la donner, et enfin le jugement. Cette procedure ecrite se
faisait en secret (2). Tout cela ressemble fort au proces criminel
que nous avons decrit en France. En Italic nous trouvons seu-
ment le Ubellus criminalis en plus et la confrontation en moins (3).
II faut reconnaitre aussi que la liberte de la defense y etait plus
grande et le sort de I'accuse moins dur que chez nous. Sans
doute on faisait generalement preter serment a I'accuse lors de
i'interrog'atoire [i), il n'assistait pas la deposition des temoins et
ne pouvait point meme donner une liste des questions a leur
poser (5). Mais il recevait communication des depositions ecrites,
selon les anciens principes ^6), et pouvait faire entendre des
temoins a decharge. Seulement il ne pouvait user de ces facultes
qu'apres avoir repondu a I'interrogatoire (7). II faut remarquer
surtout que I'assistance des avocats etait permise, et que meme
les juges en donnaient parfois d'office aux accuses (8). On n'ad-
mettait point ces defenseurs a assister leur client lors de I'inter-
(1) Jul. Clarus, qu. 7, d" I, p. 552 : « Si neget, iteram examiDaut testes, eo ci-
tato ad videndum eos jurare, et valde graviter erraret judex qui, omissa tali repe-
titione testium , procederet ad torturam vel condemnationem ; nam testes reeepti
ante litiscontestationem nuUam fidem faciunt contra reum. »
(2) Voy. Sclopis, op. cU., I, p. 208, ssq.
(3) EUe n'etait pas inconnue , mais n'Stait point necessaire.
(4) Jul. Clarus , qu. 45, n" 9, p. 551 : « Magis est communis opinio quod defe-
rendum reo juramentum de veritate dicenda. »
(5) En cela son sort 6tait semblable a celui de I'accusateur priv6. Clarus, qu. 23,
n" 3, p. 457 : « Consuetudo observat quod inquisitus vel accusatus nunquam dat
interrogaloria testibus pro fisco deponentibus non etiam dat accusator interfoga-
toria deponentibus ad defensam : sed judex aut fiscalis eos interrogat, prout'sibi
videtur. »
(6) Ibid., qu. 49, n» 3, p. 580 : ;; Eliamsi contra aliqu'em procedatur per viam
inquisitionis nomina testium contra eum productorum nee non et dicta ipsorum
(competenter) publicanda sunt, ad effectum utpossit se ipsum defendere. »
(7) Ibid., qu. 45, n" 8, p. 551 : « Consuetudo servat totum oppositum, quodsc.
reus interrogetur et examinetur ante datas defensiones et copiam indiciorum. »
(8) Ibid., qu. 49, n" 11 : « Dicit Blanc, quod ita quotidie servatur, quod scilicet
judices dant advocates carceratis. »
A LETRANGER. 291
rogatoire (1); on hesitait a leur donner copie de I'information (2);
mais ce n'en etait pas moins la un grand secours. Farinacius
composa une partie de ses oeuvres avec les plaidoyers que, dans
la premiere partie de sa carriere, 11 avait prononces pour la de-
fense des accuses.
L'institution du ministere public existait-elle en Italie? II est
d'abord une autre institution qu'il ne faudrait point confondre
avec elle , et qui pourtant repondait en partie au meme besoin.
Les juges avaient souvent des fonctionnaires places sous eux,
qui devaient leur denoncer les crimes dont ils avaient connais-
sance; mais ces subalternes n'etaient en realite que des denon-
ciateurs officiels. « Albertus Gandinus, Bartolus, Angelus Are-
tinus , ' Hippolytus de, Marsiliis connaissent ces personnages et
leur donnent le nom de syndici, consules locorum et villarum, mi-
nistrales, officiales. Je trouve ces officiers dans quelques statuts
de villes Italiennes ; dans les statuts de Verone ils sont appeles
jurati contratarum et massarii villarum; dans les statuts de
Roveredo, massarii , jurati , syndiQi villarum etplebatuum (3). »
Mais il est aussi question d'un veritable procurator fiscalis
dans les auteurs (4). « Vers la fin du Moyen-Age Venise eut xme
magistrature qui reunissait tous les caracteres d'un ministere
(1) Jul. Clarus, qu. 45, n" 11 : « Quaero etiam , quando fit examen rei, debeant
esse patroni causarum? Resp. quod de jure videtur dici posse quod sic; sedcerte
usus et curiarum stylus hoc non observat. «
(2) Ibid., qu. 6, n" 23 : « Reus dicit judici ut priusquam ad alteriora procedat
det ei copiam indiciorum quae super diffamatione assumpsit. Angel, dicit quod cauti
advocati hoc petunt, ut possint impugaare testes diffamantes... non video quo-
modo sit danda ejus copia reo petenti. «
(3) Biener : Beitrage, p. 92, 93. L'auteur remarque en note que dans Farinacius
(liv. I, tit. 1, n" 17) , ils sont appel6s . » Antiani seu parochiani, qui statutis te-
nentur denunciare delicta commissa in eorutn villis seu parochiis. (» Mais peut-
Stre y a-t-il la un souvenir des testes synodales.
(4) Julius Clarus distingue nettement les trois classes de personnages qui peu-
vent provoquer I'inquisition. Qu. 10, n" 3, p. 428 : « Scias igitur quod tria sunt
genera eorum qui instigatores seu promotores inquisitionis appellantur. Aliqui
enim id faciunt ex necessitate , vel saltern ex debito eorum officii , prout sunt
advocati et procuratores , seu syndici fiscales , ad quos maxime pertinet instare
assidue ut judices contra delinquentes inquirant. Alii vero 'faciunt ex praecepto
sive deputatione judicum , qui solent deputare aliquem coadjutorem , qui loco
partis seu fiscalis assistat inquisition!.. . postremo aliqui id faciunt sponte quia
comparent in judicis et subministrant testes et indicia contra reos inquisitos. »
292 LA. PROCEDURE CRIMINELLE
public largement constilue ; c'est Vavouerie de la commune qui
existait des le xiii^ siecle (d). » Mais en general I'institution ne
se developpa qu'imparfaitement. Voici du moins ce que nous
lisons dans d'eminents auteurs. « En Italie, au xvi' siecle, on
trouve plus nettement qu'auparavant la procedure inquisitoire
avec participation d'un procurator fiscalis, en particulier i Rome,
a Naples et a Milan. Mais quelle etait cette participation du
fiscal , on ne pourrait le determiner que par de difficiles recher-
ches , pour lesquelles generalement les sources font defaut, car
on ne trouve que des institutions locales. Julius Clarus lui-meme,
qui dans ses ouvrages , fondes principalement sur le droit com-
mun, donne tant de renseignements sur la pratique Milanaise,
ne mentionne qu'en passant les procureurs flscaux de Milan,
parce que ce n'est pas une institution de droit commun. En
somme 11 faut admettre que c'est seulement a partir du xv" sieele
que les fiscaux out ete introduits dans certaines contrees d'ltalie,
et la cause principale de leur introduction fut I'influence exercee
par la France et par I'Espagne sur I'ltalie. Specialement au xvi'
siecle nous trouvons en Savoie la procedure criminelle avec un
fiscal tout a fait dans la forme francaise , ce qui doit 6tre attribue
a I'influence que la France exerca sur la Savoie a partir du xv"
siecle (2). » — « Les fiscaux que nous trouvons indiques, dans
Julius Clarus par exemple , ne sont pas a proprement parler
un ministere public : ils interviennent pour soutenir I'accu-
sation, lorsque le juge s'est saisi sur denonciation ou d'office,
mais ils n'ont pas I'initiative de la poursuite...; » c'est seu-
lement « I'inquisition etant ouverte , qu'ils sont admis , comme
le seraient I'accusateur prive ou le plaignant, a proposer des
indices et a comparaitre en jugement (3). » Ces observations
sont bien fondees; mais peut-etre doivent elles etre precisees
davantage. 11 faut reconnaitre en eifet que Julius Clarus a plu-
sieurs reprises declare nettement que le procureur fiscal est
vraiment partie au proces criminal (4); et si, d'autre part, le
(1) Sclopis, op. cit., p. 260.
(2) Biener : Beitrdge, p. 213-214.
(3) Du Boys, op cit., I, p. 322.
(4) Jul. Clarus, qu. 10, n<> 4 , p. 429 : « Quaero numquid instigator sit citandus
A l'etranger. 293
fiscal ne peut tout d'abord que provoquer le juge a ouvrir une
information, ne prenant un rSle actif que lorsque celle-ci a
donne des resuttats , cela est tout a fait conforme aux principes
qui aux xv' et xvi" siecles determinent en France les pouvoirs du
ministere public (1). /
II.
L'Espagne avait etc profondement impregnee de civilisation
Romaine, et lorsqu'elle eut ete envahie par les barbares, elle
eut encore la loi qui, parmi les Leges barbarorum, porte le plus
largement Tempreinle du droit romain. Aussi certaines prati-
ques, que le reste de I'Europe ne devait reprendre qu'a la re-
naissance du droit romain, la torture par exemple, n'ont jamais
disparu de I'Espagne. La question se trouve dans le Forum judi-
cum, avec quelques restrictions il est vrai (2). Le Fuero-Juzgo
connaissait aussi I'institution des delateurs , qu'il recompensait
mgme (3) , liiais il maintenait , comme principe , le systeme ac-
cusatoire (4).
La conquete musulmane et les luttes qui la suivirent firent a
I'Espagne une situation toute speciale dans I'histoire de I'Eu-
rope, et au milieu de ces convulsions le code des Wisigoths
tomba dans I'oubli. « La majeure partie des peuples ignoraient
in causa inquisitionis? Resp. De advocalo seu syndico fiscali nulU dubium est
quin sit citandus ; nam in quocumque judicio , in quo potest ex officio procedi,
fiscvs est loco partis. »
(1) Jul. Qarus, q. 10, n» 6 : « Tu scis quod hodie, nemine quasrelante, fiscus
Succedit loco accusatoris Numquid debet eo casu fiscus querelam seu accusatio-
nem porrigere, super qui judex deinde procedat? Resp. quod non, sed taritum
proceditur ad informationem eo instante. Et ita se habet communis observantia
omnium curiarum, et dicunt semper instare fiscum ut prooedatur contra delinquen-
tes, etiam si de hujusmodi instantia in actis non appareat; debet tamen prius esse
aperta viae judici ad inquirendum aliter quam per instigationem ipsius fiscalis. «
(2) Voyez ci-dessus , page 95, cf. Bistoria del Derecho Espanol, por Don Juan
Sempere. (Lib. II, chap, xix, p. 99.)
(3) L. VII, tit. i.
(4) « Ni el conde ni el juez podien proceder de oficio en causa alguna criminal,
como no constava por pruebas muy manifestas el autor de delitto. » (Sempere, op
cit., p. 40.) Cf. Voyez cependant quant i la poursuite d'offlce ci-dessus page 82
note 1.
294 LA PROCEDURE CRIMINELLE
qu'il existat un Fuero-Juzgo , et n'avaient comme regie de gou-
vernement que I'imitation de ce qu'ils voyaient pratiqiier dans
d'autres parties du pays; les seules lois qui presidassent a
radministration de la justice etaient le bon sens de quelques
hommes pratiques , les exemples des sentences prononcees dans
des cas semblables (1). » En meme temps se constituait la
feodalite Espagnole, et avec elle la procedure criminelle, qui
domina partout dans les Cours feodales , et dont le duel judi-
ciaire etait le principal ressort (2).
Sous I'influence de la royaute il se produisit un mouvement
considerable, celui des Fueros. Les villes en tres-grand nombre
obtinrent des chartes, leur assurant certains privileges et organi-
sant leurs juridictions. Bientdt ce droit privilegie devint un droit
commun (3) ; c'est ce que les auteurs Espagnols appellent gene-
ralement le gouvernement foral « gobierno foral (4). » Les fiieros
remontent aux xi' , xn' et xiii» siecles ; deux des plus cele-
bres furent celui de Leon, concede par Alphonse V et le Fnero
Viejo de Castille. En general, le droit criminel qu'ils con-
tiennent est celui que connaissent a cette epoque les villes des
autres pays. On y trouve la procedure accusatoire , le serment
purgatoire, les ordalies par le fer rouge, mais aussi Vinformadon
de temoins veridiques. La, comme dans les villes de France, on
voit les commencements de la poursuite d'office, c'est I'enquete ou
pesquisa dont nous parlerons bientot (5). Cependant des fails se
produisaient qui allaient donner au droit Espagnol une direction
decisive. C'est d'abord I'influence toujours grandissante de I'fi-
glise et du droit canon en Espagne , amenant ce que les auteurs
(1) Sempere, op. cit., p. 132.
(2) Sempere, op. cit., 1. II, chap, in a v.
(3) Sempere : « Aquellas cartas pueblas y al parer cartas privilegios fueron
ampliBoando cosi insensiblemente los derechos y representacion del estado ge-
neral. »
(4) Sempere, op. cit., 1. II, ch. vii, ssq. — Doa Francisco Martinez Marina;
Ensayo historico critieo sohre la legislacion y principales cuerpos legates de Leon
y CasUlla (II. IV et V). — Historia de la legislacion y recitaciones del derecho civil
de Espana, por los abogados Amalio Marichalar marquez de Montesa y Cayetano
Manrique. 1861-1876, spScialement , t. II , p. 162, ssq.
(5) Sempere, p. 161. — Alb. du Boys, Histoire du droit criminel en Espagne,
p. 54-130.
A l'btranger. 295
Espagnols appellent la nueva jurisprudencia ultramontana (1);
c'est en second lieu I'etude du droit romain renouvele , qui fut
accueillie avec enthousiasrae. « Lorsque les ecoles de droit ro-
main s'ouvrirent a Bologne et dans les autres villes d'ltalie au
milieu du xii» siecle , un grand nombre d'Espagnols accoururent
dans ces ecoles; jusqu'a I'annee 1300, ou se fonda I'Universite
de Lerida , tons les lettres d'Aragon se formerent dans ces
ecoles.... au commencement du xin'' siecle avait ete fondee I'Uni-
versite de Valencia, qui dura peu de temps; depuis fut erigee
celle de Salamanca , et les chaires les mieux dotees furent celles
de droit civil et canon. II faut noter que dans I'enseignement du
droit , alors qu'il n'y avait qu'une chaire de droit civil , il y en
avait trois de Decretales , ce qui prouve clairement quelle etait
alors la preponderance des nouvelles idees ultramontaines...
Elles grandirent si vite que bientot on oublia, on mit de c6te les
lois, fueros et coutumes nationales, pour suivre les nouvelles
maximes italiennes. Pour contenir cet abus , les cortes de Barce-
lona, en 1251, demanderent qu'on proscrivit absolument I'usage
du droit civil et du droit canon dans les tribunaux civils (2). »
C'est alors qu'Alphonse X le Sage crut necessaire de fixer
les lois dans de nouvelles codifications. D'abord parut le Fuero
real, ou Fuero de las leyes « excellent corps de lois, bref, clair,
methodique , comprenant les lois les plus importantes des fueros
municipaux , accommodes aux coutumes de Castille et au Fuero-
Juzgo, dont les decisions etaient maintes fois litteralement co-
piees (3). » Le livre IV et dernier est consacre au droit criminel
et il n'est pas surprenant d'y rencontrer, a cote de I'accusation ,
qui forme la regie , la pesquisa ou information , qui est la pour-
suite ex officio et qui prend la forme sous laquelle elle se mon-
trera partout en Europe (4).
Mais le roi meditait la promulgation d'une loi plus vaste et
plus detaillee ; ce fut le Code des sept parties , le Septenario ou
(1) Sempere, op. cit., 1. II, ch. xviii k xxn.
(2) Sempere, op. cit., p. 160-162.
(3) Marina, Ensayo, p. 277.
(4) Liv. IV, tit. XX : « Accusationes y pesquisas. » — Voy. du Boys, op. cit.,
p. 175-185.
296 LA PROCEDURE CRIMINELLE
Siete partidas (1). Cette oeuvre fut commencee en 1256, et ache-
vee en 1263 ou 1265. Une pareille codification, entreprise au
milieu des transformations que subissait alors I'Espagne , devait
etre quelque peu hS,tive. « De frequentes contradictions se ren-
contrent a chaque pas dans la melee confuse de tant de legisla-
tions , ecclesiastique , profane , feodale , forale et royale (2). »
La procedure criminelle se trquve dans les Parties III et VII.
Deja elle etait fixee dans ses traits defmitifs. La loi connait trois
modes de poursuite, I'accusation qui tient encore le premier rang,
la denonciation et la poursuite d'office; celle-ci se realise par la
pesquisa ou inquisition, qui intervient ainsi en cas de denon-
ciation (3), et il est utile de la decrire rapidement d'apres les
Siete Partidas. « Pesquisa en roman signifie la meme chose
qu'en latin inquisitio et elle touche a beaucoup de choses... Les
pesquisas peuvent se faire de trois manieres... I'une quand on
fait une pesquisa generale sur un grand territoire ou sur aucune
cite ou ville ou autre lieu , la pesquisa etant faite sur tous ceux
qui y demeurent, et sur aucuns d'eux [i).-. La seconde... quand
on la fait sur les faits d'aucuns qui sont diffames, ou autres
faits signales , qu'on ne salt qui les fit ; la troisieme maniere est
quand les parties se presentent , demandant que le roi ou celui
qui a pouvoir de juger ordonne de faire la pesquisa (5). » Mais
le droit de faire faire Vinquisitio parait avoir ete au debut, comme
(l)Voy. los Codigos Espanoles concordadosy anotados , 2= edit. Madrid, 1872-
73, torn. III.
(2) Sempere , op. cit., p. 276.
(3) Ces trois modes sont aussi ceux indiquSs dans les coutumes de Tortosa du
xiiie siecle; voy. : « Historia del Derecho en Cataluna Mallorcay Valencia, Co-
digo de las Costwmbres de Tortosa, » por el Doctor Bienvenido Olivier, torn. Ill,
p. 590, ssq.
(4) C'est Vinquisitio generalis des caaoaistes et des docteurs.
(5) Parlida III, tit. 17, ley. 1 : « Pesquisa en romance tanto qaiere dezir en
latin como inquisitio et tiene a muclias cosas... las pesquisas pueden se fazer en
tres maneras. La una quando fazen pesquisa communalmente sobre una gran
tierra, o sobre alguna cibdad, o villa o otro lugar, que sea fecha pesquisa sobre
todos los que y moraren, o sobre algunos d'ellos... La segunda. .. quando la fa-
zen sobre fechos senalados , que non saben quien los fizo. La tercera quando las
partes se avienen queriendo que el Rey o aquel quel pleyto ha de judgar mande
fazer la pesquisa. »
A l'etranger. 297
en France, un privilege de la souverainete (1). Les enqueteurs
ou pesqtiesidores doivent toujours avoir mandat du roi ou du
« Merino major, » et, pour les villes et cites, de celui qui a droit
dejugerdans ces lieux; on trouve aussi des enqu§teurs aposte
fixe : « otrosi pueden poner pesquisidores los senores de algu-
nos lugares honrrados , si han poder de fazer justicia en aquel
lugar, do quieren fazer pesquisa. Otrosi pesquesidores y a que
deven ser puestos para pesquesir (2) en las cibdades e en las
villas. Et estos deven poner aquellos que han poder de judgar
0 de fazer justicia con el consejo et con omes buonos senalados
de cada coUacion (3). »
L'inquisitio ne doit en principe etre faite d'office que pour sa-
voir la verite sur les choses douteuses et cachees , dont quelques
personnes sontsoupgonnees d'etre les auteurs et diflfamees pour
cela {i). Les enqueteurs doivent etre deux au moins avec un
greffier, « dos pesquesidores a los menos e un escrivano (5) ; »
ce doivent etre « des hommes craignant Dieu et de bonne re-
nommee; car par leur pesquisa mainte personne pent mourir
ou souffrir autre peine en son corps (6). »
La pesquisa se fait en secret; les enqueteurs font preter ser-
ment aux temoins , " puis ils prennent chacun d'eux a part et les
interrogent ; puis quand ils les ont interroges , et que ceux-ci ont
dit qu'ils n'avaient plus rien a dire, ils doivent leur defendre par
le sciiuent qu'ils ont fait de rien reveler a homme qui soit au
monde de ce qu'ils ont dit en la pesquisa (7). » Lorsque I'en-
(1) Part. VII, tit. 16, ley. 2 : « Si el Rey de su oficio mandasse fazer pesquisa. »
Cf. ibid., loi 3. — Sur le justicia d'Aragoa et son pouvoir d'enquerir. Voy. Ma-
richalar et Manrique, op. cit., tome VI, p. 332, ssq.
(2) Glose : «Istos intellige eos qui de jure communi syndic! , vel officiales ju
rati seu testes synodales dicuntur. » Ce ne seraient pas alors k proprement parler
des enqueteurs, mais des d^nonciateurs officiels.
(3) Part. Ill, tit. 17, ley. 2.
(4) Part. Ill, tit. 16, ley. 3 : « Uamanlos (los lestigos) por saber dellos la verdad
de las cosas dubdosas, que son mal fecbas abscondidamente , de que algunos
son infamados. »
(5) Pari. Ill, tit. il,ley. 4. — Glose: « Optima certe provisio si esset in usul »
(6) Ibid., ley. 4 : « Buenos omes que temon a Dios e de buena fama deven ser
los pesquesidores , puesque por su pesquisa han muchos de morir o de sofrir
otra pena en lor cuerpos. »
(7) Partida III, tit. 17, ley. 9.
298 LA PROCEDURE CRIMINELLE
quete est terminee elle doit etre remise aux juges « e si deven la
dar a aquellos que la ovieren de judgar (1). »
L'occuse est alors cite ou capture , on precede a son interf o-
gatoire ; le juge lui fait preter serment de dire la verite et fait
ecrire ses reponses par le greffier (2). La torture etait largement
employee « les sages anciens ont tenu pour bon de tourmenter
les hommes pour savoir d'eux la verite (3). » — « D'apres le
Fuero-Juzgo le juge ne devait pas proceder a la torture , si ce n'est
sur la demande de la partie ; la partida declare que c'est I'affaire
du magistrat et I'oblige meme a faire donner parfois la question
ex officio; la loi gothique restreignait cette procedure aux causes
graves et importantes, la partida ne lui assigne pas de li-
mite (i). » Cependant les partidas k I'exemple de la loi romaine
prennent soin de soustraire certaines classes de personnes a la
torture (5). La torture n' etait pas un trait particulier a la proce-
dure inquisitoire, et il semble qu'on doive en dire autant du ser-
ment exige de I'accuse (6).
Quelle liberte etait laissee a lar defense dans le proces qni
suivait I'enquSte. L'accuse devait en principe recevoir communi-
cation et copie de la pesquisa, afin d'avoir centre ceux qui y
auraient depose « toutes les defenses qu'il aurait centre d'autres
temoins (7). » Cependant le texts ajoute que si le roi ou autre
(1) Partida III. tit. 17, ley. 9.
(2) Part. VII, tit. 29 : De como deven ser recabdados los presos . « E estonce
el Rey o autel Judgador (que lo mande prender) deven le fazer jurar que diga la
verdad de aquel feoho sobre que la recabdaron , et deve lo todo fazer escreir lo
que dixere et andar adelaate en el pleyto. » — Et la glose . « Per istam legem
est quotidie in practica quod accusato vel inquisito recipitur ab eo juramentum
de veritate dicenda. »
(3) Part. VII, at. 30, de los tormentos. « Porende tenieron por bien los sabios
antiguos que fizieroa tormentar a los omes, por que pudiessen saber la verdad
ende dellos. »
(4) Marina : Ensayo, p. 390.
(5) Part. VII, tit. 30, ley. 2 ; ne peuvent 6tre tortures : « Menor de catorce
anos, cavallero, fidalgo, maestro de las leyes o de otro saber, ome quo fuesse con-
sejero senaladamente del Rey o del comun de alguna cibdad , o villa del Rey,
los fijos dessos sobre dichos , mujer que fuesse prenada. »
(6) Voyez la glose cit^e plus haut note 2.
(7) Part. Ill, tit. 17, ley. 11 : « Seyendo la pesquisa fecha en qualquier de las
maneras que suso diximos, dar deve el Rey o los judgadores traslado della a
A l'etranger. 299
pour lui qui a mande de faire I'enquete , le trouve bon , on ne
communiquera point a I'accuse les noms et les dires des temoins.
— « Pero si el Rey o otro alguno per el, que mandassa fazer
pesquisa sobre conducho tornado, estonce non deven ser mos-
trados los nomes ni los dichos de las pesquisas a aquellos con-
tra quien fuere fecha la pesquisa, e esto mismo deve ser guar-
dado quando las partes se avienen en tal manera , que se libre
el pleyto por ella, e non sean mostrados los testigos nin los
dichos d'ellos (1). » La glose indique bien d'ailleurs I'origine
de cette disposition : « Vide casum specialem , in quo non datur
inquisito copia testium et nominum eorum ; sic etiam in causa
haeresis propter timorem futuri scandali subticentur nomina tes-
tium. » D'apres les Siete partidas le ministere du defenseur,
personero , est interdit dans les proces criminels , I'accuse devra
se defendre par lui-mgme (8).
« Dans les Partidas , il n'est pas question du procureur fiscal.
Mais dans les Leyes de recopilacion , parues en 1566 sous Phi-
lippe II , il existe un titre qui porte la rubrique « de los pro-
curadores flscales (3). » On y trouve plusieurs Ordonnances de
1436, qui etablissent des procureurs pour agir devant les cours
de justice faute d'autres accusateurs, et determinent leur role.
Dans la procedure de I'lnquisition Espagnole en matiere d'he-
resie on trouve aussi des le debut, c'est-a-dire a la fin du xv*
siecle, un promdtor fiscal, dont I'influence est tres-grande. Cette
institution parait s'etre etablie en Espagne dans la premiere
aquellos a quien tanxere la pesquisa de los nombres de los testigos et de los di-
chos , por que se pueden defender a su derecho , diziendo contra las personas de
la pesquisa o en los dichos dellos, et ayan todas las defensiones que aurian contra
otros testigos. »
(1) Part. Ill, tit. 17, ley. 11 : Les derniers mots semblent faire allusion a une pra-
tique qui rappeUerait un peu V acceptation de I'enquete du vieux droit franjais ; sur
ce point voici ce qu'observe la glose : « Videbatur contrarium dicendum in causa
criminali, ubi non potest renuntiari deFensio. »
(2) Part. Ill, tit. 5, ley. 12 : « En pleyto sobre que puede venir sentencia de
muerte o de perdimiento de miembro o de desterramiento de tierra para siempre...
non deve ser dado personero , ante diximos que todo homo est tenudo de de-
mander o defender se en tal pleyto come esta por si mismo e non por perso-
nero. » Cf. Marina, Ensayo, p. 367.
(3) Liv. U, tit. 13.
300 LA PROCEDURE CRIMINELLE
moitie du xv° siecle , et avoir ete transportee dans I'lnquisition
contre les heretiques , qui prit aussi le caractere d'une institution
d'Etat (1). Dans tons les cas, il y a d'abord une instruction pre-
paratoire ; le Fiscal ne peut pas accuser avant que I'existence du
fait et les indices aient ete reveles par une denonciation ou par
■ la notoriete publique. Alors le Ubellus criminalis est communique
a raccusateur prive ou au Fiscal ; puis la procedure suit son
cours dans la forme accusatoire (2). »
Les Siete Partidas devinrent , apres quelques contestations il
est vrai, la loi generale de I'Espagne. En matiere criminelle, leS
lois qui vinrent ensuite , la Nueva recopilacion , et la Novissima
recopilacion, ne flrent que reprendre avec plus de details les
principes qu'elles avaient poses (3). Le systeme de procedure
criminelle , sans atteindre jamais la precision qu'il avait en
France, presente les caracteres esseijtiels qui le font aisement
reconnaitre : c'est la procedure secrete et ecrite , la defense en-
travee et la torture (4).
in.
L'Allemagne conserva longtemps dans son organisation judi-
ciaire et dans sa procedure les vieux usages germaniques. Pour
les hommes de condition entierement libre , on trouve encore aux
(1) Nous laissons completement de c6t6 Vlnquisition d'Espagne proprement dite.
(2) Biener : Beitrage, p. 208, 209.
(3) Marina : Ensayo, p. 434, ssq. Sempere, op. cit., p. 457, ssq. — Voy. No-
vissima recopilacion. Lib. XII, tit. 32 : « De las causas criminales, y de modo
de proceder en ellas y en el examen de testigos. » (Los Codigos Espanoles,
torn. X.) — La Nueva recopilacion de las leyes, date du rfegne de Philippe II, la
premiere Edition parut en 1569 aAlcala de H^nares. Voy. Marichalar et Manri-
que, op. cit., tome IX, p. 2S1, ssq. — La Novissima recopilacion date du r6gne de
Charles IV; elle est de 1806. Voy. Marichalar et Manrique, IX, p. 533, ssq.
(4) Ces rigueurs furent acceptfies comme en France. Cependant il faut enregis-
trer une protestation des Cortes de 1592 contre I'excfes des tourments infligfe
aux accuses. Voyez Marichalar et Manrique, op. cit., IX, p. 318 : « Clamaron
(las cortes)... contra el rigor de los jueces en aplicar el tormento a los processa-
dos, usando de medios crueles e unusitados hasta el punto de que los reos,
desperados de sutrir los se hayan levantando testimonios a si mismos y culpado
a otros falsamente. u
A L ETRANGER. 301
XIII' et xiv° siecles la juridiction de I'ancien mallus legitimus
sous le nom de Landgerichte ; les causes criminelles , ou ne figu-
raient que des personnes de condition quasi -servile, elaient
jugees par la Dizaine ou Zent. Naturellement devant ces tribu-
naux les vieilles formes de la procedure germanique s'etaient
maintenues. En principe, 11 n'y a pas de poursuite d'office; il
faut , pour qu'un proces criminel ait lieu , qu'il se presente un
accusateur : « War kein Klager ist , darin soil och Kein Richter
sein; » la ou il n'y a pas d'accusateur 11 n'y a pas de juge (1).
Et Taccusation n'appartient qu'aux « parentes et consanguinei ,
swertmach. » Le debat etait oral et public ; les preuves etaient le
serment avec cojurantes , les ordalies unilaterales et avant tout le
duel judiciaire. L'accusateur et I'accuse devaient tous les deux
tenir la prison , comme dans notre vieille accusation par partie
formee (2). Mais la comme dans nos coutumiers du Moyen-Age,
le flagrant delit jouait un role tres-important ; il permettait de se
passer d'accusateur, et les ordalies pas plus que le serment purga-
toire n'etaient alors admises. Nous retrouvons la clameur de haro
sous le nom de Geriichte ou Gerilfte. D'apres certains usages une
sorte d'accusation publique etait aussi connue, c'etait ce qu'on
appelait les Rugegerichte. Dans les assemblees judiciaires a cer-
tains jours le maire, Bauermeister, ou les simples paysans etaient
tenus de denoncer ceux qu'ils savaient coupables de crimes
graves , et cela suffisait pour que I'individu denonce fut oblige de
se disculper (3). Cette coutume remontait sans aucun doute aux
institutions ecclesiastiques et laiques de I'epoque Carolingienne
que nous avons decrites plus haut (4).
Parfois le juge se portait lui-meme accusateur ; « lorsqu'il avait
(1) Haltaus : Glossarium Germanicum medii CBvi. V" AnUage.
(2) Sur tous ces points : Voyez ZoepQ : Deutsche Rechisgeschichtg, tome III,
§ 131. — Biener : Beitrage, p. 134, ssq. — Sachsenspiegel, I, 63, § 2 ; III, 28; —
Schwabenspiegel , ch. 78, 79, 234.
(3) ZoBpfl, op. cit., torn. Ill, p. 432. — Biener, op. cit., p. 135.
(4) Haltaus. Yo Riigen « specialissime publicare, indicare, denuntiare magis-
tratui aliquid, deferre delictum vel excessum denuntiatione certa, fldeli, et ju-
rats quae pro fundamento sit inquisitioni et convictioni , ad eum finem ut magis-
tratus mulctet aut puniat. In instrumento notarii anno 1457 : Yillani de Synodo
sancte tanquam obedientes filii representare , ibidemque excessus commissos
contra ritum statutorum sanctse matris Ecclesiae publicare. »
302 LA PROCEDURE CRIMINELLE
par sa propre connaiskance la conviction qu'une personne etait
coupable, faute d'autre moyen de preuve/il devait affirmerpar
serment la culpabilite, soutenu par des cojurantes (1). » A cela
se rapporte I'institution curieuse du Besiebnen. Void ce qu'en dit
Haltaus : « Deinde moribus datum erat libertati gentis nostrsB
ut maleficus in facto non deprehensus, semper, sive adesset
accusator sive minus, per septem testes paris conditionis et status
esset convincendus , durch das Besiebnen. Cum vero aegre tantus
inveniretur testium numerus et magna esset pejerandi licentia,
seepe etiam maleficia transmitterentur impunita ; his quoque in-
commodis, his malis quaerendum erat remedium. Itaque non
paucae civitates saeculo xiv et sequenti impetrarunt per privOe-
gium ut quemcumque major pars magistratus sub jurisjurandi
sui obtestatione maleflcilm ex publica infamia afflrmasset, is con-
demnaretur pro maleficio (2). » Dans cette transformation on
pent voir les premieres traces de Vinquisitio, qui se cache sous
les vieilles formes et les vieux noms. Ce deguisement des insti-
tutions etrangeres se produira plus d'une fois en Allemagne.
Bient6t I'institution se precise; les juges de diverses cites
obtiennent le droit de poursuivre et de juger sur la mauvaise
renommee « auf bosen Leumund. » Des 1258, nous trouvons par
exemple que I'archeveque de Cologne peut « contra publice infa-
matos inquirers et judicare etiam nullo conquerente (3). » C'est
bien Vinquisitio du droit canon qui s'introduit.
Au xv° siecle , un travail profond s'opere qui modifie partout
le vieil etat de choses. Les anciennes juridictions, les Schoffenge-
richte, les Landgerichte cessent d'etre des assemblees judiciaires.
La population du reste , fatiguee du service de plaid , accepte avec
joie le soulagement qu'on lui offre. Le soin de rendre la justice
(1) Zoepfl, op. et loc. cit., p. 437.
(2) V" Faem; voyez a la suite les chartes que cite Haltaus; il ajoute « habes
lector, si non origines , at memoriam et veram indolem processus inquisitorii in
Germania, jam inde a medio saeculi xiii,.quem ex inquisitorio et accusatorio mix-
tum appellaveris. «
(3) Haltaus. V» Faem. — Biener, op. cit., p. 138, ssq. — Parfois encore le juge
itablit un accusateur d'office , (c'est ce qu'on nomme Klagen von Amtswegen,) sur-
tout lorsqu'il s'agit de gens pauvres , victimes d'un crime. Voy. Haltaus. V" Elm-
dig : Biener, op. cit., p. 140, ssq.
A l'etkanger. 303
tend i passer aux mains des juristes et des hommes instruits.
Dans les justices seigneuriales infeodees , les juges sont des fonc-
tionnaires nommes par les seigneurs; a c6te d'eux siegent les
jugeurs, les echevins, semblables au conseil de praticiens que
que nous avons trouve chez nous autour du juge; La Caroline
les mentionne encore au xvi° siecle (1). La procedure, issue du
droit romain et canonique , telle que I'avaient fixee les docteurs
d'ltalie , fait de rapides progres. Au commencement du xv" siecle
le Klagspiegel , dent le succes fut si grand, a c6te de la proce-
dure accusatoire decrit soigneusement la procedure inquisitoire.
Lorsque le juge aura constate la diffamation « Leumund, Ges-
chrei, » il pourra faire le proces d'office, pourvu qu'il s'agisse
d'un crime grave. L'emploi de la torture est admis , lorsqu'il y a
des indices {Warzeichen) sufflsants (2). «'Le motif de l'emploi de
la torture, a I'exemple des Italiens, fut que d'un c6te on ne
croyait plus aux ordalies et aux cojur antes, et que d'autre part
on ne voulait pas prononcer une condamnation sur des indices
seulement, quelle que fut leur force (3). » « A la fin du xv®
siecle , ces principes empruntes a la doctrine Italienne ont triom-
phe en Allemagne , et sont confirmes dans plusieurs lois particu-
lieres, telles que la Wormser Reformation de 1498, et la Tiroler
Malefizordnung de 1499 (4). »
Mais ces transformations ne s'accomplirent point sans donner
lieu a de graves abus. Gette procedure, nous I'avons vu, avec sa
theorie compliquee des preuves , etait un outil delicat et difficile
a manier. Or, les jugeurs et les echevins allemands , avaient sou-
vent pour toute culture les lecons de la pratique locale. lis ne
pouvaient aller puiser les connaissances necessaires dans les
livres savants qui les contenaient. Incapables le plus souvent de
combiner et d'apprecier la valeur des indices, ils se trouvaient
fort perplexes. Graignant de n'avoir pas reuni un corps de preu-
ves assez complet, ils employaient la question pour arracher un
(1) Ch. I : « Voa Richtern, urtheilern und gerichtspersonen. » Voy. Stintzing :
Geschichte der deutschen Rechtswissenschaft, p. 61, ssq.
(2) Stintzing, op. cit., p. 43, ssq.; 609.
(3) Zoepfl, op. et loc. cit.
(4) Stintzing, op. cit., p. 610.
304 LA PROCEDURE CRIMINELLE
aveu, quels que fussent d'ailleurs les indices deja obtenus. A la
fin du xv« siecle des plaintes generales s'elevent contre la justice
sanglante et arbitraire, qui s'administre en Allemagne (1). En
1498, d'apres une decision de\&Reichs-Kammergericht,l'emfe.
reur impose d 'office un docteur en droit comme president si ■
chaque justice seigneuriale. Mais le meilleur remede a ces desor-
dres devait etre une loi ecrite , simple , claire et assez detaillee
pour servir de guide fidele aux magistrats. Aussi voyons-nouS
se produiredans ce sens un mouvement legislatif important, qui
eut pour principal organe un homme eminent , Johann Freiherr
zu Schwarzenberg und Hohenlandsberg (2).
Ce n'etait point un savant , mais un homme d'Etat et un puis-
sant vulgarisateur. Apres une jeunesse agitee , nous le trouvons
au service de I'evSque de Bamberg, dont il devint le premier
fonctionnaire , le Hofmeister. La il participa a Tadministration de
la justice, et concut I'idee d'une reforme de la procedure pe-
nale. Cette idee aboutit a la redaction d'une Ordonnance, la
Bambergische Halsgerichtsordnung , que I'eveque Georges publia
en 1507 avec force de loi. Schwarzenberg mena a bonne fin son
oeuvre, en s'entourant de coUaborateurs savants et devoues. C'est
ainsi qu'il faisait traduire Giceron et le publiait , sans savoir lui-
meme le latin (3). L'Ordonnance parut sous la forme d'unlivre
de pratique, avec des figures [Figuren und Reime).
Schwarzenberg , passant dans la suite au service des mar-
graves Gasimir et Georges de Brandebourg , une adaptation nou-
velle fut faite de I'Ordonnance de Bamberg, sous le nom de
(1) SUntzing, op. cit., p. 610, ssq. Voy. speoialement , p. 611 : « Es warder
Ausdruck des AUgemeinea Nothstaades , als des Kammergericht dem Reichstage
zu Lindau 1496 sine Vorstellung iibergab , in der es hiess dass ihm taglich die
Klagen gegen Fttrsten , Reiohstadte uad andere Obrigkelten vorgebracht wiir-
den, das sie Leute unverschuldet ohne Recht und redliche Drsache zum Tode
verurtheilen und richten liessen. »
(2) La vie de Schwarzenberg, ainsi que la legislation qui 6mane de lui ou qu'il
inspira, a 616 r^cemment I'objet d' etudes int^ressantes. Weissel : Hams Fr.
V. Schwarzenberg, 1878. — Giiterbock : die Entsfehungsgeschichte der Karolina,
1876. — Brunnenmeister : die Quellen der Bambergensis, 1879. — Stintzing : Ges-
chicMe der deutschen Rechtswissenschaft (ch. 14), 1880. M. Stintzing a rtsumi et
complete les recherches de ses prfed^cesseurs.
(3) Stintzing, op. cit., p. 613, 617, ssq.
A l'etranger. 305
Brandenburger Halsgerichtsordnung. » Mais une oeuvre plus large
devait etre entreprise ; il s'agissait de donner un Code criminal
a I'Empire.
Aux dietes de Fribourg (1497-1498) et d'Augsbourg (1500), la
proposition avait ete faite et acceptee de rediger une Ordonnance
criminelle unique pour tout I'Empire ; on en avait confle le soin
au gouvernement de I'Empire, assiste dela. Reichs-Kammergericht.
Mais cependant la chose tratna en longueur ; et ce fut seulement
a la diete que Charles-Quint ouvrit a Worms en Janvier 1521,
qu'un pas decisif fut fait en avant. Une commission fut nommee
pour rediger I'Ordonnance , et un premier projet presente par
elle au mois d'avril. Las commissaires , chose assez naturalle ,
avaiant pris pour base de leur travail la Bambergemis deja cele-
bre (1). La diete de 1521 delegua au gouvernement de I'Empire
le soin de soumettre a une revision le projet redige (2). Cepen-
dant I'entreprise sommailla encore pendant un certain temps. En
1524 un nouveau projet fut presente a la diete de Nuremberg,
mais ne fut pas discute; un troisieme fut soumis en 1529 a la
diete de Spire, et enfm debattu a celle d'Augsbourg en 1530. II
ne fut point cependant definitivement adopte , devant I'opposition
de certains Etats, qui refusaient de renoncer a leurs coutumes
particulieres. Enfin, en 1532, a la diete de Regensbourg, le vote
deflnitif fut obtenu , grkce a I'insertion d'une clause , dite salvato-
rische Clausel, qui garantissait a chaque Etat le maintien de ses
bonnes et antiques coutumes (3). Le 22 juin 1532 les fitats an-
noncerent a I'empereur I'achevement de I'oeuvre. II y avait 35 ans
que le travail etait entrepris (4).
(1) Stintzing, op. cit., p. 621, 623.
(2) Sohwarzenberg appartint au gouvernement de I'Empire de 1521 a 1S24
(Stintzing, op. cit, p. 623).
(3) Voici cette clause : «Doch woUen wir durcli diess gnadige Erinnerung Kur-
fursten, Fiirsten und Standen an ihren alten woUhergebrachten rechtmassigen
vmd billigen Gebrauchen nichts benommen haben. » — « Malgr6 cela , dit
M. Stintzing (p. 627) , la Caroline fut promulgude comme veritable loi de I'Em-
pire , dont la force obligatoire £tait ind^pendante de la volenti des £tats ; mais la
salvatorische Clausel lui donna la place d'un droit subsidiaire ; il la fait marcher
derridre les legislations particularistes , alors que I'intention, lorsque I'oeuvre
avait ete entreprise, avait ete d'etablir un rapport absolument inverse. »
(4) Stintzing, op. cit., p. 621, 625.
20
306 LA PROCEDURE CRIMINELLE
L'Ordonnance fut promulguee comme loi de I'Empire le 27
juia 1332 par Charles-Quint, sous le titre de « Keyser Karls des
fimften und des heyligen romischen Reichs peinlich Gerichtsor&\
nung. » Bientot on I'appela surtout la « Constitutio crimimlis
Carolina, » ou simplement la « Caroline (1).
Toutes ces lois ne sont point des codes savants, elles ont
pour but de fournir un guide commode aux praticiens peu ins-
truits. Elles melangent le droit penal et la procedure crinii-
nelle , et la plus grande partie de leurs dispositions est consacree
a exposer la theorie des preuves et des indices , ce mecanisme
si complique surtout pour des esprits peu cultives (2). Le
droit qu'elles formulent est du reste celui qu'avait cree I'action
combinee du droit canon et du droit romain ; chose fort remar-
quable, elles contiennent sur bien des points les formes ex-
terieures suivies d'apres le vieil usage germanique; mais ces
formes ne sont plus en quelque sorte qu'un decor, et le drame
veritable se passe dans la coulisse.
La Caroline , que nous prenons comme type de ces lois con-
generes, expose encore longuement les regies de la proce-
dure accusatoire (3) ; on y trouve I'emprisonnement de I'acou-
sateur et de I'accuse selon les vieux principes, les cautions,
les promesses de preuve de la part de I'accusateur. An con-
traire la poursuite d'office n'occupe que peu d'articles; mais
.dans ces textes qui s'adressent aux praticiens, c'est elle qu'on
place la premiere dans I'ordre des articles (4). Elle parait bien
d'ailleurs avec ses caracteres traditionnels ; c'est le cas oil « je-
mandt eyner ubelthat durch gemeinen leumut beriichtiget oder
andere glaubwirdige anzeygung verdacht und argkwonig, und
(1) Souvent dans les citations on I'indique ainsi : C. C. C. La Bambergensis , la
Brandehurgensis , la Caroline avec ses divers projets pr^paratoiresj, se trouvent
r^unies dans I'Edition suivante : Die peinliche Gerichtsordnung Kaiser Karl's\F,
nebst der-Bamberger und-Brandenb%rger Halsgerichtsordnung, Iierausgegeben von
Heinrich Zuepfl , zweite Auflage, 1876.
(2) M. Stintzing dit de la Caroline : « C'est a la fois un Code et un manuel, a
peu pr§s comme les Institutes de Justinien. » Op. cit, p. 629.
(3) Carol., art. 11, ssq.; Bamb., art. 17, ssq.
(4) Carol,, art. 6-10 : « Annemen der angegeben ubelthetter von der oberkeyt
und ampts wegen. »— Bamb., art. 10-16.
, A l'etranger. 307
derhalb durch die oberkeyt von ampts halben angenommen
wurde (1). »
Qu'il s'agisse d'accusation ou d'inquisition les temoins sont
entendus par des commissaires dans la forme bien connue de
I'enquete, at les temoignages recus par ecrit (2). La preuve
complete ne pent resulter que de I'aveu ou de la deposition
« de deux ou trois temoins bons et croyables (3). » Si Ton n'a
point cette preuve il faut recourir a la torture , et Ton s'est etudie
k exposer dans le detail quels indices suffisent pour faire donner
la question (4). II semble d'ailleurs qu'on ne puisse se passer
de I'aveu obtenu par la torture. Ainsi Ton emploiera les tourments
alors memo qu'il s'agit d'un fait manifeste, d'un voleur pris
en flagrant delit saisi encore de I'objet vole , et cela « afin que
pour de tels, faits publics et indeniables le jugement final et
la peine puissent etre poursuivis avec le moins de frais pos-
sibles (5). » D'apres la Bambergensis , art. 80, alors meme qu'il
y avait preuve suffisante, on n'en devait pas moins torturer
le coupable pour lui arracher un aveu (6) ; mais la Caroline
ne contient plus cette disposition monstrueuse (art. 69).
La Caroline pour le dernier acte du drame judiciaire , le terme
final « entlich rechttag , » a conserve les formes et I'appareil
traditionnels (7). « Au jour fixe , dit le vieux texte , lorsque vient
I'heure du jour accoutumee, on pent annoncer I'audience crimi-
nelle, comme de coutume, a son de cloches, et le juge et les
(1) Carol., art. 6.
(2) Carol., art. 6.
(3) Carol., art. 70 a 87; Bamberg., art. 81-90; Carol., art. 65-68; Bamberg.,
art. 77-79.
(4) Carol, art. 19-45; Bamb., art. 27-55.
(5) Carol., 16 : « So soil jn der rlchter mit peinlicher ernstUcher frage zu be-
kantnuss der warheyt halten , damit inn solchen unzweiffenlichen misthatten , die
entlich urtheyl und straff mit dem wenigsten kosten, als gesein kan, gefurdet
und volntzogen werde. »
(6) « Item so der beclagt nach gnugsam beweysong noch nicht bekennen wolte
sol der alssdann vor der verurtheilung mit peynliclien frage weiter angezogen
werden , mit anzeygung das er der missetat uberwisen sey, ob man dadurch sein
bekentnuss dester ee auch erlangen mocht , ob er aber nicht bekennen wolt , des er
doch (als ob stet) gnngsam bewisen were , so solt er nichts dester weniger der
beweysten missetat nach verurteylt werden. »
(7) Carol., art. 78, ssq.; Bamb., art. 91, ssq.
308 LA. PROCEDURE CRIMINELLE
jugeurs doivent se rendre au lieu de justice , oii doit sieger la
justice d'apres la bonne coutume , et le juge doit dire aux ju-
geurs de s'asseoir, et lui-meme doit s'asseoir ayant dans sa
main son baton ou son epee nue , selon I'usage ancien de cha-
que lieu , et rester gravement assis , jusqu'a ce que tout soil
fini (1). » La le juge et les jugeurs constatent, en prononcantde
vieilles formulas que tout est dans I'ordre (2). L'accuse est
amene, et I'accusateur present, s'il y en a un; on donne aux
parties des avant-parliers (3) , Fiirsprecher. II y en a toujours un
pour la demande et un pour la defense; alors mema que la
poursuite a lieu d'office un avant-parlier vient prononcer la
formule de la demande au nom du souverain {i). Celui de l'ac-
cuse prononce un petit discours pour demander I'acquitte-
ment (S). Cela ressemble bien a un vrai debat oral. Mais cela
n'est que pour la forme; les juges ont arrete leur sentence avant
le jour de I'audience , et le jugement est ecrit. « Avant le terme
final , le juge et les jugeurs doivent se faire lire tout ce qui a
ete ecrit (c'est-a-dire le proces)... et qui a ete apporte devant
eux. Puis le juge et les jugeurs conferent entre eux et decident
quelle sentence ils veulent rendre ; s'ils sont perplexes , ils doi-
vent chercher conseil pres des jurisconsultes , comme cela est
determine par cette ordonnance, et ils doivent faire mettre par
ecrit la sentence arretee... afin qu'elle soit ouverte au terms
final (6). » En effet, au moment voulu, le juge ouvre le pli qui
contient le jugement et en donne lecture ii haute voix (7).
Toute cette procedure etait fort dure; cependant on trouve
des traces d'un esprit moins implacable dans ces lois. On y
trouve cette maxime « qu'il vaut mieux acquitter un coupable
que de condamner a mort un innocent (8). » On y a un certaia
(1) Carol., art. 82 ; Bamb., art. 95.
(2) Carol., 84-85 ; Bamb., 97.
(3) Carol., art. 88 , ssq.; Bamb., 101 , ssq.
(4) Carol, art. 89 : « Bitt des fursprechen der von ampts megen oder sunst
klagt. » — Bamb., art. 103.
(5) Carol., art. 90 ; Bamb., 105.
(6) Carol, art. 81; Bamft., 94.
(7) Car., art. 94; Bamb., 110.
(8) Bamberg., art. 13 : « 1st besser den schuldigen ledig zulassen dass den uns-
chuldigen zum tode zuuerdampnen. »
A l'etranger. ' 309
souci de la defense. Avant I'application a la torture, le juge
doit avoir soin de demander a I'accuse s'il ne peut point avan-
cer quelque fait justificatif,-un alibi par exemple, qui demontre
qu'il est innocent ; et Ton observe que cet avertissement est ne-
cessaire « parce que beaucoup, par simplicite ou par terreur,
bien qu'ils soient innocents, ne savent point proposer les moyens
de se justifier (1). »
Ce n'etait point surlout la loi , mais la science qui devait re-
gulariser la procedure criminelle de TAlleniagne. Cependant
d'abord le mouvement scientifique fut peu satisfaisant ; les au-
teurs puisaient toutes leurs connaissances dans les docteurs Ita-
liens, dont ils presentaient de piles copies. lis faisaient peu de
cas de la Caroline, et la jurisprudence devait etre alors quelque
chose de confus et d'incertain (2). En 1620 le Landrecht prussien
emprunte sa procedure criminelle a I'ouvrage du Flamand Dam-
houder, dont nous parlerons bientot (3). Mais en 1635 parut I'ou-
vrage d'un grand jurisconsulte , dont la portee fut immense ; c'est
la Practica nova imperialis Saxonica rerum criminalium de Carp-
zov. L'auteur a utilise le droit remain, canonique, saxon, la
Caroline; il est arrive a construire un systeme complet et lo-
gique.
Pour Carpzov, la procedure accusatoire est encore la procedure
ordinaire (4). Mais il fait la plus large place a la procedure in-
quisitoire « nullo accusatore existente. » II est vrai qu'il se de-
mande longuement si cette forme peut se defendre en droit
« num processus inquisitorius jure defendi queat (5) ; » mais ce
n'est la qu'une these d'ecole, et non une difficulte serieuse. II
veut seulement demontrer que la procedure inquisitoire se fonde
sur.des textes du droit remain; il finit par reconnaitre que de
son temps c'est le « remedium ordinarium. » Cependant il ne
(1) Carol., art. 47 : « Und solcher erinnerung ist darumb not, das mancher auss
eynfalt oder sohrecken, nit furschlagen weist, ob er gleich unschuldig ist, wie er
sich des entscliuldigen und aussfiiren soil. »
(2) Biener : BeitrSge, p. 160-161; cf. Stintzing, op. cU., p'. 630, ssq.
(3) Biener, op. cil., p. 164-165.
(4) QutBstio 103, no 17.
(5) Qumslio 103, n»» 23-50.
310 LA PROCEDURE CRIMINELLE
I'admet que pour les crimes graves. 11 reconnait enfin un cumul
et un melange possible des deux formes (1).
II divise I'inquisitio en deux parties. L'inquisitio generalis , qui
n'est autre chose que notre information : « Tantummodo praepa-
ratoria ad inveniendum delictum et ■ investigandum delinquen-
tem ; » puis la specialis qui « solennis et ordinaria est ad puden-
dum et condemnandum (2). » Les regies sur la reception des
temoignages dans I'information etaient a peu pres les memes que
dans les autres pays. L'inquisitio specialis debutait par la com-
parution de I'accuse qu'on interrogeait sur les « articuli inquisi- '
tionales, » arretes a I'avance, piece essentielle de la procedure.
Puis venait la production des preuves ; cependant on doutait que
les tSmoins dussent toujours etre confrontes avec I'accuse (3). La
theorie des preuves , la torture intervenaient dans les conditions
deja connues.
Mais la defense etait admise par Carpzov avec une largeur in-
connue en France. « Cum in processu inquisitorio nee interroga-
toria inquisiti nee reprobatio admittatur, utique omnis facultas
probandi reo adempta sit , remedium defensionis legitime dedu-
cendae ac probanda ipsi concedendum erit. Idque tanto minus
inquisitio est denegandum quanto certius est defensionem esse
juris naturalis , adeo ut ne bestiis quidem , nedum homini imo
diabolo auferri debeat (4). » — « II faut, dit-il encore, tenir pour
sur et indubitable qu'il a le droit (de se defendre) pendant tout le
cours du proces inquisitoire..., soit qu'il offre de prouver son
innocence avant la preuve du delit et la deposition des temoins,
soit qu'il I'offre plus tard et meme apres la torture , il doit etre
ecoute (5). » Bien que dans les numeros suivants il apporte
qaelques restrictions a ce principe si large , nous voila bien loin
des « faits justificatifs » de I'Ordonnance de 1670.
Quant aux moyens de presenter la defense , la doctrine de
Carpzovius est tres-large egalement : « Moribus fori saxonici
(1) Qucestio 107, n» 37.
(2) Qu(Bstio 107, no 14.
(3) Qucestio 114, nos 75-76.
(4) Qucestio lib, n" 1.
((5) Qucestio 115, no' 21-23.
A l'etranger. 311
hactenus triplex modus procedendi obtinuit. Aut enim 1° inqui-
situs causas et argumenta innocentise judici significat, eaque
simul articulis inquisitionalibus includit , ac testes super iis exa-
minari rogat; 2° aut peculiares articulos defensionales , quibus
argumenta innocentiee continentur, judici exhibet, testes que
producit ac eos desuper examinari facit; 3° vel etiam absque
productione testium argumenta defensionis suae , quse vel in jure
forsan consistunt , vel jam in inquisitione probata fuerunt , pro
informatione judicis in scriptis disputat , deductionem innocentia
conficit, vulgo ein Defension-Schrift , eamque judici exhibet (1). »
Carpzov n'hesite pas a admettre que I'accuse peut etre assists
d'unavocat, et il repousse tres-bien I'objection qii'on tirait du
droit remain , lequel declare qu'on ne peut pas faire representer
dans un proces criminel (2). Ce n'est pas cependant qu'il aime
beaucoup les avocats et qu'il les admette tous indistinctement :
« Non tamen indifferenter admittendi sunt advocati , sed tantum-
modo honesti, probi et docti viri, non litium criminalium confu-
sores, nee tabulae loquentes non eloquentes... quales advocati
ipsius diaboli sunt mancipia quae lites alunt ut sua farciant mar-
supia, et litigaturientes denudent... idque ut assequantur ma-
jusque pretium lucrentur in deductione innocentiae farraginem
allegatorum hinc inde coUigunt et scripta sua in infinitum fere
extendunt , quod saepissime baud absque taedio et insigni molestia
acta inquisitionalia legens expertus sum (3). » Mais ce qui
I'exaspere le plus c'est I'outrecuidance des avocats, qui osent
faire la logon au juge. « Audent scilicet informare judicem alle-
gationibus suis et demonstrare ex Corpore juris, Glossa aut,
interpretibus quid delite criminali judicandum, id quod venditant
pro magisterio , es sey ein Meister-Stuck, quod tamen aeque ridi-
culum et inconveniens est ac si aegrotus medico curam praescri-
(1) Qumtio 115, no 69.
(2) Ibid., n»9 88-90 : « Quseritur num ex parte inquisiti ad deduoendam et proban-
dam ejusdem innocentiam advooatus intervenire queat? Quod adfirmare non
dubito , et si enim procurator inquisiti non admittitur, ut qui nee domious litis
est nee in eum sententia capitalis ferri potest, aliter tamen res se habet in advo-
cato qui litis dominus non fit sed reum in judicio praesentem defendit et consilio
sue juvat. »
(3) Ibid., n»8 93-95.
312 LA PROCEDURE CRIMINELLE
here vellet (1). » Mais il est plein de respect pour les bons avo-
cats : « Abstineant ergo probi advocati (quorum officium hones-
tissimum et humane generi non minus proficuum est quami
militia) a tali stultitia et malitia (2). »
Pour que la defense puisse 6tre utile, il faut que I'accus^ con-
naisse les charges. Carpzov reconnait que selon le droit commun
on lui en donne copie, mais d'apres les usages de Saxe on se
contente de communiquer les acta a I'avocat. « Denique quse-
ritur : an inquisito innocentiam, ac defensionem suam probanti
ac deducenti danda sit copia indiciorum aliorum que actorum
inquisitionialium? quod de jure communi difficultatem et du-
bium non habet secundum Julium Clarum, I. V. Sentent. § ulUm.
qusest. i^, n° 2... et quod danda sit reo copia indiciorum dicit
esse communem opinionem Ripa... sed in foro Electoratus Saxo-
niae paulo aliter res se habet : facultas enim indicia , testium atte-
stata alia que acta inquisitionalia in judicio inspiciendi inquisito
ejusque advocato conceditur, ita ut liberum sit ipsis indicia alia
que quae sibi proflcua fore putant, ex actis inquisitionalibus de-
cerpere et consignare. . . Copia vero actorum dari non solet (3). »
L'Allemagne ne connaissait point I'institution du ministere pu-
blic : sans doute, dans certaines contrees, on trouve des fis-
caux, mais lis ne sent que les organes de la procedure accusa-
toire qui « suit la meme marche qu'on se trouve en face d'un
accusateur prive ou d'un fiscal. Dans la Landesordnung de Ba-
viere de 1553 I'institution d'un accusateur public pour les crimes
est decretee. Une Ordonnance criminelle pour Treves de I'an
1726 regie avec beaucoup de precision I'accusation d'office par
un procureur fiscal (4). » Mais il n'y eut jamais la une institution
nationale.
Dans les Pays-Bas le mSme mouvement s'etait produit que
dans les contrees deja visitees par nous. Dans ce pays d'echevi-
nages I'administration de la justice criminelle resta aux mains des
officiers municipaux, mais la aussi s'introduisirent la procedure
(1) QucesUo 115, n» 96.
(2) Ibid., n" 97.
(3) Ibid., n<" 99, 101, 102.
(4) Biener : Beilrage, p. 142-4.
A l'etranger. 313
inquisitoire , secrete et ecrite , la theorie des preuves legales et
la torture. Au xvi° siecle , la transformation est complete. Sans
doute, les Ordonnances des 5 et 9 juillet 1570, imposees par
le due d'Albe , parurent iniques et « causerent presque a elles
seules une revolution (1). a Mais cependant elles correspon-
daient assez bien a la pratique generalement admise , et si elles
furent suspendues par la pacification de Gand (art. 5), de fait,
on continua a observer un certain nombre de leurs disposi-
tions (2). Du reste, I'un de leurs redacteurs, le Brugeois Jo-
doce Damhouder avait publie une Praxis rerum criminalium ,
que I'edition donnee en 1601, apres la mort de I'auteur, qualifie
« opus absolutissimum, » et que nous pouvons considerer comme
le fidele miroir de la pratique flamande.
Damhouder met encore au premier rang I'accusation (3) , mais
11 fait une large place a Vinquisitio « quam vulgo informationem
praecedentem appellamus. » II I'admet dans tons les cas graves :
« ad hoc requiritur ut crimen sit magnum , inquisitione dignum ;
non enim inquirendum est nisi de majoribus criminibus, puta
Isesae majestatis , homicidii, sodomiae, simonise, adulterii, per-
jurii, incestus, raptHs, furti et hujusmodi (4). » Sous le nom
dHnquisitio il ne comprend du reste que V information , laquelle
devait avoir lieu d'office , ou a la suite d'une denonciation , ou a
I'instigation du fisc. Puis viennent les autres parties du proces ,
sauf le recolement et la confrontation qui manquent (5), c'est-a-
dire I'interrogatoire , la visite du proces et le jugement. La
theorie des preuves legales et la question jouaient leur r61e
accoutume. Damhouder est memo un des auteurs qui ont fourni
les plus amples details sur la torture , cependant il a formule ,
quant a son emploi comme moyen de preuve , une maxime dont
(1) Voy. AUard : Bisloyre de la procedure criminelle au xvi' slide, § 236.
(2) Ibid., p. 425.
(3) Ch»p. V, edit. 1601.
(4) Chap. VIII, no 6.
(5) Chap, vui, no 19 : «In inquisitionibus per judicem aut flscum aut quempiam
ex ipsorum mandato peragendis, nee ante nee post litiscontestationem vocanda
fuerit pars ad videndam informationis deductionem vel ad audienda testium jura-
menta. »
314 LA PROCEDURE CRIMINELLE
il faut lui tenir compte : « Nunquam maleficus traditur quaes-
tioni cum pars formalis et adversa offert criminis manifestam
probationem aut quum res percipi potest per probationem ordina-
riam (1). » D'autre part il admet certains droits de la defense
meconnus en France. C'est d'abord I'assistance des conseils.
« In quovis crimine tarn capitali quam alio concessum est reo per
se et item per causidicos , advocatos et procuratores in judicio
respondere et proponere quaslibet suas exceptiones dilatorias,
declinatorias , et peremptorias , sive rectius elusorias , perinde
atque in civilibus negotiis : verum in principali rerum cardine
plane oportet reum ipsum respondere, proprio ore fateri aut
diffiteri (2). » Quant a la copie des pieces , Damhouder admet en
principe qu'il faut la donner a I'accuse , surtout quand il s'agit
d'une poursuite intentee sur la plainte d'un particulier : « judex
et fiscus obligantur dare parti inquisitionis copiam priusquam
partem ream cogere possint ad respondendum, potissimum si
fuisset facta inquisitio ex auctoritate voto et mandato ad instan-
tiam partis , teste Angelo summi judicii viro (3). » Mais lorsque
la poursuite a ete intentee d'office par le juge il etablit que les
usages sont plutdt en sens contraire. « Sin autem facta fuerit ex
mero judicis officio absque alicujus requisitione , non debet reo
dejure tradi informationis copia. In praxi autem seu Concilio
Flandrise Procurator generalis nunquam dat parti inquisitionis
seu informationis prsecedentis copiam; licet id fieri videamus
in multis aliis Flandrise curiis ubi obligantur accusato aut denun-
ciato etiam dare testium nomina ac cognomina nee non totius
inquisitionis seu informationis copiam , si quando id postu-
let (4). »
Dans les Provinces-Unies au xvii° siecle les memos prineipes
dominaient. Nous en avons pour temoin un criminaliste illustre,
Antonius Matheeus, professeur a Utrecht, qui dans son livre
(1) Chap, xixv, n° 1.
(2) Chap. XXXII, n»s 1, 2.
(3) Chap, vni, n» 19.
(4) Chap. VIII, nos 21-23. On apu voir, par nos diverses citations, que Damhou-
der connatt rinstitution du ministfere public et la voit fonctionner en Flandre. Elle
6tait venue de France. Voy. Biener : Beitrage, p. 211, 212.
A l'etranger. 315
de Criminibus, apres avoir etudie les livres xlvii et xlviii du
Digeste, commente les statuts de sa ville. 11 constate la com-
plete disparition du systeme accusatoire : « Accusatoris in jure
municipali civitatis hujus mentio vix nulla; sermo omnis ad prae-
torem dirigitur ; cur id fiat non est obscurum , fere enim desie-
runt accusare privati, solusque Fisci procurator ac praetor eo
munere funguntur. Accedit quod Gallorum et reliquorum Belga-
rum moribus privatis quidem licet deferre, nunciare crimina,
actione civili damnum pecuniarium persequi, non tamen accu-
sare (1). » II traite tres-clairement de I'information et du decret
qui la suit , puis de I'interrogatoire ; il repousse le serment exige
del'accuse : « Cur enim deferatur jusjurandum pejeraturo? aut
cur speremus eum qui , spreto Numine , caedibus , adulteriis , sa-
crilegio se contaminavit , idem Numen reveriturum injecta juris-
jurandi religione (2)? » Enfln, il admet I'intervention d'un de-
fenseur : « post interrogationem et responsionem rei, quoniam
non solum de facto sed et de jure quaeri solet, advocatus denegari
non debet (3). » Mais il declare que I'information ne sera pas
communiquee a I'accuse : « vero informatio reo non editur. »
IV.
En France , et hors de France dans tous les pays qui entourent
le n6tre, s'6tait developpe le meme systeme de procedure cri-
minelle : inquisition , preuves legales , torture et secret des pro-
cedures, tels en etaient les traits principaux. En face de nous
pourtant, mais « outre mer, » vivait un peuple qui avait su se
preserver de cette terrible contagion. L'Angleterre avait conserve
en matiere criminelle toutes les garanties que possedaient au-
trefois les autres nations d'Europe, le systeme accusatoire, la
publicite des procedures , I'oralite des debats ; de plus , elle avait
developpe cette institution du jury a qui appartenait I'avenir, et
qui etait appelee a conquerir I'Europe et I'Amerique , a faire le
(1) De criminibm, Mil. 1715 (p. 627-8).
(2) Ibid., p. 632.
(3) Ibid., p. 633.
316 LA PROCEDURE CRIMINELLE
tour du monde. La France devait etre la premiere nation conquise
en Europe : lorsque FOrdonnance de 1670 tombera , c'est a I'Aii-
gleterre que nous irons demander un code pour la remplacer. II
est done naturel que nous examinions rapidement la procedure
criminelle anglaise ; c'est un anneau de la chaine dont nous rele-
vons successivement tons les chainons.
Comment I'Angleterre avait-elle resiste au mouvement qui en-
trainait le rests de I'Europe? Sa legislation et celle des autres
nations occidentals ne sont-elles pas le produit des memes ele- ,
ments, combines, il est vrai, dans des proportions diverses?
,Mieux que les autres pays I'Angleterre avait ecarte a rinfluence
du droit remain et du droit canonique; elle s'etait attachee aux
vieux usages avec cette opinisLtrete qui caracterise son peuple,
et pour les accommoder aux besoins modernes, elle avait heureu-
sement developpe quelques institutions , dont les rudiments se
trouvaient dans le vieux fond commun aiix peuples de meme race
et de meme origine. Sans doute elle avait eu a lutter centre les
memes influences qu'ailleurs on avait subies : elle avait connu
pendant longtemps la Chambre titoiUe, ou les offlciers de la cou-
ronne venaient porter des accusations sur de simples « informa-
tions, » franchissant ainsi le double rempart des liberies an-
glaises, le jury d'accusation et le jury de jugement (1). II parait
meme certain qu'a une epoque nefaste , sous Henri VIII , la tor-
ture fut employee contre les accuses, les complices et les te-
moins (2) ; parfois la royaute employa les moyens d'intimidation
les plus violents pour pervertir le jugement des jures. Mais ce
furent des obstacles bientot tournes ou enleves. Au moment
meme ou les commissaires de Louis XIV redigeaient TOrdon-
nance , un proces c61ebre , celui de W^illiam Penn et de Mead ,
(1) Blakstone : Commentaries on the laius of England, Book IV, ch. 23, n» 3.
(2) Voy. Mittermaier : Traiti de la ProMwre criminelle en Angleterre (trad.
Chauffard), p. 10, 11, et les autorit^s qu'il cite. — Blakstone, liv. IV, ch. 25,
n» 1 : « Jadis quand les dues d'Exeter et de Suffolk et autres ministres d'Henri VI
avaient formfi le dessein d'introduire le droit civil dans ce royaume comme rfegle
de gouvernement , tout d'abord lis firent dresser un chevalet pour la torture , le-
quel fut appeW par derision la fille du due d'Exeter, et existe encore a la Tour
de Londres,; et Ik, plus d'une fois , on I'employa sous le rfegne d'Elisabeth comme
machine d'Etat, non comme instrument de la loi (as an engine of state not of law). »
A l'btranger. 317
attestait la forme de 'resistance du jury (1). L'act6 d'habeas
corpus allait etre rendu , et, si de criminelles entreprises devaient
amener la revolution de 1688, on a pudire cependant que « d'a-
pres la loi telle qu'elle existait alors... le peuple jouissait de
toute la liberie qui est compatible avec I'etat de societe, et il
avait entre ses mains un pouvoir suffisant pour defendre cette
liberie contre les entreprises de la royaute (2). » Quelle etait
alors la procedure criminelle?
I. — Le droit anglais avait conserve le principe accusatoire ; il
le connaissait m^me sous deux formes, dont la premiere etait, k
peu de chose pres, la reproduction exacte de la vieille accusation
feodale; eUe en porte d'ailleurs le nom : appeal, I'appel.
Vappeal est I'accusation qu'un particulier elevait contre un autre
dans un interet prive : « accusation by a private subject against
another, this method of prosecution is still in force (3). » II n'e-
tait possible qu'a la victime meme du delit dans les crimes de
larcin , rapt , incendie et mayhem (4) ; en cas de meurtre , il etait
ouvert a I'heritier et a la veuve. La poursuite avait lieu directe-
ment devant la cour de justice, sans intervention prealable du
jury d'accusation (5). La meme procedure pouvait avoir lieu dans
le cas d'un « approvement , » c'est-a-dire d'une revelation faite
en Cour par un complice (6).
L'accuse ou appellee pouvait , pour sa justification , provoquer
I'accusateur au duel judiciaire : « The trial by battle may be
(1) Mitterinaier, op. cit., p. 15, ssq.
(2) Blakstone, livre IV, ch. 33, n" 5. II ajoute en note : « Le point precis auquel
je m'arr^terais pour determiner cette perfection thSorique de notre droit public
est I'annee 1679, apres que I'acte A'habeas corpus eut 6te promulgu6 et que celui
pour I'imposition {licensing) de la presse eut 6t& retire , bien que les ann^es sul-
vantes aient 6t6 en fait une Spoque de grande oppression. »
(3) Blakstone, edit. Oxford, 1778, t. IV, p. 312.
(4) Mayhem, c'est la mutilation , le vieux « mihaing » de nos coutnmiers.
(5) Cette observation que fait Blakstone, nous Sloigne des origines; lejury d'ac-
cusation ne fut crS6 , nous aliens le dire , que pour supplier k I'appel. — Sur les
actions criminelles dans la procedure anglo-normande, voy. Melville Madison Bi-
gelow : History of procedure in England from the Norman conquest. The Norman
Period. London , 1880 , sp^cialement p. 248, ssq. ; 277, ssq. ; 346, ssq. La ressem-
blance est complete avec les sources frangaises de la periods feodale.
(6) Blakstone, 1. IV, ch. 25, no 2. — Bigelow, op. cit., p. 328 , 330.
318 LA PROCEDURE CRIMINELLE
demanded at the election of the appellee in either an appeal or
an approvement (1). » Mais il pouvait aussi en appeler au juge-
ment du pays, c'est-a-dire au jury (2). Si I'accusateur etait une
femme, un enfant, un pretre, un aveugle, il pouvait meme
forcer I'accuse a prendre cette derniere voie « to put himself on
the country (3). » En cas de conviction, I'application de la peine
normale etait faite par le juge (i). ^
II. — La seconde forme d'accusation reposait sur le principe
de I'accusation publique, ouverte a tons; elle s'etait constituee
peu a peu, et devait forcement passer devant le double jury d'ac-
cusation et de jugement. Nous en decrirons rapidement les di-
verses phases, car c'etait elle qui devait nous servir plus tard
de modele.
Elle debutait par une sorte d'instruction preparatoire tres-
courte, tout a fait rudimentaire. L'accusateur commengait par
demander centre celui qu'il accusait un ordre d'arrestation ou
un mandat de citation , et a cet effet il devait generalement s'a-
dresser au magistrat qui etait devenu le principal officier de police
judiciaire, au juge de paix « Justice of peace. » Celui-ci examinait
les fails allegues par le poursuivant , auquel il pouvait demander
un serment affirmatoire , et delivrait, s'il y avait lieu , le warrant
(1) Blakstone, 1. IV, ch. 27, n" 3..— Bigelow, op. cit., p. 296. C'est seulemeat
en 1820 que le duel judiciaire fut l^gislativement aboli en Angleterre : « L'ancien
droit i la preuve par bataille , aprfes avoir 6t6 loi%temps oublie , fut invoqufe avec
succfes en I'ann^e 1819, et aboli I'ann^e suivante. » Bigelow, p. 288.
(2) C'est dans cette substitution de la preuve par le pays k la preuve par « ba-
taille, » qu'il faut ohercher poiir partie I'origine du jury de jugement. Voy. Blener :
Beitrage, p. 281 , ssq. — Brunner : Entstekung der Schivurgerichte , p. 469, ssq.
— Max Biidinger: Vorleswngeniiber Englische Verfasswmgsgeschichte. Wien. 1880,
p. 147, ssq. Mais cela ne fut pas admis sans difficult*. Voy. Bigelow, op. cit.,
p. 295 : « In issues of right the court was bound in ordinary case to order the
duel , unless the defendant had put himself upon the grand assise , when the court
was bound to allow that mode of trial. » — P. 296 : « Indeed , as a rule , ih all
cases of appeals the court was bound , if asked , to award the duel. » — Le jury
de jugement fut introduit d'abord dans les cas oi il y avait, non pas appeal, mais
presentment.
(3) Blakstone, 1. IV, ch. 27, no 3.
(4) Ibid. : « If the appellee is found guilty he shall suffer the same judgement
as if he had been convicted ; » dans ce cas mfime , le roi ne pouvait pas faife
A l'etranger. 319
ou ordre d'arrestation (1). L'officier charge de ramener le war-
rant a execution , devait conduire la personne arrStee devant le
juge de paix, lequel faisait dors une sorte d'instruction. « Pour
cela, d'apres le statut 2 et 3 de Philippe et Marie, il doit rediger
par 6crit I'interrogatoire (examination) du prisonnier et les de-
positions de ceux qui le poursuivent ; M. Lambard observe que
ce fut la premiere fois que I'autorisation fut donnee d'interroger
un criminal , car selon le common law : Nemo tenebatur prodere
seipsum (2). » Ce sera le seul interrogatoire que subira I'accuse
dans tout le cours de la procedure ; et meme , depuis I'epoque a
laquelle nous nous placona , la coutume anglaise dans sa sollici-
tude a decide que le juge de paix doit formellement avertir I'ac-
cuse qu'il n'est pas oblige de repondre , et qu'on pourra plus tard
se servir contre lui de ce qu'il va dire. — Cette premiere par tie
de la procedure pouvait etre secrete.
Le juge de paix prend alors une decision. N'y a-t-il aucune
charge serieuse , il met le prisonnier en liberie et le decharge de
la poursuite ; dans le cas contraire , il doit s'assurer de sa per-
sonne et le mettre en etat de detention preventive, c'est le
« commitment. » Mais la coutume et la loi decidaient que si
I'accuse fournissait une caution suffisante , il devait 6tre laisse en
liberie provisoire {bail). Cependant encore a I'epoque de Blak-
stone , si la liberte sous caution etait de droit pour les crimes
inferieurs , elle n'etait pas possible quand il s'agissait d'un crime
capital (3). Certaines classes de personnes suspectes, determi-
nees d'avance, etaient declarees not bailables. La liberte indi-
viduelle etait protegee par les lois , qui punissaient le magistral
lorsque sans droit il refusait la caution ou exagerait frauduleu-
sement le montant de I'engagement , et par I'acte d'Habeas
corpus , qui permettait de porter les reclamations contre I'em-
(1) Blakstone, 1. IV, ch. 21, n" 1 : « The justice of peace is fitting to ezamine
upon oath the party requiring a warrant , as well to ascertain that there is a fe-
lony or other crime , without wich no warrant should be granted. » P. 290.
(2)/6id., p. 296.
(3) Md., 1. IV, ch. 22, n" 1 : « Commitment being only for safe custody, where
a bail will answer the same intention it ought to be t^ken , as in most of the infe-
rior crimes, but in felonies and other offences of a capital nature no bail can be
a security equivalent to the actual custody of person. » P. 296.
320 LA. PROCEDURE CRIMINELLE
prisonnement illegal devant toutes les cours des grands juges
d'Angleterre.
A cette phase du proces, il fallait, avant d'aller plus loin,
demander au « grand jury, » de prononcer la mise en accusation.
Ge grand jury etait compose de « freeholders » que le sMrijf de-
vait rassembler, pour statuer sur les accusations, a chaque session
d'assises tenue par les grands juges dans chaque comte. Le grand
jury comprend douze personnes au moins et vingt-trois au plus
et rend ses decisions a la majorite de douze voix.
II avait ete prealablement dresse un acte d'accusation « indict-
ment, » piece capitale dans, la procedure anglaise et dont la
redaction formaliste presentait d'assez grandes difficultes. Les
indictments etaient presentes au nom du roi par les officiers de la
couronne, mais a la requete des particuliers (1). Outre les ren-
seignements contenus dans I'acte d'accusation, les jures enten-
daient des temoins , mais seulement « du cote de la poursuite ; »
ensuite ils decidaient souverainement si les charges etaient suffi-
santes et s'il y avait lieu ou non a I'accusation ; dans un cas, ils
inscrivaient au dos de I'indictment « billa vera ou a true hill, »
dans I'autre : « ignoramus ou not found. »
Quelle est I'origine.de cette procedure devant le grand jury?
On I'a souvent cherchee fort loin. Les uns I'ont trouvee dans le
principe de la responsabilite des centaines ou hundreds pour
les crimes commis sur leur territoire , laquelle existait, chez les
Anglo-Saxons , comme dans la plupart des fitats fondes par les
populations germaniques , et il est possible que cet usage y ait
ete pour quelque chose (2). Mais il est probable que cette insti-
tution derive de ces denonciations imposees sous la foi du ser-
ment, que nous avons trouvees dans les synodes de I'Eglise et
dans les reunions judiciaires de I'empire carolingien. L'figUse
en avait maintenu I'usage, et la tradition s'en etait conservee
aussi dans maintes juridictions seculieres ; qu'on se rappelle les
franches virit6s du pays flamand. Les Normands apporterent avec
(1) « Indictments are preferred to them in the name of the King but at the sunit
of any private prosecutor. » Blakstone, IV, p. 303.
(2) Voy. Biener : Beitrage, p. 207, 209.
A l'etrangee. 321
eux cette vieille coutume (1), dont on peut retrouver d'autre part
des traces dans les lois des Anglo-Saxons (2). On congoit qu'on
ait developpe avec amour une institution qui permettait de faire
echec a I'etroitesse du vieux systeme accusatoire, dans lequel
I'appel n'etait ouvert qu'aux interesses. Par bien des traits le
jury d'accusation rappelle cette origine.
II y eut d'ailleurs au debut plusieurs formes de « grand
jury, » si Ton peut s'exprimer ainsi. « L'assise de Clarendon en
1166, confirmee dix ans plus tard par celle de Northampton,
decida que dans chaque comte et chaque centaine , il serait en-
quis sous la foi du serment de douze hommes legaux de la cen-
taine et de quatre hommes de chaque manoir, si personne n'etait
accuse d'etre un larron, un meurtrier, un voleur, ou un rece-
leur (3) . » L'enquSte etait conduite devant les justiciarii itine-
rantes ou devant le sheriff. Les accus6s devaient se disculper
devant les justiciers (4.). D'autre part, « lorsque quelqu'un etait
charge d'un crime enorme, comme d'un complot ayant pour
but une sedition ou la mort du roi , et qu'il etait accuse par la
voix publique , et non par un appelant (appellor) , il etait em-
prisonne ou mis en liberte sous caution. Puis la verite etait re-
cherchee devant les justiciers par des inquisitions et des ques-
tions posees sans doute aux hommes duvoisinage, la cour prenant
en consideration les indications raisonnables et les suggestions
pour ou contre I'accuse. Cela avait pour but, il semble, de deter-
miner s'il existait une presomption suffisante contre le prevenu
pour permettre a la cour de le contraindre a subir les ordalies ,
auxquelles , lorsqu'il n'y avait point d'appelant , devait recourir
la partie suffisamment accusee , si elle contestait I'accusation.
Le resultat des enquetes ainsi faites par les juges , lorsqu'elles
soutenaient I'accusation , correspondait a la declaration des douze
hommes legaux ou chevaliers d'apres les assises de Clarendon
(1) Brunner : Entstehung der Schwurgerichte , p. 465-466.
(2) Max Budinger, op. cit., p. ISO, 151.
(3) Bigelow, op. cit., p. 99; cf. ibid., p. 288, 293, 297, 323.
(4) Ibid., p. 100 : « Aud then the accused were thus to make their law
(the ordeal) « before the justiciars. »
21
322 LA. PROCEDURE CRIMINELLE
et de Northampton, si meme les enquetes n'etaient pas poursui-
vies sur la presentation d'un de ces corps (1). »
On a pu voir, par quelques-uns des passages que nous venons
de citer, que le resultat de ces presentations ou de ces enquetes ,
etait de forcer I'accuse , s'il ne voulait pas avouer, a se soumettre
aux ordalies (2). C'etait bien la mSme procedure que nous avons
trouvee dans les judicia synodalia de I'epoque carolingienne(3).
D'autre part, les jures ont toujours pu dans la suite prononcer
spontanement sur I'accusation , a raison d'un crime dont eux-
mlmes avaient connaissance , c'est ce qui s'appelait un ((pre-
sentment (4). D'ailleurs, M. Brunner fait remarquer (( que le
jury d'accusation posterieur ne pent point etre ramene aux for-
mes du jury de denonciation {Rugejury) pris dans la centaine
et qui parut d'abord ; il derive de la Grande EnquSte qui parait
au xiv° siecle ; c'etait un jury de 24, puis de 23 jures qui operaient
devant les justiciarii itinerantes et etaient choisis dans tout le
comte (5). »
A I'origine , il n'y avait point i'accusateur soumettant sa pour-
suite au jury d'accusation ; ce dernier ayant pour fonction de
suppleer au contraire au manque d'accusateurs. Mais les deux
systemes se fondirent en un seul. (( La transition d'une forme
a I'autre s'opera des I'epoque du Moyen-Age , les parties prefe-
rerent, au lieu d'in tenter un appel, apporter une denonciation
au jury d'accusation, afin d'obtenir de cette fagon une mise en
accusation (6)... Cette procedure refoula peu a peu Taction for-
malists, V appel... D'autre part, la denonciation spontanee par le
(1) Bigelow, op. cit., p. 278. On peut remarquer que cette procedure ressemble
par certains o6t6s a la prise par soupQon de nos coutumiers.
(2) Bigelow, op. cit., p. 323 : « In case of presentments, where compurgation
had probably been the common mode of trial , the assises of Clarendon and Nor-
thampton had provided for trial by ordeal. See also Glanvill., lib. 14, c. 1, § 2. »
(3) Biener : Beitrage, p. 276-278.
(4) (( A presentment is the notice taken by a grand jury of any offence from their
own knowledge or observation without any bill laid before them at the suit of
the king. » Blakstone , IV, p. 301.
(5) Entstehimg den Schwurgerichte, p. 468.
(6) On peut remarquer que tous les indictments sont pr^sentSs au jury non pas
au nom des accusateura priv6s , mais au nom du roi , d'o4 I'expression a'pleas
of the crown. »
A l'etranger. 323
jury d'accusation est devenue tres-rare sans avoir ete suppri-
mee (i). » L'accusation , sous cette forme nouvelle, ayant ete a
Torigine une denonciation , on con^oit qu'elle put etre ouveyte
a tous , et devint publique (2).
La mise en accusation etant prononcee , il fallait proceder au
jugement. II y avait lieu non pas aux ordalies , comme aux an-
ciens jours, mais a I'intervention du jury de jugement ou petit
jury. Ges jugements se faisaient aux assises, qui, a I'epoque
alaquelle nous nous reportons, etaient deja de deux sortes. Les
unes dites sessions « d'oyer et terminer aud general gaol deli-
very, » etaient tenues deux fois par an dans chaque comte par les
grands juges des Cours de Westminster (3). Leur nom venait de
ce que les juges devaient terminer toutes les afifaires et vider
les prisons de tous les individus detenus preventivement. Les
autres assises ou quarter sessions etaient temies par les juges de
paix du comte reunis tous les trimestres en assemblee , mais on
n'y jugeait que les delits peu graves. Les jures « boni et legates
homines de vicineto, » etaient convoques par le sheriff au nom-
bre de 48 ; e'etait parmi eux qu'on prenait les 12 jugeurs.
D'oii vient cette institution du jury de jugement? Ici les hy-
potheses produites ont ete plus nombreuses encore que pour le
jury d'accusation , et sur ce point beaucoup de savants livres ont
ete composes. On a songe tour a tour aux assemblees judiciaires
des Anglo-Saxons, aux cojurantes des coutumes germaniques,
aux jugeurs des cours feodales (4). Mais recemment, comme
nous avons eu I'occasion de le dire , on a montre que le jury du
jugement derivait de cette enqu&te du pays , dont nous avons
longuement parle, et qui s'etait particulierement developpee dans
la coutume normande. Seulement en Angleterre on semble n'y
(l)Brunner, op. cit., p. 468.
(2) Les inconv^nients du systfeme accusatoire ont 6te combattus aussi par d'au-
tres moyens. En cas de mort violente, le coroner intervient d'office, et provoque
la poursuite ; le droit d'arrestation sans warrant appartient trfes-largement aux
constables; enfin le soUicitor general pent directement intenter des poursuites au
nom de la couronne.
(3) Sur ces tournies des grands juges et leur origine, voy. Max Bildinger, op.
cit., p. 153, ssq. Bigelow, op. cit., ch. m.
(4) Voy. Brunner, op. cit., p. 1-33.
324 LA. PROCEDURE CRIMINELLE
avoir eu recours que lorsque les ordalies tomberent en discredit.
« Ellas recurent un coup fatal du decret bien connu du concile de
Latran, de Fan 1215, qui ordonnait que les ordalies ne seraient
plus employees dans la chretiente... On doit remarquer que I'or-
dalie tenait la place d'un jugement par le petit jury dans les
temps modernes... Par les assises de Clarendon at de Northam-
pton , et par I'ancienne loi d'Angleterre , les personnas accusees ,
contre lesquelles une presomption de culpabilite avait ete elevee
par un presentment ou par I'accusation de la clameur publique ,
avaiant droit constitutionnellemant a una nouvelle epreuve..-
Mais quand a la fin las ordalies furent considerees comma abo-
lies , (il n'y eut aucune autorite legislative connue qui las abolit
en Angleterre), les juges furent fort perplexes de savoir ce qu'il
fallait faire du prisonnier. II avait la droit constitutionnel d'etre
soumis a I'ordalie , pouvait-il etre force de se soumettre a un
autre mode da preuve?... II semble qu'occasionnellament, avant
le concile de Latran de 1215, on a constate la pratique de sou-
mettre la presentment a un autre jury, dans la forme generalament
suivie dans les temps modernes. Cela avait lieu probablement a
la requete du prisonnier, peut-etre par href du roi [Under the
King's writ)... he meme mode de preuve se presaiitait naturelle-
ment a I'esprit des juges, apres la disparition des ordalies (1). »
Catta hypothese de M. Brunner sur Forigine du jury da juge-
ment, accuaillia avec une faveur da plus en plus grande (2), nous
parait completament etablie. Ella va trouver encore sa demons-
(1) Bigelow, op. cit., p. 323-324. On peut remarquer que, d'aprfes un passage
du Grand Coutumier de Normandie, cit6plus haul, p. 47, I'asage frequent de I'en-
qu^te est egalement attribue a la disparition des ordalies : « Jadis se expur-
geoient... les hommes par eaue ou par ignise quand la justice ou femmes les suy-
virent de causes criminelles. Et pour ce que sainte Eglise a ost6 ces choses, nous
usons souvent de I'enqueste. »
{2) Voy. M. Max Budiuger, op. cit., p. 148, ssq. Voy. aussi M. Bigelow, op. cit.,
lequel, aprfes avoir d^crit les enquiles si curieuses qu'ou trouve dans les sources
islandaises, continue en ces termes, p. 334 : « Quelque ressemblance qu'on puisse
decouvrir entre les modes de preuves norsques et le jury anglais moderne; il est
parfaitement clalr que , ni le tolftarkvidr, ni le buakvidr, ni aucun des modes in-
fSrieurs de preuve de la m^me nature (il semble y en avoir eu deux ou trois), n'a
port6 son fruit dans le jury moderne. Cette institution est purement anglo-nor-
mande , descendant en ligne directe de la procedure d'inquisition introduite de
Normandie par Guillaume le Conqufirant. »
A l'etranger. 325
tration dans la procedure de V arraignment, a laquelle nous amene
la suite de notre exposition. La mise en accusation , decidee par
le grand jury, ne suffisait pas pour que I'accuse dut et put etre
juge par le jury du jugement , il fallait encore qu'il eM nie en
cour sa culpabilite et qu'il acceptat le jugement par jures (1). A
cet effet , le prisonnier etait amene en audience publique , c'est
Varraignment.
On commencait par lire a I'accuse I'acte d' accusation « en langue
anglaise » et ensuite le juge lui demandait s'il etait coupable ou
non coupable « guilty or not guilty. » S'il confessait, I'intervention
du jury etait inutile, il n'y avait qu'a appliquer la peine. On
reconnait la cette force de I'aveu que nous a montree la procedure
feodale; c'est la force qu'il conserve naturellement dans toute
procedure oii aucun effort n'est fait pour I'obtenir. Si I'accuse
plaidait non coupable, il fallait de plus qu'il acceptat ou du
moins qu'il ne refusat pas de se soumettre au jugement du pays.
S'il refusait absolument de repondre, ou si ayant plaide non
coupable il refusait de se mettre « on the country, » lamarche
du proces etait entravee, le jugement ne pouvait intervenir (2).
C'est la un trait bien frappant, que nous avons deja trouve dans
I'ancienne procedure de VenquSte du pays; la aussi il fallait que
I'accuse acceptat I'enquete , et ce rapprochement nous semble tres
fort pour demontrer la commune origine de ces deux institutions,
dont le sort fut si different. Mais de meme que , selon nos Cou-
tumiers , on cherchait a imposer a la partie poursuivie I'accepta-
tion de I'enqufite, les Anglais avaient imagine un moyen de
contrainte, qui s'appelait la peine forte et dure. Le statut de West-
minster, 1-3 Edouard I", ch. 12, decide que ceux qui ne voudront
pas se mettre en enquSte {upon inquests) devant les juges, sur la
poursuite du roi, seront mis en la prison forte et dure (3). A
(1) C'est ce qui s'appelle « put himself on tJie country, u
(2) A I'origine, semb'.e-t-il, et cela est conforme aux vieilles traditions , on
consid^rait comme avouant celui qui ne rdpondait rien; mais on ne pouvait
donner la mtoe decision lorsqu'il y avait un refus positif.
(3) Cela consista bient6t en une chose horrible. Le prisonnier itait mis dans un
cachet, nu et 6tendu sur le dos; on pla^ait sur lui un poids de fer aussi lourd
qu'il pouvait le supporter , et on ne lui donnait pour subsistance qu'un morceau
de pain le premier jour , le second jour trois gorgees d'eau dormante , la plus
326 LA PROCEDURE CRIMINELLE
I'origine , cette procedure ne devait s'appliquer qu'a ceux qui
niaient et refusaient I'enquete , non a ceux qui restaient muets
et qui etaient tonus pour coupables ; mais plus tard , sauf dans
las cas de haute trahison , le mutisme absolu ne put donner lieu
qu'a I'application de la peine forte et dure. Au xviii' siecle,
tel etait encore I'etat de la legislation et ce n'est que sous
Georges III que, dans tous les cas, le muet volontaire fut assi-
mile a celui qui avoue (1).
On concoit que generalement I'accuse acceptait le jugement
par le jury; alors on procedait au debat, trial (2). Le jury de
jugement etait forme. Les noms des jures etaient tires au sort
et I'accuse avait le droit de recusation; il pouvait toujours re-
cuser en alleguant un motif « for cause, » mais il pouvait aussi
exercer trente-cinq recusations peremptoires. Les douze jures
ainsi obtenus pretaient serment et le debat commencait. Rien de
plus simple que ce debat , qui ne comporte aucun interrogatoire
de I'accuse. On lisait I'acte d'accusation , puis I'avocat de la par-
tie poursuivante, que ce fut le roi ou un particulier qui pour-
suivit, produisait ses preuves, faisait entendre ses temoins; le
debat etait essentiellement oral (3).
proche de la prison , et ainsi de suite en alternant , jusqu'a ce qu'il mourflt ou
r^pondtt. Avant de prononcer cette sentence, il 6tait fait une triple admonestation,
trina admonitio, qui rappelle celle que nous avons trouvfee chez nous dans les pro-
ems fails aux muets volontaires. — Voy. Blakstone, IV, p. 327, ssq.
(1) M. Bigelow explique un pen diffSremment rintroduction de la peine forte
et dure. Apr^s avoir dit quel 6tait I'embarras des juges lors de la disparition des
ordalies, quand un presentment ameuait devant eux un accuse, il ajoute, p. 324,
32S : « La r^ponse k ces questions explique I'introduction de la procedure connue
comme peine forte et dure, laquelle probablement date du xm» si6cle... Evi-
demment I'accus^ ne pouvait Stre forc6 , si ce n'est par un pouvoir arbitraire ,
de se soumettre k un jury de jugement : il n'y avait point de loi qui I'exigeM.
Le mfeme mode de preuve se prfisentait naturellement a I'esprit des juges , apres
la disparition des ordalies ; mais comment imposer le jugement par le jury , alors
que le prisonnier avait le droit de choisir? La r^ponse 6tait qu'il devait toe
soumis aux privations et aux souffrances, s'il refusait, jusqu'a ce qu'il consentlt
a se soumettre au verdict d'un jury de jugement. »
(2) II pouvait y avoir un inter valle entre V arraignment et le trial, mais le plus
souvent ils se suivaient immidiatement.
(3) « When the jury is sworn... the indictment is usually opened, and evidence
marshalled examined and enforced by the counsel of the crown or prosecution. »
Blakst., 1. IV, ch. xxvii p. 355.
327
Chose curieuse dans cette legislation oii Ton respectait I'accuse
au point de ne pas lui faire subir un interrogatoire , deux traits
rappelaient cependant la procedure suivie sur le continent :
1° aucun conseil ne pouvait Mre accorde a I'accus^ s'il s'agissait
d'un crime capital, et la jurisprudence anglaise justifiait cette
regie comme I'Ordonnance de 1670 , en disant que le juge est le
conseil du prisonnier, " the judge shall be the counsel for the
prisoner (1) ; » 2° il etait admis , comme pratique commune
cf derivee du droit civil et observee encore aujourd'hui dans le
royaume de France, » dit Blakstone, que I'accuse ne pouvait
point produire de temoins pour se disculper : « he cannot excul-
pate himself by the testimony of any witnesses (2). » Cependant
I'usage s'introduisit lentement d'entendre les temoins de la part
du prisonnier, mais non sous la foi du serment : « not upon
oath (3). » Ce ne fut que sous Guillaume III et sous la reine Anne
que disparut cette derniere restriction.
Chose remarquable encore , la procedure anglaise connaissait
une theorie des preuves legales. Sans doute, c'est seulement
dans certaines accusations , celles de haute trahison , que les lois
exigeaient deux temoignages concordants pour prononcer la con-
damnation, mais dans tous les cas des regies arretees par la
jurisprudence sur la valeur des differentes preuves s'etaient in-
troduites et subsistent encore. II est vrai qu'on ne pent expliquer
leur empire que par la grande influence que le juge anglais
exerce sur les jures.
Les debats etant termines, les jures devaient rendre leur
verdict. Ayant regu les instructions du juge, ils se retiraient
pour deliberer et voter si le cas presentait quelque difficulte.
L'unanimite , dans un sens comme dans I'autre , etait necessaire
pour que la decision fut valable. C'est Id une regie curieuse,
qui, du reste, parait n'avoir pas ete toujours admise en Angle-
(1) Blakstone , 1. IV, ch. xxvii; il ajoute, il est vrai, que cette disposition
« n'est pas du tout en harmonie avec la fagon humaine, dont sur les autres points
la loi anglaise traite les accuses. »
(2) Blakstone , IV, 359.
(3) Ibid., 3S9, 360.
328 LA PROCEDTJEE CRIMINELLE A l'ETRANGER.
terre (1) ; on sait d'ailleurs quels moyens de contrainte indirecte
la loi anglaise permet d'employer. Le verdict etant prononce ,
le juge n'avait plus qu'a y conformer la sentence , suivant la
division etablie entre la question de culpabilite at celle de la
peine , entre le fait et le droit.
La sentence ainsi rendue n'etait en principe susceptible d'aucun
recours; le jury n'est pas compatible avec le systeme de I'appel.
Sauf le cas ot la decision avait ete rendue par un jury incompe-
tent , un jury « non legal , » comme dira plus tard notre loi , 11
n'y avait de ressource que dans la proposition d'erreur {writ af
error). Elle etait intentee centre les decisions des juridictions
inferieures devant la cour du Banc du Roi, et contre les decisions
de cette demiere devant la Ghambre des Lords (2). Mais elle n'e-
tait possible qu'au cas d'une erreur de droit, s'il y avait eu par
exemple fausse application de la peine ou omission d'une forma-
lite essentielle. En dehors de ces cas, le condamne ne pouvait
que demander sa grace au roi.
Enfin, la loi anglaise connaissait une procedure par contumace
assez curieuse , qui aboutissait a la confiscation des biens et a
la mise hors la loi de I'accuse {outlawry), continuant ainsi les
traditions de I'epoque feodale.
Telle est dans ses grandes lignes, et en laissant de c6t6 un
grand nombre de details parfois tres-interessants (par ex. le bene-
fit of clergy), la marche de cette procedure anglaise , qui , ei cote
de graves imperfections , presentait la forme de proces criminel
la plus raisonnable que les hommes eussent encore connue ; aussi
la philosophie du xvin° siecle la considerera-t-elle comme la per-
fection meme. Elle avait cependant ses parties faibles , c'etaient
surtout la poursuite et I'instruction preparatoire; et pour avoir
voulu I'imiter meme sur ces points , nous verrons la legislation
frangaise s'egarer dans ses premieres reformes , et osciller long-
temps avant de trouver son equilibre.
(1) Voy. Brunner, op. cit, p. 363, 371; cf. Blakstone , 1. Ill, ch. 23.
(2) Blakstone , 1. IV, ch. 30.
TITRE DEUXIEME.
L'ORDONNANCE DE 1670 APPLIQUEE.
CHAPITRE PREMIER.
Influence de I'Ordonnance de 1670 sur I'administration
de la Justice.
I. La procedure r6gularis6e et pr^cisfie par I'Ordonnance. — II. Comment I'Or-
donnance 6tait-elle observfie. — III. Vices persistants dans I'administration de
la justice; la question d'argent; la procedure ecrite. — IV. Le credit et I'argent
faisant cfider les dispositions rigoureuses de TOrdonnance. — V. L'Ordonnance
et ses commentateurs.
L'Ordonnance de 1670 etait venue non pas innover mais re-
former. Les principes qu'elle consacre existaient avant elle, et
les rigueurs , qu'elle enregistre, nouvelles en apparence , se trou-
vaient deja dans la pratique pour la plupart. Cependant son
influence fut tres-grande. L'apparition d'un Code dans un pays
a toujours une extreme importance. Cast le droit uniformise
et immobilise en mSme temps. La diversite des jurisprudences,
si elle ne disparait pas , ne pent plus porter que sur des details ;
la transformation des institutions par un progres insensible est
impossible desormais; seule I'interpretation scientifique a prise
sur ces lignes arretees , et pent parfois developper la loi. L'Or-
donnance de 1670 est un code veritable; elle est precise dans
les details, precise aussi dans les termes qu'elle emploie, et
qu'un long usage a eprouves. EUe pouvait prendre solidement
racine ; I'avenir lui reservait une vie de cent vingt annees.
330 l'ordonnance de 1670
Au moment oii Louis XIV faisait rediger TOrdonnance , I'ad-
ministration de la justice etait incertaine. Les jurisprudences
diverses poussaient drues et vigoureuses comme de mauvaises
herbes. Les abus etaient partout : inobservation des formes,
qui constituaient alors la seule garantie des accuses; influence
desastreuse des offlciers et agents subalternes sur lesquels les
juges se dechargeaient d'une partie de leur tiche; cherte de
la justice, gratifications anormales s'ajoutant aux frais avoues
et considerables ; tout cela a ete constate par les documents au-
thentiques que nous avons analyses.
L'Ordonnance de 1670 unifia les formes de la procedure cri-
minelle. Sans doute , elle respecta quelques usages particuliers ,
specialement ceux du Chatelet de Paris , dont la situation , au
coeur de la grande ville , justifiait d'ailleurs certains privileges ;
mais cela fut fort rare (1). Si des divergences purent se pro-
duire a I'avenir, ce ne fut que sur les points non prevus par I'Or-
donnance, qui, il est vrai, en avait parfois passe sous silence
d'assez importants : souvenons-nous qu'elle etait muette sur la
facoD de donner la torture et sur le choix des rapporteurs des
proces criminels. On pourrait douter de Taction regulatrice de
notre loi , quand on voit les nombreux reglements des diverses
compagnies, arrgtes entre les officiers ou etablis par arret de Par-
lement (2) ; mais en y regardant de pres , on verra qu'ils concer-
nent ou des questions de reglementation interieure, qu'aucun
Code ne pent prevoir, ou des matieres , comme celle des cas
royaux, oii une incertitude voulue dans la redaction de la loi
avait necessairement ouvert la porte a I'arbitraire.
L'Ordonnance defendait absolument de confier a des sergents ,
notaires etgreffiers, les missions si importantes (informations,
(1) Voy. tit. I, art. 29 ; tit. ii, art. 28; tit. iir, art. 3; tit. xiv, art. 14 ; tit. xxv,
art. 9.
(2) Dans le Code criminel de Serpillon, ils ne tiennent pas moins de 232 pages
(de la p. 1229 a la p. 1463).
APPLIQUEE. 331
interrogatoires) qu'on leur abandoanait autrefois (1). Dans les
tribunaux inferieurs on imposait au juge des assesseurs, et au
moyen de rapports adresses au procureur du roi, on les sou-
mettait k une surveillance, qpi'on s'efforgait de rendre effec-
tive (2). On s'etait applique k rendre les proces moins coMeux,
en supprimant une quantite de frais inutiles (3). Dans de nom-
breux articles I'Ordonnance defendait, sous des peines severes,
aux divers fonctionnaires de prendre aucun droit, qui n'etait
pas strictement du; elle adressait ces defenses non-seulement
aux geoliers et concierges des prisons (4) , et aux grefflers , mais
encore aux juges (5).
Des economies d'argent etaient encore realisees par d'autres
articles , qui avaient pour but direct et principal de hater la pro-
cedure, en la degageant des ecritures inutiles dont on I'avait
embarrassee : « Abrogeons les appointements a ouir droit, pro-
duire, bailler defense par attenuation, causes et moyens de
nullite , reponses pour fournir moyens d'obreption et en infor-
mer, donner conclusions civiles et tons autres appointements;
abrogeons aussi I'usage de fournir des conclusions civiles, aver-
tissements, inventaires, contredits, causes et moyens de nullite,
d'appel, griefs et reponses, commandements et forclusions de
produire ou contredire pris a I'audience ou au greffe (6). » On
voit par la longueur de cette liste quel allegement dut se pro-
duire. « Toutes ces anciennes formes de proceder, dit Serpillon,
consommaient les parties en frais et causaient des lenteurs inde-
finies , mais cet article les a abrogees , afin de simplifier, autant
qu'il a ete possible, la procedure criminelle (7). » II faut remar-
quer aussi , quant a I'acceleration de la procedure , les restrictions
apportees k I'abus qu'on faisait des arrSts de defenses.
L'Ordonnance determinait les formalites pour les divers actes
- (1) Tit. m, art. 2; tit. xiv, art. 2.
(2) Tit. X, art. 20.
(3) Voy. p. ex. tit. vi, art. 9, 18 ; tit. vii, art. 7.
(4) Tit. xu, art. 19, 22, 29, 30, 33.
(5) Tit. XIV, art. 16.
(6) Tit. XXIII.
(7) Code crm., p. 977.
332 l'ordonnance de 1670
avec une grande precision ; les juges avaieat desormais un guide
sur et methodique, et ils ne pouvaient plus invoquer, pour
justifier leur negligence, la force des usages ou le silence des
lois. Le legislateur, pourmieux assurer I'execution de ses ordres,
avait eu soin , dans la plupart des cas , d'exiger que le proces-
verbal constatat Taccomplissement des formalites. G'est la garan-
tie a laquelle a recours toute procedure formaliste et ecrite , il
est vrai qu'avec le secret des procedures elle perd beaucoup de
son efflcacite. Parfois, I'Ordonnance edictait des peines severes
contre les juges fautifs; c'etait generalement I'interdiction de
leur emploi , ou encore de fortes amendes et une action en dom-
mages et interets ouverte aux parties lesees. Le systeme etait
fort severe , et Lamoignon , defenseur fidele de la magistrature ,
protesta vivement contre ces dispositions, comme il avait deja
proteste lors de la redaction de I'Ordonnance de 1667 (1). On
s'etait specialement attache a faire en sorte que toutes les ecri-
tures fussent regulieres et sinceres : la defense de laisser des
interlignes et des blancs , I'approbation necessaire des ratures ,
la signature des officiers et des parties sont rappelees a chaque
pas. On avait compris que ce n'etait point s'abaisser a des de-
tails insignifiants , mais au contraire servir un interet de premier
ordre : il devra en ^tre de meme dans toute procedure ecrite.
On avait voulu meme que chaque categorie d'actes fut redigee
sur un cahier separ6 : « I'Ordonnance a voulu eviter les confu-
sions, il faut un cahier d 'information , sur lequel tons les de-
crets et l'ordonnance d'instruction doivent 6tre ecrits, aussi
bien que les conclusions de la partie civile a la reserve des defi-
nitives ; il faut des cahiers separes pour chaque interrogatoire ,
un autre pour le recolement des temoins, un autre pour le
recolement des accuses ; il faut aussi autant de cahiers de con-
frontation qu'il y a d'accuses (2). »
On pent affirmer que ces diverses dispositions de I'Ordon-
nance etaient bienfaisantes. La procedure regularises, acceleree,
delivree de frais tres-lourds, fut purgee de graves abus. Mais
(1) Prods-verbal de I'Ord. civile, p. 476 et sqq.
(2) Serpillon : Code crimmel, p. 733.
APPLIQUEE. 333
d'autre part, cette precision de la loi rendait impossibles cer-
taines toMrances des magistrals, precieuses pour la defense.
Desormais les tribunaux , qui , sous I'empire de rOrdonnance de
1539, « accordaient des conseils dans toutes les accusations, »
ou « dans certains cas , » comme le constatait Pussort , durent se
montrer plus rigoureux ; une loi formelle chassait les avocats des
cours criminelles. Dorenavant, les magistrats ne pouvaient plus
imiter de Thou , refusant de faire prater serment ^ un accuse
« parce qu'il savait qu'aucune Ordonnance n'obligeait les juges
de I'exiger des accuses. » Quelle que fut leur conviction intime,
les juges devaient a I'avenir condamner comme parjure le temoin
qui « variait dans quelque circonstance essentielle a la confron-
tation. » Mais comme de son propre mouvement la jurisprudence
tendait a ces exlremites , il faut reconnaitre qu'a son, apparition
rOrdonnance de 1670 fut plutot bienfaisante que rigoureuse. Les
abus qu'eUe supprimait ne se fussent point corriges d'eux-
memes , les rigueurs qu'elle consacrait s'etaient imposees sans
loi.
II.
Mais en realite comment I'Ordonnance etait-elle observee? La
reponse est assez difficile. Pour determiner exactement I'in-
fluence qu'eut le nouveau code de procedure criminelle , il fau-
drait avoir pour les xvii° et xviii" siecles des statistiques precises
de la justice criminelle, et nous n'en avons point. Cependant nous
ne sommes pas absolument depourvus de documents. La Cor-
respondance administrative sous Louis XIV contient toute une par-
tie consacree a la justice. D'autre part, les criminalistes du
xviii^ siecle font parfois des observations d'autant plus impor-
tantes, qu'en general ils se contentent d'interpreter les textes.
Enfin, les debats qui signalerent un certain nombre de proces
criminels, a la veille meme de la Revolution frangaise, con-
tiennent des critiques ameres et de graves constatations. Tout
cela nous permettra d'etablir un certain nombre de faits (1).
(1) On consultera aussi avec beauooup de fruit les Archives de la Bastille,
334 l'ordonnance de 1670
Voyons d'abord ce qui concerne I'unite et la regularite des
formes de la procedure criminelle. Realiser cette unite avait ete
Fun des buts principaux , sinon le principal des redacteurs de
rOrdonnance. Tout d'abord il semble qu'ils aient reussi. Peu
de temps apres la publication de la loi nouveUe , voici ce
que disait Duplessis , dans un memoire adresse a Colbert , que
nous avons deja cite : « II est difficile de trouver des nuUites
dans la procedure ; les procedures sont fort simples en matiere
crimineUe, il n'y a que rinformation , les interrogatoires , les
recolements et la confrontation qui soient de I'essence , et les for-
malites sont si bien marquees par I'Ordonnance qu'il n'est pas
facile de s'y tromper (1). » Mais c'etait la en realite une appre-
ciation trop favorable. Rien n'etait si complique que cette pro-
cedure ecrite , herissee de formalites ; nous aliens saisir sur le
vif les irregularites qui se commettaient , et bientot I'existence
des jurisprudences locales. Le 17 juin 1687, le chancelier de
Pontchartrain ecrit au Parlement de Rennes : « J'ai appris qu'il
s'est introduit plusieurs abus dans votre compagnie et dans les
sieges de votre ressort, auxquels il me parait necessaire de re-
medier, s'ils sont establis... 1° On pretend que tant les juges
royaux que ceux des seigneurs, qui sont dans le ressort du Par-
lement, font publier des monitoires dans tous les proces crimi-
nels , qui sont portes devant eux , quelque preuve qu'il y ait du
crime soit par les informations , soit par les interrogatoires des
accusez , et cela dans la seule crainte que le Parlement -ne casse
leurs procedures s'ils y avaient manque , ce qu'on assure estre
arrive fort souvent. Get usage est tres-abusif et meme tres-dange-
reux..., la voie des monitoires n'ayant ete introduite parmi nous
dans les proces extraordinaires qu'au defaut de toutes autres
voies , lorsque la verite ne pent etre connue d'ailleurs ; les
accusez pourroient se servir de ce moyen pour faire entendre
documents inMits publUs et recueillis ^slt M. Franfois Ravaisson, dont une
grande partie , il est vrai, se rfeffere h une 6poque ant^rieure k 1670. On y trouve
c6te k c6te des procedures riguliferes, interrogatoires et proces verbaux de torture,
et des lettres et rapports qui montrent dans tout son jour le rfile des lettres de
cachet.
(1) Lettres, etc., de Colbert, torn. VI, App., p. 422.
APPLIQUEE. 335
des temoins a leur decharge et sur tels faits qu'ils jugeroient a
propos... 30 On pretend que vous ne faites aucune difflculte a
recevoir un accuse a s'inscrire en faux centre les depositions
des temoins, ce qui est tres-abusif; outre que cela multiplie les
frais et esloigne le jugement des affaires (1), ce seroit admettre
I'accuse i, ses faits justificatifs avant la visite du proces, ce qui
est expressement defendu par I'article premier du titre XXVIll
de rOrdonnance de 1670 (2). » Le meme Pontchartrain , le 28
septembre 1710, adresse de vifs reproches aux magistrals de la
ville et chatellenie de Furnes ; il declare « qu'il est inouy qu'on
.ait jamais condamne contradictoirement un accuse sans I'entendre
auparavant, comme il est porte expressement par les articles 5
et 15 du litre XXVI de I'Ordonnance de 1670, qui veulent que
dans ce cas I'accuse soil envoye dans les cours ou ressortissent
les juges qui I'ont juge en premiere instance, et qu'il y soil
interroge sur la sellette lors du jugement. II ne sufflt pas que
toute la procedure faite centre luy y soil apportee , parce qu'on
pense apprendre par le nouvel interrogatoire de I'accuse des
circonstances qui peuvent servir a I'absoudre ou a le condamner
a des peines plus ou moins fortes (3). » Parfois les tribunaux
exageraient encore les rigueurs de la loi : le 6 aout 1679, le
chancelier Le Tellier, ecrivant a d'Aguesseau , intendant du Lan-
guedoc, est oblige de declarer « qu'il n'y a pas d'inconvenient
qu'un temoin, apres avoir dit dans sa deposition qu'il a vu I'ac-
cuse dans Taction et y avoir persiste dans son recolement , puisse
douter, a la confrontation qui lui est faite dudit accuse , s'il est le
mesme dont il a entendu parler (4). »
(1) Cf. Poullain du Pare : Principes, torn. XI, chap. 14, pp. 350, ssq.
(2) Correspondance adminisfrative sous Louis XIV, torn. II, pp. 450, 452.
(3) Corresp. administrative, torn. II , p. 489 ; cf. pour certains usages du Parle-
ment de Toulouse, ibid., p. 484.
(4) Ibid., p. 215. Cette correspondance contient parfois de curieuses interpre-
tations des usages. Voici ce que le president de Lamoignon 6crit au procureur
g^n^ral de Harlay : « J'ai toujours oui-dire que le Parlement ne donnoit jamais
les motifs de ses arrests par escrit; cela se pratique seulement h regard des Par-
lements de province. Entre plusieurs raisons qu'on pourroit dire de cette diffe-
rence , il y en a une essentielle qui est recevable en tons temps; c'estjque les
procureurs g^nfiraux des autres Parlements s'expriment par escrit estant 61oi-
gnes ; mais celuy du Parlement de Paris est auprfes du roy et lui doibt de bou-
336 l'ordonnance de 1670
Les auteurs font egalement de fsicheuses observations sur
I'article 20 du titre X de I'Ordonnance , qui ordonne aux procu-
reurs du roi d'envoyer tous les six mois au procureur general
I'etat des ecrous avec un etat des procedures. Serpillon declare
« qu'il n'y a pas d'article de TOrdonnance plus mal execute que
celui-la , quoique tres-important , pour que jles superieurs puis-
sent connoitre les procedures qui auront este negligees ou as-
soupies... Ce n'est pas que dans tous les temps il n'y ait eu a
ce sujet des arrets de reglement (1). »
D'Aguesseau, de son cote, protestera centre les coutumes
locales , attestant « qu'en matiere criminelle les coutumes memes
des provinces , a plus forte raison de leurs tribunaux , ne sau-
raient jamais prevaloir contre les dispositions de I'Ordonnance. «
A la fin du xviii° siecle, c'est une chose bien constatee que la
diversite des jurisprudences en matiere criminelle. « J'avoue-
rai done que le defaut de redaction que j'attaque est un usage
dans le Parlement de Paris et peut-etre dans d'autres Parle-
mens du royaume. A la verite, les autres Parlemens, et c'est
le plus grand nombre, s'en tiennent a I'esprit et a la lettre de
I'Ordonnance, qui leur commande, disent-ils, imperieusement
la redaction par ecrit (2). » « Plusieurs tribunaux souverains
admettent a deposer les parents des accusateurs et d'autres , au
contraire, les repoussent; de sorte qu'il en est dans les tribu-
naux de certaines depositions comme des monnaies dans les Em-
pires; certaines depositions ont cours dans un tribunal et ne
I'ont pas dans un autre (3). » Poulain du Parc^ dans les vo-
lumes qu'il consacre au droit criminel, s'arrete souvent pour
constater la pratique particuliere du Parlement de Bretagne (4).
Cette diversite des jurisprudences etait d'ailleurs un fait natu-
rel et inevitable. Les redacteurs des Ordonnances avaient certes
che rendre compte de toutes les choses dont Sa Migest6 veut estre esclairee. »
P. 174.
(1) Code criminel, p. 374.
(2) Dupaty : Mdmoire pour trois hommes condamnis ^ la roue, 1786 , p. 116; il
sagit de la redaction du dernier interrogatoire.
(3) Dupaty : Mimoire, etc., p. 180 ; of. Moyens de droit, pour les mfimes, p. 36.
(4) Voy. par. ex. torn. XI, pp. 65, 350.
APPLIQUEE. 337
cherche a eviter ce resuUat. Pussort avait indique le mal avec
sa nettete et son energie habituelles. « II reste pour dernier
remede de retrancher aux compagnies souveraines la liberie
qu'elles ont usurpe d'interpreter les Ordonnances. C'est une en-
treprise sur I'authorite royalle, a laquelle seule appartenant de
faire les lois, c'est d'elle aussi que doibvent proceder les inter-
pretations. C'est un droit que les empereurs romains se sont
toujours reservez, jusques-la que les juges qui estoient dans
les provinces estoient obligez de les consulter toutes fois et
quantes qu'il y survenoit quelque cas qui n'eust pas este prevu
par les loix, ou sur lequel les Joix ne s'estoient pas assez nette-
ment explique , et I'empereur Justinien , qui a compile et rap-
porte ce que les empereurs Julien et Adrien en avoient or-
donne , en donne une belle raison , parce que , dit-il , que Dieu
n'a esleve les empereurs au gouvernement des hommes , qu'afin
qu'ils puissent reformer ce qui y seroit deffectueux et prescrire
des bornes et regies certaines aux choses qui surviennent de
nouveau et n'ont point este preveues. Ceste regie a este suivie
par tous les jurisconsultes , qui ont decide unanimement qu'il
n'appartenoit point aux cours pretoriennes (en la place des-
quelles sont en ce royaume les souveraines) d'interpreter les
loix sous quelque pretexte d'equite que ce soit , par deux rai-
sons qui sont puissanfes et sensibles. La premiere est que si on
leur laissoit ceste liberte ils pourroient aneantir par leurs inter-
pretations I'authorite des loix et s'eriger eux-m§mes en legis-
lateurs , et la deuxieme que si cela estoit receu , tous les juge-
mens seroient arbitraires et dependroient de la fantaisie, de
Thumeur, de la passion et de I'interest des juges et rien n'y
seroit certain (1). » Aussi I'Ordonnance de 1667 portait-ellei (tit. II,
art. 7) : « Si dans les jugemens des proces qui seront pendans
en nos cours de Parlement et nos autres cours , il survient aucun
doute ou difficulte sur I'execution de quelques articles de nos
Ordonnances, Edits, Declarations et Lettres-patentes , nous leur
defendons de les interpreter; mais voulons qu'en ce cas elles
ayent a se retirer pardevant Nous pour apprendre ce qui sera
{i) Melanges CUrambault, n»613, p. 438 (M^moire de Pussort).
22
338 l'ordonnance de 1670
de Notre intention. » Mais cette defense ne pouvait qu'etre
vaine , Pussort luttait contre une sorte de loi naturelle , contre
une necessite logique , et il devait etre vaincu.
III.
Plusieurs causes surtout devaient rendre I'Ordonnance inef-
flcace sur bien des points. En premiere ligne etait la question
d'argent. Nous savons deja par les Memoires des Conseillers
d'Etat quel r61e jouaient les epices, meme en matiere crimi-
nelle, et a cet egard rien n'avait ete change (1), si ce n'est que
quelques economies avaient ete operees. Mais ce n'etait pas tout.
Lorsqu'il n'y avait pas de partie civile au proces, c'etaient les
-seigneurs pour leurs justices, les fermiers des domaines pour
les justices royales qui devaient faire les frais. Or, les uns pas
plus que les autres n'etaient disposes a financer ; il en resultait
que souvent, faute d'argent, Taction de la justice etait suspendue.
En 1664, le procureur general du Parlement de Bordeaux ecri-
vait a Colbert : « II est impossible d'obliger les receveurs ou
fermiers de fournir aux frais qui sent necessaires pour punir les
criminels et les conduire dans leur appel , ils disent qu'ils n'ont
point de fonds, si bien qu'il y a beaucoup de crimes enormes
qui demeurent impunis (2). » En 1679, en Guyenne, on ne pent
faire partir la chaine des forgats faute d'argent (3); en 1707, une
lettre du chancelier de Pontchartrain a I'intendant de Bourgogne
signale de semblables inconvenients : « II y a des condamnes au
fouet qui languissent dans les prisons de Bourg en Bresse , parce
qu'on ne pent contraindre le fermier a remetti'e 60 livres a
I'executeur de Dijon (4). » Avec le desordre croissant des fi-
(i) Voy. Leitre du chancelier Le Tellier a Daulfede , premier president du Par-
lement de Guyenne, 21 juillet 1679; il constate, entre autres choses, que les
rapporteurs ne remettent les arrets aux greffes qu'aprSs avoir 616 pay^s de leurs
Apices {Corresp. administ. sous Louis XlV.loms 11, p. 214). Voy. aussi 11 juin
1664 : Lettre de I'intendant Courtin a Colbert, d6crivant les concussions des offi-
ciers de judicature d' Arras {Ibid., p. 136).
(2) Ibid., p. 133.
(3) Corresp. administ. sous Louis XIV, tome II, p. 214.
(4) Ibid., p. 448.
APPLIQUEE. 339
nances de la monarchie, ces scandales n'etaient pas pres de
cesser.
La question d'argent n'entravait pas seulement les poursuites ,
elle les viciait souvent. Elle s'elevait a chaque instant devant les
accuses au cours de la procedure. Rousseau de La Combe remar-
que sur I'article H du titre X de I'Ordonnance : « II est defendu
a tons greffiers, gedliers et au plus ancien prisonnier dans la
prison, qui s'appeloit doyen ou prevdt, de rien prendre ni exiger
des prisonniers en argent, vin ou vivres pour la bienvenue du
prisonnier, c'est ce qui s'appeloit droit d'entree ou de bienvenue.
C'etoit une mauvaise coutume que I'Ordonnance a supprimee,
corrigee et defendue ; on battoit meme et insultoit le prisonnier
qui ne vouloit pas faire cette depense , et encore a present on a
bien de la peine a empecher totalement cet abus (1). » En 1786,
un ancien concierge des prisons rappelle comme une chose na-
turelle cette exploitation des detenus : « 11 falloit payer le loyer
d'une chambre pour ne point etre confondu sur la paille avec les
plus vils criminels, et se procurer les autres secours habituels,
sans lesquels la prison devient un sejour affreux , pire que la
mort (2). » Ici I'Ordonnance avait ete totalement impuissante ; la
venalite des charges depuis les plus hautes jusqu'aux plus basses,
le systeme deplorable des finances , etaient d'insurmontables obs-
tacles.
Les redacteurs de I'Ordonnance avaient cherche a assurer aux
accuses la seule garantie que comportat le systeme qu'ils adop-
taient, a savoir, la sincerite, la regularite des ecritures, I'obser-
vation des formes. Mais ici encore ils se heurtaient a des impos-
sibilites materielles. Cette procedure ecrite etait trop minutieuse et
trop compliquee , pour qu'elle ne se faussat pas , surtout aux
mains des officiers inferieurs. A la veille de la Revolution, les
temoignages abondent, attestant les abus. Lorsqu'il s'agissait en
(1) Matures criminelles, p. 34. Ces usages venaient de loin. Voy. Edit d'octo-
bre 1485 (Isambert, xi, p. 150). Art. 38 : « La quarte de vin de bien veniie, le
parler dessous la ceinture, le voler, le parler latin , telles truffes sent d^fendues ;
car les prisonniers sont assez chargez de payer les d^pens n^cessaires. »
(2) Mimoire & consulter et consultation pour le sieur Lecarde, ci-devant greffier
des prisons de la conciergerie du palais b. Rouen, centre M. Lecauchois, avocat
au Pariement de Rouen. Paris, 1786, p. 22.
340 l'ordonnance de 1670
particulier des reponses des accuses ou des temoins , n'etait-il pas
incontestable que la transcription qu'en faisait le greffier, etait
bien souvent un echo eloigne des paroles prononcees : « Je prie-
rois de considerer que la traduction que subissent souvent danS
les premiers tribunaux les reponses des accuses , et I'idiome des
questions souvent inintelligible , ne sauroit etre que tres-infidele ;
en voici un exemple dans cette procedure. Le prevot demande a
Simare s'il n'a pas eu de relations avec Bradier. Simare , qui ne
sait pas ce que veut dire ce terme, repond : Non. Gependant Bra-
dier est son beau-frere. Gependant a la question suivante, Simare
convient avoir ete avec Bradier a Salon. Les malheureux! on les
interroge et ils ne comprennent pas ! et on ne les comprend pas !
Vous redigez votre question et traduisez leurs reponses... Ah!
que le metier des premiers juges , qui seuls interrogent , qui seuls
traduisent, qui seuls redigent, est delicat (1)1 » Un semblable
vice etait en realite irreparable. Et encore, il arrivait souvent que
la redaction ne se faisait pas sur-le-champ, le greffier prenait
seulement des notes, et redigeait plus tard a loisir : « Je me
rappelle en fremissant que c'est maintenant un usage dans plus
d'un tribunal du royaume de ne prendre dans le tribunal que des
notes des depositions des temoins, ou des reponses des accuses
et de les rediger ensuite a son aise et a son gre hors du Pa-
lais (2). « Sans doute la loi defendait tout cela; mais la nature
y poussait et rien n'etait plus facile lorsque I'accuse.et le temoin
ne savaient pas signer.
Ges pieces ecrites sur lesquelles I'arret devait etre rendu,
Iqs magistrals ne les lisaient point tons. On ecoutait le rappor-
teur et on se fiait a lui : « Je vis qu'il falloit au moins quatre
heures et demie pour la seule lecture du proces , d'ou je calculai
qu'il avoit ete impossible que ce proces eM ete rapporte au
parquet en trois quarts d'heure en I'absence de M. le procureur
general du roy (3). » Enfin trop souvent les expeditions qui
etaient envoyees aux juges d'appel etaient fautives : « On ne
(1) Dupaty : Mimoire pour trois hommes condamnSs a la roue, p. 139.
(2) Ibid., p. 66.
(3) Memoire jusUficatif pour Marie , Franfoise , Victoire Salmon , par M. Le-
cauchois , avocat au Parlement de Rouen. Paris, 1786, p. 10.
APPLIQUEE. 341
juge dans tous les tribunaux souverains que sur des expedi-
tions faites et envoyees par un greffier de juridiction seigneu-
riale, souvent un greffier-commis. Cela fait trembler, je pourrois
rapporter plusieurs exemples comme celui-ci oii les expeditions
ont ete falsifiees. Et on veut qu'on se taise sur notre Ordonnance
criminelle (1)1 »
C'etait surtout dans les juridictions inferieures seigneuriales
et royales que les fautes des officiers etaient nombreuses, et
les regies de I'Ordonnance violees. « Sans doute le conseil de
Sa Majeste est loin d'accueillir ce systeme vraiment inquietant ,
qui par la corruption des moBurs et la foiblesse des caracteres
fait tous les jours de nouveaux progres, qu'il ne faut point
par des rigueurs, quoique legitimes, envers les juges inferieurs,
decourager leur ministere et en diminuer encore le nombre qui
diminue deja trop... Une plainte s'est elevee depuis peu de
tous les cotes contre les prevarications des tribunaux infe-
rieurs, et ce cri a ete traite de seditieux par quelques personnes.
Non, ce cri n'est point seditieux : si cette plainte se taisoit, c'est
que depuis deux siecles peut-etre on en etouffait la voix (2). » Ce
n'etait point de I'exageration lorsqu'on disait que cerlaines causes
venaient reveler « les mysteres des justices subalternes (3). »
IV.
Si I'Ordonnance de 1670 n'etait pas toujours respectee dans ses
dispositions bienveillantes , elle ne I'etait pas non plus quant aux
regies de rigueur. Un point specialement est a relever. L'Ordon-
nance faisait du secret de la procedure une regie inflexible.
L'accuse ne devait jamais avoir communication des charges,
de meme que jamais il n'avait de conseil avant son interrogatoire,
et qu'il en avait rarement apres. Mais il est facile de montrer
que ces principes cedaient assez aisement devant deux choses ,
(1) Dupaty : Mimoi/re, p. 232 — Voyez Mimoire pour Catherine Estinfis contre
les officiers du sifege royal de Rivifere, par M. Lacroix, avocat. Toulouse, 1786,
(2) Dupaty : Moyens de droit pour Bradier Simare, etc. Paris, 1786, p. 60.
(3) Mimoire poor Catherine Estlines, p. 54.
342 l'ordonnance de 1670
toujours puissantes et qui I'etaient surtout alors : le credit des
gens en place, et I'argent.
La faveur ou I'argent faisaient obtenir communication des
pieces soil aux accuses , soil a leurs amis ; c'est vainement que la
defense inscrite dans la loi est rappelee par ceux qui dirigent
I'administration de la justice , et par ceux qui commeritent I'Or-
donnance. Le 25 juillet 1677, le marquis de Seignelay ecrit au
lieutenant du siege de I'Amiraute a Dieppe : « Je vous diray
que les informations sont des pieces qui doivent estre tenues se-
cretes, et que vous ne devez communiquer a personne sans I'ordre
expres de Sa Majeste (1). » Voici quelques temoign-ages recueillis
dans les Archives de la Bastille. Un homme de justice ecrit a
Seignelay, le 22 mai 1695 : « M. de Pomponne avait donne a
M. I'ambassadeur de Savoie copie du premier interrogatoire , qui
sur cela avait fait des consultations en faveur de Colonna ; il est
venu me demander copie de la suite des procedures... j'ai cru
devoir me tenir dans les regies et la refuser. M. de Pomponne
m'ayant fait I'honneur de m'ecrire que c'etait la volonte du Roi,
j'ai obei (2). » Autre lettre du 24 avril 1676, d'un agent qui
s'interesse a I'accuse : « Je n'ai pu savoir non plus precisement
ce que Mainrot a dit dans son interrogatoire sur la sellette,
quoique j'aie fait agir une personne aupres du greffier, qui n'a
point voulu le laisser voir, et a dit, quand on le lui a demande
pour le lire, qu'il avait ordre de le tenir secret (3). » — « L'Ordon-
nance, dit Serpillon , veut que les temoins soient entendus secre-
tement, et I'article 15 defend aux greffiers de communiquer les
procedures. Cependant combien de contraventions a cette regie
si etroitement recommandee, combien d'officiers qui, contre la foi
de leurs charges , communiquent les procedures aux parties, sur-
tout au petit criminel , s'imaginant que les defenses ne concer-
nent que les matieres graves, tandis que les Ordonnances ne
font aucune distinction. Les parties civiles en abusent pour
suborner les temoins lors des recollements et confrontations;
I'accuse concerte ses reponses sur la connaissance qu'il a des
(1) Corresp. administ. sous Louis XIV, tome II, p. 206.
(2) Tome VI, p. 93.
(3)/6W., p. 184.
APPLIQUEE. 343
depositions ; par ce moyen on ne pent decouvrir la verite , la
justice n'est pas rendue , les crimes demeurent impunis (1). »
Jousse n'est pas moins net : « Cette defense de communiquer les
procedures secretes est assez mal observee dans I'usage, et il
n'arrive que trop souvent qu'on la vide impunement (2). »
A la fin du siedle , alors qu'on parle haut , on dit ouvertement
comment les choses se passent. Ce sont les greffiers qui procu-
rent les pieces, et les avocats les citent dans leurs memoires.
Cependant on respecte encore les formes dans certains ecrits.
Dans le memoire de I'avocat Lacroix pour Catherine Estines ,
I'auteur emploie souvent cette formule , quand il cite la deposi-
tion d'un temoin : « Tel temoin doit avoir dit. » Ces communica-
tions subreptices n'etaient point d'ailleurs generalement com-
pletes, et en 1786, I'avocat general Seguier pourra dire dans un
requisitoire celebre : « Personne n'ignore et les jurisconsultes
eux-memes en conviennent, qu'un memoire en matiere criminelle
n'est presque toujours qu'un assemblage de faits et de circons-
tances administres par les accuses. Les defenseurs sont presque
toujours dans la triste impossibilite d'en verifier I'exactitude ;
ils sont obliges de s'en rapporter a la declaration de leurs pat
ties (3). »
Une discussion curieuse, qui eut lieu en 1790 a I'Assemblee
nationale , montre que dans les derniers temps , I'application de
rOrdonnance, quant au secret des procedures, etait devenue
assez incertaine. On discutait la loi nouvelle qui allait remplacer
rOrdonnance. « Autrefois, disait M. Rey, on faisait le recolement
des temoins en presence de I'accuse ; les magistrals , suivant plu-
tot I'esprit que la lettre de la loi , permettaient meme la commu-
nication des charges. — M. FHteau : Je dois a mon caractere
de juge de declarer que ce fait est faux. J'ai failli etre chasse
du Parlement de Paris pour avoir pris connaissance des charges
d'une procedure. Non-seulement I'accuse n'avait pas ce droit,
(1) Code Criminel , p. 483.
(2) Comment, sur I'Ordonnance de 1670, p. 165.
(3) Riquisitoire de 1786, centre le memoire de Dupaty, p. 14; page 25, il
ndique que I'auteur du mtooire « par oit avoir eu connoissance de la proce-
dure. »
344 l'ordonnance de 1670
mai,s encore aucuns moyens humains ne lui donnaient la faculte
de connaitre les charges, et quand on dit que le projet de vos
comites est plus absurde que les anciennes Ordounances ,. c'est
une chose que j'ai le droit de nier au nom de la magistrature
entiere. — M. Goupil : Et moi j'atteste qu'au Parlement de
Rouen on donnait aux accuses copie des charges lorsqu'ils la
demandaient; j'ai eu dans mon cabinet les charges de diverses
procedures, je les ai citees dans des memoires en lettres ita-
liques..., il n'est pas vrai que I'Ordonnance de 1670 ait defendu
absolument cette communication ; elle la defendait seulement
sans ordonnance des juges : I'Ordonnance pour la marine redigee
en 1681 sous les yeux des memos magistrats et dans le memo
esprit, n'interdit pas aux juges le droit de donner communica-
tion. — M. Rey : Dans le ressort du Parlement de Toulouse
la communication etait d'usage (1). »
II etait egalement possible d'avoir un avocat comme conseil.
Ce n'est pas seulement le roman du xvm° siecle qui nous montre
des accuses communiquant avec leur defenseur, m§me avant
I'interrogatoire , les documents juridiques prouvent aussi que
cette irregularite n' etait pas sans exemple (2). En tout cas, I'as-
sistance d'un conseil semble de droit lorsque , apres une con-
damnation en dernier ressort, un sursis etant accorde, I'accuse
poursuivait la cassation ou la revision de I'arret (3). Lorsqu'on
(1) Seance da 28 octobre 1790 : Moniteur du 29.
(2) Voy. Archives de la Bastille, VI, p. 150. « Je fus ensuite le mgrne jour chez
le plus fameux avocat du Parlement pour les matiferes criminelles, nomm6 M. Beu-
rey, pour le consulter sur les moyens que I'oq pouvoit prendre pour justifier la
calomnie de ce que Colonna a declare dans son interrogatoire..., mais avant que
de m'ouvrir 4 lui, lui ayant demande s'il avoit consulte pour quelqu'un dans 1' af-
faire de Colonna , il me dit qu'il avoit consulte pour le marquis de Livourne avec
un autre avocat nommfi M. Lambin. »
(3) Dupaty : Mimoire , p. 221 : « J'arrive a la prison, je demande ces trois mal-
heureux; ou me les amfene dans une chambre oii j'atteadois. » — Lecauchois,
Mimoire pour la fiUe Salmon, p. 16 : « Que Ton considfere les difQcules que j'ai
da ^prouver dans environ 50 a 60 heures d'interrogatoire que j'ai fai,t prfiter a
cette fiUe..., quelles precautions il m'a fallu prendre pour, a I'aide de mes d^cou-
vertes exterieures , tirer de I'accusee les^ eclaircissements 4 sa connoissance, sous
les yeux de ses argus , et sans n^anmoins qu'ils pussent y rieu comprendre...
Au surplus , je ne cbnnois pas de loi qui ordonne que le. dSfenseur ne pourra
interroger son client ni conferer avec lui qu'en presence de t^moins. »
APPLIQUEE. 348
avait gagne la compassion ou obtenu la connivence des geoliers
ou gardiens des prisons, tout allait sans difficulte (1).
Mais tout cela etait affaire de soUicitations et d'influences ;
c'etait toujours I'arbitraire , parfois la liberie de la defense ache-
tee a deniers comptants. C'etait une inegalite choquante entre le
riche et le pauvre : on le dira plus tard. « fitrange contradiction
de notre Ordonnance criminelle. Elle se defie tellement des lu-
mieres, de I'exactitude , de I'eloignement, de I'obscurite des pre-
miers tribunaux criminels, qu'elle accorde aux accuses le remede
de I'appel de tous leurs jugemens quelconques aux tribunaux
souverains; et Dependant en privant les accuses d'un conseil,
elle les prive par la meme de tout moyen de faire usage de Tap-
pel. — Que dis-je? ils auroient pu, ces malheureux, profiler des
ressources que leur accordoit I'Ordonnance ; ils auroient pu
meme avoir un conseil. Comment? par quel moyen? Le dirai-je?
S'ils n'eussent pas ete pauvres. Helas ! oui , s'ils n'avoient pas
ete pauvres, comme les riches ils auroient eu des conseils;
comme les riches ils auroient fait appel; comme les riches, ils
auroient connu le secret de la procedure a I'audience , ou ils I'au-
roient achete dans les greffes, ils auroient presente des requites,
ils auroient publie des memoires ; enfin croit-on que les juges
de Chaumont eussent enseveli dans leurs cachots pendant trente
mois trois hommes riches? Quoi done! les loix destinees a secou-
rir les malheureux et en proportion de leurs malheurs , les loix
opprimeroient-elles au contraire les malheureux et en proportion
de leurs malheurs ! Quoi done ! les pauvres , les miserables , et ,
comme dit I'orgueil, la lie de la nation , vingt millions d'hommes,
seroient-ils reduits a I'avenir a n'apprendre qu'ils ont un roi que
par les vexations des traitants, des magistrals qu'a la vue des
echaffauds , et un Dieu qu'apres leur mort (2) 1 » — « Hommes
(1) Dans I'affaire de la flUe Salmon, le sieur Lecarde , concierge de la prison,
rejoit six lettres de I'accusfee , alors qu'elle a M transferee dans une autre ge61e
[Mimoire poarle sieur Lecarde, pp. 6, 7, 8, 9, 12, 15). Voy. Archives de la Bas-
tille, VI, p. 159 : « Avant-hier, le nomme Rencontre detenu depuis deux ansfen
cette ville dans les prisons et par ordre de M. le procureur gin&al du Parlement,
charge et recommande deux fois , alia boire avec le geSlier dans un cabaret hors
de la prison, oil il I'enivra , et se sauva. »
(2) Dupaty : Mimoire, p. 237.
346 l'ordonnance de 1670
puissants vous n'etes done pas contents encore de votre justice
criminelle? Voyez cependant tout ce qu'elle a deja fait pour vous
depuis plus de deux siecles , depuis Poyet jusqu'a Pussort. Elle
a retranche de la defense des accuses toute communication de la
procedure et tout conseil , et au prejudice seul du peuple , car
vous avez de I'or. Elle a retranch6 de la defense des accuses la
publicite qui observe la justice et qui la tient attentive, au pre-
judice seul du peuple , car vous , toute votre existence est si im-
portante et si precieuse ! Elle a retranche plus d'a moitie de la
defense des accuses la faculte de se justifler et au prejudice seul
du peuple, car vous, qui ose en effet vous inculper? Elle a re-
tranche enfin des peines la moderation et la proportion et au
prejudice seul du peuple, car vous, toute la justice des rois est
souvent necessaire pour que la justice des loix vous atteigne (1). »
Un dernier effet, produit par la publication de I'Ordonnance
de 1670, reste k signaler. En composant ce code, les redacteurs
donnaient une base solide au droit criminel. lis appelaient les
savants commentaires , qui ne manquerent pas. L'Ordonnance
rendit possible une etude scientifique de la procedure penale.
Jusque-la on avail expose des usages plutot qu'interprete des
lois : dans les ceuvres des juristes les textes des Ordonnances
n'intervenaient que par moments, comme soutien de I'exposition,
dont elles ne constituaient point le veritable fondement ; il suffit
de parcourir par exemple le traite d'lmbert pour se convaincre
de cette verite. Desormais I'interpretation s'attaquera corps a
corps aux articles de I'Ordonnance, s'attachant a en degager
toutes les consequences. Aux pratiques vont succeder les com-
mentaires; tout au moins ceux-ci tiendront-ils le premier rang.
L'exegese ne tirera pas seule parti de I'Ordonnance; plusieurs
ouvrages portent des titres qui revelent une large synthese :
le Code Criminel, ou les Institutes de droit criminel. Cela con-
(1) Dupaty : Moyens de droit pour Bradier, etc., p. 43-44,
APPLIQUEE. 347
tribua puissamment a donner & la procedure criminelle frangaise
cette nettete et en meme temps cette rigueur que ne connurent
jamais les usages cong6neres des nations voisines.
Cette importance acquise par les commentaires , le principal
auteur de I'Ordonnance, Pussort, ne la voulait nuUement; son
desir etait tout oppose , et 11 ne cachait point sa pensee a ce su-
jet. II conseillait au roi « de faire deffense a qui que ce soit de
faire aucunes nottes ni commentaires sur les Ordonnances, ni
aucun recueil d'arrestz sous peine de faux, dix mil livres d'a-
mande et de confiscation des exemplaires ; les commentaires des
Ordonnances et les raisonnements tirez des arrests ne tendant
qu'a en affoiblir I'authorite sous les pretextes specieux d'equite et
de la force des choses jugees (1). » Mais ici encore Pussort vou-
lait lutter contre une tendance fatale.
Les ouvrages des criminalistes , en particulier ceux de Jousse
et de Muyart de Vouglans, s'incorporerent bientot pour ainsi
dire a I'Ordonnance; ils furent obeis par les tribunaux non
moins que la loi elle-meme. « Jousse a ecrit cela et Jousse est
I'esprit , la raison et la jurisprudence des tribunaux du royaume,
oui, la jurisprudence. Le jurisconsulte Meynard ne disoit-il pas
en traitant une question : les juriscon suites ont ordonne? Et ils
ont en effet ordonne, surtout dans la justice criminelle. Toutes les
lacunes de notre legislation criminelle si incomplete, si decou-
sue, tombant en ruines, sont, si je puis parler ainsi, bouchees de
maximes des criminalistes (2). » — « Ce n'est point sans doute
des premiers tribunaux que Ton doit attendre et encore moins
exiger I'abjuration de toutes les maximes barbares que les crimi-
nalisteis ne cessent d'etablir depuis tant de siecles dans la juris-
prudence criminelle. Car la jurisprudence criminelle a ete jus-
qu'ici abandonnee aux criminalistes par nos monarques , trop oc-
cupes la plupart d'accroitre leur puissance pour s'occuper du
bonheur de leurs sujets (3). »
(1) Melanges CUrambauU, n» 613, p. 453.
(2) Dupaty :]Mimoire, p. 156.
(3) Ibid., p. 227.
348 l'ordonnance de 1670
CHAPITRE DEUXIEME.
La proc6dure criminelle et Tesprit public
aux XVIIe et XYIII^ siScles.
I. Comment la procWure criminelle est apprici^e au xvii» siScle : La BruyJre ,
Augustin Nicolas, Despeisses. — II. Le mouvement philosophique du xviii*
sificle. — III. Montesquieu et Beccaria. — La legislation criminelle dans les
CBuvres de Voltaire. — IV. La procedure criminelle apprficiee par les juristes
du xvmo sifecle. — V. Les R^formes de d'Aguesseau. — VI. Progres de I'esprit
de rSforme : les discours de rentrfie des magistrals; Servan; — les concours
ouverts par les soci^t^s littfiraires, Brissot de Warville; — Mfimoires pour
d'innocents condamnfis; le barreau et la magistrature.
I.
L'esprit public, au xvii° siecle, n'etait point hostile a cette
procedure inquisitoire et secrete que nous avons decrite. Elle
semblait alors une rigueur necessaire; on I'acceptait sans diffi-
culte et d'instinct pour ainsi dire , comme le pouvoir absolu des
rois et I'intolerance religieuse. Un immense besoin de soumis-
sion facile emplissait alors les esprits. Ce qui le montre bien,
c'est qu'on pouvait, au theHtre, parler de ce que cette proce-
dure avait de plus odieux , de la torture , et cela non par maniere
d'clpre satire, mais sous forme de plaisanterie. On connait la
scene des Plaideurs et la proposition que fait Dandin a Isabelle :
D. N'avez-vous jamais vu donner la question?
I. Non , et ne la verrai , que je crois , de ma vie.
D. Venez, je vous en veux fairs passer I'envie.
I. He! Monsieur, peut-on voir soufTrir des malheureux?
D. Bon! cela fait toujours passer une heure ou deux (1) 1
Sans doute , Racine a mis la dans la bouche d'une femme une
note attendrie ; mais il n'a point I'intention de faire passer Dan-
(1) Les Plaideurs, act. Ill, so. 4 (1668).
APPLIQUEE. 349
din pour un monstre et d'exciter I'horreur du public. De meme ,
Moliere fait dire a Harpagon , a qui Ton a vole sa cassette : « Je
veux aller querir la justice , et faire donner la question a toute
ma maison , a servantes , a valets , a fils et a fiUe , et k moi
aussi (1). » Cela ne fait fremir personne , et pourtant la pensee
d'Harpagon , quant el ses valets , pouvait Stre une realite de cha-
que jour : la denonciation du maitre etait un indice prochain
qui suffisait pour faire mettre un domestique a la torture. Ma-
dame de Sevigne parle fort tranquillement de la question (2).
Parmi les ecrivains litteraires, on ne trouve guere que La
Bruyere qui ait proteste contre la torture; mais la protestation
est energique , elle pent 6tre mise ei cote de la fameuse tirade
sur le paysan. « La question est une invention merveilleuse et
tout a fait sure pour perdre un innocent qui a la complexion
faible, et sauver un coupable qui est ne robuste. Un coupable
puni est un exemple pour la canaille ; un innocent condamne est
I'affaire de tons les honn^tes gens. Je dirais presque de moi :
Je ne serai pas voleur ou meurtrier, dire ; « Je ne serai pas un
jour puni comme tel, » c'est parler bien hardiment. — Une
condition lamentable est celle d'un homme innocent a qui la
precipitation et la procedure ont trouve un crime; celle mime
de son juge peut-elle I'etre davantage (3) ? » — Et ailleurs : « II
faut des prisons et des supplices, je I'avoue, mais justice, lois
et besoins a part, ce m'est une chose toujours nouvelle de con-
templer avec quelle ferocite les hommes traitent d'autres hom-
mes (4). » Certes, Beccaria et Voltaire ne diront pas mieux , mais
cette voix eloquente est une voix isolee !
Cependant vers la fin du xvii° siecle, onze ans apres la
grande Ordonnance, une autre voix s'eleve, haute et tou-
(1) L'Avare, act. IV, so. 7.
(2) « Enfin, e'en est fait, la Brinvilliers est en I'air; son pauvre petit corps a
6te jet6 apres I'ex^cution dans un fort grand feu et les cendres au vent... On I'a
pr^sent^e a la question , elle a dit qu'il n'en 6tait pas besoin et qu'elle diroit
tout... Aprfes cette confession, on n'a pas laissfi de lui donner des le matin la
question ordinaire et extraordinaire , elle n'a pas dit davantage. » Lettre du 17
juillet 1676. Edit. Monmerqufe , torn. IV, p. S28-529.
(3) Les caracUres. De quelques usages.
(4) Les caractires. De Thorame.
330 l'ordonnance de 1670
chante; c'est celle d'ua magistral , Augustin Nicolas, president
au Parlement de Dijon. _Celui-la est un descendant inteUectuel
de Pierre Ayrault; e'est un de ces magistrats qui unissaient la
science a la hauteur de I'ame. II a ete revele de hos jours , on
peut le dire, par MM. Laboulaye et Faustin jHelie (1). II est
digne de figurer a cote de Lamoignon dans cette etude histo-
rique : il relie Ayrault aux puhlicistes du xviiie siecle , et il est
bon de montrer qu'en France , meme aux plus mauvais jours
de la procedure criminelle , la lumiere du vrai ne s'est jamais
eteinte, et que des hommes genereux se sont passe de I'un a
I'autre le sacre flambeau.
L'ouvrage de Nicolas est un assez petit livre (2). II ne traite
point de la procedure criminelle en entier. L'auteur a concentre
tout son efifort sur un seul point , le plus odieux ; il parle de la
torture et specialement de son emploi dans les procedures centre
les sorciers. Augustin Nicolas n'est point du reste un revolte,
ce qui serait bien etrange chez un magistral du xvii° siecle ;
il est respectueux de toutes les autorites , et il dedie son livre
au Roi lui-meme. Dans sa preface, selon le goM du temps, il
compare le Roi a Hercule : « Vous feriez , Sire , avec moins
d'effort que luy les mesmes effets en faveur des faibles et des
innocens, si vous daignez embrasser la protection de cet ou-
vrage, et joindre votre pouvoir aux, raisons qui soutiennent
son raisonnement. II n'appartient , Sire, qu'a un Roi aussi
grand que vous , de corriger dans ses Estats les abus que ces
derniers siecles ont puisez dans les auteurs les plus corrompus.
G'est a un monarque de France d'extirper de son royaume par
son pouvoir absolu et d'inviter par un exemple aussi noble les
autres princes Chretiens de corriger dans leurs Estats tant d'in-
justes moyens de Venir a la connoissance et au chastiment des
crimes. Tant de pauvres innocens qui perissent des si long-
(1) Voy. M. Laboulaye : Revue des cours littiraires , tome II, p. 770.
(2) II est intitule : « Si la torture est un moyen sHr A. virijier les crimes secrets,
dissertation morale et juridique , par laquelle il est amplement traiti des abus, qui
se commettent partout en I'instruction des prods criminels , et particuliirement en
la recherche du sortiUge. A Amsterdam chez Abraham Wolfgang, pr6s de la
Bourse. 1682. »
APPLIQUKE. 3S1
temps par les horribles violences de la torture , tant de pauvres
femmes aussi cruellemeat martirisees qu'injustement condam-
nees de sortilege sur des confessions arrachees a force de tour-
mens insupportables , tendent leurs mains au throne du grand
Monarque de I'univers, qui vous a commis le gouvernement de
tant de peuplesl... Ce n'est pas le premier soin que Votre Ma-
jeste ait pris pour garantir ses Estats des tristes effets de la chi-
cane et du brigandage de tant de procedures abusives. La France,
qui fleurit aujourd'hui sur tous les Estats du monde en toutes
sortes de sciences et de grands esprits , vous fournit abondam-
ment ses grands genies pour soumettre a leur censure ce petit
effort d'un de vos sujets. » Nicolas sent tellement quelle est
I'importance des idees qu'il agite, qu'il s'adresse a tous les
princes de la chretiente : « Comme je croy en ce discours rendre
a la Republique Chretienne le plus grand service qu'on lui peut
rendre , je ne crains point de I'adresser a tous les princes Chre-
tiens , ni de les supplier en tres-profond respect de se le faire
lire et examiner serieusement (1). » De meme quant a la sorcel-
lerie, il enappelle au prochain concile (2).
II respecte non-seulement les autorites etablies, mais meme
les prejuges de ses contemporains. Bien que tout son livre mon-
tre qu'il ne croit pas aux sorciers, il declare que « c'est une
marque tres-seure d'ignorance de nier qu'il y ait des sor-
ciers (3). » II sent qu'il a contre lui la formidable puissance des
idees recues ; il a longtemps hesite devant « la crainte de donner
au public quelque chose qui put sembler contraire aux opinions
communes (4). » II sait qu'il aura contre lui « ceux qui croyent
affoiblir un raisonnement , en attaquant son autheur par les re-
proches grossiers d'avocat de sorciers et de protecteur de I'im-
(1) P. 188.
(2) « J'implore trfes-humblement le premier concile giniral qui sera assemble
16gitimement d'examiner mes raisons sur ces matifires avec une entifire soumis-
sion a son jugement. » P. 109.
(3) P. 153; mais of. p. 154 : « C'est une esp6ce de fur-eur de croire que les
sorciers fassent tous les maux qu'on leur attribue. » — P. 137 : « Quoique disent
les docteurs allemands de la quantity des sorciers de leur pays , ils ne sont pas
tous si grands sorciers qu'ils se I'lmaginent. »
(4) P. 7.
352 l'ordonnance de 1670
punit6 (1) ; » mais il sent aussi qu'il a un devoir a remplir, et il
le dit en nobles termes : « Si Ton attend que les princes en re-
viennent d'eux-mesmes , c'estenvain. Tandis que les sgavans et
les sages n'oseront leur en dire leurs sentiments , les princes qui
s'en reposent sur leurs officiers , n'en sauront jamais entierement
le precis (2). »
Dans ce livre il y a deux esprits pour ainsi dire , qui s'entre-
melent comme deux fils differents sur la trame d'une etoffe. D'un
cote sont les demonstrations qui s'adressent aux contemporains ;
elles peuvent nous paraitre longues , fastidieuses , pueriles par-
fois ; mais c'etaient les raisonnements utiles pour les hommes de
ce temps , le langage qu'ils comprenaient. Ainsi Nicolas insiste
sur ce que la torture est une institution du paganisme romain ,
et il allegue ouvertement que c'est une invention du diable (3).
II tient beaucoup a montrer qu'il n'y en a pas trace dans la loi de
Moi'se , ni dans la douce loi du Christ , et que le droit canon ne
I'admet point (4). » II soumet surtout a un examen attentif , trop
long pour nous , tons les textes des lois romaines , qui reglemen-
tent la question et les passages de Ciceron et d'Aristote qu'on
invoque en favour de la torture. Cependant il faut remarquer
qu'il fait preuve d'un sens historique assez sur : il sait bien que
« les premiers Remains qui s'en servirent , n'oserent la pratiquer
que sur les eclaves , » et qu'il en fut ainsi « pendant les bons
siecles de la Republique romaine (5). » II montre nettement que
les accusations de Majesty de la loi romaine etaient bien diffe-
rentes des crimes de lese-majeste de la jurisprudence fran-
caise (6). ■
Mais a cote de cela , il y a d'autres raisons , qui certainement
sont pour lui les bonnes et les vraies ; et ici , parlant par-dessus
(1) P. S2.
(2) p. 189.
(3) Voici un passage entre beaucoup d'autres, p. 33 : « Quiconqiie fera reflexion
sur la source et sur les autheurs de la torture, ne pourra qu'il ne demeure d'ac- >
cord que c'est une invention du Diable, sugg^rge a des payens et a des tyrans,
pour I'oppression d'une infinite de gens de bien. »
(4) P. 190, cf. p. 81, ssq.
(5) P. 10.
(6) P. 66.
APPLIQUEE. 3S3
la tete de ses contemporains , il s'adresse aux esprits qui vien-
dront plus tard et qui sauront le comprendre. On croit entendre
un homme de la fin du xvni° siecle quand il revendique les droits
de la raison et du bon sens. « Quoique je revere I'autorite des
Lois humaines autant que personne , je ne puis pourtant m'y sou-
mettre lorsque le sens commun y repugne comme ici, et que la
raison naturelle y contredit (1). » — « Nous voilk remis h I'ega-
lite naturelle et k la justice de droit commun, qui veut que oii le
danger est plus grand on abonde de soins et de precautions pour
la seurte de la preuve (2). » G'est qu'en effet, a bien des egards,
Augustin Nicolas n'est pas un homme de son temps. II est parti-
san de la tolerance religieuse (3), il a ce souci de I'observation
"precise, du detail pittoresque et familier, qui distingue nos habi-
tudes d'esprit (4). II se met personnellement en scene et fait
appel a la conscience individuelle : « Je me compte le premier
et je confesse ingenuement que je suis de ceux qui prefereroient
une prompte mort a des douleups si insupportables (la torture)...,
et je ne fais aucun doute que tout Thomme de bien qui ne soit ni
stoi'que ni athlete, confessera la mesme chose de soy (5). »
Dans cet ordre d'idees , on devine comment Nicolas considere
la torture : « Personne , dit-il , n'ignore qu'une seule demi-heure
de torture ne contienne en soi plus de martire que trois supplices
(1) P. 15.
(2) P. 26.
(3) « Notre profession de christianisme n'a pas 6le exempte de ces funestes
excds, lorsqu'un zele mal menag6 nous a fait armer coutre nos frfires rebelles pour
venger sur eux I'interSt de la Divinity et I'alt^ration de son culte et la foy que
nous lay devons. » P. 50.
(4) Voyez sur la sorcellerie, p. 105 : « Que ces songeurs qu'on condamne sur
la confession de leurs songes, et qu'on croit sur des complices d'une vision
imaginaire , puissent avoir eu des id6es du sabat par leurs propres sens exii-
rieurs, sans les avoir regeues en une assistance reelle, il est plus Evident que la
clarte du soleil. Quel estl'honime ou la femme, pour rustiques et campagnards
qu'ils puissent estre , qui ne scache d^sormais jusqu'aux circonstances les plus
menues, de ce qu'on dit estre fait dans ces sabats. II ne faut qu'avoir este assis
une demy heure sous rorme ou soubz la tille devant I'^glise de son village en
conversation avec ses commferes , au four, au moulin , aux veill^es d'hyver, pour
sQavoir ces particularit^s autant a peu prfes que Remi, Bodin, del Rio et le Maillet
des sorciers nous en oat appris. »
(5) P. 29.
334 l'ordonnance de 1670
de la potence ou de I'echaffaud... au nom de Dieu sont-ce la de^
causes suffisantes a nous faire demembrer un homme tout "vif
et a nous exposer au hazard de le trouver innocent et tout au
plus de le rel4cher quoique criminel s'il a le bonheur d'un charme
ou un temperament a soutenir ces tourmens , ou de combler I'in-
justice en ajoutant a un innocent qui se confesse coupable par
force un dernier supplice aux premiers martyres que nous lui
avons deja fait souffrir? Est-ce que ceci n'arrive pas tons les
jours (1)? » II fait voir des exemples nombreux d'innocents ayant
avoue a la question , et montre avec una verite frappante le juge
s'irritant de plus en plus contre I'accuse qui ne veut pas avouer (2).
Quant aux tourments il se refuse a les decrire : « Qui voudra
sgavoir I'attirail de cette boucherie n'a qu'a lire les autheurs Ita-
liens qui en traitent... La veille d'Espagne (torture par la priva-
tion de sommeil) qui oblige un homme a se soutenir de tous ses
muscles en I'air I'espace de sept heures , pour ne pas s'appuyer
sur un fer pointu qui lui entre-dans le siege avec des douleurs
insupportables ; la veille de Marsile ou de Florence... nos trepieds
a demi rouges pour asseoir de pauvres femmes idiotes accusees
de sortileges , macerees d'une prison effroiable , chargees de fers
et de manoles, a demi pourries dans les ordures d'un croton
puant et obscur, decharnees et a demi mortes , et on veut qu'un
corps humain resiste i. des tortures si diaboliques (3) 1 »
Le style, on le voit, est pathetique et plein d'images; mais
generalement le discours est modere , empreint de pitie et non de
colere : on sent la conscience d'un sage (i). Parfois, excite par
le langage des auteurs qui parlent de la torture en artistes raf-
fines , il eleve le ton a une puissante ironie : « Binsfeld loue I'in-
(1) P. 18.
(2) P. 29. « 11 est des juges criminels si acharnez a tirer la confession de tous
accusez, qu'ils se plaisent a inventer de nouveaux tourments oil ils ajoutent quel-
que atrocity aux anciens pour r^duire un accuse a confesser a quelque prix que
ce soil. »
(3) P. 36.
(4) Des maximes jelees 5a et li attestant cette largeur d'esprit : P. 134 : « II
est constant que la plupart des controverses humaines ont plus ,de passion que
de raison. » — P. 70 : « C'est un vice assez commun aux hommes de mesurer
Dieu i leurs mesures. »
APPLIQUEE. 355
vention de Marsile, qui aYoit trouve un doux moyen de faire
confesser toutes series d'accuses sans leur rompre bras ni jambes
(park privation du sommeil)... N'est-ce pas la un doux moyen
de trouver des mensonges et de perdre des innocens , et ne faut-
il pas une etrange force de prejuge pour nous passer cela par la
bouche d'un prestre et d'un theologien pour un. petit martire,
ou, comme dit Marsile, pour un tourment ridicule (1). Ce qui est
deplorable en ces gens qui donnent tout a I'autorite sans avoir
egard a la raison , c'est qu'un aussi scavant homme que Jean
Bodin s'est laisse infatuer lui-mesme de la rigueur barbare et
inhumaine de ces martires , appelant la question des Turcs , qui
est de flcher des pointes de fer comme des aleines entre les ongles
et la chair du patient a tous les doigts des pieds et des mains,
et cette facon de tourmenter d'ltalie qu'il appelle la veille floren-
tine, d'excellenles sortes de tourmeos pour faire dire tout ce
qu'on veut a un patient... Binsfeld ne sgavoit-il pas que les Ita-
liens sont les hommes du monde les plus prompts a se servir des
tourmens, parce que c'est une invention de leur pays. 11 dit que
Marsile faisoit confesser les plus robustes , mais il ne dit pas ce
que nous scaurons un jour trop tard pour beaucoup de juges,
combien de martyrs il a fait, croyant rencontrer des crimi-
nels (2). »
A tout cela que pouvait-on repondre? II y avait une objection
possible, et Nicolas la prevoit; c'est, qu'etant donne le systeme
des preuves legales tel que nous I'avons decrit, la torture en
paraissait le complement necessaire , etant le seul moyen d'eviter
de scandaleuses impunites. II ne s'arrete point a cette difficulte
et s'il ne formule pas d'une facon nette la theorie des preuves
morales, il la laisse entrevoir du moins, et par la, rentrant d,ans
la verite, trouve la vraie solution : « Mais, dira-t-on, si vous
6tez la confession arrachee par les tourments, vous nourrissez
I'impunitedes crimes dans un estat, et comme la conviction n'est
pas toujours tres-facile, vous serez contraint de relascher plu-
sieurs criminels douteux par defaut de preuves et de confessions.
II y aura assez de criminels pour les exercer (les gens de justice)
(1) P. 30.
(2) P. 32.
356 l'ordonnance de 1670
quand la justice s'en tiendra aux moyens legitimes de la convic-
tion , sans risquer son succes et I'equite de ses arrets sur des
confessions arrachees a force de tourmens insupportables , et
Dieu ne sera pas moins servi qu'on epargne le sang de tant d'in-
nocents que de repandre celui de quelques coupables (1)... On dit
qu'il faut qu'un juge se contente d'une surete probable , et repose
sa conscience sur ce que les loix et la pratique lui proposent pour
regie de sa conduite. Mais si sa conscience lui reproche evidem-
ment que la preuve sur laquelle il fonde son jugement sur la vie
d'un homme est incertaine , je ne voy pas comment en une ma-
tiere si grave , il pent avoir assez d'assurance pour s'en apaiser
en son particulier, ni I'autorite publique qu'il exerce assez de
justification devant Dieu ni devant les hommes (2). » II montre
surtout I'inanite de ces precautions multiples en faisant voir que
dans les crimes secrets , on arrive a admettre meme les temoins
reprochables (3). » Le livre de Nicolas, bien entendu, ne con vain-
quit personne. II ne faudrait pas croire cependant qu'il passa
inapercu ; au xvni^ siecle, nous verrons Rousseau de La Combe
leciter avec les plus grands eloges.
Enregistrons enfin pour le xvn° siecle deux autres protesta-
tions moins eclatantes centre la procedure criminelle alors sui-
vie. G'est d'abord une courte note de I'abbe Fleury, le precep-
teur du due de Bourgogne. Voici ce qu'il dit dans son Avis a
Louis, due de Bourgogne, puis dauphin (p. 146) : « Reformer
notre procedure criminelle tiree de I'inquisition ; elle tend plus a
decouvrir et punir les coupables qu'a justifier les innocents (4). »
L'autre critique s'attaque a I'usage de la torture. Elle est
cachee dans le Traite des crimes et de Vordre judiciaire ob-
serve es causes criminelles de Despeisses (5) : « II ne faut pas
toujours ajouter foy a ce qui est dit en la question... pour un
fait incertain on fait souffrir a I'accuse une peine certaine. Cette
invention de tourmenter est plutdt un essai de patience que de
(1) P. 43.
(2) P. 55.
(3) P. n.
(4) Cit6 par Poullain du Pare, torn. XI, p. 5.
(5) Partie I, tit. x (Edit. Lyon, 1750, p. 1713).
APPLIQUEE. 3S7
verite; car celuy qui peul souffrir (les tourmens) cache la ve-
rite , et celuy pareillement qui ne les peut souffrir. La douleur
me forcera aussitdt de dire ce quin'est pas comme elle m'obligera
a confesser ce qui est. Si celuy qui n'a pas fait ce dont on I'ac-
cuse est assez patient pour supporter ces tourmens, pourquoi
ne le sera pas celui qui I'a fait, une si belle recompense que
celle de la vie lui estant proposee? Etiam innocentes coget mentirt
dolor! D'oii il arrive que celui que le juge a applique a la ques-
tion, pour ne pas le fair© mourir innocent, il le fait mourir
innocent et supplicie ! car mille et mille ont charge leurs tetes
de fausses confessions. C'est chose horrible de rompre un homme
de la faute duquel on est encore en doute. Que peut-il de I'i-
gnorance que les juges ont du fait? Ne semble-t-il pas injuste
que pour ne pas le tuer sans sujet , on lui fasse pis que de le
tuer, etant cette information, plus penible que le supplice. II
y en a qui sont si endurcis aux tourmens qu'ils ne peuvent ja-
mais par iceux dire la verite; il y en a d'autres qui aiment
mieux mourir en avouant faussement ce qu'ils n'ont pas fait
que de souffrir les tourmens. »
Mais ces reflexions de quelques esprits isoles ne s'adressaient
pas a la foule. En 1750, I'avocat Barbier ne trouve a dire que
ceci sur un innocent mis a la torture : « On a condamne , apres
une longue prison , un pauvre cabaretier de Charenton a la ques-
tion ordinaire et extraordinaire, qu'il a soufferte pour vol sur
le grand chemin, dont il etait innocent suiyant la declaration
du veritable voleur, qui a ete pris et qui a ete rompu. Ce qui
fait voir la delicatesse de la fonction de juge dans les affaires
criminelles (1) ! »
II.
Cependant peu a peu les idees anciennes , la vieille conception
de la societe, devaient ceder sous la poussee d'un esprit nouveau.
La philosophie du xvin° siecle se levait, et pour la decision de
toutes les questions sociales, elle n'admettait plus que deux
(1) Journal, IV, p. 446.
3S8 l'ordonnance de 1670
principes : la raison et ce sentiment de sympathie pour I'espece
humaine, qu'on appela Vhumanite ou la nature (1). Les philo-
sophes , salon le mot de I'un de leurs disciples , avaient pour cri
de guerre : raison, tolerance, humanite (2).
Quoi de plus deraisonnable qu'une procedure criminelle oii
I'accusation est tout et la defense rien ; ou le juge , arme d'un
pouvoir terrible , se sent en meme temps enchaine par une theo-
rie des preuves qui lui dicte sa decision et domine sa conviction
intime? Quelle etrange idee d'infaillibilite , contradictoire dans
ses termes? Quoi de plus inhumain que ces longs emprisonne-
ments, ces interrogatoires secrets et perfides, cette torture enfm,
qui vient couronner I'ceuvre? « J'entends la voix de la nature
qui crie centre moi, « dit Montesquieu, voulant expliquer la
question (3). — « Si ces hommes sent coupables, dira Servan,
ils sont encore dignes de pitie; mais si ces hommes sent inno-
cents, 6 douleur! 6 pitie! A cette idee , I'humanite pousse du.
fond du ccEur un cri terrible et tendre (4)! » — Beccaria de-
clare qu'il vient combattre « avec les armes de la raison; » il
appelle le temps " ovi la douceur et I'humanite feront pardohner
aux princes leur puissance (5). » Devant ces autorites nouvelles,
le vieux droit criminel ne pouvait pas tenir longtemps.
Ce n'est pas tout. Ces intelligences actives , qui veulent refor-
mer le monde, ont entrepris une vaste enquete dans le passe et
dans le present : on cherche ce qui fut jadis, ce qui existe actuel-
lement dans les pays etrangers. Et dans ces investigations, les
institutions de deux peuples ont surtout attire I'attention ; celles
(1) Voy. M. Taine : Les origines de la France contemporaine , torn. I, liv. Ill,
oh. Ill, pp. 266, ssq; 276, ssq; lir. IV, pp. 384, ssq.
(2) Condorcet : Tableau historique des progris de I'esprii humain, 9» 6poque.
Condorcet dfifinit ce qu'on enteudait par le mot humanite ou nature : « C'est le
sentiment d'une compassion tendre, active pour tons les maux qui affligent I'es-
pece humaine, d'uue horreur pour tout ce qui, dans les institutions publiques,
dans les actes du gouveruement , dans les actions privies, ajoutait des douleurs
nouvelles aux douleurs inevitables de la nature. »
(3) Esprit des Ms, Uv. XVI, ch. 17.
(4) Discours de Servan (en tfite du Code criminel de Serpillon, p. 14), il termine
par ces mots : « Celui qui n'aime pas ses semblables est un aveugle qui m6con-
nait la nature; celui qui pourrait les hair est un monstre qui I'outrage. »
(5) Des dilits et des peines , preface.
APPLIQUEE. 359
des Romains et celles des Anglais. Or, il se trouye qa'k Rome ,
a I'epoque la plus belle de son histoire , et en Angleterre a ce
moment, meme, on decouvre une procedure penale toute diffe-
rente de celle qu'on subit : c'.est la publicite des debats , la pleine
liberie de la defense , le jugement par des jures. Sans doute , on
n'avait point ignore jusque-la quelle fut la procedure criminelle
des Romains. Le vieil Ayrault I'avait exposee avec une science ,
qui fait de son livre admirable un ouvrage classique , bu la cri-
tique francaise et allemande ya de nos jours encore puiser des
renseignements. C'etait meme cet exemple des anciens qu'il invo-
quait sans cesse centre les methodes detestables de son temps.
Mais sa voix n'avait pas ete entendue. La notion historique de
ces faits n'en subsista pas moins ; c'est ainsi qu'on la trouve dans
Imbert (1). Lamoignon disait dans les conferences sur I'Ordon-
nance : « Si on vouloit comparer notre procedure criminelle a
celle des Romains et des autres nations, on trouveroit qu'il n'y en
a point de si rigoureuse que celle qu'on observe en France (2). »
« A Rome, ecrit Muyart de Vouglans, I'accusation etoit publique,
I'accuse avoit I'avantage de connoitre en meme temps et son
accusateur qu'il pouvoit recriminer, et les temoins qu'on lui
opposoit qu'il pouvoit reprocher, et enfin le crime dont on I'ac-
cusoit, centre lequel il pouvoit fournir aussitot ses defenses,
auxquelles I'accusateur etoit oblige de repliquer sur-le-champ
ou dans un bref delai qui lui etoit accorde ; il pouvoit de plus
se faire assister d'un avocat (3). » Tout cela n'inquietait point nos
jurisconsultes et ne les faisait point douter de la bonte de leurs
usages. Le droit remain, ailleurs si respecte, n'avait plus d'in-
fluence sur ce point. Mais les novateurs s'empresseront de ramas-
ser cette arme. Montesquieu cite constamment les lois de Rome
en matiere penale; Voltaire ecrit : « Chez les Romains les te-
moins etaient entendus publiquement , en presence de I'accuse
qui pouvait leur repondre,-les interl-oger lui-meme ou leur mettre
en tete un avocat. Cette procedure etait noble et franche ; elle res-
(1) Pratique, liv. Ill, chap. 13, n» 3.
(2) Prods-verbal , p. 163.
(3) Instit. crim., part. Ill , ch. 2 , p. 69.
360 l'ordonnange de 1670
pirait la magnanimite romaine (1). » A la Constituante, on enten-
dra parler du jury, « comme ckez les Romains (2). » Mais c'est
surtout vers I'Angleterre que se tournent les yeux , vers I'Angle-
terre qui a su conserver la liberte politique et avec elle toutes les
autres. Souvent c'est dans la bouche d'un Anglais que nos philo-
sophes mettent leurs theories politiques (3). Parmi les institutions
du peuple anglais , il n'en etait pas de plus parfaite que la proce-
dure criminelle. Montesquieu la cite souvent alors memo qu'il
ne la nomme pas (4), et "Voltaire ne se lasse pas de rappeler ce
qui se passe au dela de la Manche : « C. De tous les Etats , quel
est celui qui vous parait avoir les meilleures lois, la jurisprudence
la plus conforme au bien general et au bien des particuliers? —
A. C'est notre pays (I'Angleterre) sans contredit. La preuve en est
que dans tous nos demelesnous vantons toujours notre heureuse
constitution , et que dans presque tous les autres royaumes on
en souhaite une autre. Notre jurisprudence criminelle est equi-
table et n'est point barbare. Nous avons aboli la torture , contre
laquelle la nature s'eleve en vain dans d'autres pays. Ce moyen
affreux de faire perir un innocent faible , et de sauver un cou-
pable robuste a fini avec notre infame chancelier Jeffreys, qui
employait avec joie cet usage infernal sous le roi Jacques II; on
ne refuse point comme ailleurs un conseil k I'accuse ; on ne met
point un temoin qui a porte trop legerement son temoigaage dans
la necessite de mentir, en le punissant s'il se retracte ; on ne fait
point deposer les temoins en secret, ce serait en faire des dela-
teurs , la procedure est publique ; les proces secrets n'ont ete
inventes que par la tyrannic (5). » — « Heureusement , en Angle-
terre aucun proces n'est secret, parce que le chatiment des
crimes est destine a etre une instruction publique aux hommes
et non pas une vengeance particuliere ; les interrogatoires se font
a portes ouvertes et tous les proces interessants sent publics dans
(1) Commentaire sur le TraiU des ddits et des peines, ch. 22.
(2) M. Mougin : « L'etablissement de quelques jurfe suivant le mode qui etait
en usage chez les Romaios. » Seance du 27 octobre 1790. Monitevr du 29.
(3) Mably : Des droits el des devoirs du citoyen.
(4) Espril des Lois, 1. YI, ch. 2 et 3 ; liy. XII , ch. 2.
(5) L'A B C,ou Dialogues entre A,BetC (quinziSme entretien).
APPLIQUEE. 361
les journaux (1). » — « En Angleterre, un simple emprisonne-
ment ftiit mal a propos est repare par le ministre qui I'a or-
donne (2). » — « En Angleterre , ile fameuse par tant d'atroci-
tes et par tant de bonnes lois, les jures etaient eux-memes les
avocats de I'accuse. Depuis le temps d'Edouard VI ils aidaient
sa faiblesse , ils lui suggeraient toutes les manieres de se defen-
dre ; mais sous le regne de Charles II on accorda le ministere de
deux avocats a tout accuse , pares qu'on considere que les jures
ne sont juges que du fait, et que les avocats connaissent mieux
les pieges et les evasions de la jurisprudence. En France, le Code
criminel parait ^tre dirige pour la perte des citoyens , en Angle-
terre , pour leur sauvegarde (3). » Bientdt le livre imparfait mais
tres-lumineux de de Lolme attirera I'attention sur la procedure
par jures comme sur toutes les institutions anglaises (4) ; la tra-
duction des Commentaires de Blakstone passera de main en
main (5) ; et lorsque la Revolution viendra realiser le programme
des philosophes , c'est 1' Angleterre qui fournira pour le droit cri-
minel un modele aux constituants.
Voila les nouveaux principes , et les nouveaux modeles qu'on
se propose de suivre. Le vieux droit penal , la vieille procedure
sont attaques de toutes parts. Des 1721, Montesquieu, dans les
Lettres persanes, etablit ses axiomes profonds sur la nature et
I'efficacite des peines (6) ; puis dans les livres VI et XII de VEs-
prit des lois, il pose les vrais principes du droit penal et de la
procedure criminelle. Vient ensuite Beccaria , le disciple de Mon-
tesquieu (1766). Rousseau, preoccupe avant tout des questions
de morale et de politique , s'occupe peu des lois criminelles ; il
leur consacre un mot- en passant dans le Contrat social; mais sur
le droit penal ses principes devaient avoir dans la suite la plus
haute influence. Voltaire fut surtout en ces matieres le grand
(1) Histowe d'Misabelh Canning et de Calas.
(2) Comment, des dUits etdes peines, ch. 32.
(3) Prix de la justice el de V humanity , art. 32 (1777).
(4) Constitution de V Angleterre, par M. de Lolme (nouTelle Edition, Geneve
1790), torn. I, liv. I, ch. 11 et 12. De la justice criminelle.
(5) Voyez aussi : Recherches sur les cours et les procedures criminelles d' Angle-
terre, extraites des Commentaires de Blakstone, 1790.
(6) Lettres persanes. Lettre 78.
362 l'ordonnance de 1670
ap6tre et le propagateur de la bonne doctrine. II y revientsans
cesse dans de nombreux ecrits : Memoires pour les Calas; Histoire
d' Elisabeth Canning; Relation de la mort du chevalier de La Barre;
La mdprise d' Arras; Proces criminel du sieur Montbailly et de sa
femme; Commentaire sur le Traite des dilits et des peines; Trait6
de la tolerance ; Prix de la justice et de I'humanite; la liste est
longue et elle n'est pas complete.
Ce ne sont la que les voix les plus hautes ; a cote des maitres
parlent les disciples , et lis sont nombreux. Nous ne pouvons en-
trer dans le detail de ces CEuvres ; mais il nous parait utile d'ana-
lyser les idees des trois hommes. qui firent le plus parmi les ,
philosophes pour la reforme de la loi criminelle : Montesquieu,
Beccaria et Voltaire.
III.
Montesquieu, pour la procedure criminelle, comme pour le
droit penal , s'en tient aux idees generales : « La liberte politi-
que , dit-il , consiste dans la sdrete , ou du moins dans I'opinion
qu'on a de sa stirete. Cette surete n'est jamais plus attaquee que
dans les accusations publiques ou privees. C'est done de la bonte
des.lois criminelles que depend principalement la liberte du
citoyen... Les connaissances que Ton a acquises dans quelques
pays, que Ton acquerra dans d'autres sur les regies les plus
sures que Ton puisse tenir dans les jugements criminels, inte-
ressent le genre humain plus qu'aucune chose qu'il y ait au
monde. Ce n'est que sur la pratique de ces connaissances que a
liberte pent etre fondee , et dans un etat qui" auroit la-dessus les
meilleures lois possibles , un homme a qui on feroit son proces
et qui devroit etre pendu le lendemain , seroit plus libre qu'un
pacha ne Test en Turquie (1). » Voila un axiome capital : la
procedure criminelle ne regarde pas seulement les malfaiteurs ;
elle est la garantie de toutes les libertes ; c'est ainsi que Rossi
dira : « Le Jury et le Parlement anglais sont les colonnes d'un
meme edifice. »
(1) Esprit des Lois. H\r. XII, ch. 2.
APPLIQUEE. 363
Mais a quelles conditions les lois criminelles seront-elles reel-
lement protectrices ? II faudra deux choses ; des formes certaines
et la possibilite d'une libra defense. « Dans les republiques il
faut pour le moins autant de formalites que dans les monarchies.
Dans I'un et I'autre gouvernement , elles augmentent en raison
du cas que Ton y fait de I'honneur, de la fortune , de la vie et de
la liberie des citoyens...; dans les Etats moderes, ou la tete du
moindre citoyen est considerable , on ne lui ote son honneur et
ses biens qu'apres un long examen, on ne le prive de la vie que
lorsque la patrie elle-meme I'attaque , et elle ne I'attaque qu'en
lui laissant tous les moyens possibles de se defendre (1). »
Ajoutez a cela la necessite de lois fixes qui ne laissent rien a
I'arbitraire du juge (2), et on aura la theorie de Montesquieu.
Quant au detail, avons-nous dit, il I'a peu traite; deux ou
trois points seulement ont ete degages par lui. Pour I'accusation
il admet I'institution du ministere public, qui devait en effet
survivre a I'ancien droit , apres une courte disparition : « Nous
avons aujourd'hui une loi admirable ; c'est celle qui veut que le
prince, etabli pour faire executer les lois, prepose un officier
dans chaque tribunal pour poursuivre en son nom tous les
crimes ; de sorte que la fonction des delateurs est inconnue parmi
nous, et, si ce vengeur public etait soupconne d'abuser de son
ministere, on I'obligeroit de nommer son denonciateur (3). » Mon-
tesquieu a fletri la torture (4) ; mais , chose curieuse , il approuve
sinon le systeme entier des preuves legales, au moins la regie
qui veut que deux temoins soient necessaires pour prononcer
une condamnation (S) ; sur ce point , Voltaire sera plus clair-
voyant.
Le Traits des Mlits et des peines du marquis de Beccaria fut
publie a Milan en langue italienne (6), mais une traduction en
(1) Esprit des Lois. Liv. VI, ch. 22.
(2) Ibid. U<r. VI, ch. 3.
{3)/6id. Liv. VI, ch. 8.
{i) Ibid. Liy. VI, ch. 17.
(5)/6id. Liv.XII,ch. 3.
\(6) Quant k. I'inflaence des philosophes frangais sur Beccaria, voyez M. Paul
Janet : Histoire de laphilosophie morale et politique, tome II, pp. 412, ssq.
364 l'ordonnance de 1670
francais par Morellet parut au mois de fevrier 1766 (1). Son
influence fut immense, plus grande encore en France qu'en
Italie.
Avec Beccaria nous entrons dans le detail; apres quelques
chapitres consacres a la necessite des peines fixes , il attaque les
abus de la detention preventive (ch. vi), les accusations secretes
(ch. ix), le serment impose, aux accuses (ch. xi), les interroga-
toires suggestifs (ch. x), et enfin la torture. II demande la^ pu-
blicite des jugements et des procedures : « Que les jugements
soient publics ; que les preuves du crime soient publiques , et
I'opinion , qui peut etre le seul lien des societes , mettra un freia
a la violence et aux passions (ch. vii). «
Quant au systeme des preuves , evidemment il tend vers les
preuves morales : il prefere « I'ignorance qui juge par le sen-
timent ; » — « pour juger il ne faut que le simple bon sens et ce
guide est moins trompeur que tout le savoir d'un juge. » Cepen-
dant il dit aussi : « II est important , dans une bonne legislation,
de determiner d'une maniere exacte le degre de confiance que
Ton doit accorder aux temoins et la nature des preuves neces-
saires pour constater le delit (ch. viii). »
Les reformes qu'il reclame, on le voit, ne sontpas en realite
bien hardies ; elles ne vont pas beaucoup au dela de ce que deman-
dait jadis le president de Lamoignon. Mais toutcela etait reclame
comme les droits de la raison , et Ton comprend I'emotion pro-
fonde que le livre causa ; les principes du droit penal proprement
dit y tenaient d'ailleurs une grande place. « Beccaria, dit Con-
dorcet, refutait en Italie les maximes barbares de la jurispru-
dence frangaise. » Morellet, le traducteur de I'ouvrage, envoya
a Beccaria les felicitations de tous les philosophes frangais :
« Je suis particulierement charge de vous faire les remerciements
et les compliments de M. Diderot, de M. Helvetius, de M. de
BuiTon... J'ai porte votre livre a M. Rousseau;... M. Hume , qui
vit avec nous depuis quelque temps , me charge de vous dire
(1) Lettre de Morellet, a Beccaria, 1766 : « C'est M. Malesherbes, avec qui j'ai
riionneur d'etre 116, qui m'a engag6 k faire passer votre ouvrage dans notre
langue , il y a aujourd'hui huit jours que ma traduction a paru. »
APPLIQUBE. 365
mille choses de sa part... Je ne vous parle pas de M. d'Alem-
bert qui a du vous ecrire (1). »
Voltaire a commente le Timte des d&,its et des peines; mais
ses oeuvres consacrees a la legislation criminelle ont pour nous
un interet bien plus vif que le livre de Beccaria. Dans Voltaire,
en effet , nous allons trouver, non plus de nobles generalites ou
des tirades genereuses , mais la critique precise , presque techni-
que de rOrdonnance de 1670. II apporte ici la lumiere de son
admirable bon sens , jointe a ce besoin d'information precise qui
lui est propre.
« L'Ordonnance criminelle , dit-il , en plusieurs points sem-
ble n'avoir ete dirigee qu'a la perte des accuses. C'est la seule
loi qui soit uniforme dans tout le royaume. Ne devrait-elle pas
etre aussi favorable a I'innocent, que terrible au coupable (2)?
Cette procedure est bien plus rigoureuse depuis 1670, elle eiit
ete bien plus douce, si le plus grand nombre des commissaires eM
pense comme M. de Lamoignon (3). » On peut suivre toutes les
phases de la procedure dans la critique que Voltaire en fait. ll ne
dit rien des plaintes et denonciations par lesquelles commence le
proces; et, en effet, il n'y avait en cette matiere que de sages
prescriptions, qui ont subsiste (4). Arrive a I'information , il se
trouve en face de deux abus , le secret et les monitoires : « S'il
y a quelques cas ou un monitoire est necessaire , il y en a beau-
coup d'autres ou il est tres-dangereux ; il invite les gens de la lie
du peuple a porter des accusations centre les personnes elevees
au-dessus d'eux dont ils sent toujours jaloux... II n'y a peut-etre
rien de plus illegal dans les tribunaux de I'lnquisition , et une
grande preuve de I'illegalite de ces monitoires , c'est qu'ils ne
viennent point directement des magistrats ; c'est le pouvoir eccle-
siastique qui les decerne (5). »
(1) Lettre de Morellet t Beccaria, f^vrier 1766.
(2) Commentaire du TraiU des dilits et des peiiaes, ch, xxiii.
(3) Ibid.
(4) Par ime singuliere idie, il regrette la disparition de rancienne accusation
par parKe formie : « Heureuses les nations assez sages pour statuer que tout accu-
sateur se mettrait en prison en faisant enfermer I'accus^. C'est de toutes les lois
la plus juste. » Prix de la justice et de I'humaniti, art. xxii, § 3.
(5) Relation de la mart du chevalier de La Barre. « II n'y avait point de preuve
366 l'okdonnancb de 1670
Sur le secret de la procedure les remarques abondent : « Toutes
les procedures secretes ressemblent peut-etre trop a la meche
qui brule imperceptiblement pour mettre le feu a la bombe. —
Est-ce a la justice a etre secrete ? II n'appartient qu'au crime de
se cacher. C'est la procedure de I'lnquisition (1). » — « Chez
nous tout se fait secretement. Un seul juge avec son greffler en-
tend chaque temoin, I'un apres I'autre. Cette pratique, etablie par
Francois 1", fut autorisee par les commissaires de Louis XIV, qui
redigerent I'Ordonnance de 1670. Une meprise seule en fut la
cause. On s'etait imagine en lisant le Code de Testibus que ces
mots : testes intrare judicis seeretum signifiaient que les temoins
seraient iaterroges en secret. Mais seeretum signifie le cabinet du
juge : intrare seeretum, pour dire parler secretement ne serait pas
latin. Ce fut ua solecisme qui fit cette partie de notre jurispru-
dence (2). » Ici Voltaire cede a ce penchant pour I'anecdote qui
lui fait souvent chercher dans de petits faits la cause de grands
evenements ; sans doute , dans Bornier qu'il cite , on trouve bien
cette meprise indiquee comme la cause de « cet usage ou plutot
cet abus d'ouir les temoins secretement (3), » mais nous savons
comment s'introduisit et se maintint la procedure secrete. Pen
importe , le publiciste fait fleche de tout bois. Le recolement ne
parait pas a Voltaire moins defectueux que la premiere deposi-
tion : « Les deposants sent pour I'ordinaire des gens de la lie du
peuple, a qui le juge, enferme avec eux, peut faire dire tout ce
qu'il voudra. Ces temoins sont entendus une seconde fois, tou-
jours en secret ; ce qui s'appUe le recolement (4). »
Ces temoins, comment I'accuse pourra-t-il les confondre? Au
moyen de la confrontation; mais <( la loi semble obliger le magis-
trat a se conduire envers I'accuse plutot en ennemi qu'en juge.
Le juge est le maitre d'ordonner la confrontation ou de I'omettre
centre mes parents, dit Donat Galas dans son Mtooire , et ne pouvait y en avoir,
on eut recours a un monitoire... On supposait le crime et on demandait la reve-
lation des preuves. »
(1) Prix de la justice, art. xxu, § 5.
(2) Comment, sur le Traiti des dilits etdespeines, ch. xxtii.
(3) Bornier, surl'article 11, titre vtde I'Ordonnance de 1670 (torn. II, p. 82).
(4) Commenlaire sur le Traiti des dilits et des peines , art. xxiii.
APPLIQUEE. 367
\^si besoin est, confrontez dit rOrdonnance). L'usage semble en
ce point contraire a la loi qui est equivoque ; il y a toujours con-
frontation; mais le juge ne confronte pas toujours tous les te-
moins, il omet ceux qui ne lui semblent pas faire une charge
considerable ; cependant tel temoin qui n'a rien dit contre I'accuse
dans I'information peut deposer en sa favour a la confrontation;
le temoin peut avoir oublie des circonstances favorables au pre-
venu. Le juge peut lui-meme n'avoir pas senti d'abord Timpor-
tance de ces circonstances et ne pas les avoir redigees (1). » D'ail-
leurs la confrontation est illusoire : « Si apres le recolement ils
(les temoins) se retractent dans leurs depositions ou s'ils changent
dans des circonstances essentielles, ils sent punis comrae faux-
temoins. De sorte que lorsqu'un hpmme d'esprit simple, et ne
sachant pas s'exprimer, mais ayant le ccEur droit et se souvenant
qu'il a dit trop ou trop pen , qu'il a mal entendu le juge , ou que
le jugel'a mal entendu, revoque ce qu'il a dit par un principe
de justice , il est puni comme un scelerat et il est force souvent
de soutenir un faux-temoignage par la seule crainte d'etre traite
en faux-temoin (2). »
L'accuse d'ailleurs est seul et sans conseil : « Plonger un
homme dans un cachot ,«l'y laisser seul en proie , a son effroi et
a son desespoir, I'interroger seul quand sa memoire doit etre
egaree par les angoisses de la crainte et du trouble entier de la
machine, n'est-ce pas attirer un voyageur dans une caverne de
voleurs pour I'y assassiner? C'est surtout la methode de I'lnqui-
sition. Ce mot seul imprime I'horreur (3). » « S'il s'agit d'un
crime, leprevenu ne peut avoir d'avocat; alors il prend le parti
de la fuite. C'est ce que toutes les maximes du barreau lui con-
seillent... quoi, votre loi permet qu'un concussionnaire , unban-
queroutier frauduleux ait recours au ministere d'un avocat et
tres-souvent un homme d'honneur est prive de ce secours (4) 1 »
Enfin vient la derniere cruaute , la derniere absurdite , la tor-
ture : wpuisqu'il est encore des peuples Chretiens! que dis-je? des
(1) Comment, des dilits et des peines, art. xxiii.
(2) IMd.
[S) Prix de la justice, art. xxxiii.
(i) Comment, des dMits el despeines, cb. xiaii.
368 l'ordonnance de 1670
pretres Chretiens , des moines Chretiens qui emploient la torture
pour leur principal argument, il faudrait commencer par leur
dire que les Caligula, les Neron, n'oserent jamais exercer cette
fureur centre un seul citoyen remain... On ne rencontre dans les
livres qui tiennent lieu de Code en France que ces mots affreux :
question preparatoire , question provisoire, question extraordi-
naire , question avec reserve des preuves , question sans reserve
des preuves , question en presence de deux conseiUers, question
en presence d'un medecin, d'un chirurgien, question qu'on donne
aux femmes et aux filles, pourvu qu'elles ne soient pas enceintes.
II semble que tous ces livres aient ete composes par le bour-
reau (1). »
Plus loin, citant un passage de d'Aguesseau, ou celui-ci
declare que si la preuve n'est pas complete on ne peut ordon-
ner que la question ou un plus ample informe, il s'ecrie : « Quel
est done I'empire du prejuge, illustre chef de la magistrature ?
Quoil vous n'avez point de preuves, et vous punissez pendant
deux heures un malheureux par mille morts , pour lui en donner
une d'un moment... Est-il possible, qu'il vous soit egal d'ordon-
ner des tourments ou un plus ample informe ! quelle epouvan-
table et ridicule alternative! » II con»ait bien la jurisprudence
sur ce point : « malheureusement, on ne convient pas trop quels
sont les indices assez puissants pour engager un juge a com-
mencer par disloquer les membres de son egal par le tourment
de la question. L'Ordonnance de 1670 n'a rien statue sur cette
affreuse operation preliminaire. Un indice n'est precisementqu'une
conjecture. Du moins la torture ne doit etre ordonnee en France
que quand il existe un corps de delit (2). »
Voltaire, sans peut-etre se rendre un compte tres-exactde I'im-
portance des preuves legales dans 1' ensemble du systeme, est
celui qui les a attaquees le plus vigoureusement : « Dieu de
justice, que d'exemples de ces erreurs meurtrieres qui se renou-
vellent chaque annee en Europe dans presque tous ces tribu-
naux gouvernes par la compilation de Justinien ou par I'ancienne
(1) Prixde la justice , art. xxiv. •
(2) La miprise cC Arras.
APPLIQUEE. 369
coutume feodale ! Le ccEur se fletrit et la main tremble quand
on se rappelle combien d'horreurs sont sorties du sein.de ces
lois memes. Alors on serait tente de souhaiter que toute loi iti
abolie, et, qu'il n'y en eM d' autre que la conscience et le bon
sens des magistrats. Mais qui nous repondra que cette cons-
cience et ce bon sens ne s'egarent pas (1)? » Et ailleurs : « Le
Parlement de Toulouse a un usage bien singulier dans les preu-
ves par temoins. On admet ailleurs des demi-preuves, qui au
fond ne sont que des doutes, car on sait qu'il n'y a point de
demi-verites ; mais a Toulouse on admet des quarts et des hui-
tiemes de preuves. On y peut regarder par exemple un oui-dire
• comma un quart , un autre oui-dire plus faible comme un hui-
tieme , en sorts que huit rumeurs , qui ne sont qu'un echo dans
un bruit mal fonde, peuvent devenir una preuve complete; et
c'est a peii pres sur ce principe qua Jean Galas fut condamne
a la roue. Las lois da Rome exigaaiant des preuves luce meridiana
clariores (2)... Quel est I'homme qua cette procedure n'epou-
vante pas ? quel est I'homme qui puisse etra stir de n'y pas suc-
comber? 0 juges, voulez-vous que I'innocent accuse ne s'enfuie
pas , facilitez-lui les moyens de se defendre ! »
Les droits de la defense , tal est la mot qui sort de toutes les
bouches. Pour qu'ils soient respectes, cas droits sacres , que
faut-il? La publicite, I'assistanca d'un avocat, I'abolition de la
torture , la theorie des preuves morales ; voila a quoi se bornent ,
pour le moment , les reclamations das publicistes; c'est sur cas
points qu'ils demandent des reformes legislatives. « Si un jour,
dit Voltaire, des lois humaines adoucissent en France qualques
usages, sans pourtant donner des facilites au crime, il est a
croire qu'on reformera les articles ou les redacteurs ont paru se
livrer a un zele trop severe (3).
Mais , au dala , las philosophes entrevoient quelque chose de
plus grand et de plus juste, c'est le jugement par les jures.
(1) Prise de la justice, art. xxii, § 2.
(2) Commentaire du livre des dilits et des peines, ch. xxiii. A c6tS des passages
que nous arons cit^s , voyez en un autre oil Voltaire resume toute son argumen-
tation {Comment., ch. xxm).
(3) Commentaire du livre des d4Uts et des peines, ch. xxiir.
24
370 l'ordonnance de 1670
« En Angleterre, dit Montesquieu, les jures decident si le fait qui
a ete porte devant eux est prouve ou non ; et s'il est prouve , le
juge prononce la peine que la loi inflige pour ce fait, et pour
cela il ne lui faut que des yeux (1). » Montesquieu ne loue pas
seulement le jury, il en degage le principe : « Le peuple n'est
pas jurisconsulte ; toutes ces modifications et temperaments des
arbitres ne sont pas pour lui; il faut lui presenter un seul objet,
un fait et un seul fait ; et qu'il n'ait a voir que s'il doit con-
damner, absoudre, ou remettre le jugement (2). » « G'est une
loi bien sage, dit Beccaria, et dont les effets sont toujours
heureux, que celle qui prescrit que chacun soit juge par ses
pairs ; car, lorsqu'il s'agit de la fortune et de la liberie d'un
citoyen, tous les sentiments qu'inspire I'inegalite doivent se
taire (3). » Dans I'^l B C de Voltaire, I'un des interlocuteurs
parle, nous I'avons vu, de 1' Angleterre comme du pays qui
possede les meilleures lois : « Cbaque accuse, dit-il, est juge
par ses pairs ; il n'est repute coupable que quand ils sont d' ac-
cord sur le fait. G'est la loi qui le condamne sur le crime avere ,
et non sur la sentence arbitraire des juges (4). » — « Non-seu-
lement, ecrit ailleurs Voltaire, le citoyen, mais I'etranger y
trouve sa siirete dans la loi meme, puisqu'il choisit six etran-
gers pour remplir le nombre de douze jures qui le jugent. G'est
un privilege en faveur de I'univers entier (5). » Enfin, Rousseau
vante aussi le jury : « En Angleterre, lorsqu'un homme est accuse
criminellement, douze jures enferm^s dans une chambre pour
opiner sur I'examen de la procedure, s'il est coupable ou s'il
ne Test pas , ne sortent plus de cette chambre et n'y recoivent
point a manger qu'ils ne soient tous d'accord , en sorte que leur
jugement est toujours unanime et decisif sur le sort de I'ac-
cuse (6). »
(1) Esprit des Lois , liv. VI, ch. 3.
(2) Ibid., liv. VI, ch. 4.
(3) Des dilits et despeines, ch. vii.
(4) L'A B C (quiDzifeme entretien).
(5) Prix de la justice, art. xxiii.
(6) Correspondance . anaee 1761. Lettre a M. d'Offreville, a Douai. — Cf.
Rousseau juge de Jean-Jacques , Dialog. I.
APPLIQUEE. 371
IV.
On vient de voir comment les philosophes , au nom de la rai-
son et de I'humanite , jugent la procedure criminelle ; comment
etait-elle appreciee par les jurisconsultes qui la commentaient
dans les livres ou I'appliquaient dans les tribunaux? Ici la
scene change et le spectacle est parfois attristant. Ce qui do-
mine dans ce monde des juristes , si different de celui que nous
venous d'etudier, ce sont deux choses excellentes en elles-
memes , mais dont I'exageration peut etre funeste : I'esprit de
conservation et le respect de la loi. Ce n'est point qu'ils resis-
tent en apparence k I'esprit dominant du siecle; tous, jusqu'aux
plus inflexibles , saluent les divinites contemporaines : la raison
et I'humanite. « Je me pique de sensibilite comme un autre , »
dit Muyart de Vouglans dans le singulier opuscule oii il veut
refuter le livre de Beccaria (1). « Get arret solennel laissa sub-
sister la loi dans toute son autorite et la raison ne perdit aucun
de ses droits; » dit Louis Seguier (2). Mais cette adhesion ne
porte aucun fruit. Les uns s'ingenient a prouver que la proce-
dure criminelle n'est pas en contradiction avec les principes de
la phllosophie (3) ; les autres , et ce sont les plus nombreus , re-
connaissent les vices principaux de I'Ordonnance , mais ils s'in-
clinent Dependant devant la loi. Cette Ordonnance de 1670, si
solennellement discutee, appliquee deja depuis un siecle , et dont
les regies remontent bien plus haut dans le passe, leur parait
inviolable. Alors meme qu'ils la blament ils ne songent point a
lui desobeir ; I'esprit d'autorite tue chez eux I'esprit de reforme ;
I'Ordonnance a parle , disent-ils , et ils s'inclinent. C'est une
remarque qui a ete faite, « les jurisconsultes s'habituent a vivre
avec la loi existante ; ils en contractent le respect ; et , a moins
d'avoir un esprit tres-cultive , ils se font illusion ; ils se figurent
(1) P. 4.
(2) Arr^t du Parlement de Paris du H aoflt 1786, qui oondamne a la suppres-
sion et au feu le Memoire de Dupaty. R6quisUoire, Paris, 1786, p. 175.
(3) « C'est faire injure a la raison et a la loi que d'avancer qu'elles puissent
jamais 6tre virltablement contraires. » Siguier, p. 175.
372 l'ordonnance de 1670
que ce qui existe aujourd'hui ne saurait etre modifie sans en-
trainer une revolution... Les jurisconsultes sent utiles, e'est un
element moderateur; ils maintiennent les droits du passe, mais
quant a I'avenir, ce ne sont jamais eux qui le reclament, mais
des gens qui ne sont pas de metier et qui viennent du dehors (1). »
Parmi les apologistes les plus ardents de I'Ordonnance de 1670
figure au premier rang Muyart de Vouglans, I'esprit le plus
net peut-etre parmi les criminalistes du xvra' siecle. 11 a a cet
egard expose ses idees ex professo dans ses Institutes au droit cri-
minel (2) ; mais c'est surtout dans sa polemique centre Beccaria
qu'il faut I'etudier. Ici Ton sent qu'il ne comprend pas ; il se croit
en face d'un fou (3), ou d'un criminel, avec qui il le prend de
tres-haut (4), et qu'il signale aux poursuites : « Je laisse, dit-il, a
ceux qui sont charges specialement de cette partie de notre droit
public le soin d'exercer leur censure et d'employer toute leur
autorite pour en arreter la contagion (5). » Ce qui I'etonne le
plus, ce n'est pas I'esprit revolutionnaire de I'auteur, qui « ne
respecte meme pas les maximes sacrees du gouvernement , des
moeurs, de la religion (6), » c'est de voir un livre de legislation
criminelle qui ne soit pas avant tout technique, consacre au droit
positif. « Vous vous attendiez sans doute, comme moi, mon-
sieur, sous I'annonce d'un Traite des delits et des pelnes, de
trouver une discussion exacte et methodique des lois et des prin-
cipes qui sont relatifs a cette matiere , des citations d'autorites
(1) M. Laboulaye : Revue des Cows litUraires, 1865, p. 745.
(2) P. 69.
(3) « Ce prttendu illuming aux yeux duquel les Solons , les Lycurgues , les Pa-
pinieus, les Cujas, en un mot, les plus sages philosophes de la Grftce, de I'ltalie
et de la France , ne sont que de purs sophistes , les sifecles d'Auguste et de
Louis XIV, que des si^cles d'erreurs et de tfenfebres. » (Lettre eontenant la refu-
tation de quelques principes hasardis dans le Traiti des dMits et des peines, Geneve,
1767, p. 22.)
(4) « Sans doute que je n'ai point I'Drganisation des fibres aussi deliSe que
celle de nos criminalistes modernes; car, je n'ai point senti le doux frfemissement
dont ils parlent , le sentiment dont j'ai et4 le plus affecte aprfes avoir lu quel-
ques pages de cet ouvrage, a k\.i celui de la surprise, pour ne rien dire de plus. »
P. 4.
(5) P. 17.
(6) P. 5.
APPLIQUEE. 373
sur les questions qui peuvent en nattre , et surtout une enume-
ration exacte des differentes especes de crimes et de leurs peines,
ainsi que des procedures necessaires pour parvenir k les cons-
tater et a les prouver, et cependant vous verrez avec surprise
que rien de tout cela ne se rencontre dans I'ouvrage en ques-
tion (1). »
Sa foi dans la loi existante est complete; c'est un croyant qui
n'a pas I'ombre d'un doute (2) ; c'est ainsi qu'il extrait du livre
de Beccaria et signale a I'indignation publique (3) une liste de
propositions , dont la plupart sont regardees aujourd'hui comme
des verites de bon sens , des axiomes de legislation criminelle. II
faut voir son ebahissement devant le principe de I'egalite des
peines et I'exclusion de toute idee de vengeance divine dans la
repression : « L'auteur pretend que Ton ne doit pas non plus
dans I'imposition de la peine avoir §gard a la qualite de celui
envers qui le crime a ete commis , et il en donne pour raison que
tons les hommes dependent principalement de la societe dont
ils sont membres. II veut aussi par la meme raison que Ton pu-
nisse les personnes du plus haut rang comme le dernier des ci-
toyens, Ton sent tout le danger et I'absurdite d'un tel principe...
Par suite du-meme systeme, l'auteur va encore jusqu'a pre-
tendre qu'on ne doit point considerer la gravite du crime par
rapport a la grandeur de I'ofifense qu'il fait a Dieu (-4). » Enfln
sans hesitation aucune il defend toutes les atrocites du vieux
systeme, et en particulier le serment des accuses et la torture; le
morceau merite d'etre cite presque en entier. « L'auteur se recrie
contre I'usage du serment qu'on fait subir a I'accuse , et il le fait
alrec si peu de reflexion qu'il ne rapporte meme pas la raison la
plus specieuse que Ton pourroit donner a ce sujet, et qui a deter-
mine certaines nations , et entre autres I'Allemagne , a abdiquer
cet usage : savoir, qu'il est a presumer que tel qui a ete capable
(l)P. 25.
(2) « On peut dire a I'honneur de notre France, que la jurisprudence y a &16
porWe k un degr6 de perfection qui lui fait tenir un rang distingue parmi les na-
tions policies , tenement que quelques-unes I'oDt mgme prise pour module dans
la reformation deleur code criminal. » P. 20; cf. p. SO.
(3) P. 6 a 17.
(4) PP. 102, 103, 104, 106.
374 l'ordonnance de 1670
de commettre le crime est capable de faire un parjure pour le ca-
cher. Les raisons qu'apporte I'auteur, sont, d'une part, qu'il est
contre la nature que le coupable s'accuse lui-meme ; et de I'autre
que I'experience fait voir que jamais le serment n'a fait dire la
verite au coupable. Mais s'il falloit abolir le serment parce qu'il
est contre la nature que le coupable s'accuse lui-meme , il fau-
droit par la meme raison, abolir I'interrogatoire que I'auteur
convient neanmoins etre un acte essentiel de la procedure. A
regard de I'experience , il s'en faut bien qu'elle soit aussi cer-
taine que I'avance I'auteur, puisque cet usage n'a pas laisse que
de se conserver parmi nous, et presque dans toutes les nations
policees, malgre les efforts reiteres qu'on a fait pour I'abolir (1).
Si Ton en croit I'auteur, il faut aussi abolir I'usage de la torture ,
Gomme etant une voie tout a la fois cruelle, injuste, inutile et
dangereuse. On pourroit d'abprd ecarter d'un seul mot tout ce
que dit I'auteur a ce sujet en observant qu'il ne fait que repeter
ce qui a ete dit par plusieurs autres auteurs qui se sont dechaines
comme lui contre cet usage sans avoir pu empecher qu'il ne se
soit perpetue jusqu'a nos jours. L'on pourroit meme lui opposer
le pen de succes de ces premieres tentatives avec d'autant plus
d'avantage que ces auteurs ont tons ecrit avant I'Ordonnance de
1670, qui , par les precautions rigoureuses qu'elle a etablies a cet
egard, a remedie a la plupart des inconvenients qui avoient excite
le zele de ces auteurs. Nous avons remarque en traitant de la
procedure quelles etoient ces precautions, et nous avons fait
voir qu'elles sont telles qu'on doit regarder aujourd'hui celui qui
est dans le cas d'eprouver ce tourment comme etant plus qu'a
demi convaincu du crime, en sorte que le danger de confondre
I'innocent avec le coupable, n'est point a beaucoup pres aussi
a craindre qu'il I'etoit avant cette loi. Aussi l'on croit pouvoir
assurer avec confiance que pour un exemple que l'on pourroit
citer depuis un siecle d'un innocent qui ait cede a la violence du
tourment, l'on seroit en etat d'en opposer un million d'autres
qui servent a justifier que, sans le secours de cette voie, la
plupart des crimes atroces , tels que I'assassinat , I'incendie , le
(1) P. 70-72 ; cf. Institutes au droit criminel, p. 338.
APPLIQUEE. 375
vol de grand chemin seroient restes impunis , et par cette im-
punite auroient engendre des inconvenients beaucoup plus dan-
gereux que ceux de la torture meme, en rendant une infinite de
citoyens les innocentes victimes de ces scelerats sub tils... On
pourroit encore apporter plusieurs autres exemples ou I'expe-
rience a fait voir pareillement I'utilite de la torture , si cette uti-
lite ne se trouvoit pas d'ailleurs suffisamment justifiee, et par
I'avantage particulier qu'y trouve I'accuse lui-mSme en ce qu'on
le rend par la juge de sa propre cause et le maitre d'^viter la
peine capitale attach^e au crime dent il est prevenu , et par I'im-
possibilite oii Ton a ete jusqu'ici d'y suppleer par un autre moyen
aussi efficace et sujet a moins d'inconvenients , et enfln par I'an-
ciennete et universalite de cet usage qui remonte aux premiers
ages du monde , et qui a ete adopte , comme Ton sait , par toutes
les nations et par les Remains eux-memes, qui , quoique dans les
premiers temps ils ne I'ayent employee ordinairement que centre
les esclaves , n'ont pas laisse que de I'etendre dans la suite aux
personnes libres;... au reste, I'exemple d'une ou deux nations
qu'on pretend s'etre ecartees en dernier lieu de ce meme usage ,
sont des exceptions qui ne servent qu'a mieux confirmer la regie
generale sur ce point. Mais enfin , s'il etoit question de se decider
ici par des exemples , en pourroit-on citer qui puissent paroitre
moins suspects et en meme temps plus respectables aux yeux de
I'auteur que ceux que lui fournit son pays mSme et generalement
tons les fitats qui dependent de I'Empire? II suffira, pour ne
laisser aucune ressource a ses objections sur ce point , de lui op-
poser la disposition des articles 54 et 61 de I'Ordonnance de
Cbarles-Quint, vulgairement appelee Caroline (1). »
Apres cet etonnant morceau, Muyart de Vouglans ne peut
que rentrer dans le calme et promettre I'avenir a ses idees :
« Nous ne croyons pouvoir mieux terminer cette analyse que
par ces reflexions generales qui sont fondees sur des princjpes
inebranlables, justifiees par I'experience la plus constante, et
centre laquelle viendront toujours echouer des systeme enfantes
par un esprit de contradiction et de nouveaute (2). » On croit
(1) PP. 73 a 81.
(2) P. H8.
376 l'oedonnance de 1670
v6ritablement rever quand on constate que cela etait ecrit et
publie en 1767.
A la veille meme de la Revolution, nous trouvons un autre
apologiste de I'Ordonnance , plus calme mais non moins con-
vaincu : c'est I'avocat general Louis Seguier, qui , les 7, 8 et 1ft
aout 1786, prononga devant le Parlement de Paris un long
requisitoire , demandant la suppression d'un memoire reste fa-
meux sous le nom de « Memoire pour trois hommes condamnis
a la roue. » Ce memoire avait pour auteur Dupaty et la proce-
dure criminelle y etait vivement attaquee. Le requisitoire de Se-
guier fut comme le chant du cygne de la vieille legislation,
Seguier n'eut pas a justifier la torture ; a cette epoque , comme
nous le dirons dans un instant, la question la plus odieuse, la
question preparatoire avait 6te supprimee, et I'avocat general
put s'en feliciter (1); mais pour lui « dans la succession des
ages nos loix sont en quelque sorte parvenues au degre de per-
fection dont la legislation humaine est susceptible (2). » 11 s'in-
digne de voir atlaquer I'Ordonnance. « C'est cette loi formee
par le concours des esprits les plus profonds, les plus expe-
rimentes, les plus prudents, cette loi si sage dans ses motifs,
si respectable par son autorite, si inviolable dans son execution,
qu'on ne rougit pas de presenter a un monarque bienfaisant
comme attentatoire a la loi naturelle, comme echappee des tri-
bunaux de Tibere et des prisons de I'lnquisition , comme digne
de I'ame de Claude et de Caligula. Combien les manes illustres
des Lamoignon et des d'Aguesseau , des Mole et des Talon , ne
sont-ils pas etonnes d'entendre soutenir que cette loi est fondee
sur une maxime inventee dans une des profondes nuits de I'es-
prit humain 1 Le siecle de Louis XIV, le rival du siecle d'Auguste ,
un siecle de tenebres et de barbarie! fitait-il reserve a notre
ministere de repondre a des accusations aussi indecentes (3). »
Aussi Seguier n'hesite pas a justifier toutes les rigueurs de
I'Ordonnance , contre lesquelles proteste alors I'esprit public. A
ses yeux « la juridiction des prev6ts est d'une utilite evi-
(1) Riquisiloire, p. 48.
(2) lUd., p. 221.
(3) P. 245-6.
APPLIQUEE. 377
dente (1) ; » le serment exige de I'accuse est absolument legi-
time (2) ; il trouve bon que I'accuse ne puisse presenter ses fails
justificatifs qu'apres la visite du proces et les prouver qu'avec
I'agrement du juge (3). Pour lui « le secret est la base inebranla-
ble de la loi. II est present pour eviter les pieges de la mauvaise
foi et prevenir les complots de la subornation. II est present
parce qu'il n'y a d'autre accusateur que le procureur general,
et qu'en aucun cas il ne peut etre soupconne de poursuivre un
accuse par vengeance ou par animosite (4). » Enfin il s'applau-
dit de Tabsence des defenseurs : « En matiere de grand cri-
minel, de quelle utiliteun avocat peut-iletre? L'experience nous
apprend que si Ton permet un conseil, la preuve du crime s'e-
vanouit au milieu des formalites prescrites pour preparer le juge-
ment. L'accuse ne sait-il pas ce qu'il a fait aussi certainement
que le temoin sait ce qu'il a vu ou ce qu'il a entendu? Dans
un proces criminel, il n'y a le plus souvent qu'un fait prin-
cipal, pour repondre sur ce fait si simple un conseil est inu-
tile ; la preparation marque bien plus le desir de trahir la verite
que la volonte de lui rendre horamage (5). a Cette ingenuite
savante confond I'esprit.
Seguier sait pourtant que ces lois , qui ecartent les conseils et
ordonnent le secret des procedures n'ont pas toujours regne en
France (6). Mais les rigueurs introduites sont pour lui des progres
realises. II sait qu'a Rome la procedure etait jadis accusatoire ,
publique, pleinement contradictoire (7); mais il a pen de res-
pect pour ces usages des « Etats populaires ou semi-popu-
laires (8). » Get homme , qui parle a la veille de la Revolution ,
connait Ayrault , dont il reproduit textuellement une phrase sans
le ciier (9) ; et il n'est point sensible aux sentiments qui, au xvi«
(1) P. 26.
(2) P. 162.
(3) p. ni, ssq.
(4) P. 246.
(5) P. 247.
(6) P. 230, ssq.
(7) P. 217-218.
(8) P. 220.
(9) P. 229.
378 l'ordonnance be 1670
siecle, soulevalent Fame du vieux maitre. II connait aussi la pro-
cedure anglaise , et n'a pour elle que du mepris : « L'usage de
la double instruction n'a point ete enseveli sous les debris de la
R6publique romaine. II subsiste encore aujourd'hui dans les tri-
bunaux de I'Angleterre. G'est une des lois de la Constitution
nationale, tous les accuses y sontjuges publiquement et par leurs
pairs. Cette forme y est entretenue par son analogie avec la Cons-
titution d'un Etat, ou la nation jouit de la puissance legislative,
inspecte le ministere par ses representants..., en un motpartage
I'autorite publique. Dans' les crimes ordinaires les juges ecoutent
I'accusateur ; I'accuse fait presenter ses moyens de defense, les
temoins sont entendus , reproches , confrontes publiquement , et
pendant toute I'instruction I'accuse est libre en donnant caution ;
les jures decident, mais ne decident que la question de fait, la
loi seule inflige la peine... Les lois britanniques portent I'em-
preinte du genie et des mceurs des peuples qui les ont etablies. La
legerete et I'inquietude de quelques esprits voudroient voir natu-
raliser chez nous celte forme de proceder. Les Anglomanes fran-
gais connaissent-ils bien cette legislation dont ils se declarent les
admirateurs? Quel est celui d'entre eux qui ne craindroit pas
d'etre abandonne a la discretion de douze juges connus sous le
nom de jures, qui n'ont d'autre facon de donner leur opinion
que ces mots : « Coupable » ou « Non eoupable ? » Encore ces
juges choisis dans chaque classe de citoyens relativement a
I'etat ou a la profession de I'accuse , restent-ils enfermes sans
pouvoir sortir jusqu'a ce qu'ils soient d'un avis unanime , espece
de conclave ou celui que la nature a doue de la plus forte com-
plexion pent obliger par besoin ses co-associes a revenir a son
opinion sur I'innocence ou la conviction ; en sorte qu'un seul jure
pent faire la destinee du coupable ou de I'innocent. Singuliere
legislation (1)! »
Seguier deteste « ces citoyens etrangers dans leur patrie , qui
n'admirent que la legislation des Etats voisins de la France, ou
ces reformateurs uniquement occupes a renverser nos lois sous
pretexte de les approcher du Code de la Nature (2). » II ne me-
(1) P. 218-219.
(2) P. 13.
APPLIQUBE. 379
nage ni les exhortations ni les funebres propheties : « Tels sont
les principes que nos sages predecesseurs nous ont transmis , et
une sainte indignation nous transporte a la vue des principes
contraires qui trouvent aujourd'hui des partisans. C'est I'opinion
de quelques enthousiastes que I'on veut substituer a I'opinion
publique (1). Osera-t-on nier qu'il est de la prudence de main-
tenir un Code de legislation quand il existe depuis plusieurs
siecles, precisement parce qu'il existe? On connait les inconve-
nients de la legislation qui est en vlgueur ; on ne connaitra que
par I'experience les inconvenients de la legislation qu'on y voudra
substituer, surtout quand on veut partir d'un principe absolument
oppose au principe des lois anciennes. Un changement brusque
et inopine pent ebranler la constitution politique , et une loi nou- ~
veUe a quelquefois ete le principe d'une revolution (2). » La
Revolution allait eclateren effet; mais ce n'etaient certes pas des
reformes operees qui la precipitaient.
Le requisitoire si curieux de Seguier nous a fait devancer les
temps; revenons aux jurisconsultes un peu plus anciens. Poul-
lain du Pare, en tete du premier des deux volumes qu'il consacre
a la procedure criminelle, examine la question dans son en-
semble. « La procedure criminelle, dit-il, a une forme absolu-
ment differente de celle prescrite pour la procedure civile. Geux
qui n'approfondissent pas les motifs de cette forme se recrient
contre la rigueur de la loi , qui , dans une matiere ou il s'agit de
I'honneur et de la vie d'un accuse , presume innocent jusqu'a ce
qu'il soit convaincu , lui tend un piege continuel et ne lui permet
de prouver son innocence qu'apres I'instruction entiere de la pro-
cedure. Pour justifier la loi contre ce reproche , il suffiroit de dire
que depuis I'etablissement de cette forme il est infiniment rare
que des innocents aient ete punis comme coupables , et que mal-
gre la rigueur de la loi , plusieurs coupables poursuivis echappent
a la peine, faute de preuves suffisantes. Mais des reflexions plus
etendues prouvent I'excellence de la loi en faisant connoitre I'es-
prit des differentes dispositions de I'Ordonnance de 1670. Aussi-
t6t que I'accusation est formee , le seul objet auquel on doit s'at-
(1) P. 255.
(2) P. 224.
380 l'ordonnance de 1670
tacher est de decouvrir le crime, celui qui I'a commis et ses
complices. La surete publique exige que cette instruction se fasse
promptement, et cela seroit impossible, si Ton admettoit des le
commencement une procedure contradictoire entre I'accusateur
et I'accuse , comme on I'a etablie en matiere civile entre le de-
mandeur et le defendeur. Mais en ordonnant que cette instruction
soit rigoureuse et prompte, la loi a pris toutes les precautions
pour que I'accuse soit a convert de la calomnie (1). »
L'auteur fait alors la description rapide des divers actes de la
procedure, puis il continue : « Tel est I'esprit general de la loi...
Aussi j'ai ete surpris de voir le judicieux abbe Fleury faire en
peu de mots la critique la plus outree de notre procedure crimi-
nelle. Voici ses termes : " Reformer notre procedure criminelle
tiree de celle de I'lnquisition ; elle tend plus a decouvrir et a
punir les coupables qu'a justifier les innocents. » C'est donner
a cette procedure une origine aussi fausse qu'odieuse. L'lnquisi-
tion admet toutes sortes de delateurs comme temoins , et ne les
confronte point aux accuses : les criminels juges tels, les prosti-
tuees, les parents dans le plus proche degre, le fils centre son
pere, le frere centre son frere, les deux epoux I'un Centre I'autre,
sont des temoins irreprochables. L'accuse est oblige de deviner
et d'avouer son crime reel ou suppose. On juge les pensees les
plus secretes, et Ton ne se contente pas de tendre des pieges
continuels a I'accuse pour le trouver coupable ; il semble qu'on
evite et qu'on cherche a ecarter tons les moyens de le trouver
innocent. Tels sont les principaux vices de I'instruction qui se
fait dans ce tribunal , etabli en meme temps contre la liberie des
peuples et centre le pouvoir des souverains. II est etonnant qu'on
ait pense a comparer cette procedure detestable avec celle de la
France, ot le tribunal de I'lnquisition , apres y avoir fait ses
premiers ravages, s'est aneanti en quelque sorte de lui-meme,
par le seul vice de sa constitution et de sa procedure (2). »
Poullain du Pare , comme Seguier, repousse I'introduction en
France de la procedure anglaise : « Quelques auteurs , en con-
(1) PrinHpes de droit frangais suivant les maximes du Parkment de Bretagne.
Rennes, 1771, torn. XI, p. 2, 3.
(2) Tome XI , p. 5, 6.
APPLIQUEE.> 381
damnant notre procedure criminelle, font I'eloge de cells de
I'Angleterre ou toute rinstruction , sans excepter meme les der
positions des temoins, se fait en presence de I'accuse. J'ignore
si cette forme a des inconvenients , dans une nation dont le der-
nier citoyen se regarde comme independant des personnes du
plus haut rang , mais en France , la subordination dans les diffe-
rentes conditions sufQroit pour intimider les temoins , qui de-
poseroient en presence d'un accuse d'un rang superieur. Le ge-
nie et le caractere des deux nations sont si differents qu'il n'est
pas possible de tirer de justes consequences de la procedure
criminelle de I'Angleterre contra celle de la France (1). »
II n'est point d'ailleurs I'ennemi de toute reforme , et voici ce
qu'il propose : « Le seul exces de rigueur qu'on pourroit trouver
dans la procedure criminelle seroit depuis la confrontation. Lors-
qu'elle a devoile tout le secret des charges a I'accuse, pourquoi
ne I'autorisera-t-on pas a demander la communication entiere de
la procedure criminelle pour le mettre en etat de rapprocher tout
ce qui peut servir a sa justification et k prouver les contradic-
tions ou la faussete des depositions , les nuUites de forme , I'in-
suffisance de I'instruction , les moyens que les juges ont neglige
d'employer pour approfondir parfaitement la verite? Pour peu
que I'instruction soit compliquee , il est impossible a I'accuse le
plus eclaire de se ressouvenir de tout ce que la confrontation lui
a appris d'interessant. Ainsi Ton diroit que la loi a voulu char-
ger les juges de sa defense , puisqu'elle le met hors d'etat d'em-
ployer tons les moyens legitimes et qu'elle ne permet de lui
donner un conseil que dans un petit nombre d'affaires. Cette
rigueur s'accorde-t-elle avec le voeu de toutes les lois , -qui est
d'employer tous les moyens possibles pour la conservation de
I'honneur et de la vie de I'innocent (2)? »
Les autres criminalistes n'examinent point directement et dans
une vue d'ensemble la question de legislation. Mais, il faut le
reconnaitre , souvent ils signalent la rigueur de I'Ordonnance ,
sans cependant reclamer des reformes. Voici quelques opinions
sur les points principaux.
(1) Tome XI, p. 7.
(2) Tome XI, pp. 6, 7.
382 l'ordonnance de 1670
D'abord, sur le serment impose al'accuse, Serpillon rapporte
la discussion qui eut lieu dans les conferences , puis il ajoute :
« Ces observations... produisirent pour la premiere fois uneloi
precise pour I'obligalion du serment... il est cependant notoire
qu'eflfectivement il y a presque autant de parjure en cette occa-
sion que de serment, mais on ne pent punir I'accuse pour un
pareil faux serment (1). » Pothier observe « qu'il y a dans le
proces-verbal de I'Ordonnance un beau discours centre I'usage
du serment (2). »
« Chez les Remains , dit Serpillon , et meme en France , un
accuse se defendoit par avocat m^me dans les plus grands cri-
mes; mais on a trouve qu'il etoit le plus a propos d'obliger les
accuses a se defendre... par eux-m^mes, sans aucun memoirs
ou instruction a la main (3). » Rousseau de La Combe rappelle
« qu'autrefois les accuses se defendoient par le ministere des
avocats et non par leur bouche, ni par interrogatoire ; I'accu-
sation se decidoit souvent sur une plaidoirie [i). » Et Pothier :
« A regard des crimes capitaux, I'Ordonnance interdit aux ac-
cuses les conseils , meme apres la confrontation , en quoi notre
jurisprudence est plus severe que celle de tous les fitats de
I'Europe (5). »
Ce qui domine le plus souvent dans ces observations, c'est un
sentiment de regret, et rien de plus. Serpillon commente la
disposition qui oblige I'accuse a alleguer ses reproches avant la
lecture, de la deposition : « II est certain, conclut-il, que I'Or-'
donnance est de rigueur pour I'instruction... Ayrault, dans sa
Pratique judiciaire, s'eleve aussi beaucoup centre la disposi-
tion des Ordonnances a cet egard, et effectivement encore au-
jourd'hui, si un accuse proposait des reproches violents contre
un temoin et articulait des faits de notoriete , il y a peu de
juges qui n'en fussent frappes , quoiqu'ils ne fussent pas prouves
par ecrit (6). » II parle en termes semblables de I'article qui regie
(1) Code crminel, p. 659.
(2) Procedure criminelle (§dit. Bugnet).
(3) Code crminel, p. 662.
[i)IMd., p. 341.
(5) Procedure criminelle (6dit. Bugnet), p. 341.
(6) Cod^criminel, p. 730.
APPLIQUifE. 383
la preuve des faits justificatifs : « On peut dire que I'Ordonnance
dans cette disposition est severe , puisqu'elle exige d'un accuse
souvent illettre et detenu quelejuefois depuis un an dans les ca-
chets qu'il nomme sur-le-champ ses temoins... L'Ordonnance ne
permet mSme pas au juge de lui accorder un delai (1). »
Pour la torture, les critiques sont un peu plus vives. Pothier,
on le sait , protestait d'une facon toute personnelle : '( On evitait
de lui distribuer les proces criminels dans lesquels on prevoyait
que la question pouvait etre ordonnee, parce qu'il ne pouvait en
supporter le spectacle : impuissance qui procedait beaucoup plus
de la sensibilite des organes physiques que du sentiment mo-
ral (2). » Malgre I'explication du pan^gyriste, nous devons noter
avec un soin pieux cette marque de sensibilite chez le grand ju-
riscoEfsulte. « II y a longtemps , ecrit Serpillon , que le public se
plaint de I'usage de la torture , on en fit m^me des remontrances
lors des conferences de cetitre... On ne peut rien trouver de plus
cruel et de plus injuste que la question preparatoire : les Remains
la faisoient donner a leurs esclaves, mais c'est parce qu'ils les
regardoient comme des animaux domestiques ; ils n'y condam-
noient jamais un citoyen , a plus forte raison des Chretiens et
des peuples chretiens devroient s'en abstenir... Ces inconvenients
ont determine plusieurs souverains a supprimer ce tourment.
II y a environ quinze ans il le fut en Prusse ; le prince n'a pas
voulu que Ton confondit I'innocent avec le coupable : la question
n'est aussi plus en usage en Angleterre d'apres Despeisses, qui a
recrie beaucoup centre I'usage de France. Plusieurs innocents sont
morts a la question ; c'est un fait trop notoire pour avoir besoin
d'etre prouve en detail (3); » Et Rousseau de La Combe : « Les
accuses n'avouent presque jamais rien , en sorte que le plus sou-
vent la question preparatoire ne produit aucun effet , les accuses
souffrent les tourments de la question sans rien avouer, et s'ils
parlent, c'est pour tout nier... On prendra la liberte de repre-
(1) Code criminel, p. 1212.
(2) Eloge de Pothier. (Euvres, 6dit. Bugnet, tome II, p. 51.
(3) Code criminel, p. 907; aussi parlant de la question qu'on donne au presi-
dial d'Autuu : « Nous la troavons si cruelle, dit-il, que nous nous abstenons,
depuis ces accidents, d'y condamner pr6paratoirement. »
384 l'ordonnance de 1670
senter aux magistrats que de condamner un accuse a la question
preparatoire est chose bien delicate... il est souvent estropie pour
toute sa vie , quoique par le jugement defmitif il ait ete renvoye
de I'accusation... Ce qui fait dire a un ancien criminaliste que la
question est plutot un essai de patience que de verite Aussi
nous avons bon nombre d'auteurs qui ont ecrit contre la question
ou torture, et eutre autres M. Nicolas, president au Parlement de
Besancon , dans un Traite particulier ou il rapporte tout ce qu'on
peut dire pour montrer que la question est inutile... Quoi qu'il en
sait , il faut convenir que du moins la question prealable et defi-
nitive produit souvent des effets merveilleux par rapport a la
decouverte des complices (1). »
V.
Quelle que fut I'opinion des jurisconsultes, ce n'etaient plus eux
desormais qui devaient 6tre ecoutes. Le vrai roi du siecle c'etait
I'esprit public ; on peut suivre pas pi pas les progres qu'il fait , et
cette histoireaete ecrite (2). Au point de vue qui nous interesse,
nous aliens assister a ses triomphes. Confine pendant longtemps
dans lesflivres, I'esprit de reforme va s'affirmer officiellement.
II s'introduira dans les audiences solennelles des tribunaux et
dans les societes litteraires , parfois meme dans la legislation.
Sous Louis XV, aucune reforme, au sens que nous venons
d'indiquer, n'avait ete operee. Cependant d'Aguesseau eut I'idee
d'ameliorer les lois frangaises et^e les reunir en un seul corps (3).
II proceda a peu pres comme on I'avait fait pour la reformation
de la justice sous Louis XIV, demandant des memoires, con-
sultant les principaux membres des Parlements (4), et faisant
revoir toutes les questions par une commission superieure , qui
fut comme son conseil prive. Elle etait composee de Joly de
Fleury, de Machault d'Arnouville, des deux fils aines du Chan-
(1) Mat. Crim., pp. 424, 425, 426.
(2) L'esprit riwlutionnaire avant la Revolution, par M. F^lix Rocquain, 1878.
(3) Voy. Francis Monnier : Le Chancelier d'Aguesseau, 2o edit., 1863, p. 286.
(4) Ibid., p. 288, 290, 293.
APPLIQUEE. 38S
celier, de d'Argenson , de Portia, auxquels s'adjoignaient par-
fois d'Ormesson et Trudaine (1). Ce travail comprenait natu.
rellement la procedure criminelle. On devait reprendre I'Or-
donnance de 1670; mais il semble qu'on voulait simplement la
perfectionner au point de vue technique, on pent du moins le
croire, quand on examine quelques parties detachees de I'en-
semble, qui, pretes avant le reste, ont vu lejour.
A un moment donne, le Chancelier ecrit ceci al'un de ses amis :
« Le memoire sur le faux va etre examine incessamment au con-
seil et il restera apparemment tres-peu de chose k faire pour y
mettre la derniere main. Ce qui sera le plus presse apres cela
est la competence des juges, les marechaussees , et le titre sur
les defauts et contumaces (2). » Ces divers points ont fait sous
Louis XV I'objet de Declarations ou Ordonnances. Cost d'abord
la I^eclaration en forme d'Edit du mois de juin 1730, concernant
les procedures criminelles ; elle n'eut pour but que « d'inter-
preter en ajoutant aux articles 2, 3, 7 et 9 du titre xvii de I'Or-
donnance de 1670, » reglant seulement des points de detail (3).
En 1736, parait la Declaration sur les cas prevotaux et presidiaux,
dont nous avons deja eu I'occasion de parler. C'est encore un
simple desir de reglementation qui inspire le legislateur. Le
preambule rappelle que « I'un des principaux objets de I'Ordon-
nance de 1670 fut de marquer des bornes certaines entre les juges
ordinaires et les prevots des marechaux... I'experience fait voir
qu'il reste encore plusieurs points importants qui font naitre tons
les jours des sujets de contestation entre la justice ordinaire et les
juges des cas prevotaux ; » c'est a ces difficultes que Ton veut
porter remede.
Enfln rOrdonnance sur le faux de 1737 est un des principaux
titres de gloire de d'Aguesseau. C'est en effet une loi d'une preci-
sion technique presque parfaite. Le preambule semble meme re-
(i) Voy. Francis Monnier : Le Chancelier d'Aguesseau, 2^ edit., 1863, p. 288.
(2) Ibid., p. 339.
(3) « Ces articles concernant les defauts et contumaces eprouverent beaucoup
de difficultes dans I'usage en ce qui regardait les lieux ou la perquisition des
accuses devait toe faite , et les assignations donnSes. » Salle : Esprit des Ordon-
nances, ^dits et Declarations de Louis XV (tome III, p. 135-156).
25
386 l'ordonnance de 1670
veler I'idee de reformer I'Ordonnance de 1670 dans son ensemble,
mais non point pour en changer les grandes lignes. On constate
seulement que « la diversite des opinions et les differentes ma-
nieres d'expliquer les diverses dispositions ont produit une si
grande variete dans les usages de plusieurs tribunaux que des
procedures , qui paraissent aux uns regulieres et suffisantes, sont
regardees par les autres comme nuUes et defectueuses ; » on a
pense « qu'au lieu de se contenter de reparer les defauts de procfe-
dure a mesure qu'ils se presentent , il etoit beaucoup plus conve-
nable d'en tarir la source par une nouvelle loi , qui renfermdt en
meme temps le supplement et I'interpretation des Ordonnances
precedentes. Mais dans la necessite ou nous sommes de partager
un ouvrage d'une si grande etendue , nous avons cru que la revi-
sion de I'Ordonnance de 1670 sur la procedure crimiQelle devoit
occuper d'abord toute notre attention ; et dans cette Ordonnance
meme, nous avons juge a propos de faire un choix en commen-
gant un ouvrage si utile par les titres de la reconnoissance des
ecritures ou signatures privees et du faux principal et incident. »
Sous Louis XVI nous touchons a I'epoque des vraies reformes.
Cependant celles qui se produiront avant la convocation des
Etats-Generaux seront insufflsantes. Pour le moment nous n'en-
registrerons qu'une Declaration du 24 aout 1780, qui, sans abolir
completement la torture , en fit disparaitre I'application la plus
odieuse, la question preparatoire : « Nous avons pense, dira plus
tard le Roi , que la question toujours injuste pour completer la
preuve des delits , pouvoit etre necessaire pour obtenir la reve-
lation des complices (1). »
VI.
Cependant I'esprit nouveau faisait de rapides progres. II avait
gagne la grande masse de la bourgeoisie , il s'insinuait dans les
corps constitues de I'Etat, dans les compagnies reconnues; la
Royaute elle-meme lui faisait bon accueil.
En 1775, voici ce qu'ecrit un homme pourvu de places a la Cour,
(1) Prfiambule de I'Edit du lor mai 1788.
APPLIQUEJE. 387
dans un livre dedi6 au Roi, et dont le Roi a accepts la dedicace (1) :
« Vous examinerez sans doute ua jour, si, dans nos Ordonnances
criminelles, dont les plus anciennes avoient a reprimer la plus
feroce barbaric, on n'a point songe davantage a la conviction qu'a
la defense du coupable ; si cette instruction formidable et profon-
dement secrete, qui prend, pour ainsi dire, I'accuse au depourvu,
n'est point aussi propre a jeter le trouble dans I'ame d'un innocent,
qu'a r^pandre la terreur dans I'ame d'un coupable ; s'il est des
genres d'accusations , dans lesquels il puisse etre juste de refuser
a I'accuse le secours d'un conseil ; s'il ne seroit point plus conforme
a I'humanite de lui laisser, des le commencement de la procedure,
la liberte de prouver son innocence , comme I'accusateur a dans
tous les temps celle de prouver le crime ; s'il est bien evidemment
juste de forcer le premier a attendre, pour presenter ses faits jus-
tificatifs, que I'edifice des preuves accumulees centre lui ait acquis
toute la perfection dont il est susceptible... II semble, en effet,
Monseigneur, que nos lois criminelles aient regarde I'accuse du
meme ceil dont elles ont du voir le coupable, et que s'il est aujou r
d'hui tres-difficile que celui-ci echappe a la peine qui lui est due ,
il est aussi tres-facile que I'homme de bien , ou prevenu par une
erreur publique , ou poursuivi par des haines secretes , devienne
la victims et de ladouleur et du trouble que I'oppression lui cause.
II n'est presque jamais arrive en France que le criminel arrete ait
evite la condamnation ; mais il est arrive plus d'une fois que I'in-
nocence, injustement poursuivie , n'a ete reconnue qu'apres le sup-
plice. Les tribunaux les plus sages et les plus justes ont eu quel-
quefois a gemir sur une erreur meurtriere , a laquelle ils avoient
ete conduits par la regularite meme de leur procedure. La loi n'a-
voit rien alors a leur reprocher, mais la justice pouvoit peut-Stre
reprocher aux formes leur imperfection (2). »
(1) Les devoirs du prince riduits d un seul principe , ou Discours sur la justice,
didi^ au Roi, par Moreau. Voy. Nouvelle biographie ginirale de Didot, t. XXXVI,
p. 480. « Moreau fut charge par la Cour de rediger plusieurs ouvrages, entre
autres le pr^ambule des Edits du Chaacelier Maupeou , et fut recompense de son
zele par les charges de Premier conseiller de Monsieur, de biblioth^caire de la
reine Marie-Antoinette et d'historiographe de France. » L'ouvrage que nous ci-
tons avait H& d'abord compost pour servir h. I'^ducation de Louis XVI. Voy. Pr6-
face, p. 10, H. — (2) Op. cit.. p. 436438.
388 l'ordonnance de 1670
L'esprit de reforme , malgre les resistances d'une partie de la
magistrature, s'affirme dans les Discours de rentr^e des Cours. En
1766, Servan pronoace cette harangue restee fameuse , dans la-
quelle il combattait la detention preventive , les interrogatoires
captieux, la torture , la tbeorie des preuves legales ; il revoquait
en doute la legitimite de la peine de mort et reclamait des lois
fixes et prScises. II est difficile d'imaginer quelque chose de plus
hardi dans la bouche d'un magistrat : « Levez les yeux , dit-il , a
ses collegues et voyez sur vos tetes I'image de votre Dieu qui fut
un innocent accuse : vous etes homme , soyez humain ; vous etes
juge, soyez modere; vous etes Chretien, soyez charitable. Homme,
juge, Chretien, qui que vous soyez, respectez le malheur (1). »
En terminant il demande a grands cris la reforme de I'Ordonnance
del670.
Ce n'est pas la un cas isole, d'autres imitent Servan; en 1786 ,
par exemple, I'avocat general Herault de Sechelles predisait de
nouvelles lois qui allaient eclore (2).
Les societes litteraires, dont I'influence fut si grande a cette
epoque , s'empressent de mettre au concours les questions de le-
gislation criminelle : « Les societes savantes et les academies, qui
puUulaient au xvni° siecle, contribuerent a entretenir dans les pro-
vinces cet esprit nouveau, qui, al'exempledeParis, s'attachait aux
questions de reforme criminelle. Ce fut une mode... En 1777, la
societe economiquede Berne etablitun prixde 1200 fr. pourTau-
teur du meilleur memoire redige d'apres ce programme : « Com-
poser et rediger un plan complet et detaille de legislation crimi-
nelle sous ce triple point de vue : 1° des crimes et des peines pro-
portionnees qu'il s'agit de leur appliquer ; 2° de la nature et de la
force des preuves et des presomptions ; 3° de la maniere de les
acquerir par la voie de la procedure criminelle , en sorte que la
douceur de I'instruction et des peines soit conciliee avec la certi-
(1) Voy. Discours, en Ute du Code Criminel de Serpillon, p. 26.
(2) Voyez : BShaUlitation de deux accusis et justification de trois autres, par
M» Godard, avocat. Paris, 1787, p. 113 : « II nous est permis d'enoncerles de-
couvertes qui peuvent rendre une nation plus heureuse , de pridire les nouvelles
lois qui vont Colore , et ce que disoit dans un discours solennel un jeune et Eloquent
magistrat. »
APPLIQUEE. 389
tude d'un chatiment prompt et exemplaire, et que la societe civile
trouve la plus grande surete possible pour la liberie et I'huma-
nite. » Quand Voltaire vit ce programme , dont on I'a soupconne
d'etre I'auteur, il se prit d'enthousiasme , envoya 50 louis de plus
et publia lui-m6me une reponse a ces questions , son livre est in-
titule : Prix de la justice et de V humanity... De toutes parts on se
mit a concourir; la Societe de Berne, apres avoir ajourn6 le prix
le donna en 1782 a deux Allemaads, Von Globig et Hulster. Leur
livre a ete imprime en allemand ; on ne parait pas lui avoir attri-
bue de valeur en Allemagne.
« Parmi las concurrents se trouverent deux hommes qui devaient
jouer plus tard dans la Revolution un grand role et qui a cette
epoque se disputaient le prix de la justice et de I'humanite : Bris-
sot , qui fut le publiciste des Girondins , et un autre personnage
moins connu pour son humanite , Marat. Ge dernier fit imprimer
son ouvrage en 1781 et le publia a Paris en 1790.. Get ouvrage
est d'une rare mediocrite. .. il n'en est pas de meme d'un autre ou-
vrage qui eut plus de succes, dont I'auteur est Brissot, et qui est
intitule : TMorie des lois criminelles, ouvrage qui ne fut point
admis au concours de la Societe de Berne, parce qu'il avait ete
publie (1). »
En 1780, c'est'une societe frangaise, I'Academie de Ghalons-
sur-Marne , qui juge le concours qu'elle a ouvert sur ce sujet :
« Des moyens d'adoucir la rigueur des lois penales en France,
sans nuire a la surete publique (2). » La Socipte, en publiant les
discours, declare : « qu'elle n'entend pas approuver les idees des
auteurs, elle a donne son suffrage a leurs talents, a leur humanite >
et aux vues utiles, qu'elle a cru apercevoir dans leurs ouvrages.
L'Academie applaudira toujours aux decouvertes heureuses qui lui
seront presentees. La nature meme des sujets qu'elle propose an-
nonce le desir qu'elle a de repandre de nouvelles lumieres sur la
morale et I'economie politique. Mais dans un temps ou le zele con-
tre les anciens prejuges degenere trop souvent en innovations
(1) M. Laboulaye: Reowe des COwrs lUUraires, tome 11, 1864-1865, p. 782, 783.
(2) Discours couronn6 par I'AcaMmie de Chdlons-sur-Marne en 1780, suivi de ce-
lui qui a obtenu I'accessit , et d'extraits de quelques autres mSmoires pr6sent6s a
)'A.cademie. Ch41ons-sur-Marne , 1780.
390 l'ordonnance de 1670
encore plus dangereuses , elle croit devoir declarer qu'elle s'est
fait une loi d'exclure du concours tout memoire qui ne seroit
pas ecrit avec tout le respect du k la Religion et au Gouveme-
ment. »
Vingt memoires au moins furent envoyes a I'Academie; deux
furent couronnes , celui de Brissot de Warville et celui de Ber-
nardi avocat au Parlement d'Aix. lis presentent toutes les re-
clamations , qui tendent de plus en plus a former un programme
commun, et qu'enregistreront les cahiers de 1789. lis demandent
la publicite de la procedure (1), la suppression du serment del'ac-
cuse (2) et celle de la torture (3), la pleine liberie de la defense (4),
et le systeme des preuves morales (5). lis demandent enfm le jury,
comme la restauration d'une ancienne institution nationale (6).
lis font appel aux reformes prochaines dans cette langue em-
phatique et ardente, que parle le xvm° siecle : « Peuple, 6 toi
qui courbe sous le poids -des fers as gemi si longtemps , tu com-
mences enfin ei respirer; leve un front serein, le siecle des
larmes est passe; ton malheur touche a son terme... que le flam-
beau de la raison luise encore quelque temps et I'univers ne
connoitra plus de tenebres (7). » — « Des regnes plus heureux
brillent sur I'Europe. 0 mes amis, mes freres, cet ouvrage vous
prouve si je desire le soulagement de vos,maux (8) 1 »
Ces reclamations , ces voeux , ces appels vont enfin s'adresser
aux juges eux-memes. Ge n'est pas dans des plaidoyers qu'ils
retentiront, car on ne plaide pas en matiere criminelle; mais
ce qu'on ne pent pas dire, on I'imprimera, et les M6moires justi-
(1) Brissot, p. 94; Bernardi, p. 176-17.
(2) Brissot, p. 95; Bernardi, p. 162.
(3) Brissot, p. 103 ; Bernardi , p. 164-16.
(4) Brissot, p. 96-98; Bernardi, p. 178-182.
(5) Brissot, p. 101, ssq. ; Bernardi, 145, ssq.
(6) Bernardi, p. 202. « Obserfons que cet usage que chacun soil jug6 par ses
pairs 6toit autrefois suivi en France ; que c'est Tintroduction des juges gradu6s
et du droit romain, qui I'a fait abolir; que s'il subsiste encore en Angleterre
et dans quelques pays du Nord, c'est que mieux que chez nous on a su y con-
server les principes sages et fiquitables de nos pferes. »
(7) Brissot, p. 111.
(8) Bernardi, p. 218.
APPLIQUEE. 391
ficatifs pour des innocents injustement condaranes vont se mul-
tiplier, dans les annees qui precedent la Revolution. On usera
de cette voie du recours en cassation , dont nous avons montre
la portee ; on obtiendra les ordres royaux qui permettront de sus-
pendre les executions et de faire reviser les proces. Les auteurs
de ces memoires , avidement lus par le public , sont des avocats ,
parfois des magistrats, qui deviennent les heros du jour (1).
Chacune de ces plaidoiries , qui parle pour tout un peuple plut6t
que pour un accuse, contient un appel aux reformes neces-
saires. Citons rapidement quelques-unes de ces affaires. En
1785 c'est une malheureuse fille, Catherine Estines, qui , comme
parricide, est condamnee par le siege de Riviere a etre brulee
vive; bient6t au Parlement de Toulouse on s'apercoit que la
procedure a ete falsifiee, on lance une plainte en faux contre
les officiers de Riviere et un memoire justificatif pour I'ac-
cusee est presente par M" Lacroix, avocat (2). L'auteur, en
terminant , fait parler sa cliente : « Qui sait si le bruit de naes
malheursparvenantjusqu'aux pieds du tr6ne, cet exemple, ajoute
a tant d'autres, ne hatera pas la reforme de nos lois criminelles,
si ardemment desir^e de tous les gens de bien ! Oh ! combien je
benirois alors mes tourments passes et mes souffrances presen-
tes! Une bonne legislation criminelle est le plus beau present
qu'un souverain puisse faire a ses peuples. La France I'attend
avec respect ce present digne d'elle et de son Roi... Notre Or-
donnance criminelle renferme des dispositions si sages : il en
couteroit si peu pour modifier celles qui le sont le moins (3). »
En 1780, cinq particuliers furent condamnes par le Parlement
de Dijon, pour vol nocturne avec effraction et menaces, k des
(1) Les charges sont aisement oommuniquSes ; souvent ce sont des « gedliers
sensibles , » qui prennent a coeur de faciliter la defense. « On m'apporta les ren-
seignements promis , dit M° Lecauchois , dans son memoire pour la fille Salmon
un peu plus de 250 pages de minute in-tolio. » — Le sleur Lecard^, greffler-
concierge des prisons de Rouen, atteste I'mflaence qu'il a cue sur le salut de la
fille Salmon : « Le public apprendra que la garde des prisons n'est pas incom-
patible avec la bienveillance et I'humanit^... J'avois recueilli une liasse de ren-
seignements importants pour I'eclaircissement du proofs. »
(2) M4moire pour Catherine Estinis. Toulouse , 1786.
(3) Mimoire pour Catherine Estinis , p. 54.
392 l'ordonnance db 1670
peines diverses? I'un fut pendu, un autre mourut aux galeres;
I'un d'eux avait ete soumis a la question prealable. lis etaient
innocents; les veritables coupables furent posterieurement de-
couverts et condamnes. Des lettres de revision furent alors
obtenues et un memoire justiflcatif redige par M. Godard , avo-
cat au Barreau de Paris (1); au memoire est jointe une consulta-
tion que signerent MM. Target, Thetion, Sanson, Martineau, de
La Croix, Blonde, Hardoin de la Reynerie, Fournel, Bonhome
de Comeyras, Henry, Lacretelle, de Seze et Bonnet. « Cette
grande erreur , dit I'auteur du memoire , va faire de la cause de
cinq malheureux une cause nationale, a laquelle' les citoyens
de tons les ordres prendront part, puisqu'elle les pressera de
tourner leur attention sur eux-mgmes ; et elle determinera enfln ,
n'en doutons pas , ceftte reforme desiree depuis si longtemps et
avec tant de raison dans notre legislation criminelle... Ce sera
le descendant de Lamoignon... Ce sera I'heritier de ses vertus
et de ses lumieres, comme de son nom, qui, reprenant apres
plus de cent ans les pen sees immortelles de son aieull, leur fera
donner par le souverain la sanction qui leur est due, et obtien-
dra de la justice bienfaisante du monarque un nouveau code, dont
le premier objet sera le bonheur de cet empire , et qui eclairera
ensuite les nations etrangeres , comme les codes recents de deux
grands princes de I'Europe , eclairent actuellement la n6tre (2). »
En 1786 c'est une autre cause, celle d'une pauvre servants,
Marie-Frangoise-Victoire Salmon (3). Condamnee au feu comme
empoisonneuse par le Parlement de Rouen, le 17 mai 1772, le
concierge de la prison et des ecclesiastiques s'interessent a elle ;
on obtient un sursis pour I'execution , le proces est revise. Elle
est condamnee cette fois a un plus amplement informe indefini et
a garder prison; enfin cette nouvelle sentence est elle-meme atta-
quee devant le Conseil du roi. Un avocat de Rouen , M° Lecau-
chois , redigea deux memoires pour la fille Salmon , et au second
(1) HihabilUation de la memoire de deux accusis et justification de trois autres.
Paris , 1787.
(2) P. U2, 113.
(3) Voyez Mimoire justiflcatif de Mo Lecauchois , Paris , chez Cailleaux , impri-
meur, 1786.
APPLIQUEE. 393
est jointe une consultation de I'un des avocats oelebres de Paris,
de Fournel (1). Ce proces emut extremement ropinion : « des
aumfines abondantes venoient chercher la fiUe Salmon au fond
de sa prison, ses protecteurs ayant eveille la bienfaisance pu-
blique, des sommes considerables furent envoyees (2). » Le me-
moire se vendit beaucoup. Enfin, un arret du Parlement de
Paris , sur cassation et renvoi, intervint le 23 mai 1786, dechar-
geant I'accusee de toutes les accusations et plaintes centre elle
intentees ; et tout Paris s'empressa de faire une ovation a la
malheureuse et a son defenseur (3).
Mais la cause la plus celebre fut celle qui porta bient6t le nom
de proces des trots roues. Pour vol nocturne, trois malheureux,
Bradier, Lardoise et Simare, sent, en 1785, condamnes auxgaleres
perpetuelles par le bailliage de Chaumont ; le Parlement de Paris
eleve la peine a celle de la roue. Un sursis cependant est obtenu,
un pourvoi en cassation forme, et bient6t parait un memoire jus-
tificatif suivi d'une breve consultation [i). La consultation etait
signee par Legrand de Laleu , le memoire ne portait pas de nom
d'auteur, mais tout le monde sut qu'il avait ete compose par un
magistral philosophe et litterateur, Dupaty, president a mortier
au Parlement de Bordeaux. Le memoire fut suivi bientot d'une
autre piece , intitulee : « Moyens de droit pour Bradier, Simare et
Lardoise, condamnes a la roue (S). » C'etaient des oeuvres remar-
quables et passionnees , qui allaient bien au dela des interets
respectables engages dans la cause. Le memoire surtout est un
admirable plaidoyer, plein de force et d'elan , exprimant dans un
langage ardent les revendications , qui bientdt dicteront la loi.
Les appels a la justice et a la clemence royale se succedent, pres-
sants et enflammes : « Non, je ne me tairai point sur les vices et
(1) Consultation pour une jewne fille condamnie AUre brulievive. Paris, 1786.
(2) Mimoirepour le sieur Lecardi, concierge des prisons de Rouen, p. 28.
(3) Voyez les recriminations du sieur Lecardi, qui veut avoir sa part de gloire.
« Depuis ce jour il n'a cesse (M« Lecauchois) de la trainer aux spectacles de toute
espfece, Theitre-Fran^ois, Comedie Italienne, Ambigue-comique, Vaux-Hals, Rug-
gieri, Musee, Boulvard, etc., se rengorgeant a c6te d'elle, 11 se montroit lui-m6me
comme une pifece curieuse. » P. 25.
(4) Mimoire justificalif pov/r trois hommes condamnis il la roue, 1786. Paris.
(5) A Paris , de I'imprimerie de Philippe-Denys Pierre, 1786.
394 l'ordonnance de 1670
les rigueurs de notre Ordonnance criminelle, lorsque la France et
rhumc^nite-possedent enfin Louis XVI... (1). Magistrats, il exists
dans votre Ordonnance criminelle une Loi , qui accorde , que
dis-je? qui ordonne que tout accuse muet ou sourd aura un de-
fenseur... Etendez, etendez cette loi humaine sur les indigents et
les pauvres. Elle les regarde sans doute... La minorite de la mi-
sere n'est-elle pas au moins aussi favorable que la minorite de la
nature? Que dis-je? ils sont sourds aussi et muets les indigents
et les pauvres , et non-seulement par la perte reparable des or-
ganes qui entendent et qui parlent , mais par la privation sans
ressource de I'intelligence qui comprend, et de la raison qui
s'explique (2). »
« Ah ! Sire , daignez enfin du haut de votre trone , au milieu
de ce brillant concert de toutes les voix de la Renommee, qui
publient dans tout I'uni vers votre sagesse et votre gloire, daignez,
Sire, preter un moment I'oreille au sang innocent des Galas , des
Montbailly, des Langlade , des Cahusac , des Barreau , au sang
innocent de ces trois malheureux pret a couler. Tout ce sang
innocent, du milieu des gibets et des roues , ne cesse d'une voix
lamentable de vous crier : 0 prince ami des hommes, ne passez
pas aussi surle trone sans daigner nous ecouterl... daignez, dai-
gnez abaisser du haut de votre tr6ne un seal regard sur tous les
ecueils sanglants de notre legislation criminelle , oi nous avons
peri, ou tous les jours des innocents perissent... (3). Ne croyez
point, Sire, ceux qui vous diront qu'il faut maintenir des lois
rigoureuses , il est vrai , mais si anciennes , qui ont des siecles ;
Sire, la raison et I'humanite sont eternelles ; — qui vous diront que
les legislations doivent etre stables dans les Empires pour que
les Empires eux-m6mes se tiennent debout, comme si les lois
destinees a suivre les individus , les societes et I'espece dans le
cercle des revolutions qui les entrainent , ne doivent pas faire
partie des choses humaines , et comme elles , avoir un cours ; —
qui vous diront qu'il est dangereux de diminuer le respect du aux
lois par des critiques trop ouvertes, comme si rien pouvoit les
(1) SUmoire. p. 233.
(2) Ibid., p. 237-238 ; cf. p. 57 ; of. Moyms de droit , p. 43-44.
(3) Mimoire, p. 240.
APPLIQUEB. 393
deshonorer davantage que cette rouille de la barbarie , qui les
couvre , ou le sang innocent dont elles degouUent ; — qui vous
dirout enfin que la confection d'un nouveau code criminel est une
operation difficile, qui exige que le temps et la raison la muris-
sent, comme si ce n'etoit une nouvelle raison de s'en occuper tout
a I'heure (1)!... Sire, le Code que nous implorons n'est point a
faire, il est fait, il est ecrit , il est grav6. Dieu lui-meme I'a grave
dans votre ame , et il ne vous reste plus qu'a le faire traduire tout
a I'heure par le chef de votre magistrature qui ne doit point avoir
de peine a I'entendre et a en donner incessamment un exemplaire
a votre Empire, a I'univers (2) ! » — « HUtez-vous, 6 prince ami de
la justice , de la verite, de I'humanite... car peut-etre dans quel-
que province eloignee de votre Empire , vos lois criminelles , les
lois surtout de vos criminalistes, poussent dans ce moment meme
a I'echafaud deshommes qui, comme Bradier, Lardoise et Simare,
sont depourvus de tout conseil , languissent comme eux dans les
prisons, depuis des annees sont comme eux les jouets de I'injus-
tice et de I'ignorance des premiers juges, et sont innocents comme
eux. Vousetes roi... (3). »
Le memoire de Dupaty eut un prodigieux retentissement. On le
vendit si profusion avec le portrait de I'auteur et celui de Legrand
de Laleu , et Louis Seguier constate lui-meme cette grande emo-
tion dans les conclusions qu'il donna pour la suppression de cet
ecrit, et que nous avons plus haut analysees. « Ce memoire pr^-
tendu justificatif s'est repandu avec profusion dans la capitale ,
dans toute la France, dans toute I'Europe. On a affecte de le faire
vendre au profit des trois condamnes pour interesser davantage
la commiseration publique... Cette distribution venale, jusqu'a
present inusitee , a produit la fermentation la plus vive ; la cause
des trois criminels est devenue la cause de presque tons les ci-
toyens... Dans ce moment d'effervescence un cri general s'est
eleve contre I'Ordonnance criminelle (4). » L'avocat general con-
sidere tout cela comme une exaltation passagere : « C'est a notre
(1) Memoire , I, p. 243-245.
(2) Ibid., p. 248.
(3)/6Jrf., p. 249.
(4) IWd., p. 3-5
396 l'ordonnance de 1670 appliquee.
ministere qu'il est reserve d'eclairer un public prevenu, de ramener
les esprits prets a s'egarer, de poser les vrais principes, ignores
de la plus grande partie des citoyens et de tous les ordres et de
tous lesrangs, de justifier la legislation, de fixer le veritable sens
de la loi , de retablir I'autorite de la jurisprudence , en opposant
le flegme de la reflexion aux fougues de I'imagination , I'interet
general au vain desir de la celebrite , de faire connoitre a la na-
tion , a toutes les nations que la manie de la reformation seule
conduit la plume de cat ecrivain (1). » Ce que Seguier prenait
pour un orage ephemere, c'etait le souffle tout-puissant de la Re-
volution Frangaise.
(1) Mimoire, I, p. S.
TROISIEME PARTIE.
LES LOIS DE L'EPOQUE INTERMEDIAIRE
ET LE CODE DESTRUCTION CRMNELLE.
TITRE PREMIER.
LES LOIS DE LA REVOLUTION.
CHAPITRE PREMIER.
L'Ordonnance de 1670 r6form6e.
I. L'Sdit de 1788. — II. Les cahiers de 1789 et la procedure criminelle. —
III. Premieres rSformes op6r6es par I'Assembl^e Constituante, le d^cret des
8-9 octobre 1789.
I.
La pression toujours plus forte del'opinionpubliquedevaitsous
Louis XVI amener des reformes , meme avant la convocation des
Etats-Generaux : pourtant la, comme partout, on ne fera encore a
cette epoque que des modifications partielles et hesitantes. EUes
precedent de bien pen la convocation des Etats-Generaux, etvont
disparaitre dans la grande renovation, qui suit 1789.
En 1788, il fut fait un pas en avant ; un Edit fut presente dans le
fameux lit de justice du 8 mai, I'une des dernieres convulsions de
la vieille monarchie. Le gouvernement reconnaissait qu'une re-
forme generale de la procedure criminelle etait necessaire. Dansle
preambule de I'EIdit, on rendaithommage a la grande Ordonnance
de 1670 , mais on proclamait en mSme temps la necessite d'une
revision. « Nous ne saurions nous dissimuler qu'en conservant le
plus grand nombre de ses dispositions, nous pouvons en changer
avantageusement plusieurs articles principaux et la reformer sans
I'abolir. Nous avons done considere que les Commissaires n'ont
pu tout prevoir en debrouillant le chaos de la jurisprudence crimi-
nelle , que les proces-verbaux de leurs conferences attestent qu'ils
400 LES LOIS
furent souvent divises sur des points importants , et que la deci-
sion ne parut pas confirmer toujours les avis les plus sages ; que
depuis la redaction de cette Ordonnance le seul progres des lu-
mieres suffiroit pour nous inviter a en revoir attentivement les dis-
positions et a les rapprocher de cette raison publique, au niveau
de laquelle nous voulons mettre nos lois... a I'exemple des le-
gislateurs de I'antiquite dont la sagesse bornoit I'autorite de leur
Code a une periode de cent annees, nous avons. observe que ce
terme etant maintenant expire , nous devions soumettre a une re-
vision generale cette meme Ordonnance criminelle , qui a subi le
jugement d'un siecle revolu (1). » Le garde-des-sceaux , dans son
discours au lit de justice , fut plus formel eiicore : « La necessity
de reformer I'Ordonnance criminelle et le Code penal est universel-
lement reconnue. Toute la nation demands au roi cet acte impor-
tant de legislation, et Sa Majeste a resolu dans les conseils de se
rendre au voeu de ses peuples (2). » Mais cette reforme generale, on
la voulait longuement meditee ; ce qu'il y a de remarquable , c'est
le mode d'enquete qu'on propose pour y parvenir. « Pour proce-
der a ce grand ouvrage avec I'ordre et la sagesse qu'il exige, nous
nous proposons de nous environner de toutes les lumieres que'
nous pourrons reunir autour du tr6ne ou la divine Providence
nous a place. Tous nos sujets auront la faculte de concourir a
I'execution du projet qui nous occupe, en adressant a notre garde-
des-sceaux les observations et memoires qu'ils jugeront propres a
nous eclairer. Nous eleverons ainsi au rang des lois les resultats
de I'opinion publique , apres qu'ils auront ete soumis a I'epreuve
d'un mur et pro fond examen (3). » En attendant cette reforme
d'ensemble, I'fidit abrogeait « plusieurs abus auxquels il a paru
un instant de remedier. »
1° L 'usage de la sellette etait aboli : « Ordonnons qu'il sera
place dans nos cours et juridictions, derriere le barreau, un siege
ou banc de bois , assez eleve pour que les accuses puissent etre
vus de tous leurs juges; laissons au choix des dits accuses de Tes-
ter debout ou assis ; ce dont les presidents de nos cours , et les
(1) Isambert : Anc. lois, t. XXVIII . p. 727.
(2) Buchez et fioux : Histoire parhmentaire, 1. 1, p. 239.
(3) Pr^ambule de I'Edit. Isambert, t. XXVIII, p. 527.
DE LA REVOLUTION. 401
juges qui presideront au jugement dans les juridictions les aver-
tiroiit(art. 1). »
2" II etait defendu de.rendre des sentences non motivees : « Ne
pourront nos juges , meme nos cours , prononcer en matiere cri-
minelle pour les cas resultant du proces; voulons que tout arrSt ou
jugement enonce et qualifie expressement les crimes et les delits
dontl'accuse aura ete convaincu... exceptons les arrets purement
confirmatifs de sentence des premiers juges, danslesquels les dits
crimes et delits seroient expressement enonces ; ei la charge par
les cours de faire transcrire dans le Vu de leurs arrets les dites
sentences des premiers juges, le tout a peine de nuUite (art. 3). »
C'etait la une reforme bien sage , et depuis longtemps attendue :
« La dignite meme de nos jugements exige I'enonciation expresse
des delits, disait le garde-des-sceaux. Quel tribunal pourroit etre ja-
loux de la prerogative d'inftiger des peines capitales, sans motiver
ses arrets ? — Le roi a done pense , messieurs , que toute con-
damnation solennelle , qui met la peine a la suite du delit, devoit
montrer le delit a c8te de la peine (1). »
3° L'abolition de la question preparatoire etait confirmee, la
question prealable etait abolie , art. 8 : « De nouvelles reflexions
nous ont convaincu de I'illusion et des inconvenients de ce genre
d'epreuve, qui ne conduit jamais siirement a la connoissance de
la verite , prolonge ordinairement sans fruit le supplice des con-
damnes et peut plus souvent egarer nos juges que les eclairer. »
On la remplagait par un interrogatoire supreme fait par le juge-
commissaire, le jour meme de I'execution, avec recolement et con-
frontation, s'il etait besoin (art. 9-12). C'etait substituer a la tor-
ture physique une contrainte morale , le condamne , dans cet in-
terrogatoire comme dans les autres , devant preter sermeht, selon
la regie generale, qui etait maintenue; c'etait « un moyen plus
■ doux sans etre moins stir pour forcer les malfaiteurs de nommer
leurs complices. Nous avons pense que , la loi ayant confie a la
religion du serment les plus grands interets de la societe , puis-
qu'elle en fait dependre la vie des hommes , elle pouvoit I'adopter
aussi pour garant de la siirete publique , dans les dernieres decla-
(1) Bachez et Roux, op. cil., torn. I, p. 241.
26
402 LES LOIS
rations des coupables. Nous nous sommes done decide a essayer
du moins provisoirement de ce moyen , nous reservant , (juoique
a regret , de retablir la question prealable , si apres quelques
annees d'experience , les rapports de nos juges nous apprenoient
qu'elle fut d'une indispensable necessite (1). »
•4° Pour qu'une condamnation a mort fM prononcee, il ne
suffisait plus d'une majorite de deux voix; il en fallait une de
trois (art. -4).
Enfin venaient deux dispositions , qui , aux yeux du legisla-'
teur, paraissaient les plus importantes de toutes celles qu'il edic-
tait, et qui, en elles-memes, sont fort interessantes.
5° II etait dit : « Aucune sentence portant peine de mort natu-
relle ne pourra etre executee qu'un mois apres qu'elle aura ete
prononcee... sauf les jugements rendus pour des cas de sedition
ou emotion populaire , seront lesdits jugements executes le jour
qu'ils auront ete prononces aux condamnes. » Pourquoi ce sursis
que rOr^onnance n'admettaitpas? Etait-ce pour infliger aux con-
damnes les angoisses d'une horrible attente? Non; malgre cet in-
convenient qui semble avoir preoccupe les esprits (2), il y avaitla
une pensee genereuse : « Le roi veut assurer a tons les condamnes
le temps necessaire pour solliciter sa clemence et assurer sa jus-
tice. » C'etait une mesure fort humaine, que Voltaire avait haute-
ment reclamee : « II est notoire, disait le garde-des-sceaux, que dans
les fitats les plus eclaires de I'Europe, tous les jugements portant
peine de mort sont soumis a I'approbation du Souverain. » L'Edit,
pour mieux assurer cette garantie, voulait que les procureurs
g6neraux transmissent les sentences capitales avec les renseigne-
ments necessaires au garde-des-sceaux (art. 5). Ces dispositions
qui devaient etre « egalement precieuses a conserver apres la
reforme des lois criminelles , » ne se retrouvent point dans les
lois de I'epoque intermediaire; cela se concoit , le droit de grcice
n'existait plus alors , et le pourvoi en cassation avait desormais
un effet suspensif en matiere criminelle. Plus tard, bien que le
droit de grace eut ete retabli, le Code d'Instruction criminelle,
(1) Isambert , t. XXVIII, p. 528.
(2) Discours du garde-des-sceaux ; Buchez et Roux : Hist.parUm., 1. 1, p. 240.
DE LA REVOLUTION. 403
copiantle Code de Brumaire an IV, ordonna dans son article 375
I'execution des arrets de mort aussit6t qu'ils seraient devenus de-
finitifs. C'est ce que voulait aussi I'Ordonnance de 1670 (1). Mais
ce texte n'est pas applique, et meme une circulaire du garde-
des-sceaux, du 27 septembre 1830, ordonne aux procureurs gene-
raux d'adresser un memoire sur chaque condamnation capitale.
Le garde-des-sceaux lui-meme, apres que la question a ete etu-
diee par la direction des graces, adresse un rapport au chef de
FEtat : « la grclce pent 6tre accordee dans un interet de justice
et d'humanite. » On le voit, c'est en realite la disposition de I'fidit
de 1688, qui a ete reprise de nos jours.
6° Enfln , chose bien remarquable , on accordait aux accuses
absous une reparation d'honneur : « Je puis le declarer, dit le
garde-des-sceaux, Sa Majeste a vu avec la plus grande surprise
que la legislation de son royaume n'avoit encore rien statue en
leur favour, et que s'il ne se trouvoit pas au proces une partie
civile qui put etre condamnee aux frais de Timpression et de
I'affiche de ces jugements d'absolution , cette faible indemnite
n'etoit pas meme accordee a I'innocence (2). » Aussi I'article 7
etait ainsi congu : « Nos Cours et juges ordonneront que tout
arret ou jugement d'absolution rendu en dernier ressort , ou dont
il n'y aura appel , sera imprime et affiche aux frais de la partie
civile, s'il y en a, sinon aux frais de notre domaine (3). »
Tel etait cet Edit, qui laissait intact le systeme de I'Ordon-
nance, mais qui, sur certains points, etait plus liberal que ne le
seront les lois posterieures. On salt quelle opposition il souleva
dans les Parlements. C'est un interessant document historique ;
ce ne fut pas en realite une loi appliquee. C'etait la derniere fois
que la royaute exergait en matiere criminelle le pouvoir legis-
latif absolu et independant que lui reconnaissait I'ancienne France.
Le 5 juillet 1788 fut rendu I'arret du Conseil concernant la con-
vocation des fitats-Generaux (4). C'est desormais la nation qui a
(1) Tit. XXV, art. 21.
(2) Buchez et Roux, op. cit., I, p. 242.
(3j Le nombre d'exemplaires alloues par I'Stat variait entre 100 et 200, suivanl
I'importance desjuridictions.
. (4) Isambert, t. XXVIII, p. 601.
404 LES LOIS
la parole. Avant de voir comment ses representants interprete-
ront ses volontes, il est utile de rechercher comment elle les
exprime elle-meme dans ces fameux cahiers, que les commet-
tants remirent alors a leurs mandataires (1).
II.
Pour la legislation criminelle, les cahiers sont le miroir fidele
de I'esprit public ; nous y retrouverons la plupart des reclama-
tions qu'ont deja fait entendre les publicistes, et, d'autrepart,
la marche que tracent quelques-uns d'entre eux sera exactement
suivie par I'Assemblee Constituante. Les trois Ordres sontpresque
toujours unanimes sur les points importants.
Tout d'abord c'est la publicite des procedures qui est reclamee :
« La publicite des procedures , etablie autrefois en France , en
usage dans tous les temps cbez presque toutes les nations eclai-
rees, sera retablie, et Ton fera desormais I'instruction portes
ouvertes et I'audience lenante (2). » — « Que surtoutla publicite
de la procedure soit retablie (3). » — « Quant a la reforme du
Code Criminel, le desir du clerge seroit... que I'instruction dela
procedure criminelle se fit publiquement , interrogatoire , deposi-
tions des temoins, recolement et confrontation (4). »
L'assistance des conseils sera permise a I'accuse; sur ce point
les Cahiers des trois ordres sont unanimes (5). Certains cahiers
demandent que le defenseiir soit donn6 gratuitement ; c'est I'avo-
cat d'office de I'avenir (6). Parfois on veut que le conseil assiste
I'accuse des le debut de la procedure : « qu'il soit donne en toute
matiere et des I'origine de I'instruction un conseil aux accuses ,
(1) Nous suivons le Risumi des Cahiers, par Prudhomme ; 3 vol., 1789.
(2) Cahier du Tiers, ville de Paris. Prudhomme, III, p. 159. Dans ce sens
I'unanimit^ des Cahiers du Tiers-Etat et de la Noblesse. Prud., Ill, p. 588; II,
p. 387.
(3) Noblesse, ville de Paris, II, p. 145.
(4) Clergi, Mantes et Meulan.
(5) Unanimity des Cahiers de tous les bailliages : Clergi : Prudhomme, I, p. 335;
Noblesse : II, 377; Tiers : III, 548.
(6) Vannes, Cahier du Tiers, III, 161.
DE LA. REVOLUTION. 403
et que le conseil soit autorise a prendre communication toutes
les fois qu'il le trouvera necessaire (d). » — « II sera donne un
d6fenseur juridique desle commencement du proces criminel (2). »
— Ailleurs on veut que le defenseur intervienne seulement
apres I'interrogatoire de I'accuse : « Qu'apres le premier interro-
gatoire il soit donne un conseil a I'accuse (3). » — « Que les
accuses aient des conseils pour la confrontation et les actes subse-
quents (i). »
Le serment impose aux accuses doit etre aboli (S). — « Que
les serments ou plutot les parjures qu'on exige des accuses soient
supprimes (6). » — « Le serment exige des accuses etant evi-
demment contraire au sentiment naturel qui attache I'homme a
sa propre conservation , n'est qa'une violence faite a la nature
humaine , inutile pour decouvrir la verite , et propre seulement a
affaiblir I'horreur du parjure (7). » Le Clerge ici n'est pas moins
pressant que le Tiers-Etat : « On demandera la suppression du
serment qu'on exige de I'accuse, serment qui I'oblige au par-
jure (8). » — (' Qu'on s'occupe egalement de reformer le Code
criminel, de procurer aux accuses le moyen d'assurer leur de-
fense , et d'abolir I'usage du serment , qui les rend presque tou-
jours parjures (9). »
La defense et I'accusatioa seront mises sur un pied d'egalite,
en ce sens que I'accuse, des le debut, pourra proposer et prouver
les faits qui sont a sa decharge; on n'accule plus dans le dernier
recoin du proces les faits justificatifs. Cela est formellement ex-
prime dans de nombreux Gabiers : « On soUicitera la faculte aux
accuses de proposer et d'etablir leur justification par titre ou
(1) La Rochelle, Cahier du Tiers, III, 161.
(2) ViUe de Paris, Cahier du Clergi, I, 159.
(3) Lyon, Cahier du Tiers, III, 163.
(4) Lyon, Cahier de la Noblesse, II, 146.
(5) Prudhomme indique dans ce sens 1' unanimity des Cahiers du Tiers (III,
348), et les Cahiers du Clergi de 91 bailliages (I, 335).
(6)Vanues, Cahier du Tiers, III, 161.
(7) Ville de Paris, Cahier du Tiers, III, 162.
(8) Douay, Cahier du Clergi., 1, 162.
(9j Auxerre, Cahier du Clergi, I, 162.
406
LES LOIS
par enquetes aussit6t leur premier interrogatoire (1). » — « Qu'un
conseil gratuit soit nomme aux accuses apres le premier inter-
rogatoire, chaque acte de la procedure commujiique a ce coa-
seil, qui correspondra toujours libremeat avec les accuses, et
fera valoir en leur faveur et sur papier libre leurs moyens jus-
tificatifs en tout etat de cause (2). » — « Que I'accuse, cons-
tamment seconde de son conseil, puisse, des le commencement
jusqu'a la fin de la procedure , administrer toutes preuves jus-
tificatives, et qu'il soit defendu a tout juge de refuser de les
admettre et d'y faire droit (3). »
II faut restreindre les pouvoirs immenses du juge d'instruc-
tion qui, a lui seul, nous le savons, prononcait le reglement a I'ex-
traordinaire et lancait les decrets , qui confrontait et recolait seul,
rassemblant ainsi les pieces ecrites sur lesquelles se decidait le
proces : « Un juge qui entend les temoins en premiere instance
et recoit les depositions est souvent un juge peu instruit, queL
quefois prevenu ; 1' arret de mort des lors est deja prononce contre
I'accuse , sans qu'il puisse esperer de s'y soustraire , puisque le
tribunal d'appel ne juge que sur la procedure, et sur les depo-
sitions recues par le premier juge (4). » Aussi trouvons-nous
beaucoup de Cahiers qui, soit pour proceder aux informations et
interrogatoires, soit pour rendre les decrets, demandant I'assis-
tance de deux ou trois juges, ou mSme I'intervention du siege
tout entier (5). « Qu'il ne soit plus permis au juge de proceder
aux interrogatoires et autres actes de I'instruction qu'assiste de
deux autres juges, qu'il ne puisse rendre de decret de prise de
corps et d'ajournement personnel , que de I'avis de deux ju-
ges (6). » — « Que les informations soient faites non par devant
un juge seul, mais par devant deux juges et les interrogatoires
par devant la compagnie tout entiere qui doit juger (7). » —
(1) Saintes, Cahier du Tiers, III, p.3159.
(2) Vannes, Cahier du Tiers, HI, p. 162.
(3) Dourdan, Cahier de la Noblesse, II, p. 146.
(4) Blois , Cahier de la Noblesse.
(5) Selon Prudhomme (II, 399) , les Cahiers de la Noblesse sont unanimfes pour
demander qu'un juge ne puisse jamais seal rendre un decret de prise de corps,
(6) La Rochelle, Cahier du Tiers, lit, p. 160.
(7) Toul, Cahier du Tiers, III, p. 160.
DE LA REVOLUTION. 407
« Que I'information et le premier interrogatoire soient fails en
presence de -trois juges (1). » — « Qu'il ne puisse Mre lanc6
aucun decret en matiere criminelle que par tons les juges de la
juridiction assembles (2). »
D'autres reformes sont reclamees qui ont deja ete op6rees par
I'Edit ephemere de 1788.
Les arrets, meme ce,ux des cours souveraines, devront etre
motives d'une fagon precise (3). La torture sera a tout jamais
abolie et I'usage de la sellette definitivement supprime (4).
On veut voir disparaitre les juridictions d'exception : « Que
la juridiction des prevots soit abolie, afin que tout accuse puisse
jouir du benefice des deux degres de juridiction (5). » Les com-
missions extraordinaires ne pourront plus exister en matiere cri-
minelle.
La liberte individuelle sera efficacement protegee, I'interro-
gatoire du captif devra necessairement avoir lieu dans les vingt-
quatre beures (6). La mise en liberte sous caution sera accordee
toutes les fois qu'il ne s'agira pas de crime grave : « Que I'elar-
gissement provisoire soit to uj ours accorde apres I'interrogatoire
prete , en fournissant caution , excepte dans les cas oii le dotenu
seroit prevenu d'un-delit qui meriteroit peine corporelle (7). »
Les praticiens qui redigerent souvent les Cahiers du Tiers-
Etat n'oublierent point la disposition de I'Ordonnance qui punis-
sait comme faux temoin celui qui se retractait a la confronta-
tion. « On sollicitera aussi la liberte aux temoins de se retractor
a la confrontation sans danger d'encourir la peine de faux, a
moins que la retractation ne soit frauduleuse (8). »
(1) Lyon, Cahier du Tiers, III, p. 162.
(2) Nivernois , Cahier du Tiers, III, p. 163.
(3) Unanimity dans ce sens des Cahiers des trois ordres. Ckrg6, 1, 351 ;of. p. 153;
Noblesse, II, p. 399; cf. p. 147; Tiers-itat, III, 575; of. p. 172.
(4) Uaaminitedes Cahiers : Clergi, I, 161; Noblesse, II, 149; Tiers, III, 165.
(5) AWncon, Cahier de la Noblesse, II, p. 154; dans ce sens , la Noblesse de 43
bailliages (II, p. 400).
(6) I, 122; 352.
(7) Alenjon, Labour : Cahiers de la Noblesse, II, p. 145 ; dans ce sens, la Noblesse
de 59 bailliages, II, p. 391.
(8) III, 159, et dans ce seas, le Tiers de 32 bailliages, III, p. 594.
408 LES LOIS
Le Glerge seul , chose singuliere en apparence , demande la
suppression des monitoires, « si ce n'est dans las cas les plus
graves (1). » Mais d'autre part, le Tiers-Etat demande que la
Justice ecclesiastique n'ait plus aucune place dans la procedure
criminelle : « On sollicitera rabolition de I'instruction jointe
des officiaux et des lieutenants criminels, comme usage dan-
gereux, propre a doubler les frais et multiplier les ouvertures
de cassation; en consequence I'attribution aux juges royaux
ordinaires de la connoissance des cas privilegies , dont les eccle-
siastiques pourroient gtre accuses, sans prejudice des poursuites
separees que pourront faire les promoteurs pour le maintien de
la discipline ecclesiastique (2). » La bourgeoisie de 1789 recla-
mait ici exactement la meme mesure qu'avaient proposee, en 1670,
les commissaires de Louis XIV.
Toutes ces reformes , les publicistes les prechaient depuis ciu-
quante ans. Aujourd'hui on voulait les accomplir sans retard.
Mais les Cahiers montrent que I'esprit public les avait depas-
sees : pour I'organisation de la justice criminelle comme pour la
fondation de la liberte politique , e'etait a I'Angleterre qu'on
allait demander des modeles (3) ; 11 fallait d'abord supprimer les
abus criants de I'anciea systeme, puis introduire chez nous la
procedure oraleJet par jures.
Le Tiers-fitat de 58 bailliages demande qu'on distingue les
juges du fait et les juges du droit (4). « En matiere criminelle
le jugement du fait sera toujours separe du jugement du droit,
L'institution des jures pour le jugement du fait paraissant plus
favorable a la surete personnelle et a la liberte publique, les Etats-
(d)I, p. 154, et 168.
(2) III, p. 122, dans ce sens, runanimit^ des Cahiers du Tiers, III, p. 560.
(3) « Qa'il soil formi au commencement de la procliaine teuue des £tats-G§n6-
raux un conseil compost des personnesles plus ficlairSes, pour s'occuper d'un objet
aussi important que la rSforrae du Code criminel. Ce conseil ne doit pas 6tre seu-
lement compost de magistrals et de jurisconsultes; la vertu la plus ^clair^e n'est
pas toujours a I'abri de la seduction du prejug^. II est n^cessaire d'y admettre
des citoyens de tons les Stats , de tons les ordres , et de ceux surtout qui ont iU
aporUe d'itudier la jurisprudence criminelle de I'Angleterre. » — Blois, Cahier
de la Noblesse , II, 142.
(4) III, 574.
DE LA. REVOLUTION. 409
Generaux chercheront par quels moyens on pourroit adapter
cette institution a notre legislation (1). » Ailleurs, nous voyons
indiquer les « douze pairs assermentfis pronongant uniquement
et exclusivement sur le fait , et dont I'unanimite est necessaire
pour entrainer la condamnation (2). » Ce sont les traits caracte-
ristiques du jury anglais (3). II est vrai que d'autres Cahiers se
referent aux vieilles coutumes francaises faussement interpretees.
« Qu'il ne puisse etre instruit aucun proces criminel contre
quelque citoyen que ce soit que le juge ne soit assiste dans tous
les actes de la procedure d'un ou de plusieurs citoyens de I'ordre
de celui qui sera accuse , et que tous les citoyens jouissent du
meme droit et privilege que le clerge , conformement a I'ancien
usage de France (4). »
Enfin les cahiers demandent qu'on supprime cette justice re-
tenue , et cet exercice du pouvoir absolu, qui jetaient un si grand
trouble dans I'administration de la justice. Les lettres de cachet
seront abolies (S) ; elles ont ete fletries par celui qui sera tout
d'abord la grande voix de la Revolution. Quant aux lettres de
grdce, elles ne pourront plus intervenir qu'apres le jugement :
« II ne pourra etre accorde des lettres de grace qu'apres le juge-
ment d6finitif et en dernier ressort (6). » — « Le roi pourra com-
muer toutes les peines prononcees en une peine moins severe ,
et faire grice a son gre par lettres emanees de Sa Majeste et
dument en forme , a I'exception des crimes de lese-majeste , de
peculat et de concussion , mais dans aucun cas il ne pourra em-
pecher la prononciation des jugements (7). »
Nous avons la, exprimees dans leurs grandes lignes, les re-
formes que va operer la Constituante.
(1) Ville de Paris, Cahierdu Tiers, III, 163.
(2) 11, 144.
(3) 91 Cahiers de la Noblesse demandent que « I'unanimite des pairs asserment^s
soit nScessaire pour operer la conviction qui doit soumettre un accuse b. la peine
de mort. » II, 387.
(4) Vermandois, Cahier de la Noblesse, II, 144.
(3) Unanimity des Cahiers : Clergi, I, 352; Tiers, III, 576 et 58; pour la No-
blesse, II, 56, ssq.
(6) Meaux, Cahier du Tiers, III, 174; dans ce sens le Tiers de 88 bailliages, III, 570.
(7) Tourraine, Cahier de la Noblesse, II, 132.
410 LESLOiS
III.
L'Assemblee Constituante vota pour la procedure criminelle
deux lois de la plus grande importance : celle des 8-9 octobre
1789, et celle des 16-29 septembre 1791. II parait etrange au
premier abord que ces lois se soient succede a uu si court inter-
valle , et que 1' Assemblee ait si vite cru necessaire de retoucher '
son ceuvre. Cela s'explique aisement. La premiere de ces deux
lois opere cette reforme des abus les plus graves qu'on voulait
immediate, mais, comme I'indique son preambule, elle n'eta-
blit qu'un etat de choses provisoire (1) ; la seconde realise cette
adaptation de la procedure par jures , et d'une facon plus gene-
rale de la procedure anglaise , qu'on avait classee parmi les insti-
tutions definitives de la France
Le Decret de 1789 ne ruine point I'ordre de proceder usite
jusque-la. C'est toujours I'Ordonnance de 1670 qui reste en vi-
gueur : « L'Ordonnance de 1670 et les edits et reglements concer-
nant la matiere criminelle continueront d'etre observes en tout
ce qui n'est pas contraire au present Decret , jusqu'a ce qu'il en
ait ete autrement ordonne (art. 28). » C'est toujours la procedure
ecrite et compliquee que nous connaissons. L'information , les
decrets , I'interrogatoire , le reglement a I'extraordinaire , le re-
colement et la confrontation, le rapport du proces, le dernier
interrogatoire, tout cela se retrouve a sa place dans le texte nou-
veau , (et a ce moment meme rien n'est encore change dans les
juridictions). Mais un element etranger s'est ajoute a I'oeuvre
ancienne; c'est la defense permise et assuree; c'est une large
publicite; a cet egard la loi accorde des garanties qui dispa-
raitront plus tard. Cela etant connu, on comprendra mieux que
lors de la redaction du Code d'Instruction criminelle, certains
(1) « Si I'exScution de cette reforme entifere exige la lenteur et la maturity des
plus profondes meditations , il est oependant possible de faire jouir d§s i present
la nation de I'avantage de plusieurs dispositions , qui , sans subvertir I'ordre de
proc6der actuellement suivi , rassureront I'innocence et faciliteront la justification
des accuses. »
DE LA. EEVOLUTION, 411
esprits aieat vqulu en revenir purement et simplement a cette
premiere reforme operee par la Revolution.
Les garanties que le decret de 1789 assure a I'accuse consis-
tent surtout dans la publicite de la procedure et dans I'assis-
tance d'un conseil. Cependant le legislateur n'avait pas voulu
introduire le plein jour des les premiers actes de la poursuite
et de I'instruction. Lorsqu'on cherche encore des preuves , qu'il
pent etre facile de dissimuler, il est opportun, presque neces-
saire, de ne pas donner I'eveil a tous les interesses. La plainte
et, la denonciation se produiront en secret , « I'information qui
precedera le decret continuera d'etre faite secretement (art. 6). »
Mais pour remplacer la publicite , dangereuse dans ces premiers
instants, on organise una autre garantie. On donne au juge des
adjoints, qui sont des citoyens nommes par les municipalites ou
par les communautes d'habitants. Leur assistance remplacera dans
la mesure du possible le controle de 1' opinion publique ; et en
meme temps on evitera tout danger , car « ils prSteront serment
a la commune entre les mains des officifers municipaux ou des
syndics... de remplir fidelement leurs fonctions, et surtout de
garder un secret inviolable sur le contenu en la plainte et
autres actes de la procedure (art. 2) (1). » Le public est en quel-
que sorte present en leur personne, et ils remplacent aussi le
conseil. Ce qui montre bien que tel est leur rdle, c'est que
lorsque la publicite est etablie et le conseil admis, ils se re-
tirent et disparaissent ; lorsque I'accuse aura comparu, « tous
les actes de I'instruction seront fails contradictoirement avec
lui, publiquement et les portes de la cbambre d'instruction
•etant ouvertes; des ce moment, I'assistance des adjoints ces-
sera (art. 11). » Telle- est I'idee gen#rale qui inspire la loi;
voyons rapidement le detail.
Des le debut de la procedure, lorsque le juge est saisi par
(1) Ces notables doivent avoir 25 ans et 6tre choisis « parmi les citoyens de
bonnes moeurs et de probitSreconnue. » Ea cas d'urgence ou de flagrant d61it, ils
peuvent 6tre remplaces par « deux des prinoipaux habitants qui ne seront pas
dans le cas d'etre entendus comma t^moins et qui prSteront sur-le-champ serment
devant lejuge d'instruction. » Art. 8. Dans une autre hypothfise (transport surfes
lieux trop loin du ciief-Iieu de la juridiction ,) ils peuvent 6tre supplies par des
membres de la municipality dulieu, choteis par lejuge d'instruction. » Art. 5.
412
LES LOIS
la partie privee ou par la partie publique, la loi se montre pre-
Toyante. S'agit-il d'une plainte, « elle ne peut etre presentee au
juge qu'en presence de deux temoins, amenes par le plaignant...
II sera fait mention de leur presence et de leurs noms dans
I'ordonnance qui sera rendue sur la plainte, et ils signeront
avec le juge a peine de nullite (art. 3). » S'agit-il d'une pour-
suite d'office , les adjoints sont presents , la loi exige que le pro-
cureur du Roi declare alors s'il a un denonciateur et lequel,
afin que ce denonciateur « soit connu du juge et des adjoints a
I'information , avant qu'elle soit commencee (art. 4). » Deux
adjoints doivent aussi assister a la redaction des proces-verbaux
dresses sur les lieux pour constater le corps du delit; « ils
pourront faire leurs observations dont sera fait mention , et
signeront les proces-verbaux a peine de nullite (art. 5). » Deux
adjoints assistent a I'information et entendent les temoins (art. 6).
lis sont « tenus, en leur §,me et conscience, de faire au juge
les observations tant a charge qu'a decharge qu'ils trouveront
necessaires pour I'explication des dires des temoins ou I'eclair-
cissement des faits deposes (art. 7). »
Des lors, I'information est termin6e, il s'agit de rendre le
decret. Sur ce point la loi donne satisfaction aux reclamations
de Topinion publique , consignees dans les Cahiers : « Les de-
crets de prise de corps ne pourront plus etre rendus contre
des domicilies , que s'il s'agit d'un crime pouvant entrainer
peine corporelle , » et « les decrets d'ajournement personnel ou
de prise de corps ne pourront plus etre prononces que par trois
juges au moins ou par un jage et deux gradues (art. 9) (1). »
Si I'accuse obeit au decret ou est capture, la procedure devient
immediatement publique , et des le premier interrogatoire il aura
I'assistance d'un conseil, que le juge lui nommera d'office a
peine de nullite , s'il ne peut en avoir un par lui-meme (art. 10
et 12). Lorsque I'accuse comparait devant le juge , celui-ci com-
mence par « lui faire lire la plainte, la declaration du nom du de-
nonciateur, s'il y en a, les proces-verbaux et rapports et I'in-
(1) « Pourront n^anmoins les juges faire arrfiter sur-le-champ dans le cas de
flagrant d61it ou de rebellion a justice.' »
DE LA REVOLUTION. 413
formation (art. 12); » puis « il lui demandera s'il a choisi ou
s'il entend choisir un conseil , ou s'il veut qu'il lui en soil nom-
me un d'office; en ce dernier cas, le juge nommera le conseil
et I'interrogatoire ne pourra Stre commencd qw le jour suivant
(art. 13). » N'est-ce pas \k une loi respectueuse , jusqu'a I'exage-
ration, des droits de la defense? La loi anglaise, qui aujourd'liui
ordonne au juge de paix ou au juge de police d'avertir le pre-
venu amene devant lui qu'il n'est point tenu de repondre , « qu'il
ne doit obeir a aucune crainte ni ceder a aucune espSrance , )>
est en verite xnoins liberale (1).
Bien entendu, dans cet interrogatoire , pour lequel I'accuse
pent avoir presque un jour et une nuit de preparation, on
n'exige de lui aucun serment. II est cependant un cas ou le
pr6venu devra encore preter serment, c'est « lorsqu'il voudra
alleguer des reproches contre les temoins (2). » Mais alors c'est
une sorte de jiiramentum calumnise.
Aussitot apres I'interrogatoire , « la copie de toutes les pieces
de la procedure , signee du greffier , sera delivree sans frais a
I'accuse sur papier libre, s'il la requiert (3). » Le conseil pou-
vait en tout temps << voir les minutes (art. \i). » La procedure
etant des lors publique , la continuation ou les additions de I'in-
formation , s'il y avait lieu , etaient faites publiquement en pre-
sence de I'accuse (art. 15), qui pouvait apres la deposition inter-
peller le temoin; » mais « les aveux, variations ou retractations
du temoin en ce premier instant ne le faisaient point reputer faux
temoin (art. 16). »
L'information etant terminee, il y avait lieu, comme precedem-
ment , au reglement a I'extraordinaire ; mais il etait dit : « Les
proces criminels ne pourront plus 6tre regies a I'extraordinaire
que par trois juges au moins (art. 17). » Venaient ensuite le reco-
lement des temoins et la confrontation. Tout cela se passait en
(1) Stephen, Commentaries on the laws of England, t. IV, p. 347 (6dit. 1873).
(2) Art. 12. « Pour cet interrogatoire et pour tous les autres, le serment ne sera
plus exig^ de I'accus^, et line le prfitera , pendant tout le cours de I'instruction,
que dans le C4s oti il voudrait alldguer des reproches contre les temoins. »
(3) Art. 14. C'est Ici une disposition que reprendra le droit post^rieur , mais
en matiere criminelle senlement, et le moment oil la copie est d^livr^e sera re-
cid£.
414 LES LOIS
public , I'accuse etait present des le recolement , et son conseil
pouvait aussi y assister, mais « sans pouvoir parler au nom
de I'accuse ni lui suggerer ce qu'il doit dire ou repondre , si ce
n'est dans le cas d'une nouvelle visite ou rapport quelconque,
lors desquels il pourra faire des observations, dont mention
sera faite dans le proces- verbal (art. 18). »
La liberte de la defense etait assuree : « Les reproches centre
les temoins pourront etre proposes et prouves en tout etat de
cause, tant apres qu'avant la connaissance des charges, et
I'accuse sera admis a les prouver , si les juges les troiivent per"-
tinents et admissibles (art. 17). » L'accuse pouvait aussi, comme
le demandaient les Cahiers, « proposer en tout etat de cause ses
defenses et fails justificatifs ou d'attenuation , et la preuve sera
recue de tous ceux qui seront juges pertinents , et meme du fait
de demence , quoiqu'ils n'aient point ete articules dans son inter-
rogatoire et autres actes de la procedure. Les temoins que I'ac-
cuse voudra produire sans etre tenu de les nommer sur-le-champ,
seront entendus publiquement , et pourront I'etre en meme temps
que ceux de I'accusateur, sur les continuations ou additions d'in-
formation (art. 19). » Ces temoins a decharge n'etaient plus ne-
cessairement cites par le ministere public , I'accuse avail le choix
« soil de les appeler a sa requele , soil de les indiquer au minis-
tere public , pour qu'il les fasse assigner ; » mais il devait agir
« dans les trois jours du jugemenl qui admettait la preuve (art.
20). »
Au reste, la procedure conservait, nous I'avons dit, son carac-
lere de procedure ecrite. Les divers actes que nous avons de-
crits s'etaient accomplis devant le juge d'inslruction , ils avaient
ete consignes dans des pieces qui enflaient le sac du proces. Aussi
lorsqu'on allait comparaitre devant le tribunal pour obtenir juge-
ment, la formalile du rapport etait encore necessaire : « Le rap-
port du proces sera fait par I'un des juges , les conclusions du
ministere public donnees ensuite , et motivies , le dernier interro-
gatoire prete, el le jugemenl prononce le tout a I'audience pu-
blique (art. 21). » Sauf la publicite introduite , il semble que rien
n'est change dans le dernier acle du drame judiciaire; mSme
« I'accuse ne comparallra a cette audience qu'au moment de Tin-
DE LA REVOLUTION. 413
terrogatoire, apres lequel il sera reconduit, s'il est prisonnier
(art. 21). »
Cependant une autre modification considerable avait 6te intro-
duite; I'accuse, alors meme qu'il etait absent, 6tait repr^sente
par son defenseur toujours present, qui pouvait elever la voix, at
presenter la defense en face de I'accusation : « Le conseil pourra
6tre present pendant la seance entiere et .parler pour la defense
apres le rapport fini, les conclusions donnees et le dernier interro-
gatoire prete. » Les plaidoyers au criminel vont de nouveau
retentir dans les tribunaux , dont ils n'avaient pas trouble les
echos depuis bien des annees.
Les juges devaient alors se retirer a la chambre du conseil pour
y deliberer ; puis , ils reprenaient « incontinent leur seance publi-
que pour laprononciationdujugement(art. 21). » Toute condam-
nation a peine afflictive ou infamante en premiere instance ou en
dernier ressort devait etre motivee (art. 22) ; aucune condamnation
a une peine afflictive ou infamante ne pouvait etre prononcee
qu'aux deux tiers des voix, et les condamnations definitives a
la peine de mort ne pouvaient I'etre qu'aux quatre cinquiemes
des voix (art. 25). On abolissait k tout jamais I'usage de la tor-
ture et celui de la sellette (art. 24).
Tels sont les nouveaux traits sous lesquels se presentait la
vieille procedure, dans le decret de 1789. Gette loi, qui dans la
pensee de ses auteurs ne devait avoir qu'une existence ephemere,
etait pourtant harmonieusement combinee. C'est qu'en realite,
elle etait prete depuis longtemps ; et les reformes qu'elle introdui-
sait, reclamees maintes fois , avaient ete pour ainsi dire redigees
par I'opinion publique. Pour la premiere partie du proces cri-
minel, c'est-a-dire I'information , I'interrogatoire et le decret, elle
se montrait plus liberale que ne le seront les lois posterieures.
C'est que celles-ci etablii-ent une garantie qui, aux yeux des con-
temporains, tient lieu de toutes les autres, cette double bar-
riere qui protege les liberies anglaises , comme dit Blakstone , le
jury d'accusation et le jury de jugement. Un point digne de re-
marque, c'est que le decret de 1789 est muet sur la theorie des
preuves legales. Est-ce une omission volontaire? pensait-on que
ce systeme, qui n 'avait ete impose par aucune loi, mais seule-
416 . LES LOIS
ment cree par la jurisprudence , n'avait pas besoin d'etre abroge
par une loi ?
Outre ce decret et celui des 22-25 avril 1790, qui vint le com-
menter et le completer, I'Assemblee Constituante edicta quelques
autres dispositions provisoires avant d'edifier son oeuvre defini-
tive sur la procedure criminelle. Par un decret des 12-19 octobre
1790, elle chargea provisoirement les tribunaux de district de
juger les causes criminelles. Elle avait precedemment suspendu
les procedures et les jugements des cours prevo tales.
Au mois de septembre 1791 sera promulguee la loi qui orga-
nise sur des bases toutes nouvelles la procedure criminelle.
L'Ordonnance de 1 670 est des lors abrogee ; c'est I'heure de sa
mort. Comme loi en vigueur elle avait vecu cent vingt ans ; et si
des lors son texte n'appartient plus qu'a I'histoire , son influence ,
un instant completement effacee , se fera plus tard energiquement
sentir sur les esprits.
DE LA REVOLUTION. 417
CHAPITRE II.
Les Codes de I'Spoque intemaSdiaire.
I. La procedure par jurts. Loi des 16 et 29 septembre 1791 : systfeme quelle or-
ganise.— n. Discussion du projet de loi a I'AssemblSe Constituante ; lutte entre
les anoiens et les nouveaux principes. — III. Le Code des d61its etdes peines
du 3 brumaire an IV.
I.
Les Cahiers de 1789 avaient reclame le jugement par jures en
matiere eriminelle; ils recommandaient qu'on etudiat les insti-
tutions anglaises. En France, depuis cinquante ans au moins, les
yeux sont tournes vers I'Angleterre , vers ce pays ou chaque
accuse a pour juges douze de ses concitoyens. Ces voeux, I'As-
semblee Constituante va les realiser. C'est bien I'Angleterre qu'on
imitera; on s'avancera meme tellement dans cette voie, qu'on sa-
crifiera, pour que I'imitation soit complete, quelques-unes des meil-
leures creations dues au genie francais : I'institution du ministere
public, cette loi admirable, que Montesquieu avait si bien mise en
lumiere, disparaitra pour un temps de notre organisation judi-
ciaire. Les lois anglaises apparaissent a chaque instant dans les
discussions : « On s'apercevra facilement, dit M. Bergasse le 17
aout 1789, qu'il n'est aucun des moyens dont nous parlous ici qui
n'ait ete fourni par la jurisprudeace adoptee en Angleterre et dans
I'Amerique libre, pour la poursuite et la punition des delits. C'est
qu'en effet il n'y a que cette jurisprudence , autrefois en usage
parmi nous, qui soit humaine; c'est que nous n'avons rien de
mieux a faire en ce genre que de I'adopter promptement en
I'ameliorant neanmoins daris quelques-uns de ses details (1). »
Etplus tard, dans la discussion de la loi de 1791, Thouret fera
(1) Buchez et Rous : Hist, parlement., t. II , p. 257 .
27
418
LES LOIS
celte declaration : « Nous avons eu I'avantage d'avoir des confe-
rences avec plusieurs des premiers jurisconsultes de I'Angleterre,
qui ont passe quelque temps dans cette capitale (1). »
Cependant c'etait une tache ardue que de transporter chez
nous la procedure criminelle de I'Angleterre. Les deux legisla-
tions etaient en opposition directe sur la plupart des points,
meme a celte heure ou la publicite avait ,penetre dans la proce-
dure francaise, meme a cette heure ou les accuses avaient chez
nous I'assistance d'un defenseur, benefice que la loi anglaise
hesitait encore a leur accorder. En France, la poursuite etait tout
entiere pour ainsi dire aux mains du ministere public , les parties
privees ne pouvant agir qu'a fin de dommages-interets : en An-
gleterre , bien que tons les crimes (felonies) fussent presentes au
grand jury au nom de la Couronne {pleas of the crown), la proce-
dure , necessairement accusatojre , ne connaissait en general que
I'accusateur prive (private prosecutor); V attorney general ne se
portait que rarement accusateur. — En Angleterre I'instruction
anterieure aux debats etait fort peu de chose ; presque entiere-
ment coafiee aux juges de paix, elle ne constituait qu'un element
insignifiant dans le debat definitif : en France, jusqn'ici I'ins-
truction du proces par le juge d'instruction avait absorbe la plus
grande partie de la procedure ; c'etaient la le fondement et les
oeuvres vives de tout I'edifice. Par suite en Angleterre, la pro-
cedure etait entierement orale, et meme la loi n'admettait pas
qu'on lut des depositions ecrites au jury de jugement : en France
I'ecriture , meme apres les reformes operees en 1789, jouait un
rdle preponderant; c'etait avant tout sur les pieces ecrites que
se jugeait le proces. On le voit, et nous ne relevons que les
points les plus saillants, Tantinomie etait complete. FalJait-il
introduire chez nous en bloc le systeme anglais; vivrait-il au
milieu d'usages et de traditions bien differents de ceux qui
avaient preside a sa naissance et suivi sa lente elaboration?
D'autre part, si Ton conservait en principe les anciennes institu-
tions frangaises , comment introduire au milieu d'elles le jury
d'accusation et le jury de jugement, votes par acclamation dans
(1) Stance du 28 d^cembre 1790 ; Moniteur du 29.
DE LA REVOLUTION. 419
la seance du 30 mars 1790, et qui devaient figurer au nombre
des garanties essentielles assurees par la Constitution?
En realite, il n'y eut guere d'hesitation dans la pensee des
redacteurs du nouveau projet ; ils sacrifierent les institutions tra-
ditionnelies aux principes de la procedure anglaise. — « Des le
premier moment vos comites ont senti que cette institution nou-
velle (des jures) ne pouvait s'accorder en rien avec nos Ordon-
nances et notre forme actuelle d'instruction ; il leur a paru ne-
cessaire de tout refondre pour pouvpir former un systeme complet
oil tout fut d'accord (1). » Les prihcipes de la loi anglaise etaient
en effet singulierement d'accord avec I'esprit de la Revolution.
Le pouvoir dominant du juge de paix au debut de I'instance, la
large initiative laissee aux citoyens dans la poursuite des delits
devaient , aux yeux de la majorite des constituants , tenir en
echec I'institution du ministere public. Bien entendu il ne pouvait
etre question de copier servilement la legislation anglaise : il
fallait la transformer sur bien des points pour I'acclimater parmi
nous; c'est ce que fit le projet de loi qui devait devenir, presque
sans subir de modifications, la loi du 16 septembre 1791.
Le parti qui representait la tradition ne ceda point sans lutter ;
une discussion longue et acharnee s'engagea, non point sur les
details du projet, mais sur deux ou trois principes fondamentaux.
Nombre de membres dans I'Assemblee eussent voulu conserver
I'ancienne procedure , debarrassee de ses vices et de ses duretes ,
avec ou sans le jury ; ils protestaient contre des innovations har-
dies, dues a une importation etrangere. Ce parti de I'Ordonnance,
s'il est permis de le designer ainsi , fut alors completement vaincu.
La plupart de ses reclamations etaient du reste inspirees par "un
faux desir de conservation. Cependant il avait en partie raison :
quelques-unes des institutions qu'il voulait alors sauver de la ruine,
ne tarderont pas beaucoup a reparaitre et a se reconstituer. Plus
tard memo, ce parti sera sur le point de prendre sa revanche
complete lors de la redaction du Code d'instruction criminelle.
(1) M. Duportaunom des comites de Legislation et de Jurisprudence criminelle.
Stance du 26 dec. 1790; Moniteur da 27. — D6ja le 17 aodt 1789, M. Bergasse
avait dit : « II n'y aura d'autres juges que le juge de paix devant qui sera tra-
duit le coupable. » (Buchez etRoux, op. cit., torn. II, p. 294.)
420
LES LOIS
Cest le 26 decembre 1790 que M. Duport, au nom des comites
de Legislation et de Justice criminelle , presenta a I'Assemblee
le projet de loi sur la procedure par les jures. II est necessaire .
d'en esquisser ici les principaux traits : instruction sommaire de-
vant I'officier de police judiciaire, au canton; — debat au district
devant le jury d'accusation ; — debats defmitifs et jugement de-
vant le tribunal criminel du departement , tels etaient les trois
phases que parcourait la procedure.
Le juge de paix etait le magistrat de stirete par excel-
lence (1). II faisait comparaitre devant lui les prevenus de crime
ou de delit au moyen du mandat d'amener, analogue au warrant
du justice of peace, executoire au besoin par la force publique (2).
II procedait aux premiers actes de I'information (3) ; c'est-a-dire
entendait des temoins et dressait des proces-verbaux. Si apres
avoir interroge I'inculpe, il pensait qu'il n'y avait pas lieu de le
poursuivre criminellement , il le mettait en liberte ; sinon , il le
faisait incarcerer en vertu d'un mandat d'arr&t (4).
Le juge de paix agissait ou d'offlce, ou sous I'impulsion des
particuliers. II agissait d'offlce en cas de flagrant delit (5), ou
encore lorsqu'il avait connaissance d'une mort dont la cause etait
inconnue ou suspecte , auquel cas il devait se transporter sur les
lieux (6). — Les particuliers le mettaient en mouvement au moyen
de la plainte ou de la denonciation civique. La plainte, c'etait
Taction de la partie lesee (7) ; sur ce point la terminologie de I'an-
cien droit etait conservee ; mais Taction du particuUer etait bien
plus energique que jadis. Le juge de paix etait force de recevoir
la deposition des temoins produits par le plaignant (8), et de dres-
ser, s'il y avait lieu , des proces-verbaux sur sa requisition. Sans
(1) Tit. I, art. 1.
(2) Tit. I, art. 2-4.
(3) Tit. V, art. 8; tit. Ill et IV; tit. IV, art. 3.
(4) Tit. VIII, art. 5-7.
(5) Tit. IV.
(6) II 6tait alors oblig^ de se faire assister « de deux citoyens aotifs, » tit. Ill,
art. 2 et 3. II y a la ua souvenir des « adjoints » du decret de 1789; il y a aussi
un souvenir de la procedure suivie devant Coroner anglais.
(7) Tit. V, art. 1.
(8) Tit. V, art. 6.
DE LA RKVOLUTION. 421
doute il n'etait pas oblige dans ce cas de delivrer le mandat d'ar-
ret, ni meme celui d'amener; sans doute il pouvait refuser de
citer I'inculpe ou le mettre en liberie s'il I'avait cite ; mais la par-
tie plaignante pouvait exiger de lui « un acte portant refus (1) ; «
et elle avait alors le droit de soumettre directement 1' affaire au
jury d'accusation. La deiionciation par une personne non interes-
see , etant un devoir du citoyen , porte le nom de ddnonciation
civique. Si le denonciateur « signe sa denonciation et I'affirme, »
le juge de paix doit agir comme en cas de plainte et le denon-
ciateur a les memes recours que le plaignant (2) ; si le denoncia-
teur refuse de signer et d'affirmer la denonciation, le juge de
paix n'est tenu de rien faire , mais il pent poursuivre d'office s'il
le trouve bon. — Les offlciers de gendarmerie exercent les fonc-
tions de police judiciaire en concurrence avec le juge de paix, sauf
dans les villes oii il y a plusieurs juges de paix (3).
Du canton la cause allait au district ; la devait sieger le jury
d'accusation , la etait la maison d'arret , la etait en permanence
un magistrat appele directeur du jury, pris a tour de role tons
les six mois parmi les juges da tribunal de district. C'etait lui
qui prenait I'affaire en main. II recevait les pieces de la proce-
dure faite par le juge de paix, les examinait, et interrogeait
meme le prevenu dans la maison d'arret (4). S'il jugeait qu'jl n'y
avait pas lieu a accusation , il soumettait I'affaire dans les vingt-
quatre heures au tribunal de district qui prononcait sur cette ques-
(1) Tit. V, art. 20.
(2) Tit. VI, art. 3.
(3) Tit. I.
(4) Voyez Instruction du 21 octohre 1791 sur rex^oution du dficret fixant la
procedure par jur^s : « Comme la formality de I'audition du prSvenu dans les
vingt-quatre heures est de rigueur, et comme il est intSressant de oonnattre si
elle a 616 remplie, le directeur du jur6 doit en dresser pro cfes- verbal , qui con-
tiendra les declarations et rSponses du prevenu , sans qu'il soit besoin d'observer
les anciennes formules des interrogatoires , ni de prendre le serment du prevenu
qu'il va dire verity ; le simple bon sens suffit pour convainore de I'inutilit^ et de
I'immoraliti d'un tel serment , qui place le pr6venu entre le parjure et la peine.
II repugne Sgalement a la raison de faire au prSvenu cette question insignifiante,
s'il entend prendre droit par les charges... Le directeur du jur6 ne doit se
permettre aucune question captieuse , il doit entendre la declaration libre du
prevenu. »
422
LES LOIS
tion apres avoir entendu le commissaire du roi : s'il pensait qu'il.y
avait lieu a accusation , ou si contrairement a son avis le tribunal
le decidait ainsi , le directeur devajt rediger I'acte d'accusation ,
qui serait presente au jury , comme Y indictment de la procedure
anglaise (1). En attendant il pouvait continuer I'instruction (2). Si
la peine eventuelle etait seulement infamante , et qu'une caution
suffisante fut offerte, il devait mettre le prevenu en etat de liberte
provisoire (3).
S'il y avait au proces un denonciateur civique ou un plaignant,
ces regies etaient sensiblement modifiees ; pourvu que cette partie
se presentElt dans les deux jours , le directeur du jury ne conser-
vait plus son entiere liberte d'action. Pensait-il qu'il y avait lieu
de suivre, il devait s'entendre avec la partie pour qu'ils redigeas-
sent de concert I'acte d'accusation : en cas de desaccord, chacun
dressait le sien de son c6te , et le jury choisissait plus tard entre
les deux. Si le directeur du jury pensait au contraire qu'il n'y
avait pas lieu a accusation , il ne pouvait pas , comme precedem-
ment, faire trancher la question par le tribunal de district; la par-
tie pouvait neanmoins dresser seule son acte d'accusation (4). Du
reste, le plaignant et celui qui avait affirme sa denonciation pou-
vaient egalement , si le juge de paix avait refuse d'agir et « sur
son refus constate..., presenter directement leur accusation au
jury d'accusation (5). » Mais tous les actes d'accusation devaient
etre soumis au commissaire du roi, qui y mettait son visa : « la
loi autorise; » ou son veto : « la loi defend; » dans ce dernier
(1) Ils.partie, tit. I.
(2) Il8 partie, tit. I, art. 16. «Les tSmoins qui n'auront pas fait leur declaration
devant I'officier de police la feront devant le directeur dujury; ces declarations
seront regues par ecrit avant que les temoins soient examines de vive voix par le
jury d'accusation. ;; Ici encore on prendra soin de determiner que cette instruc-
tion a un tout autre caractere que celle connue jadis. — Instruction sur Us juris du
21 octobre : « S'il y avait de nouveaux temoins qui n'eussent pas encore ete en-
tendus, le directeur du jur6 recevra leurs depositions secrfetement, et elles
seront eorites par le greffier du tribunal , non dans la forme qui s'observait sous
I'ancien regime judiciaire pour les informations, mais comme simples declarations
destinees seulement a servir de renseignements. »
(3) Il» partie, tit, I, art. 30, 31.
(4) II» partie, tit. I, art. 12,
(5) Il» partie, tit. I, art. 12.
DE LA REVOLUTION. 423
cas, c'^tait le tribunal de district qui tranctiait la difficulte (1).
Le jury d'accusation, compose de huit jures (2), etait preside et
instruit de ses devoirs par le directeur du jury; on lui remettait
les pieces de la procedure, « a I'exception des declarations ecrites
des temoins. » — « Les pieces seront lues d'abord , ensuite les
temoins produits seront entendus de vive voix , ainsi que la partie
plaignante ou denonciatrice , sielle est presente (3). » Tout cela
avait lieu a huis-clos. Puis les jures , laisses seuls par le direC'
teur du jury et ayant pour chef « le plus ancien d'elge, » delibe-
raient et decidaient a la majorite; le chef inscrivait alors au bas
de I'acte d'accusation « oui , il y a lieu ; » ou « non il n'y a pas
lieu; » formules qui rappellent le found or not found anglais.
Le jury admettait-il I'accusation , le directeur du jury rendait
« sur-le-champ une ordonnance de prise de corps, centre I'accuse,
d'apres laquelle s'il n'est pas deja arrete , il sera saisi en quelque
lieu qu'il soit trouve et amene devant le tribunal criminel (4) ; »
ou encore, s'il y avait lieu, a la mise en liberte sous caution, elle
etait accordee par le tribunal criminel , si elle ne I'avait pas ete
precedemment (5).
(1) II« partie, tit. I, art. 13. L'examen du commissaire du roi portait seulement
sur le point de savoir si le dilit mSritait peine atflictive ou infamante en le sup-
posant prouv^. Voy. Instruction sur les juris du 2d octobre : « Cette opposition
du commissaire du roi arrSterait la presentation de I'acte d'accusation aux jur^s,
si d'ailleurs le directeur du jurS avait 6t& du m€me avis que le commissaire du
roi ; car dans ce cas la partie serait seule juge de la nature du delit ; mais la loi
permet alors de faire juger la question par le tribunal, auquel la partie, le com-
missaire du roi ou le directeur du jur§ en riferera... II prononce que le d^lit est
ou n'est pas de nature a mSriter peine afflictive ou infamante ; » en cas d'une
decision negative, « I'acte d'accusation est oomme non-avenu; et le m6me juge-
ment prononce la relaxation du pr6venu. »
(2) Sur la maniere de former le jury d'accusation, voy. Il^part., tit X. « Teas
les trois mois le procureur syndic de chaque district dresse une liste de 30 ci-
toyens pris parmi tous les citoyens du district qui ont les qualites requises pour
fetre ilecteurs. Le directoire du district examine cette liste et I'arrgte s'il I'ap-
prouve Huitaine avant le jour de rAssembWe, le directeur du jur6 fait mettre
dans un vase les noma des 30 citoyens inscrits sur la liste et au milieu de I'au-
ditoire, en presence du public et du commissaire du roi, il fait tirer les noms
de huit citoyens. » Instruction sur les juris.
(3) 11= part., tit. I, art. 20.
(4) III part., tit. I, art. 29.
(5) En cas de r^ponse negative da jury d'accusation, il y avait lieu a la mise en
liberty pure et simple de I'inculp^ , s'il avait et6 arrSt^.
424
LES LOIS
L'affaire passait alors au tribunal criminel etabli dans chaque
departement, compose de trois juges et d'un president qui de-
vaient statuer sur la peine, tandis que des jures trancheraient la
question de fait. Aupres de ce tribunal se trouvaient aussi un
accusateur public et un commissaire du roi. Le premier, fonc-
tionnaire electif (1), etait charge de « poursuivre les delits sur les
actes d'accusation admis par les premiers jures (2). » II produisait
les temoins a charge (3) ; il exposait l'affaire et parlait pour I'ac-
cusation (4). C'etait reellement une partie publique; le plaignant
avait du reste lui aussi le droit de faire entendre ses temoins et
de soutenir I'accusation. — Le commissaire du roi etait un ma-
gistrat charge de veiller a I'execution de la loi et d'en requerir
I'application (b) ; c'etait lui qui , en cas de verdict afflrmatif, re~
querait I'application de la peine (6).
Le president du tribunal criminel interrogeait I'accuse dans les
vingt-quatre heures de son arrivee a la maison de justice (7), en
presence de I'accusateur public; et note etait prise de cet inter-
rogatoire. II pouvait d'ailleurs, d'une fagon generale, continuer
I'instruction , entendre des temoins nouveaux produits par I'ac-
cusateur public, par la partie privee et meme par I'accuse (8).
Mais il etait bien entendu que ces depositions ecrites ne devaient
servir que de simples renseignements ; elies ne seront point lues
ni remises aux jures (9).
Pour la formation du jury de jugement on n'avait point suivi
la tradition anglaise. On avait imagine un systeme assez peu
(1) Ilo part., tit. II , art. 5.
(2) II«part., tit. IV, art. 1.
(3) 11= part., tit. VI, art. 12; tit. VII, art. 3.
(4) He part., tit. VII , art. 3,18.
(5) IIo part., tit. V, art. 1 : « II sera tenu de prendre communication de toutes
les pieces et actes et d'assister a I'examen et au jugement. » — Art. 2 : «Le
commissaire du roi pourra toujours faire aux juges, au nom de la loi, toutes les
requisitions qu'il jugera convenables, desquelles il lui seradonnd acta. »
(6) He part., tit. VIII, art. 5.
(7) Impart., tit. VI, art. 10.
(8) 11° part., tit. VI, art. 12.
(9) 11° part., tit. VI, art. 11, 12 : « Ces nouvelles depositions, ainsi que les
anciennes, seront toutes rerfiises au president, pour servir de renseignement seu-
lement. »
DR LA. REVOLUTION. 425
satisfaisant. Tout citoyen, qui pouvait etre electeur, devait se
faire inscrire sur un registre tenu a cet effet par le secretaire-
greffier de chaque district (IP part., tit. XI, art. 2). Ces inscrip-
tions, envoyees au procureur-general-syndic du departement,
formaient une liste generaie du jury, sur laquelle , tous les trois
mois, lememe magistrat choisissait deux cents noms, qui compo-
saient les listes de session lorsque le choix avait ete approuve par
ledirectoire du departement (art. 6). Le premier de chaque mois,
le president du tribunal criminel faisait former le tableau des
jurys de jugement pour la session qui devait s'ouvrir le quinze.
A cet eflfet , en presence du commissaire du roi et de deux offi-
ciers municipaux qui pretaient serment de garder le secret, il
presentait la liste des deux cents jures a I'accusateur public , qui
pouvait en exclure vingt sans donner de motifs. Les noms qui
restaient etaient mis dans une urne ; et le sort donnait les douze
jures de jugement. Mais il avait bien fallu tenir compte aussi
du droit de recusation de I'accuse. Pour cela on lui presentait
le tableau des douze noms , et dans leS' vingt-quatre heures ,
il pouvait recuser ceux qui le composaient , lesquels etaient
remplaces par le sort (art. 10). II pouvait ainsi exercer vingt
recusations peremptoires ; une fois ce droit epuise , il pouvait
recuser encore indefiniment , mais en deduisant les causes de
Ses recusations , dont le tribunal criminel jugeait la validite. Ce
systeme bizarre de recusations successives et hors presence fut
sans aucun doute une des erreurs qui embarrasserent au debut
le fonctionnement du jury.
L'accuse etait enfin traduit devant le tribunal criminel , com-
pose des magistrats que nous avons indiques et de douze jures.
La se deroulait une procedure orale et publique tres-simple :
elle est decrite dans les titres VI , VII et VIII de la deuxieme
partie de la loi de 1791, qui fixerent d'une facon definitive les
regies des debats devant le jury. Le Code des delits et des peines
a developpe et precise ces regies , le Code d'instruction crimi-
nelle les a simplifiees , mais les grandes lignes sont restees telles
qu'elles avaient ete tracees en 1791. Nous n'insisterons pas sur
les details, oa les trouvera dans les traites modernes sur la
procedure criminelle; mais ce qu'il nous importe de remarquer.
426 LES LOIS
c'est que le caractere oral de la procedure etait releve avec le
plus grand soin et a plusieurs reprises : « L'examen des temoins
sera toujours fait de viva voix et sans que leurs depositions
soient ecrites (1). » Les jures ne recevaient eomme pieces que
I'acte d'accusation et les proces-verbaux , s'il y en avait (2). —
En meme temps , le legislateur declarait formellement qu'il en-
tendait repudier le systeme des preuves legales et ne s'en rap-
portait qu'a I'intime conviction des jures. Cela etait indique
dans la formule du serment qui leur etait impose : « Vous ju-
rez... de vous decider d'apres les charges et les moyens de
defense , et suivant votre conscience et votre intime conviction
avec I'impartialite et la fermete qui conviennent a un homme
libre (3). » Ailleurs il etait dit : « L'accuse pourra faire entendre
des temoins pour attester qu'il est homme d'honneur et de pro-
bite et d'une conduite irreprochable ; les jures auront tel egard
que de raison a ce temoignage (i). »
Sur un point important on s'etait ecarte de la tradition an-
glaise. En Angleterre, le juge, dont I'infLuence est si grande
sur les jures, ne leur donne jamais que des instructions orales,
resumant a la fin du debat les questions en jeu et qu'il faut re-
soudre. Le legislateur frangais ordonnait bien ce resume (5);
mais on fit plus , on etablit en principe que les questions seraient
(1) II" part., tit. VII, art. 5. Cf., tit. V, art. 16 : «Les temoins pourront nean-
moins Hre entendus dans le debat, quoiqu'ils n'aieat pas el& assignfes ni rejus
a diposer prialablement par icrit. » — « Pendaat Texamen , les jures et les juges
pourront prendre note de ce qui leur parattra important , pourvu que la discus-
sion n'en soit pas interrompue. » Tit. VII, art. 16.
(2) Instruction sur les jwis. « lis doivent examiner les pieces du procfis, parnu
lesquelles il ne faut pas comprendre les declarations ecrites des temoins , qui ne
doivent pas 6tre remises aux jures, mais seulement I'acte d'accusation, les pro-
cfes-verbaux et autres pieces semblables. »
(3) 11" part., tit. VII, art. 24.
(4) 11= part., tit. VII, art. 14.
(5) On donnait des le d^but de sages conseils k cet ^gard. Instruction sur les
juris : « Le president du tribunal fait un resume de I'affaire et la r6duit a ses points
les plus simples. II fait remarquer aux jurSs les principales preuves produites pour
ou centre I'accusfi. Ce rfeum6 est destinS i ficlairer le jur6, 4 fixer son attentlflu,
k guider son jugement , mais 11 ne doit pas gfiner sa liberte. Les jur^s doivent
au juge respect et deference... mais ils ne lui doivent point le sacrifice de leur
opinion dont ils ne sont comptables qii'k leur propre conscience. »
DE LA REVOLUTION. > 427
posees par ecrit aux jures , qui n'auraient qu'a repondre par oui
ou par non. Ici I'idee etait feconde; il devait en resulter un me-
canisme des plus ingenieux; apres de longs tatonnements pour
assurer le jeu de cet outil aussi delicat qu'il est sfir, on est arrive
^ una heureuse precision qui se resserre encore tous les jours. En
1790, on posait les premiers principes; surtout on suivait cette
idee de Montesquieu : ne presenter aux jures qu'un fait , un seul
fait a la fois. D'ailleurs on ne voulait point suivre dans la position
des questions uniqiiement I'acte d'accusation , qui pent etre mal
dresse ou « avoir change par la defense de I'accuse et les preuves
fournies par lui. » — « On reconnaitra qu'il serait impossible,
sans une injustice r§voltante , d'astreindre les jures a s'en tenir
Strictement au contenu en I'acte d'accusation : la loi leur or-
donne done , lorsqu'ils ont trouve que le delit existait et que
I'accuse etait convaincu de I'avoir commis, de faire une troi-
sieme declaration d'equite sur les circonstances particulieres
du fait , soit pour determiner si le delit a ete commis volontai-
rement ou involontairement , avec ou sans dessein de nuire, soit
pour prouoncer en attenuation du memo genre de delit (1). »
Mais comment tenir compte de toutes ces nuances? « Faut-il
que dans tous les eas ils se proposent a eux-me'mes autant de
questions qu'il y a de nuances admissibles entre I'assassinat
et I'homicide legitime? II en resulterait une complication inutile
et une absurdite dans la position des questions... Ce sera done
au juge qui conduit la procedure et qui preside et dirige le
debat, de recueiUir attentivement les differentes questions re-
latives a I'intention , auxquelles la nature du fait et des charges
peut donner ouverture, pour les indiquer au jure et flxer sur
cet objet sa deliberation. Apres avoir pris I'avis du tribunal sur
la maniere de poser les questions , il les posera en presence du
public, de I'accuse, de ses conseils et des jures, auxquels il
l^s remettra par ecrit, et arrangees dans I'ordre dajis lequel
il? devront en deliberer (2). »
On ne coDservait point la regie traditionnelle en Angleterre
d'apres laquelle la decision d'un jury est prise a I'unanimite ,
(1) Instruction sur les juris.
(2) Ibid. Loi. 11= Part. tit. VII, art. 20 et 21.
428 LBS LOIS
« mais I'opinion de trois jures devait toujours suffire en faveur
de I'accuse, soitpour decider que le fait n'est pas constant, soit
pour decider en sa faveur les questions relatives a I'intention
posees par le president (1). » D'ailleurs I'esprit theatral de
I'epoque se montrait bien dans la facon dont les jures donnaient
leur opinion. Dans la chambre du conseil se reunissaient I'un
des juges delegue par le president, le commissaire du roi, et
e chef du jury. La, chaque jure successivement en commen-
gant par le chef, « et les uns en I'absence des autres, » devait
faire sa declaration , « en mettant la main sur son coeur , » puis
deposait comme moyen de controle , dans une boite blanche ou
noire, une boule de couleur semblable, pour chaque declaration.
En presence des jures assembles on ouvrait les boites , on faisait
le calcul des voix, et le chef du jury rapportait le verdict en au-
dience publique (2). Les. juges statuaient alors sur I'application
de la peine , ils devaient « donner leur avis a haute voix , en pre-
sence du public, en commencant par le plus jeune et finissant
par le president. (3). »
La decision des jures etait sans appel. C'est la un trait qui
parait appartenir toujours au jury en matiere criminelle. « La
decision des jures ne pour ra jamais etre soumise a I'appel. Si,
neanmoins , le tribunal est unanimement convaincu que les ju-
res se sont trompes, il ordonnera que trois jures seront adjoints
aux douze premiers pour donner une declaration aux quatre
cinquiemes des voix (4). » Un pourvoi devant le tribunal de
cassation etait seulement possible , soit de la part du condamne ,
soit de la part du commissaire du roi au nom de la loi. II de-
vait etre forme dans les trois jours ; en cas d'absolution , le
commissaire n'avait meme que vingt-quatre heures pour agir.
Le pourvoi ne pouvait jamais etre fonde que sur I'omission des
formes prescrites a peine de nullite ou sur la fausse apphca-
tion de la loi; s'il y avait cassation, ua nouveau debat recom-
mengait devant un nouveau tribunal criminel, sauf s'il y avait
(1) Partie II», tit. VII, art. 28.
(2) Art. 23, 29, 30, 32, 33.
(3) Tit. VII, art. 9.
(4) lI" part., tit. VIII, art. 27.
DE LA REVOLUTION. 429
eu seulement erreur dans rapplication de la loi ; le verdict du
premier jury subsistait alors (1).
On le voit , rien ne restait pour ainsi dire des anciennes ins-
titutions. Un fait capital , c'est que Torganisation du ministere
public etail tout entiere a bas. Non-seulement les fonctions rem-
plies autrefois par le procureur du roi 6taient inutilement repar-
lies entre le commissaire du roi et I'accusateur public (2) ; mais
ce dernier n'avait pas en realite la poursuite des crimes. Sans
doute , la loi lui donnait « la surveillance sur tons les officiers de
police du departement qu'il pouvait avertir en cas de negligence
de leur part, ou memo traduire disciplinairement devant le tribu-
nal criminel (3) ; » mais il n'intervenait en personne que lorsque
I'accusation etait deja decretee, il n'apparaissait que comme un
avocat, qu'on choisit lorsque le proces est deja engage. C'est seu-
lement lorsqu'un officier de police judiciaire etait coupable de
prevarication que I'accusateur pouvait poursuivre (4); en dehors
de ce cas , s'il recevait une denonciation , il devait la transmettre
au juge de paix (5). Du reste, M. Duport, le rapporteur du projet
de loi , se felicitait de ce resultat : « Maintenant , c'est par la deci-
sion de ses concitoyens qu'il (le prevenu) est accuse. La society
va remettre a un officier public la mission d'exercer ses droits et
de le poursuivre en son nom. Get officier, qui sera I'accusateur
public, ne doit §tre aucun de ceux qui ont deja agi..., un tel
homme serait plus considere, plus redoutable que la loi..., il aura
(1) II" part., tit. VIII, art. 14, ssq.
(2) C'etait d'ailleurs rapplication d'un systtoe general qui reposait sur une id6e
fausse : « En Angleterre, le roi est a lui seul le pouvoir exScutif. Les lois, une
fois faites dans le Parlement, lui seul les fait executer, et, a cet effet, il nomme les
agents d'execution, les juges , les administrateurs , les officiers du flse... En
France , le roi n'est que le chef suprSme du pouvoi'r exSoutif ; il ne nomme pas
les agents de I'execution pour I'intSrieur, il s'en sert seulement ; c'est le pays qui
les lui dfesigne, qui les remet dans la main du roi pour Str« etoployfis par lui... La
maxime fondameatale de notre gouvernement, c'est que la force executive du mo-
narque ne puisse jamais atteiudre les individus que par I'intermediaire n^cessaire
des agents elus par le peuple ; or, ce principe serait viol6 si les commissaires du
roi pouvaient accuser les citoyens. s Duport , stance du 26 d^cembre 1790. Moni-
teur du 27.
(3) 11" part., tit. IV, art. 5.
(4) II« part., tit. IV, art. 7.
(5) Il8 part., tit. IV, art. 2.
*^0 LES LOIS
la surveillance de tous las officiers de la police; mais jamais il ne
pourra les suppleer dans I'exercice de leurs follctions (1). »
Le droit de poursuite etait en partie defere aux simples parti-
culiers ; Taction des plaignants et des denonciateurs civiques etait
incomparablement plus energique que I'ancienne action civile :
Tun et I'autre pouvaient contraindre le juge de paix sinon a lan-
cer les mandats , du moins i commencer une instruction en rece-
vant des depositions ; plus tard ils pouvaient de leur propre auto-
rite saisir le jury d'accusation ; dans tous les cas, ils participaient
a la redaction de I'acte d'accusation. D'autre part, la faculte quV
vait le juge de paix d'agir d'office , non-seulement en cas de fla'
grant delit ou de mort suspecte, mais m§me sur une simple
denonciation non affirmee, confondait dans sa personne deux
qualites qu'il eut ete necessaife de separer : celle de poursuivant
et celle de magistrat instructeur.
L'instruclion preparatoire , qui jadis absorbait presque tout le
proces , etait reduite a bien peu de chose : instruction sommaire
par I'officier de police , audition possible de temoins par le direc
teur du jury, interrogatoire de I'accuse par le president du tribu-
nal criminel , c'etait tout. Cette information fragmentaire qui pas-
sait de main en main , ne pouvait etre ni bien serieuse , ni bien
complete. Enfin le'caractere A'oralit6 etait absolu. Les depositions
etaient bien regues par ecrit devant les divers magistrals instruc.
teurs, mais elles ne devaient servir que de simples renseigne-
ments; elles n'etaient remises ni au jury d'accusation, ni au jury
de jugement; pour cette meme raison, I'accusateur public en avait
bien connaissance ainsi que le president du tribunal criminel,
mais elles n'etaient communiquees ni a I'accuse ni au conseil
qu'il avait choisi , ou que le president avait d<i lui nommer d'of-
fice lors de I'interrogatoire. Les jures ne jugeaient que d'apres ce
qui etait dit devant eux , et rien de ce qui etait dit la n'etait fixe
par I'ecriture.
(1) Stance du 26 dficembre 1790; MoniUwr du 27. II est certain, qu'ayant un
caractfere electif, I'accusateur public, maltre de la poursuite, eflt et6 une puissanc"
redoutable : il y avait la comme un cercle vicieux.
DE LA. REVOLUTION. 431
II.
Cette revolution profonde dans la procedure criminelle ne s'ac-
complit point, nous I'avons dit, sans de vives resistances. L'ana^
lyse que nous avons faite de la loi montre par avance combien
fut complete la defaite des opposanls. 11 n'en est pas moins inte-
ressant de rappeler les principaux incidents de la discussion. On
verra que si la plupart de ceux qui combattaient ces innovations
etaient des magistrats imbus des principes de I'ancien droit, ils
avaient parfois des auxiliaires qu'on est etonne de trouver a leurs
cdtes.
Parmi ceux qui combattirent le projet, il y avail d'abord les
defenseurs ardents de la tradition , qui ne craignaient pas de pre-
senter comme ideal Taneienne procedure adoucie et I'Ordonnance
de 1670, corrigee et reformee. « M. Duport, disait M. Mougin,
a tout vu en philosophe et presque rien en magistrat. D'abord
j'interroge tons ceux qui connaissent les principes de la legisla-
tion criminelle; je leur demande si I'Ordonnance de 1670, qui
regie les formalites des accusations, des plaintes, ne presente
pas, a quelques reformes pres, un ensemble de vues, une nettete
de principes , capables de rassurer la societe entiere pour la pro-
tection de I'innocence et la decouverte des crimes? Et ces re-
formes que cette Ordonnance exigeait poUr etre perfectionnee ,
vous les avez operees. Les amis de I'humanite ont vu avec atten^
drissement obtenir ce que sollicitaient la raison et la justice. On
accorde un conseil que la loi civile n'a pas le droit de refuser,
parce que c'est la loi naturelle qui I'accorde. Vous avez ordonni
cette publicite tutelaire , qui ne peut etre un malheur que pour
I'ignorance et la mauvaise foi; vous avez proscrit ce siege hon-
teux , dont I'infamie osa disputer I'usage a la pitie qui le crea.
EUe n'est plus aussi cette ferocite des tortures , reste impie des
siecles batbares. Ajoutez a toutes les reformes, commandees par
la nature et par I'humanite, V^tablissement de quelques jur^s , sui-
vant la mode qui etait en usage chez les Romains, et vous aurez
432 LES LOIS
tout fait pour la justice et pour rhumanite (1). » M. Rey park
dans le meme sens a la seance du 28 decembre 1790, etl'abbe
Maury rappelait que I'Ordonnance de 1670 avait regi la France
pendant plus d'un siecle et qu'il devait en rester des traces ineffa-
gables. Mais de semblables propositions etaient condamnees d'a-
vance. La majorite de I'Assemblee comme la majorite du pays ,
voulait d'un desir ardent cette institution du jury, qui avait
grandi avec les libertes anglaises. Les hommes d'alors sentaient
d'une facon confuse que c'est la une institution qui veritablement
distingue les pays libres.
Sur certains points de detail les opposants furent parfois mieux
inspires. Dans la seance du S8 decembre, M. Prugnon signala la
disparition du mlnistere public et le vide immense qu'elle laissait
apres elle : « Y aura-t-il une partie publique chargee de rendre
plainte et de poursuivre les crimes ? 11 me parait de la premiere
importance dans tons les systemes , que vous fixiez vos regards
sur I'utilite de cet officier, que votre comite supprime et qui
jouait un role si essentiel dans I'ancienne procedure criminelle;
car OQ ne pretendra pas , sans doute , qu'il est remplace par I'ac-
cusateur public qui vous est propose et qui serait charge de fonc-
tions presque inutiles. Vous avez a juger si , comme le propose
voire comite, il faut appeler tous les hommes a denoncer pu-
bliquement leurs concitoyens , leur en faire meme une loi
cruelle (2). »
Le choix des officiers de police fut aussi critique et de divers
cotes; c'etaient, nous le savons , les juges de paix et les officiers.
de gendarmerie. M. Prugnon s'attaqua aux premiers ; il s'indi-
gaait " de voir confier a I'homme a qui on n'a pas voulu attribuer
le jugement des affaires au-dessus de cinquante livres le droit
d'arreter un citoyen sans formalite prealable. » 11 remarque que
les juges de paix anglais , sur lesquels on a pris modele , sont de
tout autres personnages que ceux que possedera la France :
(1) Stance du 27 decembre 1790; Moniteur du 29. Voici ce que I'orateur enten-
dait par les juris de I'ancienne Rome : « Les jur6s n'fitaient pas 61us pour chaque
crime partlculier; toutes les ann6es on nommait dix ou douze citoyens qui de-
vaient en remplir les fonctions jusqu'i I'annee suirante. »
'(2) Moniteur du 29 decembre 1790.
DK LA. REVOLUTION. 433
« En Angleterre les j uges da paix ne ressemblent pas aux n6tres ;
non-seulement ils ne sont pas salaries, non-seulement ils ont un
territoire plus etendu, et sont choisis parmi les citoyens les
plus eclaires, mais ils sont obliges d' avoir cent louis d'or de
rente (1). » — Le meme orateur prend aussi a partie les offipiers
de gendarmerie; on veut « cumuler dans les memes mains,
c'est-a-dire donner a un officier de mar^chaussee les deux des-
potismes les plus terribles, le despotisme judiciaire, le despo-
tisme militaire. » M. Mougin demande « si Ton croit qu'il spit
prudent de confier a un cavalier de la marSchaussee , a un juge
de paix le droit terrible de lancer un decret de prise de corps,
ou, ce qui est la meme chose, un mandat d'amener (2). » Ro-
bespierre enfin, proteste egalement : « Je cherche en vain, je
I'avoue , en quoi I'ancien regime etait plus vicieux que celui-la.
Je ne sais pas meme s'il ne pourrait pas nous faire regretter
jusqu'a la juridiction prevotale, moins odieuse sous beaucoup
de rapports, et qui parut un monstre politique, precisement
parce qu'elle mettait dans les memes mains une magistrature
civile et le pouvoir militaire (3). » Malgre tout, la partie du
projet consacree a la police de surete fut maintenue. On avait
d'abord reserve la question de savoir a qui ces fonctions seraient
confiees; plus tard ces articles furent eux aussi adoptes dans
leur forme premiere.
Mais la lutte la plus vive s'engagea sur deux points dont I'im-
portance etait capitale en effet : la procedure ecrite et le systeme
des preuves legales. lei les adversaires du projet semblerent
d'abord avoir le dessus. Par une combinaison en apparence
fixcellente , ils voulaient aux avantages des anciennes pratiques
joindre le bienfait des principes nouveaux. On continuerait a
recueillir les depositions par ecrit , et ces pieces seraient remises
aux jures , qui entendraient cependant les temoins deposer de
vive voix : a leurs souvenirs personnels , parfois fugitifs , vien-
draient ainsi en aide des documents certains. Ce procede per-
mettait une revision facile des proces criminels ; et I'abbe Maury,
(1) stance du 28 d^cembre 1790.
(2) Moniteur du 29 d^cembre 1790.
(3) Ibid.
28
434 LES LOIS
dans la discussion, s'ecria, rappelant une cause bien celebre :
« Si Ton n'eM pas eu la procedure ecrite, Galas n'eut pas pu etre
rehabilite (1). » M. Rey faisait observer, et c'est un fait incon-
testable, que la procedure ecrite rend plus facile la t§lche des
defenseurs et leur secours plus efficace (2). — D'autre part, la
loi determinerait quelles preuves il faudrait reunir pour asseoir
une condamnation ; mais jamais les juges , quelles que fussent
les charges , ne devraient condamner un accuse contre leur in-
time conviction.
Ces idees et ces propositions furent brillamment developpees
par des orateurs venus des differents cotes de I'Assemblee.
« Voire comite, disait M. Mougin, abdique les preuves ecritea;
tout se fera verbalement ; le jugement seul sera ecrit , les preuves
ne le seront pas... c'est-a-dire qu'on jugera un accuse de con-
fiance et sur un simple apercu. Et si le jure et les juges se trom-
pent, I'accuse sera sans espoir, comme sans moyens (3). » —
« Confier les depositions a la seule memoire , c'est ecrire sur de
la neige... le comite veut nous reporter a la position dans la-
quelle nous etions avant I'invention de I'ecriture... il faut que
depuis I'Hopital tous les legislateurs aient delire. » — « S'il ne
faut plus de preuves legales pour declarer un accuse coupable,
tout devient conjectural, et c'est au tribunal des conjectures que
se portent la vie et I'honneur des citoyens... la preuve residera
dans la perception individuelle de chaque jure. » C'est M. Pru-
gnon qui s'exprime ainsi dans la seance du 3 Janvier 1791 {i).
Dans le memo sens parlent le lendemain M. Rey, M. Goupil, et
Robespierre que nous retrouvons parmi les adversaires du pro-
jet : " La loi , dit ce dernier, a pose des regies pour I'examen et
I'admission des preuves , regies sans I'observation desquelles les
juges ne pourraient condamner, quelle que soit leur conviction...
il faut constater qu'elles ont ete remplies, le moyen de le cons-
tater c'est I'ecriture... il faut reunir la confiance qui est due aux
preuves legales et celle que merite la conviction intime du juge. »
(1) stance du 17 Janvier 1791; Moniteur du 19.
(2) Seance du 28 d^cembre 1790; Moniteur du 29.
(3) Stance du 27 dScembre 1790; Moniteur du 29.
(4) Moniteur du 4 Janvier.
DE LA. REVOLUTION. 43 S
II fait la motion suivante : « 1° Les dopositions seront redigees
par ecrit ; 2" I'accuse ne pourra etre declare convaincu lorsque
les preuves legales n'existeront pas; 3° I'accuse ne pourra Stre
condamne sur les preuves legales , si elles sont contraires a la
connaissance et a la conviction intime des juges (1). »
L'homme qui park avec le plus d'autorite dans ce sens fut
Thouret; dans la seance du 5 Janvier, sans s'expliquer d'ailleurs
sur la theorie des preuves legales , il vint soutenir les avantages
de la procedure ecrite combinee avec la deposition orale des te-
moins; il le fit avec una grande moderation, citant parfois des
anecdotes frappantes , et en terminant deposa un amendement
ainsi congu : « L'Assembiee deciiete que I'instruction et la proce-
dure criminelle sera faite publiquement, en presence des juges
et des jures, qu'elle sera ecrite et ensuite remise aux jures pour
y avoir tel egard que de raison. » Ce discours fit une grande
impression sur I'Assemblee qui en vota I'impression, et la dis-
cussion fut meme renvoyee a plusieurs jours pour permettre aux
representants de reflechir sur ces difficiles questions.
Comment les partisans du projet de loi pouvaient-ils re-
pousser ces attaques? Comment refusaient-ils d'accepter la pro-
cedure ecrite et le systeme des preuves legales , tels qu'on les
leur presentait, c'est-a-dire desormais inoffensifs en apparence
et uniquement bienfaisants ? Une telle conduite paraissait inex-
plicable; pourtant, il faut le reconnaitre, ces hommes, s'ils
avaient centre eux la logique des raisonnements, avaient pour
eux la logique des choses. II leur etait parfois difficile de traduire
leurs idees d'une facon demonstrative, mais ils sentaient tres-
nettement qu'il y avail incompatibilite entre I'ancienne methode
de juger et la nouvelle , que Ton ne pouvait point melanger les
deux systemes , et que transporter dans le jugement par jures
les complications de I'ecriture et la theorie savante des preuves
legales , e'etait gater une institution excellente , sous couleur de
I'ameliorer : e'etait 1^ une greffe que I'arbre nouveau ne pouvait
porter. C'est ce que soutinrent Duport, Chabroud (2), Bau-
' (1) SeaBce da i Janvier 1791 ; Moniteur ia. 5.
(2] Stance du 3 Janvier; Moniteur du 4.
436 LES LOIS
metz (1), et Petion (2). « Les jures, disait Duport, sont une
institution primitive qui sent encore les bois dont elle est sortie,
et qui respire fortement la nature et I'instinct. On n'en parle
qu'avec enthousiasme , on ne I'aime qu'avec passion : mais il faut
une &me saine et forte pour en bien sentir toute la beaute , que
sais-je? peut-etre meme pour I'employer... Ce qui plait dans
I'etablissement des jur^s , c'est que tout s'y decide par la droi-
ture et la bonne foi , simplicite bien preferable a cet amas inutile
et funeste de subtilites et de formes que Ton a jusqu'a ce jour
appele la justice (3). » Plus tard, dans une discussion plus pre-
cise , il montrait que la procedure ecrite ne pouvait point se com-
biner avec la procedure orale. Ce serait allonger indefiniment les
debats que de vouloir recueillir toutes les depositions par ecrit ;
les jures lasses se desinteresseraient d'un debat qu'ils ne pour-
raient plus suivre ; rentres dans la chambre de leurs deliberations,
au lieu de rapporter une impression bien nette qui dicterait leur
jugement , ils se perdraient a depouiller une volumineuse proce-
dure , tache pour laquelle ils ne sont point faits : « Des hommes
ont pense que ce serait une chose bien avantageuse que de
reunir la preuve ecrite et la preuve orale, et d'avoir ainsi les
avantages des deux systemes; mais cela ne se pent pas... Arrives
dans leur chambre, les jures liraient les depositions, ils les pese-
raient , ils les combineraient comme les juges de la Tournelle , et
voila , comme je I'ai dit , de mauvais juges au lieu d'excellents
jures (4). »
Les memos orateurs soutenaient qu'il y avail egalement in-
compatibilite entre I'institution du jury et le systeme des preuves
legales, meme tourne en faveur de I'accuse. Ici la chose etait
moins claire. Sans doute , si Ton parlait de la theorie si minu-
tieuse et si complexe qu'avait elaboree I'ancienne jurisprudence,
et qui n'avait jamais trouve place dans la loi, il etait evident que
c'etait un outil trop delicat pour la main des jures ; mais il n'ea
etait pas de meme, s'il s'agissait de certaines regies fort sim-
(1) stance du 4 Janvier; Moniteur du S.
(2) Seance du 17 Janvier ; Monitew du ,19.
(3) Stance du 26 dicembre; Moniteur du 27.
(4) Stance du 4 Janvier; Moniteur du 5.
DE LA REVOLUTION. 437
pies, telles que celle qui exigeait deux temoins oculaires pour
una condamnation. Cette regie etait , dans certains cas , observee
en Angleterre dans la procedure par jures; et aujourd'hui encore
la theorie des preuves joue un grand rdle devant le jury An-
glais (1). Mais cependant on avait bien raison de repousser en
bloc tout le systeme. En Angleterre, en effet, les regies sur les
preuves en matiere criminelle ne sont , en realite , qu'une serie
de maximes assez elastiques etablies par la jurisprudence, et
dont le president des assises , par sa haute autorite , impose I'ob-
se^vation aux jures. Fixer dans la loi les preuves necessaires
pour condamner eut ete decreter une mesure illusoire ; le jury,
ne motivant pas ses decisions, etit toujours pu s'y soustraire;
c'e<it ete surtout fournir aux jures un pretexte commode pour
des acquittements peu justifies.
Lorsque le 17 Janvier 1791 I'Assemblee reprit la discussion,
une modification s'etait deja produite dans I'etat des esprits. Sans
doute, on entendit Maury defendre encore la procedure ecrite
dans un vehement discours. Attaquant I'anglomanie, il soutenait
que si la procedure anglaise etait orale , cela venait de ce qu'au
111° siecle, quand le jury fut institue, disait-il, personne ne sayait
ecrire. Mais Tronchet, qui representait I'esprit de transaction,
vint proposer un moyen terme , un systeme moins accentue que
celui de Thouret. « La procedure serait orale , mais I'accusateur
et I'accuse pourraient requerir un, proces-verbal sommaire des
debats. » Arrivee a ce point, on pouvait dire que la cause de
Duport et de ses auxiliaires 6tait gagnee ; la motion de Tronchet
etait en realite sans portee , aussi fut-elle ecartee et le projet de
loi deflnitivement adopte , tel qu'il avait ete presente.
Telle fut I'cEuvre de la Constituante pour la procedure en ma-
tiere de crimes. Si Ton veut la juger, il faut, croyons-nous , faire
deux parts. Pour ce qui est de la procedure devant le jury de
jugement , les regies definitives avaient ete posees. L'Assemblee
avait dote pour toujours la France de cette magniflque institu-
tion, qui, depuis, s'est repandue sur I'Europe avec le regime
(1) Blakstone, liv. IV, chap. 27; Voy. Mittermaier, TraiU de la proMure ori-
minelle etiAnghterre, traduct. Chauffard, § 20.
438
LES LOIS
representatif. C'est un des grands bienfaits dont il faut lui etre
eternellement reconnaissant. Mais pour ce qui est de la pour-
suite et de rinstruction preparatoire , toujours necessaire en ces
graves matieres, I'Assemblee avait desorganise les vieilles ins- ,
titutions dues au genie francais , et les avait remplacees par un
mecanisme complique et insufflsant, qui jamais ne pourra jouer
d'une fagon satisfaisante. Elle avait confondu Taction publique
et Taction civile, renversant cette distinction si juste, longue-
ment elaboree dans Tevolution de Tancien droit. Apres de longs
tatonnements , on reprendra Tinstitution de la partie publique.
L'Assemblee avait laisse non resolu ce probleme difficile : com-
ment, a la procedure par jures necessairement orale, souder
Tinstruction preparatoire necessairement ecrite?
Avec la Loi del791 telle que nousTavons decrite, il semble que
rien ne subsists plus de Tancienne procedure ; on peut cependant
retrouver quelques traces laissees par TOrdonnance de 1670. La
reception des plaintes par Tofficier de police (tit.. V , art. 2-5) est
dans les details presque textuellement copiee sur le titre III de
TOrdonnance. Pour le titre IX, des Contiilnaces , on avait encore
emprunte a TOrdonnance une partie de ses dispositions , en par-
ticulier la procedure qui aboutissait a la declaration de contumace
et le caractere resoluble de la sentence (1). Mais la encore les
jures intervenaient; cependant la procedure n'etait pas orale au
vrai sens du mot : « les depositions des temoins regues par ecrit
seront lues aux jures qui seront tires au sort. » — Les disposi-
tions sur le faux reftetaient celles de TOrdonnance de d'Agues-
seau. Enfin, dans son titre XIII, le Decret reprenait certaines
prescriptions de TOrdonnance de 1670 (2). Ce sont la de faibles
vestiges, notons-les cependant; si nous n'avons plus ici que quel-
ques anaeaux brises, nous trouverons plus loin des trongons
importants de la chaine.
La Loi du 29 septembre n'est pas la seule que TAssemblee Cons-
(1) Contrairement aux dispositions de TOrdonnance , la loi, pour la premiere
fois , assimilait dans la procedure par contumace le prisonnier 6vad6 et le fugitif
qu'on n'avait pas pu saisir. » (Art. 14.)
(2) Voyez tit. XIII de la Loi de 1791, art. 4, 5; et tit. XIII , Ord. 1670, art. 6,
25.
DE LA. REVOLUTION. 439
tituante ait consacree a la procedure penale ; pr^cedemment elle
avail organise la police municipale et correctionnelle, dans la Loi
des 19-22 juillet 1791 , adoptee presque sans discussion sur le
rapport de Desmeuniers (1). Ici, a cote de I'initiative des citoyens,
la loi organisait'1'action d'une sorte de partie publique : « Art. 44 :
La poursuite de ces delits sera faite soit par les citoyens leses,
soit par le procureur de la commune ou ses substituts s'il y en a ,
soit par des hommes de lois commis a cet effet par la municipa-
lite. » Du reste, personne ne parait avoir eu le droit de citation
directe devant le tribunal correctionnel ; les poursuivants devaient
faire leur denonciation au juge de paix qui, s'il y avait lieu, ren-
voyait devant le tribunal le prevenu , qu'il avait cite devant lui
parun mandat d'amener (art. 45 et 57). L'instruction avait lieu a
I'audience publique (art. 58) ; il restait du debat un proces-verbal
sommaire dresse par le greffier ; I'appel etait ouvert devant le tri-
bunal de district (2). En matiei-e de police municipale , la poursuite
avait lieu a la requSte du procureur de la commune ou des parti-
culiers , et le tribunal etait saisi par une citation directe faite au
nom de ces personnes (art. 35).
III.
La Loi de 1791 ne devait pas durer beaucoup plus longtemps
que la Loi de 1789, qu'elle avait remplacee; elle devait ceder la
place au Code des delits et des peines du 3 brumaire an IV. Pen-
dant le temps de son regno, elle ne fut point toujours respectee.
Ce n'est pas ici le lieu de parler des tribunaux et des procedures
revolutionnaires , qui vinrent creer a c6te du droit commun une
affreuse legalite d'exception ; mais il est certain que memo dans
la procedure ordinaire se glissaient de nombreuses illegalites (3).
(1) Moniteur des 6 , 7 , 8 , 9 , 13 , 14 , 21 juillet 1791.
(2) Loi 16 aodt 1790 , tit. XI, art. 2 et 6.
(3) Yoyez la Loi du 22 vendemiaire an IV, qui defend k tous les offlciers de
police de traduire devant le directeur du jury aucun citoyea pour un fait non
prevu et sp^cifie par les lois p^nales, et declare nuls tous actes d'accusation
dresses pour des fails semblables. Cf. M. Taine, Les origines de la France
contemporaine. La Revolution, tome II, p. 184, 251, 255, 329.
440 LES LOIS
Mais les formes introduites par la Loi de 1791 n'en etaient pas
moins considerees a cette epoque comme une institution defini-
tive , et ce ne fut point pour detruire le systeme , mais pour le
perfectionner que la Convention reprit I'oeuvre de la Consti-
tuante.
Le nouveau Code devait surtout se distinguer des lois ante-
rieures en ce qu'il serait une ceuvre synthetique et detaillee a la
fois. II comprendrait la procedure pour les delits et les contraven-
tions aussi bien que pour les crimes. La Convention avail charga,
le 3 floreal an II, Cambaceres et Merlin de preparer un travail
general sur I'ensemble de la legislation : Merlin s'occupa sur-
tout de la legislation criminelle, et au bout de dix-huit mois
il presenta a la Convention le Code des dMits et des peines , inst-
cheve mais comprenant cependant 646 articles dont les 598
premiers et le 646° etaient consacres a la procedure criminelle.
L'Assemblee, qui allait se separer, le vota de confiance et sans
discussion. Ici les travaux preparatoires ne sent rien ; ils se redui-
sent comme document a ce court rapport de Merlin : « Par un
decret du 23 fructidor, vous avez charge votre commission des
onze de vous presenter un projet de bode de police de sHareU et de
police correctionnelle adapte a la Constitution et propre a en faire
marcher les parties correspondantes a I'ordre judiciaire. En s'oc-
cupant de I'execution de ce decret, votre commission des onze a
cru que , pour mieux remplir vos vues , elle devait etendre le
cadre de son travail, et vous proposer une refonte generale de
toutes les lois rendues depuis le commencement de la Revolution
pour regler et diriger la poursuite et la punition des delits de toute
espece. Vous apercevez deja les innombrables avantages qui doi-
vent resulter d'un pareil travail. Maintenir la Constitution repu-
blicaine, que le peuple Frangais vient d'accepter, c'est votre vceu
comme votre devoir. Pour atteindre ce but , ce qu'il y a de plus
important a faire c'est de comprimer I'anarchie, d'etablir enfin
le regne de la loi , de garantir d'une maniere veritablement effi-
cace la surete des personnes et des proprietes; c'est, en d'autres
termes, de donner a la police et a la justice toute I'activite, tout
le ressort , toute la puissance possibles ; et c'est a quoi vous ne
pouvez parvenir qu'en simplifiant , qu'en classant dans un ordre
DE LA REVOLUTION. 441
clair et methodique les innombrables reglements qui doivent con-
duire les magistrals dans la recherche et dans la repression des
delits.
« II n'y a point d'etat pire que eelui d'un gouvernement dont
les magistrals ne savent pas ou sont exposes a ne savoir qu'im-
parfaitement ce qu'ils ont a faire : or, tel est, par I'effet de la
multitude et de la confusion de nos lois criminelles , la situation
dans laquelle se trouvent forcement ceux de nos fonctionnaires
publics qui sont charges de la repression des delits. C'est la, n'en
doutez point, un des plus grands obstacles au retablissement de
I'ordre; mais cet obstacle, vous pouvez tres-facilement le vaincre;
il ne s'agit que de donner a la nation un bon Code des delits et
des peines , et c'est le projet de ce Code que nous venons ofFrir a
votre examen.
a Commence depuis dix-huit mois , en execution du Decret qui
avail ordonne la classification et la refonte de toutes les lois ema-
nees des trois assemblees representatives , ce projet a exige beau-
coup de recherches , de longues meditations , un travail penible ,
et cependant il n'est pas encore aussi complet que son litre sem-
ble le promettre (1). »
Le Code de Brumaire an IV fut en realite I'oeuvre de Merlin ,
qui accomplit ainsi un travail prodigieux. Aussi presente-t-il un
caractere bien conforme a son origine. II est difficile de trouver
une composition dont toutes les parties ferment un tout plus sys-
tematique. On sent que le tatonnement des commissions parle-
mentaires n'a point passe par la et qu'un puissant jurisconsulte a
fail jaillir de son cerveau cette loi tout armee. II n'est pas de loi
plus scrupuleuse et plus minulieuse ; elle mullipMe les garanties
de la defense , et trace pas a pas la marche qui doit etre suivie ;
mais en meme temps elle multiplie ouitre mesure les formalites
proteclrices , et le magistral n'ose s'avancer au milieu des nuUi-
les, pr§tes a se dresser devanl lui. Aucune loi n'a regie d'une
facon plus logique les questions a poser au jury, et cette parlie
du Code de Brumaire n'est pas moins ingenieuse que la delicate
et savante composition des Formules romaines ; mais plus encore
(t) Seaace du 30 vend6miaire [Journal des Dibats, n" 1124, pp, 458-459).
442 LES LOIS
que le magistral dont nous venous de parler, les jures devaient
se trouver deconcertes devant cet appareil trop savant, devant
ces simplifications, si compliquees en realite (1). On sait que ce
chef-d'ceuvre de theorie se trouva fort defectueux dans la pra-
tique ; ce mecanisme admirable avait ete concu sans qu'on tint
compte du frottement. Mais ce n'est pas a ce point de vue que
nous voulons etudier le Code de Brumaire , il nous faut surtout
recherchier s'il continuait absolument la tendance de la Loi de
1791, s'ecartant autant qu'elle des regies de I'ancien droit fran-
gais. Dans les grandes lignes rien n'etait change ; mais dans les
details, des modifications importantes s'etaient produites. Quel-
ques-uns des principes afflrmes a outrance dans la Loi de 1791,
etaient quelque peu attenues, et, sur certains points, un retour
partiel a I'ancienne tradition etait reconnaissable.
Des les premiers articles du Code de Brumaire nous trouvons
une distinction , , qui etait I'un des axiomes fondamentaux de
I'ancien droit, et que la Loi de 1791 avait effacee, la distinc-
tion de Taction publique et de Taction civile. — « Art. 5 : L'action
publique a pour bbjet de punir les atteintes portees a Tordre
social. Elle appartient essentiellement au peuple. EUe est exercee
en son nom par des fonctionnaires etablis a cet effet. — Art. 6 :
L'action civile a pour objet la reparation du dommage que le
delit a cause. Elle appartient a ceux qui ont souffert du dom-
mage. — Art. 8 : L'action civile pent etre poursuivie en naeme
temps et devant les memes juges que Taction publique; elle
pent aussi Tetre separement. » Ce sent la presque textuelle-
ment les articles 1 et 3 de notre Code d'Instruction criminelle,
mais c'etait aussi ce qu'on disait sous Tempire de TOrdonnance,
et dans I'Idee de la justice criminelle , par exemple , que Jousse
a mise en tete de son Commentaire , nous trouvons la distinction
exprimee presque dans les memes termes (2). Des lors , a vrai
(1) Voy. art. 373-379. C'est, on sait, le systems des questions simples, poussS
jasqu'a ses dernieres consequences. En r6alit6, sur ce point, le Code de Brumaire
innovait peu. La, comme en d'autres endroits, on avail surtout fait passer dans
la loi les prescriptions que les constituants avaient inscrites dans leur Instruction
sur les juris du 21 octobre 1791. Nous glissons sur ces details, qui se Irouvent
dans tous les traitSs de procedure criminelle.
(2) P. xxiii : « Dans notre usage, deux sortes de persoanes concourent i la
DE LA REVOLUTION. 443
dire, disparait cette sorte d'accusation populaire qu'avait instituee
la Loi de 1791. Sans doute, les droits des particuliers dans la
poursuite sont encore bien importants. La denonciation civique
subsiste dans le Code de Brumaire avec toute son efficacite
(art. 87-93). Sans doute, les denonciateurs et les plaignants
participent toujours a la redaction de I'acte d'accusation (art. 224-
227) (1). Mais on sait maintenant que la partie privee n'agit
plus qu'a fin de dommages-interets (art. 430) ; on a pose nette-
ment ce grand principe que Taction a fins penales n'appartient
qu'au peuple et aux fonctionnaires qu'il choisit, principe qui,
encore obscurci dans I'application , portera plus tard ses fruits
et contient en germe la reconstitution du ministere public.
Le Code de Brumaire conserve les officiers de police judiciaire
institues en 1791, les juges de paix et les officiers de gendar-
merie; mais il ajoute a la liste, les commissaires de police, les
gardes champetres et forestiers. Pour la premiere fois , les direc-
teurs du jury, qui, jusque-la, n'etaient que des juges d'instruction
au second degre , pouvaient dans certains cas poursuivre les
crimes et se saisir directement de leur connaissance (art. 21, 140
a 142). La loi etablissait une certaine hierarchie entre les offi-
ciers de police, releguant dans un rang secondaire les commis-
saires de police et les gardes (art. 2, 5-47). lis confondaient tou-
jours entre leurs mains la poursuite et I'instruction ; ils agissaient,
« ou sur une denonciation officielle , ou sur une denonciation ci-
vique, ou d'apres une plainte, ou d'office. » Le denonciateur, qui
signait sa denonciation civique et affirmait qu'elle n'etait dictee
par aucun interet personnel, forgait par la meme I'officier de
police a decerner un mandat d'amener (art. 90), mais il ne pou-
vait point saisir directement le jury d'accusation. Quant a la
plainte , elle obligeait bien le juge de paix a entendre les temoins
produits , mais c'etait tout et ce magistrat pouvait refuser d'aller
punition des crimes ; i" la partie civile qui demande la reparatiou de I'offense
qui lui a 6t6 faite et ses dommages-interets; 20 la partie publique qui poursuit la
punition du crime et la condamnation h la peine qu'il mSrite. »
(1) II semble pourtant , oomme nous le dirons plus loin , que la partie priv6e ne
pent plus saisir directement le jury d'accusation ; elle doit s'adresser au direc-
teur du jury.
'•f/^n
444 LES LOIS
plus avant. En cas de refus, le plaignant ae pouvait.plus, comme
jadis , saisir le jury d'accusation ; il ne pouvait en appeler qu'au
directeur du jury (art. 98 et 147). C'etait encore une disposition
qui rappelait un principe de I'ancien droit, a savoir que la plainte
ne lie pas lejuge.
Le principal officier de police judiciaire etait toujours le juge
de paix. C'etait lui qui faisait la partie la plus importante de
rinstruction preparatoire ; car les resultats auxquels il arrivait
s'imposaient plus tard au directeur du jury (1). La Loi de 1791
etait fort breve sur cette instruction ; le Code des delits et des
peines est au contraire fort detaille. Les articles 102 a 131, con-
sacres a cet objet, sont ranges sous les rubriques des proces-ver-
baux , de I' audition des temoins et des pieces de conviction ; beau-
coup d'entre eux passeront plus tard dans le Code d'Instruction
criminelle avec de legeres modifications. Les regies sur les proees
verbaux et sur I'audition des temoins etaient une imitation singu-
lierement perfectionnee deS' litres IV, V et VI de I'Ordonnance de
1670. Les depositions des temoins etaient redigees par ecrit sur
un cahier separe, comme jadis ; chaque temoin etait entendu sepa-
rement, mais la loi nouvelle ordonnait que, si le prevenu etait
deja arrete, la deposition eut lieu en sa presence (art. 115); s'il .
n'etait arrete que posterieurement , le juge de paix, avant de
I'interroger, devait lui donner lecture des depositions recueSi
mais sans lui en donner copie (art. 116). Ces precautions indi-
quent deja que I'ecriture va jouer dans la procedure un role plus
important que par le passe.
Les mandats faisaient I'objet des articles 56 a 80. La Loi de
1791 n'en connaissait que deux, celui d'amener et celui d'ar-
ret ; elle n'admeltait pas , en matiere repressive , de citation
pure et simple , analogue aux assignations de la procedure ci-
vile, et en cela elle se montrait plus severe que I'Ordonnance
qui, a c6te du decret de prise de corps, plagait non-seulement
(1) Art. 242 : « Le directeur du jury n'a pas le droit d'examiner si, dans une
procedure faite par un officier de police judiciaire, relativement a un dilit empor-
tant par sa nature peine afflictive ou infamante , les circonstanees ou les preuves
sont ou non assez graves pour determiner une accusation ; et il ne pent, sous ce
pr^texte, refuser de .dresser I'acte d'accusation. »
DE LA REVOLUTION. 443
rajournement personnel , mais le decret d'assigne pour gtre oui.
Le Code de Brumaire introduisit ua nouveau mandat, qui avait
le caractere d'une citation simple, celui de comparution ; mais
I'usage en etait bien restreiut. On commengait toujours par
le mandat d'amener, seulement quand I'inculpe avait obei a ce
mandat, si le delit reproche etait de nature a n'etre puni « que
d'une amende au-dessus de la valeur de trois journees de tra-
vail, » le juge de paix « ordonnait au prevenu de comparaitre
a jour fixe devant le directeur du jury d'accusation. »
Du juge de paix I'affaire passait, comme jadis, au directeur
du jury; ce magistrat, pris tons les trois mois a tour de role
parmi les juges du tribunal de district (art. 171, 211), etait en
meme temps le president du tribunal de police correctionnelle.
II continuait, pour la completer, I'instruction commencee; il
interrogeait le prevenu dans les vingt-quatre heures de son ar-
rivee a la maison d'arret , et faisait tenir note de ses reponses.
II pouvait aussi entendre de nouveaux temoins , mais cette fois
I'audition n'avait pas lieu en presence du prevenu. La loi de-
clarait que le directeur du jury « recevait leurs declarations
secretement et les faisait ecrire par le greffier (art. 225). » Cela
fait, et apres avoir constate que la procedure etait regu Here , il
rendait una ordonnance de renvoi, soit devant le tribunal de
police correctionnelle, soit devant le jury d'accusation (art. 219,
220). Toutes ces ordonnances devaient etre, a peine de nullite,
pr^cedees des conclusions du commissaire du pouvoir executif, et
dans les trois jours un extrait devait en §tre donne a I'accusateur
public. Nous le savons deja, le directeur du jury ne peut ren-
dre une ordonnance de non-lieu, fondee sur I'insuffisance des
charges , lorsque la procedure lui a ete transmise par un officier
de police judiciaire (1). Pour le moment, aucun recours n'etait
possible contre ces ordonnances.
Le directeur du jury devait aussi statuer sur les demandes de
mise en liberie provisoire. Selon les principes poses par la Loi
(1) Sans doute U pouvait decider qu'il n'y avait pas lieu a suivre, lorsqu'il
6tait saisi par la partie plaignante , en appelant du refus d'agir oppose par le
juge de paix (art. 98), ou lorsque, par exception, il avait pu spontan^ment en-
tamer les poursuites.
446 LES LOIS
de 1791, le Code deBrumaire decidaitque la mise en liberie etait
de droit toutes les fois que la peine eventuelle etait seulement
infamante ou correctionnelle , elle etait toujours subordonnee a
I'engagement d'une caution solvable, qui devait consigner 3,000
livres (art. 222). S'il s'agissait d'un crime emportant peine afflic-
tive, la liberie provisoire n'etait jamais admise. Elle etait de
droit ou elle n'etait pas. Les pouvoirs du directeur du jury etaient
done completes et precises par le Code des delits et des peines;
le juge d'instruction , qui plus tard se degagera du directeur du
jury, est deja ebauche. Quelques traits du nouveau plan sont
empruntes a I'ancien droit : I'audition des temoins en secret , par
exemple , et les conclusions du commissaire du gouvernement
prec6dant les ordonnances.
Apres I'ordonnance de renvoi devant le jury d'accusation , le
directeur du jury dressait Facte d'accusation , auquel participait
la partie privee dans les memes conditions que precedemment
(art. 226-230) ; il le communiquait ensuite au Commissaire du
pouvoir executif , qui y mettait son visa (art. 230). La procedure
devant le jury d'accusation, precisee par le Code, n'etait pas
modifiee. Le directeur du jury exposait aux jures leurs devoirs
et leur lisait une longue instruction , dent le texte a passe dans
le Code d'instruction criminelle ; puis le commissaire du pouvoir
executif lisait les pieces de la procedure , sauf les depositions et
les interrogatoires ; les temoins et la partie plaignante etaient
entendus.
Si le jury decidait qu'il y avait lieu a accusation, le directeur,
rendait contre I'accuse, a moins qu'il n'eM ete recu a caution (1) ,
une ordonnance de prise de corps , en vertu de laquelle il etaH
conduit dans la maison de justice. La, I'ordonnance de prise de
corps etJ'acte d'accusation lui etaient notifies (art. 259). Des
lors le proces etait transporte devant le tribunal criminel.
La composition du tribunal criminel avait peu change : « il est
compose d'un president, d'un accusateur public, de quatre juges
(1) Dans ce oas , le directeur rendait une ordonnance enjoignant a I'accuse de
se presenter devant le tribunal criminel pour tous les actes de la procedure , et
dMlire domicile dans le lieu ou sifege le tribunal (art. 257). La mise en accusa-
tion ne faisait done point cesser la liberty provisoire.
DE LA REVOLUTION. 447
pris dans le tribunal civil, du commissaire dii pouvoir executif ,
pres le meme tribunal, d'un substitut qui lui est specialement
donne par le directoire executif pour le service du tribunal cri-
minel et d'un greffier (art. 226). » L'accusateur public n'interve-
nait , comme par le passe , qu'apres la mise en accusation (art.
278) ; tout en ayant la surveillance des divers officiers de police
judiciaire, il n'avait pas la poursuite directe (art. 283). Cepen-
dant, dorenavant il pouvait recevoir les denonciations et les
plaintes , non-seulement des diverses autorites , mais aussi des
simples citoyens (art. 281); « il les transmet aux officiers de
police judiciaire et veille a ce qu'elles soient suivies. » Etait-ce
un souvenir du systeme dans lequel le procureur du roi etait
specialement charge de recevoir les denonciations ? Le commissaire
du pouvoir executif conservait toujours I'autre fonction du minis-
tere public; il faisait les requisitibns en vertu de la loi (art. 293).
Le president du tribunal criminal interrogeait I'accuse dans les
vingt-quatre heures de son arrivee a la maison de j ustice , et le
proces-verbal de I'interrogatoire devait « Stre joint aux pieces (art.
315). » L'accusateur public, la partie privee et I'accuse pouvaient
faire entendre devant lul de nouveaux temoins. G'est alors seule-
ment, contrairement a la Loi de 1791, que Ton verifiait solen-
nellement la regularite de la procedure. Le commissaire inscri-
vait sur I'acte d'accusation la mention : « La loi autorise, » ou
« la loi defend; » et le president devait convoquer le tribunal
dans les vingt-quatre heures « pour prononcer a I'audience sur la
legalite ou Fillegalite soit du mandat d'arret , soit de I'instruction
(art. 326). » Si Ton decouvrait une nullite, le tribunal ordonnait
de reprendre les choses a partir du plus ancien acte nul.
Quant a la procedure devant le jury de jugement , le Code de
Brumaire en traitait longuement et minutieusement ; c'etait le
developpement d'institutions inconnues a I'ancien droit , qui se
precisaient et se regularisaient peu a peu , sans rien emprunter
a une legislation qui les avait toujours ignorees. Quelle place fai-
sait le Code dans cette derniere periode du proces a la procedure
ecrite? La Loi de 1791 avail pousse jusqu'a I'exces la crainte de
voir I'ecriture se glisser dans la procedure par jures ; tout en
maintenant fermement le principe de VoralM, la loi nouvelle etait
LES LOIS
moins exclusive. Non-seulement I'instruction preparatoire et ecrite
avail augmente d'importance ; mais on faisait aussi dans le debat
una place pour la production de ces ecritures. Jusque-la, ces
pieces n'etaient communiquees qu'a I'accusateur public , qui seul
y puisait des renseignements; dorenavant, elles sont communi-
quees a I'accuse , qui , par ce moyen , avec I'aide de son defen-
seur, pourra rassembler a I'avance les elements de sa defense ; il
pourra y avoir un plan de defense comme il y a un plan d'at-
taque. Les textes sont formels. L'article 319 dit, en parlant des
depositions recues par le president du tribunal criminel : » Elles
seront communiquees a I'accusateur public et a I'accuse a peine
de ni^llite de toutes procedures ulterieures. » Et l'article 320
ajoute : « L'accuse recoit pareillement , et sous la meme peine,
apres son interrogatoire , copie des autres pieces de la procedure.
Cette copie lui est delivr6e gratis par le greffier. » Quelques-unes
des depositions etaient deja connues de I'inculpe; celles recues
par le juge de paix lui avaient ete lues ; mais il ignorait le contenu
de celles que le directeur du jury avait recueillies secretement.
Cette procedure ecrite, dans une certaine mesure, figurera aux
debats. Les articles 365 et 366 declarent en effet : « Article 365 :
II ne pent etre lu aux jures aucune deposition ecrite de temoins
non presents a I'audience. » Article 366 : « Quant aux declara-
tions 6crites que les temoins presents ont faites et aux notes
ecrites des interrogatoires que I'accuse a subis devant I'officier
de police , le directeur du jury et le president du tribunal crimi-
nel, il n'en pent etre lu dans le cours des debats que ce qui est
necessaire pour faire observer soit aux temoins, soit a I'accuse,
les variations, les contrarietes , les differences qui peuvent se
trouver entre ce qu'ils disent devant les jures et ce qu'ils ont dit
precedemment. » Enfin, d'apres l'article 382, le president remet
aux jures « toutes les pieces du proces , a I'exception des declara-
tions ecrites des temoins et des interrogatoires ecrits de I'ac-
cuse. I) Telle etait la combinaison qu'avait trouvee Merlin pour
utiliser I'instruction preparatoire dans la procedure orale. Le tem-
perament etait sage, et il s'est trouve que ces regies ont ete a
peu pres defmitives; ces dispositions, quelque peu modifiees,
ont passe dans le Code d'Instruction criminelle.
DE LA REVOLUTION. 449
La theorie des preuves morales etait maintenue avec plus de
fermete que jamais ; une longue instruction , destinee surtout a
la rappeler aux jures, devait leur ette lue par le president et
affichee en gros caracteres dans leur salle de deliberations. La
maniere de composer le jury de jugetnent, le systeme des recu-
sations (art. 502-515), la majorite a laquelle le verdict etait rendu
et la facon dont les jures donnaient leur declaration , enfin le
pourvoi en cassation, restaient, a peu de chose pres, ce qu'ils
etaient dans la Loi de 1791.
Dans la procedure de contumace, le Code des delits et des
peines, comme la Loi de 1791 , refletait en partie les dispositions
de I'ancien droit. Les jures intervenaient , mais les temoins n'e-
taient point entendus, on lisait leurs depositions ecrites (art.
471): Pendant vingt ans, c'est-a-dire tant que la peine n' etait pas
prescrite , la representation du condamne faisait tomber le juge-
ment de plein droit , et il etait procede en la forme ordinaire ;
cependant alors une exception etait admise au principe qui defen-
dait de lire devant le jury la deposition des temoins absents. « Art.
477. Les depositions ecrites des temoins decedes pendant son
absence (du contumax) seront lues aux jures, qui y auront tel
egard que de raison, en observant toujours que les preuves ecrites
ne sont point la regie unique de leurs decisions et qu'elles ne leur
servent que de renseignements. »
Le tribunal de police correctionnelle etait compose , d'apres le
Code de Brumaire, « du directeur du jury, qui le presidait, et
de deux juges de paix. » II etait saisi ou par I'ordonnance de ren-
voi du directeur du jury a la suite d'une instruction preparatoire,
ou par la citation directe de la partie lesee , qui acquerait ainsi
un droit nouveau ; la citation toutefois devait etre prealablement
visee par le directeur du jury qui s'assurait qu'il avait bien de-
vant lui un delit correctionnel (art. 180-182). L'appel, toujours
possible , etait porte devant le tribunal criminel (art. 198), et la
faculte d'appeler appartenait au condamne , a la partie civile , au
commissaire du pouvoir executif et a I'accusateur public du de-
partement. Laplupartde ces regies, ainsi que celles qui deter-
minaient la procedure soit en premiere instance , soit en appel ,
ont passe dans le Code d'Instruction crifninelle. Pour la police
450 LES LOIS
municipale , le tribunal etait compose du juge de paix el de deux
assesseurs (art. 151); la poursuite avait lieu ou a la requete du
commissaire du pouvoir executif pres la commission municipale ,
ou a celle de la partie lesee. L'instruction avait toujours lieu a
I'audience ; I'appel n'etait point organise.
Le Code des delits et des peines avait en realite assez peu mo-
difie les regies posees par la Loi de 1791. Cependant on y saisis-
sait une tendance incontestable a faire de l'instruction prepara-
toire , secrete et ecrite , le preliminaire important des debats de-
vant le jury. Bient6t on devait aller plus loin. La France, lasse
et meurtrie, se desinteressait de la liberte, pour laquelle elle avait
souffert; elle se reportait, par une violente reaction, vers le prin-
cipe d'autorite. Elle tourna alors les yeux vers les institutions de
I'ancienne monarchie; et peu s'en fallut que I'Ordonnance de.
1670, telle a peu pres que I'avaient reformee les legislateurs de
1789, ne reprlt sa place parmi nos lois.
DE LA REVOLUTION. 431
CHAPITRE TROISIEME.
Les lois de I'an IX.
I. Loi du 7 pluvifise an IX. Les magistrals de s<lret6; reconstitution du ministere
public; modifications dans I'instruction. — II. Le jury compromis, les pas-
sions politiques et le brigandage. — III. La loi du 18 pluvifise an IX. Les
tribunaux sp^ciaux ; resurrection des juridictions prevdtales.
La procedure criminelle , telle que I'avait organisee le Code de
brumaire an IV, devait bientot subir de profondes modifications.
A I'user elle se montra insuffisante pour la repression. Cela tenait
en partie a ce que la poursuite et I'instruction preparatoire avaient
ete enervees , cela tenait surtout au milieu dans lequel fonctionna
d'abord I'institution du jury. Fausse par les passions politiques ,
impuissant en face du brigandage qui se develop'pa sur toute une
portion de la France , il faillit perir dans la crise terrible qui
secouait alors le pays. Au desir du progres succeda un immense
besoin de repos , et les difficultes du present faillirent donner la
victoire au passe.
Une premiere modification aux regies de la procedure crimi-
nelle fut apportee par la Constitution du 22 frimaire an VIII. Elle
reunissait les fonctions d'accusateur public a celles de commis-
saire du pouvoir executif pres le tribunal criminel ; et celui des
deux fonctionnaires qui disparaissait etait celui qui puisait son
titre dans I'election (1). L'ancien ministere public reparaissait dans
son integrite a I'audience des tribunaux criminels ; mais il etait
plus important encore de le reconstituer a la base et de lui rendre
la poursuite ; ce fut I'ceuvre de la loi du 7 pluvidse de I'an IX.
Cette loi fit plus ; elle reorganisa en meme temps I'instruction
preparatoire, suivant un type qui se rapprochait singulierement de
(1) Const, du 22 frimaire, art. 63. La loi du 27 vent6se an VIII, art. 35, per-
mettait de donner un substitut h ce commissaire , dans les villes oil le gouverne-
ment le croirait utile.
452 LES LOIS
rancienne procedure , et transfprma prof.ondement les debats de-
■vant le jury d'accusation : « L'idee qui domine dans le projet,
disait Thiesse, rapporteur de la loi au Tribunat , c'est Tidee d'une
partie publique poursuivante et d'un juge d'instruction, avec une
distribution nette des fonctions (1). » Elle creait dans chaque
arrondissement des substituts du commissaire du gouvernement,
de veritables procureurs de la republique, nommes par le premier
consul et reyocables a volonte (art. 24); ils etaient les substituts
du commissaire, comme autrefois les procureurs du roi etaient les
substituts du procureur general.
Ils etaient charges non-seulement de la recherche, mais de la
poursuite de tous les delits de police correctionnelle et de tous
les crimes (art. 1). C'etaient eux qui, dorenavant, devaient rece-
voir les denonciations et m§me les plaintes (art. 3). Les juges de
paix et officiers de gendarmerie conservaient bien le droit de les
recevoir aussi ; mais ils etaient places sous les ordres des substi-
tuts et devenaient ainsi les simples auxiliaires du ministere
public (art. 4); c'est un r61e qu'ils ont toujours garde depuis
lors.
Le droit d'arrestation etait r^gle a nouveau. Les juges de paix
et officiers de gendarmerie pouvaient faire saisir le prevenu dans
trois cas : lorsqu'il y avait flagrant delit ou accusation par la
rumeur publique (art. 4), ou lorsqu'il s'agissait d'un delit em-
portant peine afflictive , et qu'il y avait des indices sufflsants (2).
Mais I'agent qui avait ordonne I'arrestation etait tenu de faire
conduire I'inculpe devant le substitut dans le plus bref delai
possible. Le substitut decernait alors contre le prevenu ua man-
dat dit de dep6t , et le faisait incarcerer dans la maison d'arret
(1) Stance dutribuaat, du 27 ventfise aa IX [Archives parlemenlaires de 1800
a 1860, tome II, I™ partie, p. 94); of. Exposi des motifs :«Le projet actuel cons-
titue une veritable partie publique, qui, dlevie au-dessus de toutes les influences
et de toutes les considerations locales, peut deployer tout le zele et touts I'activite ,
que demandent ses fonctions... La distribution que nous avons faite en ce qui
tient au jugement et ce qui tient ^ la poursuite s'Mend a toutes les parlies de la
procedure criminelle et prSsente un double systeme regulier et complet de hierar-
chie. »
(2) Dans les deux premiers cas , les maires , adjoints et commissaires de police
avaient le mtoe droit.
DB 'LA REVOLUTION. 433
(art. 9). II avait egalement recu les plaintes et proces-verbaux ,
recueillies ou dresses par les officiers de police , ses auxiliaires.
C'etait la une creation nouvelle, et a vrai dire on donnait au
ministere public un pouvoir qu'il n'avait jamais eu. La barriere,
qu'on declarait elever entre I'instruction et la poursuite , s'abais-
sait devant lui; toutes les pieces se concentraient entre ses mains
et il ordonnait la detention preventive. Mais, comme correctif a
ce pouvoir, la loi en limitait la duree. Dans les vingt-quatre
heures , apres avoir lance le mandat de dep6t , il devait avertir te
directeur du jury, lequel etait tenu de « prendre connaissance de
Tafifaire et d'y proceder dans le plus court delai (art. 8). » Des
lors , I'instruction se deroulait a peu pres selon les principes de
I'ancienne jurisprudence. Le ministere public et le magistrat
instructeur agissaient de concert, le premier requerant, le se-
cond decidant et instruisant (art. 12 et 13). Les temoins comme
jadis etaient produits par la partie publique et par la partie
civile (1). Chose plus importante, la procedure secrete reparais-
sait , les temoins devaient etre entendus " separement et hors la
presence du prevenu. » C'etait bouleverser les regies en vigueur
depuis 1789. Les principes sur I'interrogatoire changeaient en
mgme temps. Le juge ne donnait tout d'abord a I'inculpe aucune
connaissance des charges produites centre lui. Cependant quel-
que chose subsistait de I'esprit liberal des lois anterieures ; apres
I'interrogatoire, le directeur du jury devait donner lecture des
depositions au prevenu , et celui-ci pouvait demander a etre in-
terroge de nouveau (art. 10).
L'instruction etant terminee , le directeur du jury la communi-
quait au substitut qui, dans les trois jours, devait donner ses
conclusions par ecrit (2), puis le magistrat instructeur rendait
une ordonnance qui pouvait rappeler I'aacien reglement a I'ex-
traordinaire. « Selon les differents cas, la nature et la gravite
des preuves , » il mettait le prevenu en liberie (non lieu), ou le
renvoyait devant le tribunal de simple police, ou de police cor-
(1) Art. 9 : « Les temoins indiqu^s par le substitut ou par la partie plaignante,
seront appel^s sur la citation du directeur du jury. » Cf. Ordonnance de 1670,
tit. V, art. 1.
(2) Cf. Ordonnance de 1670, tit. xvi, art. 17 et ssq.
454 LES LOIS
rectionnelle , ou devant le jury d'accusalion (art. 15). En cas
d'ordonnance de renvoi , il accordait la liberie provisoire , s'il y
avail lieu d'apres les anciennes regies , ou regularisail la delen-
lion preventive au inoyen du mandat d'arrSt.
La decision du magistral directeur pouvait etre soumise a des
recours multiples, mais ouverls seulemenl a la partie publique.
Toules les fois que Tordonnance n'etail pas conforme aux requi-
f-silions du subslitut, I'affaire allait necessairemenl devant le tri-
bunal d'arrondissement , qui slatuait , le substitut et le directeur
du jury entendus (art. 16). Le substitut pouvait ensuite, s'il. le
trouvait convenable, envoyer les pieces au commissaire pres le
tribunal criminel , qui saisissait ce tribunal en troisieme instance
(art. 17, 18) (1). Enfin, en dernier lieu, le commissaire, contre la
decision du tribunal criminel , pouvait se pourvoir en cassation.
D'un droit d'appeler appartenant au prevenu nuUe part il n'etait
question.
La loi nouvelle, qui etait un Code complet de I'instruction
preparatoire , modifiait profondement la procedure devant le jury
d'accusation : elle y substituait la procedure ecrite a la procedure
orale. « L'acte d'accusation, disait I'article 20, est dresse par le
substitut du commissaire pres le tribunal criminel, le directeur
du jury en fait lecture aux jur^s en sa presence , ainsi que de.
toutes les pieces qui y sont relatives. » — « La partie plaignante,
ajoute I'article 21, ne sera pas entendue devant le jury d'accusa-
tion , les temoins n'y seront pas non plus appeles ; leurs deposi-
tions lui seront remises avec les interrogatoires et toutes les
pieces a I'appui de l'acte d'accusation. »
La loi du 7 pluviose marquait, oil le voit, un retour tres-net vers
le passe ; elle relevait toute I'instruction secrete et preparatoire
que les lois de 1791 et de I'an IV avaient laisse tomber. Les re-
formes qu'elle operait se ramenaienl aux points suivants : 1" crea-
tion d'un ministere public et d'un juge d'instruction ; 2" intro-
duction du mandat de dep6t ; 3° audition des temoins hors de la
presence du prevenu; 4° substitution des preuves ecrites aux
(1) 11 pouvait reformer « non-senlement k raison de la compfitence ou pour
fausse application de la loi k la nature du d^lit , mais encore a raison des nullit^s
qui pouvaient avoir 61& commises dans I'instruction et la procedure. » (Art. 18.)
DE LA REVOLUTION. 4SS
debats oraux devant le jury d'accusation. II est interessant de
voir comment fut apprecie chacun de ces chefs dans la discussion
qui eut lieu devant le Tribunat.
La creation d'une partie publique fut generalement approuvee.
Coste (1), Bontteville (2), Goupil-Prefeln (3), Challan (4), Caille-
mer (5), Chabot de I'AUier (6), Gillet (7), vinrent successivement
en proclamer la legitimite et la necessite. Le systeme qu'avaient
pr^fere les hommes de 1791, ne fut cependant pas abandonne
sans discussion : il trouva dans Ganilh un defenseur energique.
Celui-ci, rappelale souvenir de la memorable discussion de 1790;
il evoqua I'image des orateurs fameux qui y avaient pris part ,
dont le nom avait encore grandi depuis lors , et dont plusieurs
ajoutaient la gloire du martyre a 1' eclat de la sagesse. Puis , te-
veillant les souvenirs de la Terreur, il montra les dangers de
I'accusation publique mise aux mains des gouvernants (8). Mais
les reponses ne manquerent pas. La meilleure raison a donner,
c'est qu'il etait necessaire de renforcer la poursuite : « La France
a fait la fatale experience des desordres inseparables , d'abord de
I'absence de tout gouvernement , et ensuite d'une organisation
sociale trop faible pour ne pas s'eteindre ou pour ne pas devenir
usurpatrice (9). » Chabot, refutant les theories subtiles emprun-
tees a la Constituante , fit remarquer que toute I'organisation
alors etablie avait disparu : « Le gouvernement, tel qu'il est cons-
titue en France , n'est-il pas a lui seul le pouvoir executif ? 11 re-
sulte de ce que le gouvernement est seul charge de faire executor
les lois, que c'est a lui de rechercher et de faire poursuivre les
crimes et les delits qui sont des violations des lois (10). » Enfm,
(1) l«r pluvi6se , Arch, pari., loc. cit., p. 119.
(2) 2 plavi6se, Arch, pari., p, 141.
(3) 3 plaviose, Arch, pari., p. 145.
(4) ler pluviose, Arch, pari., p. 123.
(5) 2 pluviSse , Arch, pari., p. 139.
(6) 3 pluvi6se, Arch, pari., p. 149.
(7) 3 pluviose , ibid.
(8) Seance du 2 pluviSse, Arch, pari., p. 133-134.
(9) Goupil-Prefeln, 3 pluviSse, Arch, pari., p. 145.
(10) Stance du 3 pluvifise, p. 146; Cf. Goupil-Prefeln, p. 145. « Je demande
a quoi servirait au gouvernement le pouvoir de poursuivre I'accusation devant le
4S6 LES LOIS
Gillet demontrait avec une grande force les dangers de I'accusa-
tion populaire qu'on avait voulu introduire dans notre droit :
« on s'effraie a I'idee de confier a I'avenir Taction et la poursuite
des delits a trois cents fonctionnaires et Ton ne s'effraie pas de
songer que cette action existe a present dans les mains de trois
millions d'hommes. » Chose remarquable, deux orateurs met-
taient la reconstitution du ministere public sous la protection du
grand nom de Montesquieu. L'autorite de I'auteur de VEsprit des
Lois, affaiblie pendant la tourmente, etait plus grande que ja-
mais (1).
Le mandat de dep6t rencontra de plus fortes resistances. C'etait
une creatioQ nouvelle, c'etait I'inconnu; plusieurs orateurs ne
le voyaient qu'avec defiance , et en verite on doit reconnaitre que
leurs craintes etaient bien fondees , si Ton songe a la grande for-
tune qu'a eue ce dernier-ne des mandats de la procedure crimi-
nelle. On demandait au moins que la loi definit exactement les
formes de ce nouveau mandat (2). Gillet, il est vrai, defendit
tres-habilement le projet : « Le mandat de depot , dit-il , est un
mot nouveau dans le Code criminel, mais la verite c'est que la
chose n'est pas nouvelle. L'instruction preparatoire , entre I'ins-
tant oil I'inculpe est saisi et celui ou le mandat d'arret est
delivre, n'est pas toujours si simple et si facile qu'on y puisse
vaquer sur-le-champ et tout d'une haleine... Or, pendant tout cet
intervalle, il serait plus qu'imprudent de laisser I'inculpe en
liberte... le meme officier de police exerce done des a present sur
la personne de I'inculpe trois pouvoirs bien distincts : 1° il de-
cerne le mandat d'amener ; 2" il ordonne que I'inculpe sera pro-
visoirement retenu dans le cours de l'instruction dans le lieu qu'il
jury de jugement si la recherche et la poursuite devant les juges charges del'ins-
truction, etaient devolues a des fonctiosDaires ind^pendants delui. u
(1) Caillemer : seance du 2 pluviflse (p. 138). Gillet : stance du 3 pluvifise. II
est curieux d'observer que Chabot demande pour les juges le droit de se saisir
directement, comme jadis : « J'ai annonc6 une seconde observation g^nerale sur
I'ensemble du projet de loi , elle porte sur ce que le projet ne laisse pas au pou-
voir judiciaire le droit de rechercher et de poursuivre les dilits dans les cas oil
les agents du gouvernement negligent ou refusent de faire les recherches ou pour-
suites (p. 148). »
(2) Coste, 1" pluvidse, p. 120; Chabot, 3 pluvi6se, p. 148.
DE LA REVOLUTION. 4S7
indique, et c'est ce qu'on peut appeler mandat de dep6t; 3" il
decerns le mandat d'arrfit. Ces officiers 6tant repandus dans une
multitude de communes ou il n'y a pa^ de maison d'arret , il ar-
rive qu'ils font souvent deposer I'inculpe tant6t dans un corps de
garde, tantot dans une auberge, souveilt dans I'ancienne prison
seigneuriale , et quelquefois meme jusque dans le clocher du vil-
lage... Suivant I'article 7, le prevenu ne peut plus etre depose
que dans la maison d'arret, et sous ce rapport, le mandat de de-
pot altribue au ministere public , est deja bien moins irregulier et
bien moins alarmant que ces ordonnances de retenue provisoire,
qui emanent des juges de paix (1). » Ainsi le mandat de dep6t
n'etait, dans Topinion des legislateurs , qu'un moyen de regula-
riser une pratique j usque-la illegale, mais inevitable. G'etait, dans
tons les cas , une mesure necessairement provisoire et de courte
duree; et Ton pouvait s'expliquer que la loi, en le remettant aux
mains du ministere public, n'exigeat pas qu'on y inscrivit, comme
dans le mandat d'arret, le motif de I'arrestation (2).
Le secret introduit dans I'instruction preparaloire fut vivement
conteste. On sentait qu'il y avait la une mesure grave; et, en
effet, nous sommes encore sous le coup de la decision qui fut
prise aJors. C'est Ganilh qui fut I'opposant le plus energique. II
montra, et c'etait tres-exact, qu'on abandonnait acet egard, non-
seulement les regies des Codes de 1791 etde I'an IV, mais encore
celles de la loi de 1789 : « Aujourd'hui on vous propose, non-
seulement de faire ecrire les depositions , mais de les faire ecrire
en secret , lors meme que I'accuse est arrete et peut etre present ;
on vous propose de retablir une partie de la procedure secrete , de
cette procedure odieuse dont tous les Cahiers des bailliages de
mand&rent la suppression , et qui , avant I'institution du jury, ne-
cessita I'adjonction de deux notables dans chaque information. On
vous propose de baser sur cette procedure occulte et tenebreuse
' la decision du jury d'accusation, et d'infecter notre procedure cri-
minelle , un des plus grands bienfaits de la Revolution , d'un des
plus grands vices de la procedure criminelle de la Monarchie ! Ce
(1) Seance du 3 pluvidse, p. 156-157.
(2) Selon Challan (seance du I" pluvi6se, p. 124), cette formality e(it cepen-
dant dQ 6tre remplie.
458
LES LOIS
melaage impur ne peut pas se faire , uu obstacle eternel s'y op-
pose : il ne peut y avoir d'alliance entre les formes oppressives
de la Monarchie et les fqrmes protectrices de la Republique , ces
formes se repoussent naturellement et ne peuvent concourir au
meme but (1). » Ces paroles sont remarquables. C'6tait bien au
systeme de I'Ordonnance qu'on revenait ici ; on s'en separait en-
core par un point important, la communication des charges au
prevenu apres son interrogatoire , mais cette difference allait dis-
paraitre au bout de peu d'annees. II est parfaitement sur qu'on
tendait vers un systeme composite , qui emprunterait a I'Ordon-
nance Finstruction preparatoire, et aux lois de I'epoque interme-
diaire la procedure devant les juridictions de jugement. Ce me-
lange etait possible, quoiqu'en dit Ganilh, et I'experience I'a bi^
prouve.
Voici comment , le rapporteur Thiesse, justifiait la disposition
nouvelle : « La methode actuelle est plus genereuse sans doute,
mais conduit-elle plus surement a la manifestation de la verite?
Votre commission ne I'a pas pense. Dans les premiers moments
la situation du temoin en presence de I'accuse est penible ; et il
a besoin de calme et de confiance pour deposer ce qu'il sait dans
le sein du magistral ; le moment du debat , qui n'est pas encore
arrive, viendra. Les temoins, I'accuse entreront alors dans toutes
les explications necessaires , soit a la conviction du crime , soil a
la manifestation de I'innocence. Jusque-la les declarations- comma
les interrogatoires peuvent 6tre recueillis par le magistral. L'in-
nocence n'y peut perdre et la verite peut y gagner. Les memes
observations doivent avoir lieu sur I'article 10 qui oblige le pre-
venu de repondre avant de connaitre les charges , et qui oblige a
son tour le magistral instructeur, non-seulement de les lui faire
connaitre apres rinterrogatoire , mais encore de recevoir toutes
les reponses qu'il voudra faire ensuite sur les charges. Le pre-
mier interrogatoire doit ainsi constituer la verite , le second re-
parer les surprises (2). » Gillet presentait des observations ana-
logues : « Ce qui arrive le plus frequemment c'est que le prevenu
(1) stance du 2 pluvi6se, p. 137.
(2) Stance du 24 veat6se , p. 94.
DE LA REVOLUTION. 4S9
n'est pas present quand les temoins deposent devant I'officier
de police, et de cela il y a une bonne raison, c'est que I'informa-
tion doit preceder le mandat d'amener, et que quand les temoins
viennent I'inculpe n'est pas encore venu. Si pourtant il arrive
que I'inculpe soit present, si des ce premier instant, ofi les charges
commencent a se produire, il a les yeux et les oreilles sur les
temoins qui les developpent, la verite en souffre de grandes
altSrations. Le temoin s'intimide et s'explique avec moins de
confiance et de franchise... Les reponses mensongeres s'ajustent
a mesure et avec facilite, suivant le besoin de chacune des
charges qui viennent d'eclore... La marche (nouvelle) est fran-
che puisqu'en la suivant I'inculpe a toujours et necessairement
connaissance des charges avant le mandat d'arret et que toute
facilite lui est laissee pour les repousser (1). » Depuis 1789 le
point de vue avail change; I'interet de la poursuite passait main-
tenant avant les droits de la defense.
De toutes les modifications qu'introduisait la loi nouvelle, la
plus vivement discutee fut celle qui substituait la procedure
ecrite a la procedure orale devant le jury d'accusation. Cela
pent surprendre d'abord , car elle nous parait aujourd!hui la
moins grave. Depuis lors, nous avons efface de nos lois le jury
d'accusation et personne n'en demande le retablissement. En
Angleterre raeme, son pays d'origine, il se maintient plus par
la force de la tradition que par I'approbation publique. Mais on
s'explique cette resistance , si Ton songe que c'etait une premiere
atteinte portee au systeme de preuves etabli en 1791 : « Sans
les depositions orales des temoins, disait Chabot, et avec des
pieces eerites, il n'y a pas reellement de jury d'accusation. On
ose soutenir que les preuves eerites peuvent suffire aux jures ,
mais c'est evidemment recommencer le proces entre les preuves
legales et les preuves morales , c'est deja mettre en probleme,, si
la procedure par jures est preferable a I'Ordonnance de 1670,
si enfln la sublime institution du jury doit etre conservee ou de-
truite. » Et le meme orateur invoquait son experience person-
nelle de magistrat : « Commissaire pres d'un directeur du jury,
(I) Stance du 3 plavi6se, p. 158.
460 LES LOIS
j'ai assiste pendant trois ans a des assemblees du jury d'accusa-
tion, et je certifle que souvent j'y suis entre sans avoir pu me
former une opinion flxe sur le fond de I'affaire , et que s'il m'a-
vait fallu, sur la simple lecture des pieces, remplir les fonctions
de jure, j'aurais eprouve des doutes cruels... il est rare que je ne
sois pas sorti de ces assemblees plus instruit sur le fond de I'af-
faire que je ne I'etais auparavant (1). » — « Allez , disait un
autre orateur, chez tons les peuples qui ont le jugement par
jures, c'est-a-dire chez tons les peuples libres, (car la liberie et
cette institution sainte marchent invariablement ensemble,) inter-
rogez les Anglais , les Americains , remontez jusqu'au temps oi
les Remains avaient encore des jures, et demandez a tous ce
qu'ils pensent d'une deposition ecrite (2). »
Mais une consideration fut d'un grand poids dans le sens du
projet : c'est que devant le jury d'accusation 1' accuse n'etait pas
present. Supprimer les depositions orales , c'etait rendre la partie
plus egale. C'est ce que firent ressortir Challan (3), Caillemer (4)
et Gillet , qui ajouta d'autres observations d'une valeur pratique
assez grande : « II n'est pas bon que les depositions qui sent a sa
cbarge (de I'accuse) paraissent vivantes, comme on I'a dit, de
toutes les sensations qui les rendent expressives , tandis que ce
qui est a sa decharge ne parait qu'avec I'expression de I'ecriture...
II est dans le cceur humain une eternelle et incurable maladie qui
fait qu'on vent toujours etendre son pouvoir hors de ses justes
limites; c'est pourquoi il arrive souvent que malgre tous les
soins du magistrat qui dirige les jures, ceux-ci sont tentes a I'insu
de leur propre conscience de se substituer a la place des jures de
jugement, et qu'en effet ils deliberent avec les memes raisonne-
ments , sur les memes motifs , que s'ils avaient le jugement a pro-
noncer. La methode proposee leur laissera une illusion de moins
pour se meprendre... La fonction des temoins en matiere crimi-
nelle devient dans I'etat actuel une charge tres-onereuse, puis-
qu'elle exige trois deplacements au moins et jusqu'a cinq si I'acte
(1) Stance du 3 pluvifise , p. 152.
(2) Boutteville : seance du 2 pluvidse, p. 14S.
(3) lorpluvifise, p. 125.
(4) 2 pluvidse.p. 140.
DE LA REVOLUTION. ~ 461
(^'accusation est anaule... Ton doit s'applaucjir d'avoiraprononcer
une suppression , qui soulage tout a la fois et le tresor public et
les-citoyens (1). »
Au Corps legislatif, les orateurs du gouvernement et du Tribunat
developperent les memes considerations. La loi y fut adoptee par
226 boules blanches centre 48 noires. Nous avons beaucoup in-
siste sur cette loi du 7 pluvi6se ; cependant nous ne croyons pas
avoir depasse la juste mesure. EUe est en effet tres-importante en
ce qu'elle forme la transition naturelle et necessaire entre les co-
des de I'epoque intermediaire et le Code d'instruction criminelle.
Elle marque I'instant oti le cours des idees communes change de
direction. Avec elle rentrent dans notre legislation quelques-uns ,
des principes enregistres dans I'Ordonnance de 1670 et qu'avait
repudies la > Revolution. Cet element ainsi introduit a nouveau,
s'unira aux regies sur le debat oral et public a jamais consacre
devant les juridictions de jugement ; et ce sera la loi moderne.
L'an IX vit paraitre une autre loi , qui , pour ne contenir que
des mesures transitoires , n'en etait pas moins d'une tres-grande
importance. Elle repondait au besoin de securite qui alors passait
avant tons les autres , et elle etait empruntee en grande partie
aux traditions de I'ancien droit. En terminant la discussion de
la loi du 7 pluviose devant le Tribunat, Thiesse faisait clairement
allusion a cet autre projet ; il declarait que « c'est pour avoir ne-
glige de donner a la recherche et a la poursuite des cHmes toute
I'activite necessaire , qu'on a souvent recours a des institutions
extraordinaires , toujoui-s infiniment dangereuses. »
II.
La passion politique , le terrible courant qui saisissait tout
alors , avait entraine le jury a la derive. Cela fut constate de la
facon la plus nette dans la discussion solennelle a laquelle donna
lieu en Fan IX le projet de loi sur les tribunaux speciaux : « Le
jury, dit Jean Debry, etait de la faction qui dominait; ses ju-
gements en prenaient religieusement la couleur; ce n'etaient
(1) stance du 3 pluvWse, p. 159.
462 LES-LOIS
point les faits , c'etaient les opinions des personnes qui parlaient
a sa conscience egaree, II faudra peut-§tre beaucoup de temps
pour lui rendre ce caractere d'impartialite qui seul commande
la veneration et rassure I'innocence (1). » — « Jusqu'ici, dit Cha-
zal, on a pris le premier venu pour jure,. les passions revolution-
naires ont envahi la fonction; jusqu'ici le jugement par jures
n'a ete ni le jugement de Dieu, ni le jugement du peuple, ai le
palladium de la liberie; il n'a ete d'ordinaire que le jugement
d'un groupe d'ignorants, et dans tons les temps de factions,
I'iniquite scandaleuse des factieux acquittant sans pudeur leurs
complices les plus scelerats, egorgeant sans remords leurs en-
nemis; c'est bien la ce que nous avons vu (2). » — « Les jurys
temporaires de I'an II n'ont pas ete moins feconds en egorge-,
ments que le jury perpetuel du tribunal revolutionnaire. Le
jury septembriseur, qui prononca I'absolution de ses complices ,
etait legalement constitue; les jurys de la reaction, sous la pro-
tection desquels on a longuement et impunement assassine les
republicains , etaient legalement constitues ; les jurys des depar-
tements de I'Ouest et du Midi , qui absolvent tous les coupables ,
meme pris en flagrant delit, sont encore legalement consti-
tues.... Aussitot que I'accusation et la defense prennent un
caractere politique et s'adressent aux passions , le jury devient
terrible a I'innocence, il est la sauvegarde des brigands (3). »
Cette funeste influence des passions politiques sur le jury fat
constatee de nouveau dans le conseil d'Etat de I'Empire, lors
de la discussion du Code d'instruction criminelle (4) ; mais elle
n'aurait pas suffi a elle seule ei creer un etat persistant d'inse-
curite (5); le jury aurait bientdt repris son assiette s'il ne
s'etail trouve aux prises avec un fleau que, par sa nature meme,
(1) Stance du 5 pluvifise, p. 190.
(2) Stance du 6pluvi6se, p. 204. Cf. 13 pluvifise, p. 2T7.
(3) B^renger, 14 pluvifise, p. 301.
(4) Stance du 30 Janvier 1808. (Locri, tome XXIV, p. 578-580). Seance du
8 brumaire an VII {Locri, tome XXFV, p. 439. Voy. aussi tome XXV, p. 580.)
(5) « Chez nous depuis la K^vxlution le jury n'a bien justifi^ les esp^rances
qu'on en avait con^ues que relativement a la repression des d^lits ordinaires, tels
que le meurtre, le vol, I'incendie, etc.; chaque fois que ces crimes se pr^sentent
les jures sont inexorables. » Delpierre, au Tribunal, 7 pluvifise, p. 216.
DE LA REVOLUTION. 463
il etait impuissant a combattre ; nous voulons parler du brigan-
dage.
Les premiers germes en existaient deja, et fort developp6s
dans I'ancienne monarchie. Des travaux recants out montr6
combien de miserables , braconniers, contrebandiers , vagabonds,
etaient en lutte ouverte contre I'ordre social (1); et, pour cer-
taines contrees du moins , des documents officiels de date post6-
rieure montrent que le mal remontait fort loin. Voici ce que dit
pour le Midi I'un des commissaires envoyes en I'an IX par le
premier consul, pour faire une enquete generale sur I'elat du
pays : « II serait injuste d'attribuer a la Revolution tous les
crimes qui se sont commis depuis dix ans dans ces malheureux
pays. On pent seulement dire qu'elle a trouve des elements plus
favorables a tous les desordres, et que les divers interregnes
des gouvernements et I'absence ou la faiblesse de I'autorite
publique ont laisse prendre un caractere plus general et plus
etendu aux mayx qui elaient autrefois plus rares et plus circons-
crits(2). » Ces paroles sont d'une rare justesse. La destruction de
I'ancienne organisation , les incertitudes et la faiblesse des nou-
veaux pouvoirs, I'anarchie, les passions ardentes, fournissaient un
milieu merveilleusement propre au developpement de ces germes
funestes. Bientot la guerre civile et la guerre etrangere vinrent
fournir a la grande armee du brigandage de nouvelles et terri^
bles recrues. Ou les deserteurs pouvaient-ils trouver un meil-
leur refuge? Et parmi ceux qui prenaient les armes au nom d'un
principe politique , combien etaient aussi tentes par le pillage ,
et une fois la guerre civile terminee, continuaient pour leur
propre compte k tenir la campagne? « L'origine de ce brigan-
dage (dans les Alpes-Maritimes) vient, dit-on, du licenciement
de plusieurs compagnies militaires appelees compagnies de Bar-
bets; quant a I'accroissement du brigandage qui a eu lieu de-
puis la reunion , on pent I'attribuer a deux causes : un passage
plus frequent des voyageurs et surtout des Francais allant en
(1) M. Taine, Les origines de la France contemporaine ; I, L'ancienrigime, p. 498,
ssq.
(2) Rapport de Francais de Nantes , chargi de Vinspection de la 8" division mili-
faire. (F. Roc^uain : L'itat de la France au 18 brumaire, p. 4.)
464 LES LOIS
Italie, et aux vexations essuyees par les habitants de la part
des troupes , soit dans leurs personnes , soit dans leurs proprie-
tes (1). » En Bretagne, « outre le parti Chouan, il y a des bri-
gands qu'il n'est pas facile de distinguer d'eux; on voit dans
Ips unes et les autres de ces bandes des Autrichiens , deser-
teurs de ce corps, ofi on les avait enregimentes (2). » — « Quel-
ques chefs d'anciens revoltes de la Vendee se sont mis a la tete
de mauvais sujets de ces departements , de deserteurs, d*ou-
vriers sans occupation, et pillent les voitures sur les routes
et dans les bois... C'est un reste des guerres civiles et des trou-
bles interieurs; c'est I'ecume de la Revolution (3). » Dans le
Centre , les causes du brigandage selon Lacuee sont : « la mau-
vaise organisation des maisons de correction , les deserteurs ,;
les conscrits, le defaut de police sur les routes et dans les
campagnes, le vagabondage, la mendicite, la facilite du port
d'armes (4). » M. Thiers parle de « cette race de brigands qui
s'etait formee des debris des armees et des soldats licencies des
guerres civiles , » — « les Chouans , les Vendeens restes sans
emploi depuis la fin de la guerre civile, et ayant contracts des
goilts que la paix ne pouvait satisfaire , ravagerent les grandes
routes de Bretagne, de Normandie et des environs de Paris;
les refractaires , qui avaient voulu echapper a la conscription ,
quelques soldats de I'armee de Ligurie, que la misere avait
pousses a deserter, commettaient les memos brigandages sur les
routes du Centre et du Midi (5). » C'etaient les grandes compa-
gnies qui menagaient de se reformer. Enfin, I'extreme misere
favorisait puissamment ces desordres : « La misere dans ces
departements (il s'agit de la Bretagne , et c'est un des missi de
I'an IX qui parle) est extreme , les marins y sont sans emploi
ou sans salaire, les artisans, les ouvriers en toile out cesse de
(1) Rapport de Frangais de Nantes. F61ix Rocquain : L'itat de la France, p. 14.
(2) Rapport de MailU-Marbois , du 13 niv6se an IX, sur I'Stat de la 13e divi-
sion militaire. — F. Rocquain, op. cit., p. 121.
(3) Rapport de Fourcroy, du 13 niv6se an IX, sur I'etat de la 12n division mi-
litaire. — F. Rocquain, op. cit., p. 146.
(4) Rapport sur la premiire division militaire. — F. Rocquain , op. cit., p. 253.
(5) Histoire du Consulal el de I'Empire, torn. 11, p. 161.
DE LA. EE VOLUTION. 463
travailler, faute de debouches , ou parce que le prix excessif du
pain et la disette du ble noir ne permettent plus d'employer des
journaliers. Ces causes, qui subsisteront longtemps, offriront
aux chefs des brigands des moyens assures d'entretenir les forces
de leur parti (1). »
Ce fleau, toujours grandissant, demandait des mesures ex-
ceptionnelles : les lois ordinaires ne sont point faites pour ces
situations extremes, dans lesquelles recommence la lutte pour
la vie. D'abord , la loi du 26 floreal an V vint punir de mort les
vols prevus par les articles 2 et 3 (IP part., tit. ii, sect. 2) du
Code penal de 1791 , lorsqu'ils etaient accompagnes de I'une des
circonstances suivantes : « 1° Si les coupables se sont introduits
dans la maison par la force des armes; 2° s'ils ont fait usage
de leurs armes dans la maison centre ceux qui s'y trouvaient ;
3° si des violences exercees sur ceux qui se trouvaient dans la
maison ont laisse des traces telles que blessures, brulures ou
contusions. » Ce qui avait provoque cette loi, c'etaient les odieu-
ses pratiques des chauffeurs , le Directoire executif 1' avait declare
en sollicitant cette mesure le 11 frimaire an V : « Des voleurs,
signales sous le nom de chauffeurs, se repandent dans plusieurs
departements et desolent les villes et les campagnes. Ce ne sont
pas des malfaiteurs isoles..., ce sont des brigands reunis par
bandes, organises sous des chefs, marchant d'apres des ins-
tructions , formant enfin , au milieu de la societe , une sorte de
confederation armee, pour la detruiredans ses elements (2). »
Rousseau fut le rapporteur du projet au Conseil des anciens , et
se donna beaucoup de mal pour justifier cette rigueur d'une evi-
dente necessite. Muraire fit meme adopter Tajournement du vote;
le projet fut cependant vote le 26 ftoreal. Mais c'etait une mesure
completement insuffisante ; on allait voir se verifier une fois de
plus I'axiome de Montesquieu , que I'effet preventif est produit
non par la rigueur, mais par la certitude de la peine.
Pour poursuivre et juger ces brigands, quels magistrats etaient
designes par la loi? des juges de paix et des jures, des fonction-
(1) Rapport de BarbS-Marbois. — Rocquain, op. cit., p. 122.
(2) Journal des D4bats , n" 566.
30
466 LES LOIS
naires timides et des citoyens craintifs. Entre le jury et le bri-
gandage , la partie n'est pas egale ; c'est une verite que de nos
jours a reconnue I'ltalie. Citons quelques temoignages interes-
sants tires des rapports et des discussions de I'an IX : « Dans le
Midi, les juges de paix sont excessivement mauvais, on se plaint
dans les quatre departements des jurys d'accusatioh et de juge-
ment, ils sont detestables par leur ignorance (1). » — « Pouvez-
vous vous dissimuler que si vous soumettez a la procedure
ordinaire les brigands qui ne cessent d'attaquer les voitures
publiques , de tuer les soldats et les citoyens , I'impunite leur
est presque assuree , soit par les vices qui embarrassent encore
I'institution du jury, soit par Teffet de la terreur qu'inspirent
ces hordes errantes (2)? » — « Invoquez-vous les jurys, les tribu-
naux ordinaires? Eh bien! tribuns, parcourez avec moi ces tribu-
naux dans plusieurs departements de la Republique. Ici vous
verrez d'un c6te d'audacieux brigands, converts de crimes,
encore teints du sang de leurs victimes , insultant aux juges,
menacant les temoins , narguant le jury et bravant I'echafaud.
La des temoins dans la stupeur, muets, immobiles; plus loin des
jures plus occupes d'assurer les moyens de leur retour que d'en-
tendre des debats insignifiants, places entre la necessite d'ab-
soudre des coupables ou de se livrer aux vengeances de leurs
complices. Passons dans un autre departement. Ici le jury se
compose uniquement entre les citoyens renfermes dans 1' enceinte
de la ville ; il est impossible d'en reunir d'aucune autre partie du
departement. Les jures, les temoins aiment bien mieux se laisser
condamner a une amende pecuniaire, que de s'exposer sur les
routes a des amendes bien autrement sirieuses , puisqu'elles
sont imposees par le crime, non pas sur la fortune seulement,
mais aussi sur la vie. Ajoutons d'autres faits resultant de la
situation des choses. Sachez done qu'elles sont telles, que des bri-
gades de gendarmerie entieres ont donne leur demission , parce
qu'apres s'etre battues centre des brigands, apres avoir dans ces
actions hasarde leur vie , verse leur sang , rempli I'attente de la
(1) F. Rocquain, op. cit., p. 25. Rapport de Frangais de Nantes.
(2) TrouvS, au Tribunal, 7 pluvifise an IX. Arch. parUment., torn. II, I'o partie,
p. 130.
DE LA REVOLUTION. 467
patrie, des jurys impuissants ont renvoye absous des brigands
saisis les armes a la main (1). » Le 18 frimaire an IX, le minis-
tre de la police generale ecrit au premier Consul : « Si les vols
de diligences n'ont pas encore cesse, si le pillage des fonds pu-
blics continue , la faute n'en pent etre imputee au ministere de la
police. Les prisons des departements sont toutes remplies de .
brigands , et il ne s'est guere commis un attentat qui n'ait ete
suivi de la mort ou de I'arrestation de quelques-uns de ses au-
teurs. Si ces desordres n'ont pas encore un terme , il faut le dire
avec courage, c'est que beaucoup de tribunaux et les jures ne
remplissent pas leur devoir. Des scelerats pris les armes a la
main ont ete acquittes et mis en liberie par les tribunaux (2). »
Le besoin de tribunaux d'exception etait incontestable, mais
on proceda par mesures successives, generalement insuffisantes.
Une loi du 30 prairial de I'an III avait attribue le jugement des
Chouans, Barbets, et autres, aux tribunaux militaires. Une autre
loi du 1'' vendemiaire an IV decida que « les rebelles , ceux
connus sous le nom de Chouans, ou sous toute autre designation,
et tons ceux designes par I'article 3 de la loi du 30 prairial ,
seraient jugeS par les conseils militaires etablis par la loi du
deuxieme jour complementaire (3) ; » c'est-a-dire par les conseils
de guerre. II s'agissait surtout des rebelles dans ces dispositions
assez vagues , qui furent confirmees par le Code des delits et des
peines (4). ,
En Fan VI on fit plus ; on voulut organiser d'une facon com-
plete des juridictions d'exception , determinant nettement leur
competence et la procedure suivie devant elles. La loi nouvelle
specifiait les crimes par lesquels se realisait le brigandage et les
punissait de mort (art 1 a 6); puis elle decidait que pour ces
fails, soumis en principe aux tribunaux ordinaires, s'ils avaient
ete commis par un rassemblement de plus de deux personnes ,
(1) Roujouai, au Tribunal le 14 pluviSse, Arch, parlem., p. 300; cf. Carret, 13
pluviase, p. 277; Garat, 13 pluvi6se, p. 296; Delpierre, p. 216.
(2) Dftcours d'flonore Duveyrier, orateur du tribunal au Corps Ifigislatif. 17
pluvi6se an IX, Arch, parlem., p. 308.
(3) Voir le Rapport de Dubois-Dubay : Jownal des DihaU, vendSmiaire an IV,
B" 1093, p. 5.
(4) Art. 598.
468 LES LOIS
les prevenus, complices, fauteurs et instigateurs seraient tra-
duits devant les conseils de guerre. Le mandat d'amener pouvait
alors ^tre decerne par le directeur du jury, le juge de paix, le
commissaire de police, I'agent municipal ou radjoint dans les
communes au-dessous de cinq mille habitants , enfin par les
offlciers de gendarmerie , avec pleine concurrence entre tous ces
fonctionnaires (art. 9) (1). Pour bien determiner la' competence ,
11 y avait un reglement analogue a celui pratique -jadis dans les
juridictions prev6tales, reglement fait par un magistrat civil ,le
directeur du jury. (Art. 11 ; cf. Art 12 a 16); ce magistrat pro-
cedait dans tous les cas a I'instruction preparatoire (2).
Le projet de loi fut presente par Roemers au conseil des Cinq-
Cents , oil plusieurs de ses dispositions furent attaquees. « Le
nom seul de commission militaire fut une cause d'effroi , dit un
orateur.... Craignez de confier la juridiction civile aux militaires,
et de rappeler un regime abhorre, avec lequel il faut eviter la
ressemblance (3). » La loi fut cependant votee par le conseil
des Cinq-Cents le 19 ventose an VI, et approuvee par les Anciens
le 29 niv6se. Elle fut renouvelee en brumaire an VII, mais elle
ne le fut pas en I'an VIII, Les commissions militaires , qui ju-
gaient les brigands, ne disparurent point pour cela ; elles subsis-
terent, se fondant sur la loi du 30 prairial an III (4).
Mais cette juridiction meme ne pouvait produire de bons effets
que lorsqu'elle serait appuyee par la force materielle ; c'etait
reellement la guerre qu'il fallait faire aux brigands. Des expedi-
tions executees par des colonnes mobiles etaient necessaires.
En attendant , les choses en etaient a ce point qu'il fallait armer
les conducteurs de voitures publiques et les faire escorter par
des soldats. On manquait de troupes : « Ces brigands avaient
choisi pour se repandre le moment oii les armees portees presque
(1) Voyez aussi Tart. 10.
(2) La mesure ^tait d'ailleurs temporaire. « Art 22. Elle ne sera exicutie que
pendant une ann^e , a dater de sa promulgation par rinsertion au Bulletin des
his; aprfes ce temps, elle sera abrogfie de droit si elle n'est renouvelfie par le
Corps 16gislatif. »
(3) Journal des Dihats, floreal an VI, n" 240, p. 154.
(4) Savoye-RoUin au Tribunal, 13 pluvifise an IX. {Arch, parlem., p. 284.)
DE LA REVOLUTION. 469
toutes a la fois au dehors , avaient prive I'interieur des forces
necessaires a la securite (1). » Eu I'an VIII , le mal etait a son
comble, et un document officiel le decrit de la fagon la plus
precise : « Des communes entieres sont victimes de leurs devas-
tations (des brigands) et de leur cruaute... Tons ces departe-
ments soUicitent de prompts secours d'liommes, d'armes et de
munitions. lis leur ont ete souvent promis, mais on ne leur en a
accorde jusqu'ici que d'insuffisants (2). »
Le premier Consul voulut etre ce destructeur de brigands que
la France appelait depuis longtemps, que Ton invoquait alors,
que Ton celebra plus tard en allusions mythologiques (3). De
nombreuses colonnes parcoururent les pays infestes , et a leur
suite des commissions militaires jugeaient les prisonniers : " le
premier Consul avait institue des commissions militaires a la
suite des colonnes mobiles qui poursuivaieat le brigandage
Ces commissions militaires avaient deja produit en pluvi6se an
IX de salutaires efFets. Les juges en habit de guerre, qui les
composaient , ne craignaient pas les accuses ; ils rassuraient les
temoins charges de deposer et souvent ces temoins n'etaient
que les soldats eux-memes qui avaient arrete les brigands et les
avaient pris les armes a la main (4). »
Mais il faut reconnaitre que cette repression avait ete quelque
peu irreguliere et singulierement expeditive. Voici ce que cons-
tate Fraacais de Nantes dans son rapport deja cite : « Le resul-
tat des commissions militaires depuis I'arrete du 29 frimaire
(qui les instituait dans le Var et les Bouches-du-Rh6ne) jus-
qu'au 30 germinal suivant, c'est-a-dire durant quatre mois, a
consiste en vingt-trois brigands fusilles et pris les armes a la
(1) Thiers : Le Consulat et I'Empire , torn. Ill , p. 287.
(2) Bisumi des comptes rendus au MinisUre de I'lntirieur par les commissaires
du Directoire exiculif pris les administrations centrales des dipartements , public
par M. Rocquain, op. cit„ p. 377.
(3) « Les peuples de la Grfece elevaient des autels aux h6ros qui les dfilivraient
des brigands. » (Discussion au Consell des Anciens en I'an VI.) — « II ne fallat
rien moins que la main pulssante de I'Hercule moderne, qui arriva a notre secours,
pour exterminer les brigands et empScher la ruine de Tedifloe social. » [Exposi
des motifs du livre II, tit. II, du Code d'instruction crimin., Locri, torn. XXVIII ,
p. 52.)
(4) Thiers : Le Consulat et I'Empire, torn. Ill, p. 339.
470 LES LOIS
main; cent soixante fusilles apres instruction du proces et juge-
ment; cinquante-huit mis en liberte; sept renvoyes devant las
juges ordinaires; un renvoye au bagne de Toulon; cinquante
renvoyes comme tres-suspects devant le general commandant
de la division, lequel demande I'autorisation de les deporter. II
y a eu deux femmes receleuses et complices des brigands qui
ont ete condamaees a mort (1). » Plus loin il deplore « la fagon
dont la force armee a ete employee contre les brigands. Les
colonnes des eclaireurs ne paraissaient point dans una commune
sans y exercar qualque pillage. Les chefs qui les dirigeaient
semblaient n'avoir d'autre but que de gagner de I'argent... Des
individus, arretes comme Barbets, ont ete fusilles sans etre
juges, soit par haine personnelle, soit parce qu'ils n'ont pas
donna la somma demandee... La plupart de cas faits sont no-
toires dans le departement (2). » En Bretagne, Barbe-Marbois
demande aussi qu'on mette « un frein a la trop granda facilite
avec laquelle les gendarmes tirent sur les fuyards qu'ils pour-
suivent, et encore plus aux executions de caux qu'ils ont attaints
et arretes, fussent-ils notoirament coupables. II y a des exemples
da ces executions, mais on doit dire qu'ils sont raras. II n'en
faut plus souffrir une seule , et I'institution des tribunaux d'ex-
ception en fait cesser le pretexta (3). »
III.
La Gouvernement allait en effet demander I'etablissement de
tribunaux d'axcaption. lis etaient generalement reclames par les
prefets (4) ; et s'il fallait pour les brigands une juridiction excep-
tionnelle, il la fallait au moins reguliere. La proposition semblait
done etre faite dans des conditions tres-favorables. L'etat de la
France , pour s'etre ameliore , etait loin d'etre satisfaisant. Les
quelques traits , par lesquels nous avons cherche a depeindre le
(1) Rocquain, op. cit., p. 69.
(2) Ibid., p. 15; cf.pp. 5, 6.
(3) Ibid., op. cit., p. 126.
(4) Ibid., p. 5, 19.
DE LA REVOLUTION. 471
fleau du brigandage, sont empruntes, pour la plupart, aux rap-
• ports des conseillers d'Etat envoyes en mission en I'an IX, ou
aux discussions qui eurent lieu au Tribunal la'mSme annee (1).
Le projet relatif a I'etablissement d'un tribunal criminel spe-
cial, fut presente au Tribunal, avec un habile expose des molifs
redige par Porlalis , le 17 nivose an IX (2). D'apres ce projel, le
Gouvernemenl avail le droil d'elablir, dans les departemenls oii
il le jugerail necessaire, des Iribunaux criminels speciaux (arl. 1).
Ces juridictions etaient composees du President et des deux
juges du tribunal criminel , de Irois mililaires ayanl au moins le
grade de capilaine, et de deux citoyens ayanl les qualites re-
quises pour lire juges. Ces cinq dernieres personnes etaient
nommees par le premier Consul (art. 2). On croit voir revivre
les prevols des marechaux et leurs assesseurs. La competence
des Iribunaux speciaux rappelait de plus pres encore celle des
anciennes cours prevotales. Nous Irouvons dans la loi de I'an IX
tous Ifes fails que visait la Declaration du 5 fevrier 1731 ; d'abord
les cas privdtaux par la qualite des accuses , c'est-a-dire les crimes
commis par les vagabonds el gens sans aveu , ou par les repris
de justice non rehabilites (art. 6 et 7) ; le vagabondage , propre-
menl dit, el I'evasion des detenus (art. 7) ; — puis les cas prevd-
taux par la nature du crime : les vols sur les grandes routes ou
avec violences , voies de fail el aulres circonstances aggravanles
du delil (arl. 8) ; les vols dans la campagne et dans les habita-
tions et b§,timenls de campagne, lorsqu'il y aura effraction...
ou lorsque le crime aura ete accompli avec port d'armes ou par
una reunion de deux personnes au moins (art. 9) ; la fausse
monnaie (arl. H) ; les rassemblements sedilieux, lorsque les
personnes auront ete surprises en flagrant delil dans lesdils ras-
semblements (art. 12); les assassinats prepares par des ras-
semblements armes , le crime d'embauchage et de machinations
pratiquees hors I'armee et par des individus non mililaires j pour
corrompre les gens de guerre , les requisitionnaires ou les cons-
(1) Voyez aussi : Rocquain, op. cit., pp. S, 69-70, 146-147, 170, 252-253, 262-
263 ; et la discussion de la loi de pluvifise {Arch, parlement., loc. cit, pp. 308-309 ;
103-106; 222; 299).
(2) Arch, parlement., II, I™ partie, p. 70.
472 LES LOIS
crits (art. 11). A cette liste presque textuellement empruntee a
la Declaration , on avait ajoute certains faits dont la repression
severe etait demandee par le nouvel etat de choses : I'incendie
et les menaces , exces et voies de fait exerces contre des acque-
reurs de biens nationaux, a raison de leurs acquisitions (art. 11);
enfin , les tribunaux speciaux connaissaient aussi des assassi-
nats premedites, mais en concurrence avec les tribunaux ordi-
naires (art. 10) (1).
Ces crimes et delits etaient d'office, et sans qu'il y eut de partie
plaignante , poursuivis par le commissaire du Gouvernement
(art. 3 et 15). Tons officiers de gendarmerie et tous officiers de
police pouvaient lancer le mandat d'amener (art. 17); les details
sur les proces-verbaux a dresser, les inventaires, I'interroga-
toire et Faudition des temoins dans I'instruction preparatoire ,
etaient empruntes a I'Ordonnance et a la Declaration.
Le tribunal special saisi, sur le vu de la plainte, des pieces
jointes , des interrogatoires et reponses , et des informations , et
le commissaire du Gouvernement entendu , devait tout d'abord
juger sa competence, et cela sans appeal (art. 24). C'etait encore
un souvenir du passe; les prevots faisaient juger leur compe-
tence par les presidiaux , et ceux-ci jugeaient leur propre com-
petence lorsqu'ils connaissaient des cas prevdtaux (2). Ce juge-
ment, signifie dans les vingt-quatre heures a I'accuse, devait ^tre,
dans le meme delai, adresse au ministre de la justice pour etre
soumis a la Cour de Cassation , qui devait necessairement en
prendre connaissance et statuer toutes affaires cessantes (art. 23,
26). Ce recours, qui, du reste, ne suspendait ni Tinstruction ni
le jugement, mais seulement I'execution (art. 27), etait emprunte
(1) Si une fois rinstruction entamfie a raison d'uu de ces faits, Taccuse etait
inculp^ k raison de delits communs , « le tribunal special , 6tait-il dit , instraira
et jugera, quelle que soit la nature de ces faits (art. 13). u Le sens natural de
cette phrase 6tait que le tribunal special devenait incidemment competent ; c'etait
ce que d^cidaient les anciennes lois {Ord. de 1670, tit. II, art. 23; Ddclarat. de'
1731, art. 18). Le rapporteur Thiess^ donne une autre interpretation : « C'est-a-
dire que le tribunal special ne sera distrait de I'instruction et du jugement des
crimes dont la loi le saisit, par aucun fait Stranger a sa competence {Arch, pari., ,
loc. cit., p. 112); » mais voyez lareplique de Benjamin Constant (p. 321).
(2) Ord. 1670, tit. II, art. 15; tit. I, art. 17. Voyez Chazal, au Tribunal [Arch. ]
pari, loc. cit., p. 208).
DE LA. REVOLUTION. 473
k la loi du 29 mv6se an VI. Enfin, le trait le plus dur des
juridictions prev6tales , a savoir que leurs decisions au fond n'e-
taient susceptibles d'aucun recours , caracterisait aussi le tribunal
special : ni appel, ni pourvoi en cassation n'etaient permis
(art. 29).
Mais , a d'autres points de vue , la loi de I'an IX differait pro-
fondement des dispositions de I'Ordonnance. Conformement aux
principes du droit nouveau, elle assurait la publicite de I'au-
dience , les avantages du debat oral et des preuves morales , I'as-
sistance d'un defenseur ; il y avait encore un acte d'accusation ,
dresse par le commissaire du Gouvernement et dont il etait donne
lecture (art. 28). Enfin, I'article dernier declarait « que le tri-
bunal special demeurerait revoque, de plein droit, deux ans
apres la paix (art. 31) (1). »
II semble qu'a cetle epoque troublee le projet eut dii etre ac-
cepte sans difficulte ; les lois de I'an III et de I'an VI n'avaient
souleve que peu d'objections , et le projet apportait plutot des
garanties que des severites nouvelles. Pourtant il souleva une
opposition des plus vivos ; au Tribunal il donna lieu a de longs
debats, qui durerent du 17 niv6se au 16 plaviose; plus de vingt
orateurs furent entendus, et parmi les adversaires de la propo-
sition, nous trouvons Benjamin Constant, Daunou, Isnard, Cha-
zal et Chenier.
D'oii venait cette resistance? D'abord on declarait que le projet
etait inconstitutionnel. La Constitution de I'an VllI , comme
celles qui I'avaient precedee , garantissait (art. 62) , pour tons les
faits qualifies crimes, le jugement par jures. Mais on repondait
qu'un autre article de la Constitution, I'article 92 , decidait qu'en
cas de revolte a main armee ou de troubles menacant la surete
(1) Voici un tableau comparalif qui montre combien le projet ^tait calqu6 sur
les dispositions des anciennes lois concernant les cours pr6v6tales.
Loi de Pluvidse. Declaration de 1731.
Art. j ,«; - Art. ) ^
Art.'S in /Sne. — Art. 2.
Loi de PIuvi6se. Ordonnance de 1670, tit. II.
Art. 14. — Art. 23.
Art. 21. — Art. 9.
Art. 22. — Art. 10.
Art. 23. — Art. 12.
Art. 24. — Art. 25.
474 LES LOIS
interieure de I'Etat, la loi pouvait suspendre, dans les temps et
pour les lieux qu'elle determinait, I'empire de la Constitution. Or,
disait-on , ici on ne va memo pas si loin , on n'en suspend I'em-
pire que partiellement. D'ailleurs, la mgme difficulte constitu-
tionnelle existait en I'an VI , plus grave encore , et on ne I'avait
point soulevee(l); le motif vrai de la resistance devait se trouver
ailleurs.
On sentait qu'on avait affaire non a une mesure transitoire ,
mais a un systeme qui tendait a devenir, permanent. On voulait
etablir deux justices; I'unede droit commun, 1' autre d'exception;
pour quelques-uns le jury , pour d'autres les tribunaux speciaux.
Duveyrier, le rapporteur, ne le cachait point : « Voulez-vous
garantir les restes faibles et precieux du jury? Derobez-le des a
present a I'usage qui I'affaiblit et le denature tous les jours. Qu'il
serve a marquer I'extreme difference entre ces forfaits, qui mena-
cent I'ordre social dans un temps agite , et ces rares ecarts , qui
le troublent dans un temps plus calme ; qu'il soit pour ainsi
dire la prerogative de ces hommes qu'un moment egare, mais
qui ne vivent pas pour le crime et par le crime , qui blessent mais
qui ne combattent pas le regime etabli ; qu'un proces juge par le
jury, s'il n'est pas une presomption d'innocence, porte au moins
le caractere d'une faute qui n'a point demerite cette institution
bienveillante ; qu'elle existe enfin pour ceux a qui elle appartient,
imparfaite mais toujours susceptibles du perfectionnement que
la sagesse et I'experience lui preparent (2). »
Ce dualisme n'etait presente que corame un expedient; mais
la verite etait que ce provisoire devait se transformer en un etat
de choses definitif. Le Gouvernement ne I'avouait point alors,
mais il le declarera ouvertement plus tard dans VExpose des mo-
tifs du titre vi, livre II, du Code d'instruction criminelle, qui
(1) « Ni r^tablissement de ces commissions (militaires), ni le detail de leurs
attributions, ni la loi du 29 nivfise, que j'ai proposee moi-mSme , n'ont excitfe
soit parmi les reprSsentants des deux conseils , soit parmi les citoyens , les inquie-
tudes que Ton voudrait concevoir aujourd'hui. » Jean Debry au Tribunal, S plu-
vifise. Arch, pari., loc. cit., p. 190.
(2) Stance du 29 niv6se. Arch, pari., loc. cit., p. 107. Delpierre, le 7 pluvifise,
p. 219 :« II faut en convenir de bonne foi , I'^tablissement des tribunaux criminels
sp6ciaux est, a peu de chose pr6s, la suspension de la procedure par jures. »
DE LA REVOLUTION. 475
maintenait comme institution permanente les tribunaux speciaux.
M. Real y disait : « II a ete bientSt reconnu que la loi devait
etre permanente et universelle. La meme experience qui avait
prononce sur la necessite de son existence avait aussi prononce
sur la necessite de sa permanence et de son universalite ; et les
celebres Ordonnances, les Ordonnances vraiment populaires et
nationales d'Orleans , de Moulins et de Blois avaient decrete
cette institution speciale pour tous les temps et pour tons les
lieux. Les commissaires , qui redigerent I'Ordonnance de 1670,
avaient eu le bon esprit de placer I'exception a c6te de la regie
commune... Douze annees d'abus avaient deprave I'dpinion a ce
point qu'au moment meme oii Ton revenait aux principes, un gou-
vernement instruit et fort , mais modere et prudent , et qui ne
voulait rien obtenir que de I'experience et de la conviction , fut
oblige de transiger avec cette opinion, et la loi du 18 pluvi6se
an IX recut, non dans son universalite, puisque le Gouvernement
pouvait I'appliquer a tous les departements , mais dans sa duree ,
une limitation , puisqu'elle devait cesser d'exister deux ans apres
la paix. Mais s'il 6tait de la sagesse d'un gouvernement repara-
teur de n'arri^^r a la permanence de I'institution qu'apres avoir
passe par I'epreuve de I'etablissement momentane , le Gouverne-
ment devrait-Stre accuse d'imprevoyance et de cruaute si aujour-
d'hui... il indiquait, en ne presentant qu'une institution passa-
gere, une epoque de malheurs et de desolation, ou la securite
publique serait encore une fois livree a la merci de tous les bri-
gands (1). )> En Fan IX les esprits clairvoyants ne s'y trompaient
point. Le systeme devait passer dans le Code d'instructiou crimi-
nelle; les tribunaux speciaux seront ensuite , en 1815, remplaces
par « les cours prevStales, » institution tfansitoire, il est vrai (2),
mais dont seul I'article 54 de la Charte de 1830 devait rendre le
retour impossible a tout jamais.
Ce qu'on ressuscitait ainsi, c'etait I'une des plus odieuses
institutions de I'ancien regime. Le rapport de Real le dira nette-
ment plus tard, et il reconstituera tous les anneaux de la chaine.
(1) Locri, tome XXVIII , p. 54-55.
(2) Loi du 20 d^oembre 1815. ,
476 LES LOIS
En I'an IX on ne I'avouait point , mais la chose etait trop claire
pour qu'elle pM echapper a tous les yeux : « Si la loi proposee ,
disait Benjamin Constant, n'etait pas infmiment plus vague et les
attributions qu'elle donne aux tribunaux speciaux beaucoup plus
etendues que ce qu'on appelait sous I'ancien regime les jugements'
prev6taux, je n'aurais pas rompu le silence (1). » Desrenaudes
evoque « I'idee de ces commissions effrayantes contre lesquelles
se sont eleves, que dis-je? se sont souleves depuis un siecletous
les hommes qui ont honore rhumanite, et Ton se demande a I'ins-
tant si les belles conceptions de Montesquieu , de Beccaria , de
Rousseau, de Dupaty, de Servan et de tant d'autres vont se per-
dre en un jour, ou se trouver releguees dans le cercle etroit de
quelques cas obscurs et de quelques delits vulgaires (2)? » —
« L'orateur du Gouvernement, dit Garat, retrouvera ces principes
dans rOrdonnance de 1670; mais ce ne sont pas ces exemples
que nous devons suivreet qu'on peutnous proposer (3). » L'ora-
teur qui apporta la demonstration la plus complete fut Chazal :
« Le Gouvernement , dit-il en commencant , vous demande d'eta-
blir des tribunaux d'exception, qu'il a concus sur le modele des
anciens tribunaux prevotaux organises par I'Ordonnance de
1670 (4); » Puis, prenant une a une d'un c6te les diverses dis-
positions du projet et celles de I'Grdonnance et de la Declaration
de 1731 d'autre part, il en montra I'identite; il faisait voir qu'on
avail parfois rencheri sur les rigueurs de I'ancien droit; il re-
grett^^it pour I'accuse de ne pas trouver dans le projet la faculte
de se faire entendre lors du jugement de competence, et le ju-
gement qui reglait a 1' extraordinaire , et I'ancienne confrontation
formaliste.
Cela etait si clair d'ailleurs que, dans la suite, les orateurs, qui
soutenaient le projet, ne purent meconnaitre la parente, et
qu'ils durent, pour faire oublier la comparaison, insister sur lo
caractere transitoire de la loi nouvelle; « il n'est pas possible
d'etablir de comparaison entre un systeme essentiellement tem-
(1) Au Tribunal, 5 pluviSse, Arch, pari, loc cit., p. 187.
(2) 6 pluvi6se, Arch, pari, loc. cit., p. 193.
(3) 13 pluvi6se, Arch, pari, p. 294.
(4) 6 pluvifise Arch, pari, p. 204 et ssq.
DE LA REVOLUTION. 477
poraire dans notre systeme politique et une classe de tribunaux
inherents a la monarchie et coordonnes dans les vues generales
de sa legislation criminelle (1). » Portalis vint dire au Corps
legislatif , parlant au nom du Tribunat : « Comme le tribunal
special , les prev6tes de I'ancien regime sont nees des troubles et
du brigandage. Ce n'est pas Louis XIV qui les a instituees; elles
remontent a des temps plus recules ; elles ont ete consacrees par
les deliberations des fitats-Generaux. Mais les prev6tes ont ete
permanentes, le tribunal special n'est que passager (2). » Quel-
ques-uns essayaient meme une timide rehabilitation des juridic-
tions prev6tales : « On a pris , dit Simeon , ce que les juridictions
prevotales avaient de bon et de compatible avec le regime present
et on I'a fondu avec la loi du 29 niv6se, qui de cette maniere
s'est trouvee adoucie ; on a cru lancer un trait mortel contre le
projet en disant qu'il etait caique sur I'un des etablissements les
plus despotiques de Louis XIV. Louis XIV n'avait point invente
les juridictions prevotales ; elles remontent a des temps beaucoup
plus anciens, a ceux ou, comme aujourd'hui, la France, desolee
par des bandes audacieuses , avait besoin d'une justice armee qui
leur fit la guerre. Les juridictions prev6tales n'etaient pas essen-
tiellement mauvaises, elles n'avaient que les vices attaches a
notre ancienne procedure criminelle, et qu'on ne retrouve pas
dans le projet. La procedure n'y est pas secrete; I'accuse se
defend en public. Les debats sont ouverts comme dans les tribu-
naux ordinaires. La competence , que les prevots faisaient juger
en appelant les premiers gradues qu'ils avaient sous les mains,
est verifiee d'une maniere beaucoup plus rassurante (3). »
La loi fut votee , mais elle ne passa au Tribunat qu'a la majorite
de 49 voix contre 41 ; au Corps legislatif, le projet obtint 192 voix
contre 88. C'etait une partie de I'Ordonnance de 1670, qui ren-
trait dans nos lois ; et c'est pourquoi nous avons insiste un peu
longuement sur cette page curieuse de notre histoire parlemen-
taire. Beaucoup d'orateurs avaient declare qu'en votant I'etablis-
(1) Laussat : seance du 12 pluvifise , Arch, parlem., loc. cit., p. 258 ; cf. Trouvfe,
p. 231; Garret, p. 279.
(2) 1 pluvi6se , p. 332.
(3) 17 pluvidse, Arch, partem., loc. cii., p. 310.
478 LES LOIS
•
sement des tribunaux speciaux , ils pensaient sauver I'institution
du jury, que la preuve prolongee de son impuissance aurait
perdue a tout jamais. II est utile d'enregistrer ces temoignages,
que nous utiliserons un peu plus tard. En voici quelques-uns ,
C'est d'abord Duveyrier, le rapporteur de la loi au Tribunal :
a L'institution du jury, bienfait et garant de la liberte chez tons
les peiiples libres, est parmi nous, de tons les dons de la Revo-
lution, celui qu'un prodige seul pouvait sauver au milieu des
tempetes revolutionnaires. Mais nous convenons tons qu'impar-
fait dans son origine , faible et inexact dans sa nouveaute , il fut
encore deshonore dans I'opinion populaire par I'usage barbare
auquel le condamna pour un temps la plus atroce tyrannie ; em-
barrasse depuis par une complication , de formes abstraites et de
combinaisons metaphysiques ; et qu'aujourd'hui il se traine,
marquant a chaque pas son insuffisance centre I'exces du mal et
laissant a peine entrevoir le bien qu'il pourra faire un jour. —
Voulez-vous accelerer et consommer sa mine? Voulez-vous le
rendre pour toujours inhabile a ses fonctions naturelles? Laissez-
le se debattre centre des obstacles qu'il ne peut surmonter...
ecrasez-le sous les preuves journalieres de sa nuUite et de son '
impuissance , jusqu'a ce qu'il ne soit plus aux yeux memo de
ses plus zeles partisans qu'une belle conception morale, mais
impossible a pratiquer, et au moins inapplicable a notre siecle et
a notre societe. Voulez-vous au contraire , garantir ses restes fai-
bles et precieux? Derobez-les des a present a I'usage qui I'affai-
blit encore et le denature tons les jours (1). » — Trouvi : « II est
affligeant sans doute de renoncer memo pour un intervalle tres-
limite au bienfait de la plus sublime des institutions , de jeter
pour ainsi dire un voile sur ce 'palladium de la liberte civile;
mais si ce Voile est un moyen de conservation pour lui ; si cette
suspension momentanee est indispensable a la surete de I'fi-
tat (2) 1 » — Caillemer : " Le perfectionnement de l'institution du
jury! comme si ce perfectionnement n'exigeait pas des modifica-
tions profondes , par consequent lentes ; comme si d'ailleurs ce
{i) 29 nivSse, Arch, parlem., Joe. cU., p. 107.
(2) 7 pluvifise , p. 230.
DE LA REVOLUTION. 479
perfectionnement pouvait produire I'effet que Ton en attend avarit
rextinction de toutes les passions revolutionnaires , et I'entier
, retablissement de la morale (I). » — Roujoux : « Dix ans de calme
peut-etre ne suffiront pas pour ramener les esprits au sentiment
de la sublimite de I'institution du jury. On se souviendra long-
temps de la mesure qu'elle donne de sa nuUite. Sauvez done,
tribuns , sauvez cette institution de I'outrage des circonstances ,
si vous voulez en conserver le bienfait (2). » — Berenger : « Les
jurys des departements de 1' Quest et du Midi absolvent tous les
coupables meme pris en flagrant delit. . . , ce ne sont pas les for-
mes de cette institution qui la rendent tutelaire, c'est I'impar-
tialite des jures , qui subsiste pour les cas ordinaires , meme en
revolution, les rend capables de juger un prevenu de vol ou
4'assassinat , quand ces delits sont isoles. Mais aussitot que I'ac-
cusation ou la defense prennent un caractere politique et s'adres-
sent aux passions , le jury devient terrible a I'innocence , il est la
^Sauvegarde des brigands. Reservons-le pour les temps et les
lieux qui lui sont favorables et ne le forcons pas a soutenir une
comparaison qui le rendrait odieux. Calmons I'opinion publique,
que tant de maux prolonges et tant de crimes impunis soulevent
contre lui; sauvons cette institution liberale des debris de la
Revolution en adoptant le projet de loi (3). »
Tous etaient d'accord pour constater que le jury n'avait pas
donne les resultats attendus , et dans son organisation , de I'aveu
de ses partisans les plus convaincus , il fallait apporter des mo-
difications profondes. « A mon avis, disait Daunou, (le jury)
n'est pas plus une prerogative qu'une forme accidentelle , c'est
toiit simplement une partie essentielle de notre systeme judi-
ciaire, partie dont I'organisation est sans doute bien faible en-
core, mais qu'il serait plus utile d'ameliorer que de suspendre.
La Constitution , qui se borne a en consacrer I'existence , n'en
peut gener le perfectionnement, et ce travail, prepare du moins
par les tentatives et les observations de dix annees , serait plus
digne des hommes eclaires , qui redigent aujourd'hui nos lois ,
(1) 8 pluviase, Arch, parlem., loc. cil., p. 243.
(2) 14 pluviflse, Arch, parlem., p. 300.
(3) 16 pluvi6se, Arch, parlem., p. 301, 302; cf. Delpierre, 7 pluvidse, p. 216.
LES LOIS DE LA REVOLUTION.
plus dignes de leurs talents et de la sagesse des principes qu'ils
ont professes , que ces longs et malheureux decrets d'exception
et de circonstances qu'ils nous proposent (1). »
(1) 7 pluvifise, Arch, pari., he. cit., p. 224 ; cf. Chazal, p. 204 ; Garat, p. 296.
481
TITRE DEUXIEME.
LE CODE D'lNSTRUCTION CRIWIINELLE.
CHAPITRE PREMIER.
Le projet de Code criminel.
1. Le projet de Code criminel ; le jury et I'Ordonnance de 1670. — II. Les obser-
vations de la Cour supreme et des cours d'appel. — lit. Les observations des
tribunaux criminels. — IV. Le jury et les publioistes.
I.
L'Empire, en se substituant au Consulat, n'apporta aucun
changement dans les institutions que nous avons decrites. Cer-
taiaes denominations seulement furent remplacees par d'autres ;
les tribunaux criminels prirent le nom de « Cours de justice cri-
minelle ; » les commissaires du gouvernement pres les cours d'ap-
pel se nommerent « procureurs generaux, » les commissaires
pres les autres tribunaux, « procureurs imperiaux. » Le ministere
public reprenait ses anciens titres (1). Una seule creation nouvelle
eutlieu, celle de la Haute-Cour imperiale, instituee par le senatus-
consulte du 28 floreal an XII (art. 101-133). Mais des ce moment
une refonte des lois criminelles etait preparee. EUe etait neces-
saire et devait figurer parmi les nouveaux codes alors promis a
la France. Le Code penal n'avait pas ete remanie depuis 1791,
et la pratique en avail signale les nombreuses imperfections.
D'autre part , la procedure criminelle avail ete profondement mo-
(1) Cependant les substituts cre^s par la loi du 7 pluyiSse an IX , s'appellent
encore magistrats de sHreU dans le projet de Code criminel. '
31
482 LE CODE
difiee par les lois de I'an IX; le Code des delits et des peines
devait gtre completement remanie. Enfm et surtout, les regies
sur la composition du jury devaient etre retouchees et amelio-
rees (1).
Les travaux preparatoires avaient commence des I'an IX : un
arrgte des consuls du 7 germinal de cette annee, nomma une
commission composee de MM. Vieillard, Target, Oudart, Treil-
hard. et Blondel , qui devait rediger un projet de Code criminel ,
et se reunir chez le grand-juge ministre de la justice; le travail
devait Mre pret en messidor de la m§me annee.
Cette commission redigea, en effet, un vaste projet qui com-
prenait a la fois le droit penal et la procedure criminelle, et
contenait 1169 articles. Dans la seconde partie, consacree a la
procedure criminelle et qui seule nous interesse, les commis-
saires , sauf de tres-nombreuses modifications de detail , avaient
conserve les institutions existantes et les formes alors en vi-
gueur. On etait bien loin de songer a supprimer le jugement
par jures : « La loi du 16 septembre 1791 , qui a introduit parmi
nous I'instruction par jures, serait I'une des plus belles pro-
ductions du xvin° siecle , si le legislateur n' avail pas ete entraine
en sens contraire tantot par la force revolutionnaire , tantot par
la force des anciennes habitudes. L'instruction par jures, re-
mise a la partie des citoyens la plus utile et la plus plus eclai-
ree, ne peut jamais etre ni oppressive ni anarchique. » Ainsi
s'exprimait M. Oudart , dans les observations qui precedaient la
seconde partie du projet (2).
On proposait la creation de magistrals appeles preteurs, qui
devaient tenir les assises successivement dans plusieurs departe-
ments (3). lis devaient composer le tribunal criminel, assistes
(1) Cette composition avait d'ailleurs beaucoup varie pendant la Revolution. La
liste generate du jury instituee par la loi de 1791, comprenant tons les electeurs,
avait subi le contre-coup de tons les changements apport^s dans les lois electo-
rates; elle avait ete remani^e successivement par les lois du 2 niv6se an II, etdu
6 germinal an VIII, et par le sSnatus-consulte du 16 ttiermidor an X.
(2) Projet de Code criminel, p. xxxiv.
(3) Une loi du 9 ventfise an VIII avait pr6c6demment regis ce point : « Depuis
cette loi, le premier Consul ciioisit dans les tribunaux d'appel autant de juges
qu'il y a de dgpartements, et les envoie prSsider pendant une annfie les tribunaux
criminels. » Observations de M. Oudart , p. xxxvni.
d'instruction criminelle. 483
seulement d'un autre magistrat ou propreteur, , « faisant regner
partout la meme justice et soumettant les passions a I'empire des
mgmes lois. » G'etait un retour a rimitation des institutions an-
glaises; le preteur n'etait autre chose que le grand-juge anglais,
et Ton voulait donner aux sessions du jury quelque chose de la
solennite des assises de FAngleterre. Les propreteurs prenaient
les fonctions remplies jusque-la par lesidirecteurs du jury. « Sous
Tempire de la loi acluelle, le directeur du jury, exerce des fonc-
tions criminelles pendant trois ou six mois, et les quitte precise-
ment lorsqu'il est un peu plus en etat de les remplir;- ehsuite I'or-
dre du tableau y appelle a son tour celui des juges qui s'y trouve
le moins propre. Dans notre projet , le propreteur est nomme a
vie comme tout autre juge, et comme I'etaient les lieutenants et
assesseurs criminels (1). »
Des modifications importantes etaient introduites quant au
mode de designation des jures : « Depuis le mois de niv6se an II,
disait M. Oudart, la liste des jures speciaux de jugement doit
etre de trente et la liste des jures ordinaires doit contenir autant
de citoyens qu'il y a de milliers d'habitants... D'apres cette
disposition on fait tous les trois mois a Paris une liste de 663
jures, ce qui fait par an deux mille sept a. huit cents jures
ordinaires et speciaux de jugement. Des que la loi veut que
Ton appelle a la fois un si grand nombre de citoyens , on est
oblige de faire beaucoup plus de mauvais choix que de bons , et
le gouvernement ne peut demander compte a personne d'un acte
essentiellemeht vicieux. Aussi le soin de former ces listes est-il
presque partout laisse a des commis, qui, sans plus de facon
copient les feuilles de sommier de la population. On y a pointe des
voleurs de profession , des hommes morfs , des hommes qui de-
puis longtemps ne demeuraient plus dans le pays , des hommes
affliges d'infirmites inveterees; des hommes qui ne savaient ni
lire ni ecrire. » On t§,chait done d'obtenir de meilleurs choix,
surtout en exigeant un certain cens des jures.
Les recusations devaient se faire dorenavant sur une liste qua-
druple et en presence : « Nous pouvons , dit M. Oudart, resti-
(1) Observations, Locri, tome XXV, p. 17.
484 LE CODE
tuer enfin aux parties le droit inappreciable de recuser en pre-
sence, formalite qui s'observe religieusement en Angleterre (1). »
On avait cherche a simplifier le systeme des questions poshes au
jury, mais dans ce but les articles 869 et 870 admettaient des
discussions des jures entre eux et des conferences des jures avec
les juges , qui presentaient de serieux inconvenients. Enfin on
proposait pour les decisions du jury de jugement la regie de I'u-
nanimite comme en Angleterre. Ce systeme illogique en soi , et
difficile a fairs accepter par I'esprit frangais, n'avait chez nous
jamais ete admis pour I'absolution ; pour la condamnation les
lois de 1791 et de I'an IV avaient exige 10 voix sur 12 ; les
lois du 19 fructidot an V et du 18 frimaire an VI exigeaient en
principe I'unanimite , mais au bout de vingt-quatre beures epui-
sees en vains efforts pour I'obtenir, le partage des voix profitait
al'accuse, et la majorite simple sufflsait pour le fairs condamner.
Le projet (art. 864) exigeait I'unanimite dss voix pour absoudre
comme pour condamner, et il ne flxait aucun terme a la lutte des
opinions (2). Nous aurons dans la suits a relever sncore plusieurs
traits importants de ce projet primitif. Nous avons analyse ces
quelques dispositions pour montrsr que les commissaires avaisnt
emprunte le principe des reformes qu'ils proposaient plut6t a
I'Angletsrrs qu'a Fancisnns legislation francaise.
Cependant un courant existait ramenant vsrs Is passe, tres-,
puissant et s'elargissant toujours. La nation se desintsressait alors
des libertes publiquss , st Iss corps dirigsants , les magistrats
surtout , tournaient Iss ysux avec regret vers la procedure crimi-
nelle de I'Ordonnance. Le jury Isur paraissait une institution bar-
bare et dangereuse. lis ne comprenaient pas qu'on pM preferer
la parole qui passe a I'ecriturs qui demeure, I'ignorance a la
science , I'irresolution a I'experisnce et au sentiment profession-
nsl du dsvoir. Et a cette heure Iss faits semblaient Isur donner
raison. Ns fallait-il pas jugsr I'arbre par ses fruits, et revenir a
I'ancienns procedure , non pas sans douts tslls que I'Ordonnance
del670 I'avait fixee, secrete et impitoyable, mais telle que Iss
(1) LocrS, tome XXV, p. 25.
(2) Voy. M. Oudart. (Locr6, tome XXV, pp. 41-42.)
d'instruction criminelle. 483
premieres reformes de 1789 I'avaient epuree? Un grand parti se
prononga dans ce sens , et peu s'en fallut qu'il n'etit gain de
cause. Ce fut lui qui eleva le plus haut la voix dans la grande en-
quete qu'on avait ouverte sur le projet de Code criminal.
II.
Une vaste information fut en effet ordonnee pour recueillir les
observations de la magistrature sur le travail des commissaires.
La Cour de cassation et le grand-juge , la cour d'appel et les tri-
bunaux criminels prirent la parole tour a tour.
La Cour supreme et le grand-juge eurent a manif ester leur
opinion dans une occasion solennelle. En vertu d'un arrSte du 5
ventose an X (1), chaque annee en fructidor, la Cour de cassa-
tion devait envoyer une deputation de douze de ses membres
pour faire connaitre aux consuls, en conseil d'Etat et les mi-
nistres presents, les vices de la legislation qu'avait signales
I'experience de I'annee, les modifications et les perfectionne-
ments qu'il etait bon d'apporter aux lois. Dans la meme seance ,
le ministre de la justice devait rendre compte des observations
qu'il avait recueillies sur le meme sujet. Or, le troisieme jour
complementaire de I'an XI, obeissant a I'arrete precite, le pre-
mier president , M. Muraire (2), s'exprimait a I'endroit dujury
en des termes qui condamnaient I'institution : « Le triste resultat
de I'impunite des plus grands crimes , offensant la morale pu-
blique, effrayant la societe, a presque conduit a douter si I'ins-
titution des jures, si belle en theorie, n'a pas ete jusqu'aujour-
d'hui plus nuisible qu'utile dans ses effets. Et bientot, ce premier
doute conduisant a un second, peut-etre faudrait-il examiner
aujourd'hui d'apres I'experience ce qui ne le fut par I'Assemblee
constituante qu'en speculation ; peut-etre serait-il a examiner en-
core, si dans un pays oii il n'y a plus ni distinction , ni feodalite.
(1) Sirey, Lois annoties, I, p. 572.
(2) Aveo M. Muraire la deputation comprenait MM. Maleville , Cochard , Las-
saussade, Bailly, Zangiacomi, Cassaigne, Brillat-Savarin , Baris, Schwendt, Mi-
Tlier, Laohfese, et M. Merlin , commissaire du gouvernement.
486 LB CODE
ni privilege, Finstitution des jures offre des avantages bien reels ;
si ^institution s'adapte parfaitement au caractere national ; si elle
peut bien s'allier avec ce sentiment trop ordinaire de generosite
et d'indulgence dans les uns, de timidite et d'insoucianee dans
les autres, qui portera toujours -a la commiseration I'homme qui
ne s'est pas fortifie dans I'habitude de juger, et qui ne voit
devant lui que I'homme qu'il va frapper, la societe n'etant a ses
yeux qu'un etre abstrait et invisible (1)? »
Le grand-juge disait de son c6te : « Effrayes du resultat de ces
essais, et considerant d'apres les rapports exacts, que la compli-
cation des faits , la subtilite des discussions , I'ignorance et la las-
situde embarrassaient toujours et souvent accablaient le jury de
jugement , compose d'bommes etrangers a ce genre d'application,
beaucoup de bons esprits , nombre de magistrats eclaires , ont
pense qu'il serait preferable peut-etre de ne conserver que le
seul jury d'accusation , encore en s'appliquant a constituer le
mode necessaire pour arriver a de meilleurs choix. Dans ce sys-
teme on defere aux tribunaux I'instruction de la procedure ainsi
que le jugement a I'egard des individus qui aUraient ete declares
accusables ; on maintient la publicite de I'instruction , aussi bien
que la communication des pieces tant a I'accuse qu'a son defen-
seur, et on leur laisse a tons deux toute la latitude necessaire
pour faire valoir les faits et les moyens justificatifs. L'inegalite
des conditions ayant ete abolie, a-t-on dit, on n'a plus a redou-
ter ni les prejuges ni I'oppression d'une caste ou d'un ordre. Les
juges sont, comme les jures, les vrais pairs des accuses, et ils
ont par-dessus les jures , I'etude , I'instruction et I'experience des
affaires (2). » Cependant il n'osait pas proposer I'abolition du
jury : « Malgre la triste experience que nous avons faite, les
partisans de la procedure par le jury sont bien loin de concevoir,
comme le croient beaucoup d'autres, que cette institution ne
puisse s'acclimater en France ; ils soutiennent , quoiqu'on en
puisse dire, que cette institution est tres-compatible avec le genie
et le caractere de la nation ; que si jusqu'a present elle a rencon-
(1) Projei de Code criminel, p. 192; Locri, tome I, p. 207.
(2) Projet de Code criminel, p. 212.
d'instruction criminelle. 487
tre des obstacles , il faut les attribuer principalement aux nom-
breuses divisions que la Revolution a fait naltre, et que ces
divisions, usees par le temps, devant necessairement bientdt
disparaitre , la marche et le succes de I'institution ne seront plus
retardes que par de legers empechements^, dont il ne sera pas
difficile de triompher. Eh bien ! ne refusons pas une nouvelle
epreuve et qu'une troisieme experience decide entre eux et leurs
contradicteurs (1). »
Les observations des cours d'appels sont tres-interessantes (2).
Douze cours : Aix, Amiens, Bourges, Colmar, Douai, Metz,
Nancy, Nimes, Orleans, Pau, Riom et Turin se prononcerenl
contre la procedure par jures; cinq seulement demanderent son
maintien , a savoir : Agen , Angers , Caen , Rennes et Toulouse ;
cinq ne se prononcerent pas sur cette grave question : les cours
de Bordeaux, Bruxelles et Treves ne fournirent sur le projet
que des observations de detail , Ajaccio et Montpellier presen-
terent une louange vague (3).
Les cours d'appel hostiles a I'institution du jury, plus hardies
que la Cour supreme et le grand-juge, en demandent formel-
lement la suppression; quelques-unes cependant n'expriment
leur avis qu'avec des menagements : « Dans I'incertitude des
opinions , le grand-juge propose une troisieme epreuve de I'ins-
titution du jury. Le parti est bon sans doute, mais la cour y
voit un grand inconvenient , celui de prolonger les abus du
jury et de retarder la reformation definitive de la procedure
criminelle (4). » Metz ne demande instamment que I'abolition
du jury d'accusation : « Les jures d'accusation sont encore plus
que ceux de jugement exposes a la soUicitation , a la seduction ,
parce qu'ils sont plus rapproches des parties (5). » Orleans de-
sire qu'on supprime lejury de jugement, mais n'ose point re-
(1) Le grand-juge dit « troisieme exp6rience, » parce que lejury avail &1& orga-
nist d6ja deux fois, par la loi de 1791 et le Code de brumaire an IV.
(2) Observations des cours d'appel sur le projet de Code criminel, Paris, an XIII,
2 volumes. Imprimerie imp^riale.
(3) Ajaccio, Observ., p. 1; Montpellier, p. 2.
(4) Amiens, Observ., p. 2.
(5) Mete, Observ., p. 21.
LE CODE
noncer absolument a une institution « dont le vice n'est pas en-
core assez generalement demontre et surtout assez generalement
reconnu (1). » Mais la plupart sont tout a fait affirmatives :
« Tous les hommes qui reunissent les lumieres a I'experience
ont prononce contre le jury. A quoi bon un nouvel essai? Rien
ne deconsidere les autorites comme les essais inutiles et dange-
reux (2). » — « Un cri presque general s'eleve contre I'institu-
tion du jury, et la majorite du tribunal partage en ce point I'opi-
nion publique (3). » — « Les vices de institution des jures etant
generalement sentis , universellement reconnus , la meilleure
forme de procedure en matiere criminelle serait de conferer ce
pouvoir aux tribunaux reguiiers (4). » — « L'institution du jury
ne convient point a la France , il serait dangereux d'en faire un
nouvel essai (5). » — « L'experience a prouve que la procedure
par jury offrait des chances trop favorables au crime (6). » —
« Ce qui dans les premiers temps etait une speculation si belle et
si seduisante n'a plus offert dans la pratique que les plus mau-
vais resultats (7). » — « II nous a paru que le moment n'etait
pas venu de tenter la nouvelle experience que Ton propose et
qu'il faut la reserver a I'epoque heureuse oii nos neveux ne
verront plus dans les differentes revolutions de la France que
des faits historiques (8). » Du reste, les reproches que ces cours
adressaient au jury etaient ceux que nous avons vus produits
dans la discussion de 1791 , ceux qui seront toujours reproduits
quand recommencera la querelle : I'ignorance et I'inexperience
des jures, leurs craintes, leurs hesitations, leurs passions; la
repugnance des citoyens a venir sieger et la difficulte de com-
poser les listes ; les qualites superieures de la procedure ecrite ,
incompatible avec le jury, et dont on faisait ressortir les avan-
(1) OrUans, p. 16; cf. Aim, p. 2; Colmar, p. 4.
(2) Bourges, p. 3.
(3) Douai, p. 22.
(4) Timcy, p. 6.
(5) Nlmes, p. 9.
(6) Pau. p. 16.
(7) Biom, p. 11.
(8) Turin, p. 3.
d'instruction criminelle. 489
tages meme pour la defense ; voila ce qu'on mettait en avant.
On relevait encore un des caracteres du jury, qui naturellement
doit repugner aux magistrals : c'est rimpossibilite d'etablir des
traditions et une jurisprudence fixe avec un corps constamment
renouvele et changeant (1).
C'etait I'exemple des Anglais qui avait jadis popularise en
France I'institution du jury; c'etait la procedul-e anglaise qui
avait servi de modele aux redacteurs de la loi de 1791, et les
redacteurs du nouveau projet lui avaient encore emprunte leurs
principales reformes. Les Cours, dont nous venons de citer les
paroles , s'appliquent a demontrer qu'il n'y a la qu'une f§,cheuse
manie d'imitation ; et cette demonstration pouvait alors etre bien
accueillie. L'Angleterre etait devenue I'ennemie acharnee de la
France , et depuis 1789 bien du sang avait coule. « N'envions
pas aux Anglais leurs golits , leurs habitudes , leur enthousiasme
pour leurs lois ; opposons a ces declamations I'experience et
Topinion d'un des plus grands magistrals de nos jours (2), a
laquelle nous pourrions en joindre une infinite d'autres (3). »
— « II y a un jury en Angleterre , il en faut un en France; de
grandes aissises en Angleterre, il en faut en France. Mais ce
peuple est-il done plus sage, mieux gouverne , plus heureux que
nous? Si ces institutions y subsistent, c'est par suite de leur an-
tiquite (4). » — Que le peuple anglais se repaisse d'illusions sous
un gouvernement qui I'opprime ; le peuple francais veut des ins-
titutions franches , et qui atteignent leur but ; il est convaincu ,
par une trop longue suite d'experiences , qu'aucune des institu-
tions anglaises qu'on a voulu transporter en France n'y pros-
pere, pas m6me celle des justices de paix (5). » — « On a
transplante d'Angleterre en France le jugement par jures; mais
il est bien demontre que le caractere francais ne convient pas a
(1) Bourges, p. 4 : « Le plus grand vice des jurys c'est d'etre toujours com-
poses d'hommes nouveaux ; quel est done cet strange systeme d'ecarter ici les lu-
miferes de I'experience? »
(2) Siguier, dans son rfiquisitoire de 1786 plus haut analyse.
(3) Am, pp. 10, 11.
(4) Bourges, p. 5.
(5) Douai, p. 25.
490 LE CODE
cette institution, et que nos mosurs ne la comportent pas... Lais-
sons done les Anglais vivre a leur mode, et vivons a la notre (1). «
— « Le tableau journalier des crimes de cette nation , qui met
en usage Tfissassinat et la peste pour repousser un ennemi qu'elle
a provoque en rompant un traite solennel a peine signe , ne doit
pas nous porter a adopter son systeme dans la procedure crimi-
nelle. Le jury n'a pas rendu ce peuple meilleur; et si nous nous
en rapportons a ce que nous apprennent les voyageurs , est-il un
pays en Europe oii le vol , surtout sur les grandes routes , soit
plus frequent , et mieux organise que dans cette ile (2) ? »
Si Ton a fait fausse route en suivant I'exemple des Anglais ,
il faut reprendre la tradition nationale ; il faut revenir au point
ou elle fut abandonnee. C'est vers I'Ordonnance de 1670, a peu
pres telle qu'elle avait ete reformee en 1789, que les cours d'ap-
pel portent leurs regards : « Nous n'hesitons pas a penser que
I'Ordonnance de 1670, modifiee par les decrets de 1789, offre
plus de garanties et des motifs plus reels de securite... Avec le
secours des conseils aux accuses et la publicite des debats , I'Or-
donnance de 1670 modifiee, serait peut-etre, nous ne saurions
trop le repeter, ce qui approcherait le plus de la perfection (3). »
— « On a trop decrie les tribunaux criminels , et cependant ils
ont fait moins de mal pendant les cent vingt annees qui ont suivi,
I'Ordonnance de 1670, que le jury dans le court espace de temps
qui a suivi son etablissement (-4). » — « Les principaux repro-
ches, faits a la procedure etablie par I'Ordonnance de 1670, sent
le defaut de publicite et I'impuissance dans laquelle etait I'accuse
de faire entendre sa defense. L'experience de quelques annees
a montre combien il etait facile de faire disparaitre ces inconve-
nients , quelque graves qu'on les suppose. La Constituante avait
appele la reforme de ces abus : on pourrait ajouter a ce qu'elle
avait prescrit la faculte a accorder a I'accuse de recuser peremp-
toirement un ou deux juges. . . Pourquoi chercher chez nos voisins
une perfection fugitive qui echappe toujours au moment oi on
(1) Nancy, p. 5.
(2) Nimes, p. 7.
(3) Aix, pp. 2 et i2.
(4) Bourges, p. 3.
D INSTRUCTION CRIMINELLE. 491
croit la saisir, tandis qu'il est si facile de donner une bonification
precieuse a nos lois , deja les meilleures de toutes celles qui ont
existe jusqu'alors (1). » — « Sans doute on ne pent nier que
rOrdonnance de 1670, fruit des reflexions des plus fameux juris-
consultes du siecle de Louis XIV, n'eut atteint , en beaucoup de
parties , la perfection de la Fegislation criminelle , et que , si on
peut lui reprocher quelques vices , c'est qu'il est de I'essence de
tous les ouvrages des hommes de payer, par quelque endroit ,
un tribut a rhumanite (2). » — « La procedure etablie par I'Or-
donnance de 1670, fut justement censuree pour deux raisons
principales; la premiere, que I'instruction etait secrete; la se-
conde, que I'accuse etait sans conseil. Au lieu de changer cet
ordre vicieux, I'esprit de systeme de la Revolution adopta une
institution etrangere a nos usages (3). »
Enfin la cour de Nancy dessinait les grandes lignes de cette
procedure francaise. Les tribunaux d'arrondissement avec cinq
juges au moins connaitraient en premiere instance de tous les
delits emportant peine afflictive et infamante ; les magistrats de
surete restaient tels que la loi de pluviose les avait etablis. Un
commissaire pris dans le sein de chaque tribunal criminel ferait
les fonctions attribuees autrefois au lieutenant criminel , il enten-
drait le prevenu et les temoins et ferait ecrire les reponses, mais
avec I'assistance d'un suppleant du merae tribunal ; puis vien-
draient les requisitions du ministere public , et I'examen de la
procedure par le siege entier pour decider s'il y a lieu a accusa-
tion : « les temoins qui auraient ete entendus par ecrit seraient
recoles et confrontes par une seule et meme operation, en la
chambre du conseil , par le ministere du juge faisant fonctions de
lieutenant criminel , en presence du suppleant qui I'aurait assiste
dans I'information , de I'accuse qui se ferait assister d'un defen-
seur et du magistrat de surete... Le public ne serait pas admis
a cet acte d'instruction de la procedure. A I'audience, les temoins
seraient dispenses de comparaitre au moyen de la confrontation
faite precedemment... le magistrat de surete y ferait les fonctions
(1) Metz, p. 17.
{2)0rUans, p. 16.
(3) Pau, p. 107.
492 LE CODE
d'accusateur public ; il y aurait un rapporteur nomme a I'effet de
lire toutes les pieces , I'accuse s'y ferait representer par son de-
fenseur officieux , a qui on aurait remis prealablement copie de
toutes les pieces de la procedure. Le rapport et le jugement se-
raient publics; I'appel serait-de droit (1). » C'etait la resurrection
de la procedure ecrite. Cependant quelques-unes des cours qui
condamnaient le jury demandaient le maintien de la procedure
orale et publique : « Que la procedure de I'examen et du jugement
reste publique et orale ; qu'un president conduise les debats , que
les juges deliberent secretement enjury de jugement a I'exclusion
du president Que les juges prononcent publiquement enjury,
sans etre astreints a aucune autre preuve que leur intime convic-
tion , qu'ils se reunissent ensuite a leur president pour deliberer
en tribunal sur la peine a infliger au coupable (2). »
ent les cours qui etaient favorables au maintien de la
procedure par jures? Elles rappelaient I'enthousiasme des pre-
miers jours et les bienfaits rfeels de I'institution ; elles montraient
que I'insucces momentane tenait seulement aux circonstances et
aux vices d'organisation : « Qu'on n'infecte pas la legislation ge-
nerale de ce qui ne pent etre utile que dans quelques circons-
tances et pour quelques hommes... Et n'a-t-on pas atteint ce but
en creant des tribunaux speciaux ! Ceux-la sufflsent pour les cas
extraordinaires dont nous parlous ; qu'on les laisse subsister tant
que I'interet de la societe le reclamera, et fasse le Ciel que ce
remede violent soil bientot inutile ! et laissons dans toute sa pu-
rete I'institution ordinaire sur laquelle repose notre bonheur et
celui de la posterite (3). » — « Cette institution amelioree, et
independamment des abus qu'on lui a reproches, suite des temps
de trouble et des orages politiques , pent neanmoins convenir a
nos moeurs actuelles , et prendre de proforides racines a mesure
que les esprits se calment et se felicitent d'etre bien gouver-
nes (4). » — « L'institution du jury , longtemps attendue par
I'humanite , avait signale les premiers travaux de nos modernes
(1) Nanoy, pp. 10 et U.
(2) Colmar, p. 5.
(3) Agen, p. 4.
(4) Angers, p. 7.
d'instruction criminelle. 493
legislateurs , alors il n'existait en France qu'un seul esprit, qu'un
seul voeu , celui de bonnes institutions et de bonnes lois : aussi
ce nouveau systeme de jurisprudence criminelle fut-il uaiversel-
lement approuve et ses bienfaits furent generalement sentis. Mais
bient6t se troubla cette heureuse harmonie des esprits qui don-
nait aux choses leur veritable point de vue ; I'esprit de parti s'em-
para des tetes ; on ne tarda pas i trouver mauvais ce qui avait
d'abord paru bon ; on fit plus , on chercha a en abuser, et Ton
employa meme tons les moyens pour decrier cette institution. La
veritable cause du discredit de la procedure par jures se trouve
dans I'esprit de parti , dans un systeme suivi de detruire les meil-
leures institutions que la Revolution a produites (1). » II y avait
pour les magistrats un certain courage a ecrire alors d'aussi fer-
mes paroles.
III.
Les observations fournies par soixante-quinze tribunaux crimi-
nels furent egalement publiees par ordre du gouvernement (2), et
voici comment nous croyons pouvoir les classer. Un assez grand
nombre, vingt-trois , ne presentent que des remarques de detail,
et ne se prononcent point explicitement pour le jury, maintenu
dansle projet de Code, mais ne se prononcent pas non plus contre
lui (3) ; vingt-six se prononcent contre Finslitution du jury [i),
quelques-uns il est vrai assez faiblement; vingt-six en demandent
le maintien (5).
(1) Caen, p. 2; cf. Toulouse, p. 3.
' (2) Observations des tribunaux criminels sur le projet de Code criminel, 6 vol.
Imprim. imp6riale , aa XII. ,
(3) Tribunaux criminels des departements suivants : Aisne , Basses-Alpes ,
Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Aube, Charente-Inferieure, Corrfize , Gers ,
Gironde, Ltoan, Jemmapes, Indre-et-Loire, Loire-InKrieure, Meuse, Montblanc,
Morbiban, Oise, Pas-de-Galais , P6-et-Doire, Rbin-et- Moselle, Sarthe, Yonne.
(4)Ain, Allier, Ardfeche, AriSge, Aude, Areyron, Bouches-du-Rhane , Dyle,
Doubs , Dordogne , Haute-Garonne, Forfits, Eure-et-Loir , Hfirault, Isere, Lot,
Meurthe, Lys, Lozere, Nord, Orne, Basses-Pyrenees, Var, Vaucluse, Haute-
Vienne.
(5) Cantal, Escaut, Gard, Indre, Indre-et-Loire (seulement le procureur ge-
neral), Haute-Loire, Loire, Marne, Manche, Maine-et-Loire , Lot-et-Garoane ,
494 LE CODE
Ici encore un grand nombre de voix demandaient le retour a
la procedure ecrite sans le concours des jures : les raisons invo-
quees etaient celles que nous avons trouvees dans les obser-
vations des cours d'appel, presentees parfois avec une exage-
ration plus grande. C'est surtout au caractere national qu'on
s'attache : « L'experience est sans doute le plus siir de tous les
guides, mai^quand les peuples qu'on veut regir sont dans la
maturite , c'est la leur propre et non celle des nations etrangeres
qu'il faut consulter principalement ; et l'experience personnelle
nous dit que I'Ordonnance de 1670 offrirait au bon ordre une ga-
rantie plus sure et des motifs plus reels de securite, que I'institution
des jurys et des pretoreries (1). » — « Quelle difference enlre
nos moeurs , nos usages , notre caractere national et ceux de la
nation anglaise ! Sans entrer a ce sujet dans des details et des
longueurs... il suffit d'indiquer la comparaison des pieces de
theatre de Shakespeare et autres tragediens anglais avec celles
de Corneille , de Racine et de Voltaire... En un mot, la triste
experience que Ton a faite de I'institution des jures , nonobstant
les divers changements qu'on lui a fait subir, prouve qu'elle est
inconciliable avec les moeurs et le caractere national , avec les
sentiments d'indulgence et de pitie naturels au Francais , qui in-
clinent son coeur a la commiseration (2). » — « L' Anglais n'aime
au theatre que les spectres , les insenses , les criminels epouvan-
tables, les meurtres longuement executes; il court aux combats
d'animaux , il regrette peut-6tre ceux de gladiateurs ; qui salt
s'il ne recherche pas les fonctions de jure pour se procurer ce
plaisir de contempler un criminel aux prises avec sa conscience,
avec la mort qui I'attend ? le Frangais au contraire est delicat dans
tous ses gouts ; il fuit avec empressement tout spectacle qui peut
emouvoir desagreablement sa sensibilite; pourrait-il se faire un
plaisir de manier le glaive sanglant de la justice (3)? » — « L'Em-
Moselle, Nifevre, Puy-de-D6me, Hautes-Pyrtntes , Pyr6n6es-Orientales , Bas-
Rbin, Haut-Rhin, Roer, Sa6ne-et-Loire, Sarre, Seine-et-Oise , Stura-et-Tanaro ,
Vosges.
{l)ArUge, p. 1, torn. I.
(2) Aveyron, pp. IS , 16, torn. I.
(3) Doubs, pp.7, 8, tome II.
D INSTRUCTION CRIMINELLE. 495
pire Frangais est au centre de I'Europe , et I'Europe n'a que des
tribunaux sans jur6s. La Revolution n'a fait que developper et
fortifier le caractere national, elle ne I'a point change. Les Fran-
gais ne cesseront jamais d'etre ce qu'ils ont toujours ete, galants,
belliqueux, spirituals et legers. Que institution des jures soit
analogue a la constitution de I'Angleterre cela doit etre, parce
qu'ils I'ont fondee sur leur constitution meme. Elle est le'contre-
poids essentiel de la prerogative royale , des distinctions d'ordre ,
de privileges et de la feodalite qu'ils ont voulu conserver. Par la
mfime les jures, qui eussent ete necessaires en France avant I'abo-
lition des trois ordres et de la feodalite , y sont peut-6tre devenus
inutiles depuis que les citoyens sont devenus egaux devant la
loi (1). » — « Nous nous reunissons au vceu general qui en de-
mande I'abolition , et nous disons au genie qui a sauve la France
et a tons les citoyens genereux et eclaires qu'il a consultes, qu'il
fut un temps oh la liberte civile a dt donner I'etre parmi nous a
I'institution du jury, mais que nous sommes arrives a celui ou
I'interSt de cette meme liberte exige sa destruction (2). » —
n Nous pensons que I'institution du jury est le present le plus
funeste que nous ait fait I'Angleterre et qu'elle a contre elle non-
seulement le resultat d'une malheureuse experience , mais encore
les principes d'une saine philosophic (3). »
Les tribunaux qui demandent le maintien du jury parlent
en general un langage moins ferme; ils s'emparent le plus
souvent de I'idee emise par le grand-juge, qu'il fallait faire une
nouvelle epreuve (4). Pourtant quelques-uns elevent haut la
voix : « L'instruction par jures au milieu de toutes les taches
qui I'obscurcissent , de toutes les imperfections qui la defigu-
rent , nous a toujours paru la plus belle et la plus liberale des
institutions que le peuple frangais ait retires de sa regeneration
(1) Bouches-du-Rh6m , p. 75, tome I; of. Dordogne, p. 25, tome II; Eure-et-
Loir, pp. 9, 10, tome II; Haute-Garome , p. 41 , tome II.
(2) Nord, pp. 6, 7, tome V.
(3) Vaucluse, p. 9, tome VI.
(4) II n'est pas rare de trouver des phrases comme celle-ci : « Nous nous joi-
gnons aux magistrats aussi respectables qu'6clair6s qui ont deja manifesto leur
opinion pour la conservation des jurfis. « {Sarre, p. 6, tom VI.)
496 LE CODE
politique (1). » — « L'institution du jury a encore des detrac-
teurs. Ceux-ci ne jugent des institutions en general que par
les abus qui peuvent particulierement en resulter et non par
la masse du bien qu'elles produisent. Au contraire, il faut juger
les institutions par les avantages qui en naissent pour tons et
non par quelques inconvenients. Que Ton parcoure les fastes
judiciaires depuis l'institution des jures, on ne trouvera pas un
seul innocent condamne. II est vrai que des coupables ont
souvent echappe, mais ne vaut-il pas mieux que cent coupables •
parviennent a se soustraire au glaive de la loi que de voir un
innocent y succomber? Que Ton parcoure d'un autre cote les
fastes de I'ancienne legislation criminelle; combien est grand
le nombre des victimes innocentes qui ont peri au nom de la
loi dans les supplices! Combien est plus grand encore le nombre
des coupables qui n'ont pas ete punis! Ce parallele suffit pour
rendre hommage a la sagesse de l'institution du jury et pour
etre convaincu de la necessite de la conserver. Le tribunal
criminel de Maine-et-Loire reunit les deux tribunaux speciaux
du 18 pluviose an IX et 25 floreal an X; il lui a ete, il lui est
encore facile d'apprecier lequel des deux modes est preferable
ou l'institution du jury ou les tribunaux jugeant seuls le fait
et le droit. II ne balance pas a adopter la redaction du projet
de Code et a maintenir I'instilution des jures (2). » — « A-t-on
congu qu'il faille qu'un peuple soit compose de philosophes et
de docteurs et veut-on qu'une assemblee de jures egale en sa-
gesse I'Areopage ? Jamais aucun peuple ne sera mur assez au
gre de ceux qui sont si exigeants. II y a partout quelques
philosophes, beaucoup de canaille. Entre ces deux extremites
se trouve la masse de la population qui est composee d'hommes
simples, honnetes et de bon sens.... Nous ne valons pas les
anciens, dit-on, nous ne valons pas meme les Anglais; je n'en
sais rien.... Ce n'est pas ce qui decide la question. La fonction
d'un jure est de declarer si un accuse est coupable du fait
qu'on lui impute. Or, quelles qualites sont requises pour bien
(1) Loire, p. 2, torn. III.
(2) Maine-et-Loire, p. 22-23, torn. IV.
d'instruction criminelle. 497
resoudre cette question? II faut de I'attention aux preuves,
rintelligence suffisante pour les saisir et assez de probite pour
declarer de bonne foi I'impression qu'on en a regue. Dire que
les Francais ne sont pas dignes de jouir de I'institution du jury,
c'est proclamer qu'ils ne sont pas capables d'attention ou qu'ils
n'ont pas une certaine mesure d'intelligence et de probite (1). »
— « Nous ne fmirons pas sans manifester notre vceu bien pro-
nonce en faveur du jugement par jures. Nous sommes intime-
ment persuades qu'il est le palladium de la liberie civile... nous
ne sommes pas moins vivement penetres de la necessite de con-
server a I'innocence accusee la plus sure des sauvegardes. Tout
le mal vient non de I'institution elle-meme , mais de I'orga-
nisation vicieuse du jury (2). » — « Qu'on abolisse le jury, qu'on
impose de nouveau et pour toujours a quelques jurisconsultes,
que je suppose meme choisis parmi les plus integres et les plus
eclaires , le devoir de prononcer sur I'honneur et la vie des pre-
venus, et bientot ils regarderont comme faulive la conviction,
I'expression de ce sens interieur dont la voix est pourlant si
claire et si puissante. lis auront recours (nous sommes fondes
a le croire , car un grand nombre d'avocats , beaucoup de juges
meme pensent encore ainsi) , ils auront recours aux anciennes
regies de droit en matiere de preuves... Et sans le vouloir, ils
seront egares bien plus souvent que ne peuvent I'etre les jures
et d'une maniere bien plus funeste (3). »
II faut remarquer que dans un sens comme dans I'autre les
opinions n'etaient pas toujours absolues. Les uns en insistant
pour qu'on maintLut le jury de jugement , demandaient la sup-
pression du jury d'accusation ; d'autres, al'inverse, voulaient seu-
lement conserver ce dernier. « L'experience a montre que le
jury d'accusation etait la partie la plus importante de I'institu-
tion du jury... c'est la porte du sanctuaire criminel; et si elle
est toujours obstruee, telle qu'elle I'a ete jusqu'a ce jour, il faut
la fermer tout-a-fait et renoncer a une institution qui offre plus
(1) Manche, p., 56, B7, tome IV.
(2) Pyrinies-Orientales , p. 13, torn. IV.
(3) Sambre-et-Meuse, p. 18, 19, tome VI.
32
498 LE CODE
d'inconvenients que d'avantages (1). » — « H est demontre queles
citoyens priv^s appeles a ces fonctions augustes ne sont jamais
bien penetres du but de cette institution. II est impossible de
leur faire entendre qu'ils ne sont pas juges du delit meme , mais
que d'autres jures sont charges de ce soin (2). » — « Je pense que
I'institution du jury d'accusation est inutile et mgme qu'elle a de
mauvais effets. Qu'on ne m'accuse pas de vouloir innover en
attaquant un etablissement consacre, j'ose dire que nos legisla-
teurs constituants , en youlant creer parmi nous un systeme nou-
veau de procedure criminelle, n'ont pas ete assez en garde centre
I'esprit d'imitation qui leur a fait, introduire dans leur plan des
pieces bien adaptees au systeme anglais, et qui sont deplacees
dans le leur (3). m — « Le jury d'accusation ne sera point I'objet
de nos observations. L'institution en cette partie manque de son
principal element. Les jures ne jugent plus sur des depositions
orales; ils deviennent en quelque sorte juges de proces par
ecrit (4). »
Voici maintenant des opinions en sens inverse : « Les mem-
bres du tribunal criminel du departement du Lot estiment que,
moyennant un meilleur choix qu'on se propose de faire des ju-
res, on ne devrait conserver que le jury d'accusation, et que le
surplus de I'instruction et le jugeraent doivent etre confies aux
tribunaux (5). » — » Nous regardons que le jury d'accusation
ne presente pas pour la societe , a beaucoup pres , les memes
dangers que le jury de jugement. L'experience a prouve que les
jures se determinent plus volontiers a accuser qu'a condamner...
en adoptant ce parti , on prendrait le juste milieu entre 1' opinion
de ceux qui voudraient conserver l'institution des jures et celle
de ceux qui pensent qu'on doit la rejeter en entier (6). » — « Le
grand-juge par son compte-rendu , dans la partie oii il discute
I'organisation du jury, semble pareillement tendre a I'aneantir.
(1) Aisne, p. 8, torn. I.
(2) Loir-et-Cher,p. 24, torn. III.
(3) Manche, p. 13, torn. IV.
(4) Eure-et-Loir, p. 8, torn. II.
(5) Lot, p. 12, torn. IV.
(6) Orne, pp. 8, 9, torn. V.
D INSTRUCTION CRIMINELLE. 499
C'est surtout ce qui devient plus saillant aux pages 2U et 215,
relativement a I'opinion qui ne conserverait que le seul jury
d'accusation , idee lumineuse et qui, sagement menagee, devien-
drait peut-etre le meiUeur terme de conciliation de tous les
systemes en cette partie (1). » On se demands si ceux , qui ne
voulaient garder que le jury d'accusation, croyaient veritable-
ment que cette institution pM subsister longtemps detachee de
son support naturel. II etait, croyons-nous , interessant d'enregis-
trer les donnees principales de I'enquete ; il est curieux de con-
signer les propheties alors emises de part et d'autre , aujourd'hui
que le temps a donne la solution (2),
IV.
En dehors de I'enquete officielle, il s'en etait ouvert une au-
tre a laquelle tous etaient appel6s ; elle se faisait spontanement
dans les livres et dans les brochures. La grosse question du
jury preoccupait tous les esprits ; et les academies mettaient
comme jadis au concours le probleme de la legislation crimi-
nelle (3). Les brochures pour ou contre le jury se multipliaient (4).
C'etait , avec beaucoup moins d'eclat et d'elan , quelque chose qui
rappelait de bien loin le mouvement d'idees qui avait precede les
reformes de la Revolution. On etait arrive au moment des illu-
(1) Basses-Pyrinies , torn. V, p. 15.
(2) On peut dire que la majority des tribunaux criminels fetait favorable au
maintien du jury. On peut mgme regarder comme acquis a cette opinion les tri-
bunaux qui ne prononcent point , ^tant donn6 le mot d'ordre qui semblait partir
du grand-juge et de la Cour de cassation.
(3) Mimoire qui a remporti le prix en Van X sur cette question proposie par
Vlnslitut national : Quels sent les moyens de perfectionner en France IHnstitution du
jury, par Bourguignon. Papis, an X. — Moyens de perfectionner lejury, par F. Ca-
nard, ouvrage couronnS (Mftulins, 1802).
(4) Voy. Bourguignon : Deuxiime et troisiime mimoire swr le jury. — De I'excel-
lence de I'institution du jury et du syslime des lois pinales adopties par I'AssembUe
constituante, par Porcher (Orleans, 1804). —Des vices de institution du jury en
France, par M. Gach. Paris, 1804; — Risultat de l'exp6rience contre lejwy fran-
Qais, par M**'. Paris, 1808. — Cf. Diveloppement des lois criminelles par la compa-
raison deplusieurs Ugislatipfis anciennnes et modernes, par Scipion Bexon. Paris,
anX.
SOO LE CODE
sions perdues ; I'esprit de scepticisme remplacait la generogite des
premiers jours ; ce que Ton invoquait dans un camp comme dans
I'autre ce n'etait plus la « voix de la nature , » mais les lecons de
I'experience. Disons un mot de MM. Bourguignon et Gach, dont
les ouvrages fixerent alors I'attention.
En I'an X, I'lnstitut avait mis au concours cette questiom.:
« Qaels sont les moyens de perfectionner en France I'in&titution
du jury? » C'etait clairement indiquer que le maintien de la, pro-
cedure par jures n'etait pas mis en doute , et c'est ce que fait
remarquer en tete de son memoire M. Bourguignon, qui rem-
porta le prix. « L'importance du sujet atteste tout a la fois la
haute sagesse des savants qui I'ont propose et les intentions ge-
nereuses et liberales du gouvernement , qui manifeste la volonte
la plus constante d'ameliorer cette institution (1). »
Ce memoire est un chaleureux plaidoyer en faveur du jury. II
debute par une comparaison rapide du jury tel qu'il existe en
France avec celui des Atheniens , des Romains et des Anglais :
« Les legons de I'experience valent mieux que les theories abs-
traites (2). » lltudiant alors les principes qui doivent determiner
la formation des listes de jures, I'auteur demande qu^n n'y porte
que des ciloyens ayant une certaine fortune et qu'ils soient choi-
sis et non tires au sort; de plus, dit-il, « I'experience a prouve
qu'il y a plus d'inconvenient a confier la formation de cette liste
aux administrateurs que de danger de I'attribuer aux magistrats.*,
on pourra cependant faire concourir les autorites administratives
et judiciaires au choix des jures (3). » II demande qu'on change
le mode de recusation (4), et que la simple majorite des voix
suffise pour la condamnation : « II est vrai , observe-t-il, que sui-
vant nos anciennes lois criminelles, I'avis le plus severe ne preva-
lait que lorsqu'il obtenait une majorite de deux voix. Cette etrange
disposition n'avait sans doute ete adoptee que pour servir de cor-
(1) Op, cit., p. ,2. L'auteur ajoute en note : « Une commission composee de
magistrals du plus grand merits s'occupe sans rel^clie, par ordre du gouvernement,
de preparer un projet de loi sur icet important dijet. «
(2) Op. cit., p. 7.
(3) Ibid., p. 34.
(4) Ibid., p. 42.
D INSTRUCTION CRIMINELLE. SOt
pectif ou de palliatif aux formes barbares dont ce Code etait infecte.;
mais ce n'est pas dans cet.te source que I'dd doit puiser les moyens
de perfectionner le jury (1). » II presente sur la redaction des ques-
tions a poser aujury des observations tres-sages, dont quelques-
unes pourraienl etre encore utiles aujourd'hui (i). Toutes ces
idees, et bien d'autres contenues dans I'ouvrage, etaient parfaite-
ment judicieuses et pouvaient offrir au legislateur un interessant
SHJet de meditations.
L'ouvrage de M. Gach semble avoir produit sur I'esprit des
eontemporains une impression assez vive ; il fut assez souvent
cite dans les discussions au conseil d'Etat. C'etait une attaque
violente centre I'instiLution du jury, a cette fille ainee de la Re-
volution frangaise , la eonquete iUustre. du dix-haitieme siecle sur
la sagesse des siecles qui Font precede (3) ; » mais cet ecrit ne
eontenait en r^alite rien de neuf , il reprenait tons les griefs que
nous avons vu soulever tant de fois, que nous verrons soulever
encore : la futilite du caractere national, Tignoramee des ju-
res, etc. « Consideree en elle-meme, disaitM. Gach, cette insti-
tution est une des plus belles conceptions de Fesprit humain,
mais comme I'experience nous a appris a nous defler des plus
brillantes theories en matiere de legislations civiles et politiques,
je prends Tengagement d'etablir que I'iinstitution du jury n'est
qu'un beau reve de la philosopMe: impossible a realiser parmi
nous. Le sol francais, d'ailleurs si fecond en hommes celebres ou
estimables dans tous les genres de talents el de merite , ne pro-
Amira jetmais de bons jures ; I'obstacle est dans le caractere , les
meeurs, les vices et jusque dans les vertus de la nation. Quel
avantage pr^tendez-vous tirer de I'exemple des, penples anciems
et modernes? Existei-t-il quelque rapport entre les tribunaus de
(1') Op. cit., p. 90.
(2) Pp. HO a 96 : « Le premier moyen consiste k puMiaJ une instruction 16gis^
latire sur le Code penal , qui contiendra la definition exacte et precise de chaque
d^Iit, i insurer dans chaque 'acte d'accusation la d^Qnicioa legale du d^lit et a
charger le magistrat qui doit r^sumer les dibats , de faire, des ohservatioas pour
expliquer au jury comment les caractSres du dSlit peuvent s'appliq|Uei( au fait...
Et je ne puis me dispenser d'observer a cette occasion que ce defaut de dglini-
tion legale des delits forme une lacune importante dans notre Code p^nal (P., 79). a.
(3) Gach, Des vices dujury en France.
502 LE CODE
Rome , d'Athenes et le jury frangais? Qu'ont de commun avec
nous les Grecs et les Romains, leurs moeurs avec nos mceurs, le
temps oil ils out vecu et celui ou nous vivons? L'exemple du
peuple anglais ne peut etre d'un grand poids , aucun peuple de
I'Europe, excepte nous, ne les a encore imites sur ce point; et
il n'est pas raisonnable de penser que les Anglais aient seuls
sur ce point, mieux vu que les autres peuples de TEurope. » Et
ailleurs : « La masse des jures etant composee de citoyens de
toutes les classes , les fonctionnaires exceptes , de tels jures ne
peuvent que manquer en general d'instruction. II faut oser le
dire, le peuple de I'Europe le plus spirituel, le plus poli , le plus
aimable est peut-etre un des peuples les moins instruits... II n'y
a pas de pays ou la masse de citoyens croupisse dans une plus
profonde ignorance de tout ce qui a rapport aux lois et a I'admi-
nistration publique ; peu curieux d'apprendre , trop peu instruit
mgme pour sentir la necessite et le prix de 1 instruction , le Fran-
gais, en general, ne lit point, n'observe point, ne reflechit
point. » Cette these .etait d'ailleurs relevee par des observations
exactes sur le fonctionnement du jury, tel qu'il etait alors orga-
nise. Cependant Bourguignon reprit la plume et publia encore
deux memoires sur le jury. Dans son deuxieme memoire (1) il a
pour but de repondre aux attaques contre le jugement par jures ,
qui se produisent en general dans le corps de la magistraturerU
« J'ai entendu des jurisconsultes et des magistrats du plus grand
merite revoquer en doute la superiorite de cette procedure..., le
peu de succes , disent-ils , qu'elle a obtenu en France depuis
qu'elle y est observee , prouve jusqu'a I'evidence que, ftit-elle
bonne, elle ne peut convenir a nos mceurs (2). » Dans son troi'
sieme Memoire, il a surtout a ccEur de refuter I'ouvrage de
M. Gach, dans lequel , dit-il, les objections qu'on reproduit sans
cesse , ont ete rassemblees et developpees avec beaucoup de force
par un ecrivain plein de talent (3). Dans ces deux ouvrages , le
(1) DeuxUme mimoire sur I'institution du jury, la dans la seance gfin^rale de
I'Acad^mie de legislation du let niv6se an XIII.
(2) Ibid., p. 3.
(3) TroisUme mimoire sur le jury, par M. Bourguignon , I'un des magistrats
du parquet de la haute cour impSriale , juge en la cour de justice criminelle de
Paris. Paris, 1808, p. 5a.
d'instruction criminelle. 503
courageux et g6nereux magistral n'apportait point de nouveaux
elements au debat, mais 11 reprenait avec chaleur et lucidite les
bonnes ralsons qui combattalent pour le maintien du jury. Ce-
pendant 11 fournissalt quelques donnees de statlstlque assez pre-
cieuses. Dans le second memoire, 11 comparait les resultats obte-
nus a Paris par le moyen du jury d'un cote, et par celui du
tribunal special d'autre part en I'an X et en I'an XI. Devant le
jury avaient comparu 788 accuses; 519 avaient ete condamnes et
209 acquittes. Devant le tribunal special avaient ete traduits 193
accus,es ; 127 avaient ete condamnes et 66 acquittes (1). Dans le
troisieme memoire 11 reprend et complete ces indications : « Du-
rant les annees IX et X 11 a ete acquitte seulement un quart des
accuses soumis a I'epreuve du jury, tandis que la memo cour a
renvoye absous plus d'un tiers de ceux qu'elle a juges speciale-
ment et sans jures. Le releve comparatif des arrets rendus par
la meme cour pendant les annees XI, XII, XIII, XIV, et sui-
vantes, m'a donne a peu pres le meme resultat (2). »
Mais on sentait bien des lors que la solution de ce grand pro-
bleme dependait de I'homme , aux mains duquel la France , lasse
et meurtrie , avait remis ses destinees. Bourguignon dans son
deiixieme memoire s'adresse a lui sans le nommer, lorsque, dans
une enumeration assez singuliere, il cite les hommes celebres
qui ont ete les partisans du jury et ceux qui en ont ete les adver-
saires. Parmi les premiers il compte : Solon, Pericles, Aristote,
Demosthene, Lysias, les fils de Cornelia, Servilius Coepio, Plau-
tius , Silvanus , Marius , Sylla , Ciceron , Pompee , Cesar ; en An-
gleterre le grand Alfred , Jean I , Henri III , Edouard I ; — parmi
les seconds , les Trente Tyrans , et en Angleterre Henri IV,
Henri VII, Henri VIII, Jacques I, Charles II (3). » II termine
par une evocation d'Auguste, allusion transparente , qui ne man-
que ni de courage , ni de grandeur : « Auguste employa cette
toute-puissance a pacifier I'univers et a procurer aux Remains
le calme et la securite ; mais malheureusement il la transmit tout
(l)beuxiime mimoire, pp. 70, 71.
(2) Troisiime memoire, p. 92.
(3) Deuxiime memoire, p. 59, 60.
504 LE CODE
entiere a ses successeura qui en ont abuse de la maniere la plus
funeste. La posterite ne serait-elle pas en droit de lui adresser
ces reproches : C^sar, tu as ete investi du pouvoir absolu , tu as
detruit nos institutions, renverse la constitution de nos ance-
tres : qu'as-tu substitue a ces bases de la grandeur romainp? La loi
regia, c'est-a-dire le despotisme absolu et I'arbitraire... Cesar ton
imprevoyance I'a rendu le fauteur de tons les actes de tyrannie
dont lis (tes successeurs) ont souille les annales de I'Empire (1). »
En flnissant la preface de son troisieme memoire, c'est une priere
qu'il adresse au Maitre tout-puissant : « La discussion; polemique
qui s'est engagee sur le jury, sera bientot terminee... Persuade
que les avantages resultant de cette institution perfectionnee
n'echapperont pas au genie vaste et profond qui preside aux
destinees de TEmpire , je croirais ce dernier ecrit absolument
inutile, s'il ne devait servir a detruire les preventions semees
dans les diverses classes de la societe contre une procedure trop
peu connue (2). »
(1) Deuxiime mimoire, p. 60,
(2) TroisUme mimoire. Preface, p. 2.
D INSTRUCTION CRIMINELLE. §05
CHAPITRE DEUXIEME.
La question du jury devant le Conseil d'Etat.
L
I. Premiere discussion da projet de Code oriminel devant le Conseil d'Etat en
I'an XII et en I'an Xlll ; projets sur la reunion de la justice civile et de la jus-
tice crimineUe; interruption des travaux. — IT. Reprise des travaux en 1808;
encore la question du jury : suppression du jury d'accusation ; maintien du
jury dejugement.
Le projet de Code crimiael avail ete envoye , avec les resultats
de i'enquete , a la section de Legislation du Conseil d'Etat , alors
presidee par M. Bigot-Preameneu , et composee de MM. Berlier,
Galli, Real, Simeon et Treilhard (1). La discussion au Conseil
d'Etat , qui devait etre pour le Code , eomme jadis pour I'Ordon-
nance de 1670, la phase principale des travaux preparatoires, corn-
menca seulement le 2 prairial an XII (22 mai 1804). Le proces-
verbal de cette premiere seance est tres-court : « Sa Majeste qui
preside la seance , charge la section de Legislation de presenter
dans le delai de quinze jours les questions fondamentales du
projet de Code criminel (2). » Le 9 prairial , Napoleon renouvelle
cette invitation; il declare du reste, et ceci est tres-important ,
que les decisions prises sur ce point ne seront pas definitives, <; le
Conseil demeurant libre de revenir sur ses premieres resolu-
tions (3). » II fut aussi decide que les commissaires , qui avaient
prepare le projet, assisteraient aux seances du Conseil d'Etat,
mais non point a celles de la section de Legislation, ou ils au-
raient forme la majorite. Des lors tout est pret; le' travail va
commencer et il se poursuivra jusqu'au 29 frimaire an XIII. Puis
(l)Locr^, tome I, p. 205. Les observations des cours d'appel ne furent r^unies
que dans le courant de I'an XII ; elles sont en general datfes des mois de germi-
nal, flor^at, messidor et thermidor de cette ann6e.
(2) Locri, tome XXIV, p. 8.
(3}Locri, tomeXXIV, p. 9.
506 LE CODK
vient une longue interruption, et c'est seulement le 23 Janvier
1808 que la discussion reprendra, pour aboutir cette fois a la
presentation et au vole par le Corps legislatif du Code d'instruc-
tion criminelle.
Une question arreta longtemps le Conseild'Etat; c'est celle que
nous avons toujours rencontree depuis 1789, toutes les fois qu'on
a discute la legislation criminelle : Conserverait-on la procedure
parjures ou reviendrait-on aux traditions de I'ancienne procedure
frangaise? La police judiciaire, la poursuite et I'instruction pre-
paratoire feront aussi quelque difficulte ; mais sur ce point la loi
de pluviose avail deblaye le terrain. Quant a la procedure devant
les juridictions de jugement, les grandes lignes , nous 1' avons dit,
avaient ete definitivement fixees par les lois de I'epoque interme-
diaire.
Sur la lisle des questions de principe, redigee par ordre de
I'Empereur et presentee dans la seance du 16 prairial an XII, les
huit premieres concernaient lejury (1). Immediatement la discus-
sion s'engagea sur ce point. Si lejury avail de nombreux adver-
saires il comptait aussi des partisans, et M. Regnaud de Saint-
Jean d'Angely proposa meme, entre eux, une sorte de combat en
champ clos par la creation de deux commissions rivales (2).
On entendit tour a tour MM. Simeon, Dupuy, Portalis, Bi-
got-Preameneu , pour ne citer que les principaux orateurs, de-
mander le retour aux anciennes formes de procedure , modifiees
et adoucies. Leurs arguments nous sont deja connus, ce sont
(1) Void la llste entiere :
« I. L'institution du jury sera-t-elle conserv^e ?
» II. Y aura-t-il un jury d'accusation et unjury de jugement?
» III. Comment seront nommfe les jur^s ; dans quelle classe seront-ils nommfis ;
qui lesnommera? >.
» IV, Comment s'exercera la recusation ?
B V. L'instruction sera-t-elle purement orale ou partie orale et partie ecrite?
» VI. Presentera-t-on plusieurs questions au jury ou n'en presentera-t-oa
qu'une? — L'accus6 est-il coupable?
" VII. La declaration du jury sera-t-elle rendue a I'unanimite ou a un certain
nombre de voix?
» VIII. Y aura-t-il des magistrats qui pourront tenir des assises dans plusieurs
tribunaux criminels de d6partement? » Locri, tome XXIV, pp. H, 12.
(2) Locri, tome XXIV, p. 22.
d'instkuction criminelle. 507
ceux que nous avons trouves dans les observations des cours
d'appel at des tribunaux criminels : « Au commencement de la
Revolution on fit des reformes utiles dans la procedure crimi-
jaelle, en introduisant dans I'information des adjoints qui surveil-
laient le juge instructeur, en rendant la confrontation publique, en
donnant a I'accuse des defenseurs et en lui donnant communication
de toutes les pieces. Le desir du mieux, qui nous a fait tant de mal
dans la Revolution, fit ensuite proposer les jures (1). » — « La pu-
blicite de la procedure et les debats voila les veritables garants de
la liberte individuelle. Avec cette publicite, on sera mieux et plus
surement juge par des hommes en ayant charge et en faisant
etude et profession que par les premiers venus (2). » — « On pour-
rait juger des resultats du jury par ce qui se passe chez les An .
glais", il n'est point de pays ou il y ait une plus mauvaise police
et moins de surete pour les individus (3). » — « M. Portalis pense
que le jury doit etre supprime... les meilleurs jurisconsultes
(Anglais) n'ont pas une opinion favorable au jury. En Angleterre
le jury est cause de beaucoup de desordres (4). » — « Le seul ar-
ticle des nouvelles institutions qui ait obtenu I'assentiment general,
c'est la publicite de I'instruction... ni I'accuse, ni la societe ne
trouvent une garantie suffisante dans le jury (5). »
Voila des affirmations bien categoriques et assez etranges ;
d'autres opinions vont a la meme conclusion, mais par un chemin
.ffloins direct. « L'institution des jures a plus d'inconvenients que
d'avantages, mais il ne conviendrait peut-etre pas de la suppri-
mer brusquement aujourd'hui qu'on y est accoutume (6). » Sans
repousser absolument le jury, I'Archichancelier defend la proce-
dure ecrite : « II est extremement bizarre de faire des depenses
enormes pour une procedure dont il ne reste aucune trace...
il n'est pas moins etonnant que la loi attache si peu d'effet a
instruction faite par le magistrat de sHrete et par le directeur
(1) M. Simeon, Locri, tome XXIV, p. 3 , 14.
(2) M. Simeon , Locri, tome XXIV , p. 21 .
(3)M. Dupuy , iocrt, tome XXIV, p. 29.
(4)Locr^, tome XXIV, pp. 34, 35, 36.
(5) M. Bigot-Preameneu, Locri, t. XXIV, p. 40.
(6) M, Boulay, tocr^, tome XXXIV, p. 22.
508 LE CODE
du jury d'accusatian , qu'on ne puisse pas s'en servir meme pour
eclairer le jury. Voici, au surplus, comment on pourrait eta-
blir la procedure par ecrit. L'instruction faite par le magistral
de snrete ferait charge centre I'accuse, sauf I'epreuve des de-
bats. Les debats ne seraient pas ecrits, mais les aveux de I'ac-
cuse et les variations des temoins seraient coosignes dans le
proces-verbal signe par eux (1). » Au reste, Cambaceres est
partisan de I'Ordonnance de 1670 : << On ne doit pas craindre
de prendre quelques dispositions de I'Ordonnance de 1670...
la privation de conseils et de defenseurs, I'interrogatoire sur la
sellette , ne doivent certainement pas etre retablis , mais il n'en
est pas de meme du recolement dans lequel un temoin pent se
corriger, de la confrontation oti il est permis a I'accuse de re-
procher les temoins et de discuter leurs depositions. Avec quel-
ques modifications, les articles de I'Ordonnance de 1670 sur ce
sujet peuvent etre utilement employes dans notre legislation
nouvelle (2). »
Mais tons protestent contre la theorie des preuves legales. Les
magistrals qui remplaceraient les jures formeraient leur con-
viction « non sur des preuves appelees legales , mais avec les
memos moyens , les memes elements que le jury et d'apr^s les
debats (3). » Portalis veul meme demonlrer qu'aulrefois la theo-
rie des preuves legales n'exislait que dans le sens favorable
aux accuses : « on se trompe dans I'idee qu'on se forme de cette
doctrine, lorsqu'on suppose qu'elle forcait le juge de condam-
ner des que deux temoins etaient unanimes sur le meme fait,
elle se bornait a empecher le juge de condamner quand il a'y
avs,it pas au moins deux temoins (4). »
Cependant dans le Conseil il y avait des hommes qui n'aban-
donnaient pas les principes de cette Revolution, qui les avait
tires parfois de I'obscurite et des derniers rangs du peuple pour
les porter aux honneurs et a la puissance. Le jury trouva d'ha-
biles et eloquents defenseurs : MM. Berlier, Treilhard, Defer-
(1) Locr6, tome XXXIV, p. 27.
(2) tbid.. p. 28.
(3) M. Simton, ibid., p. 19.
(4) Ibid., p. 53.
d'instruction criminelle. 309
mon, Gretet, Berenger, Frochot, enfln le prince connetable et
M. Regnaud de Saint-Jean d'Angely se pronoiacerent pour son
maintien. lis invoquaient le caractere equitable et protecteur de
k procedure par jures; ils montraient surtout qu'elle n'avait
point encore fonctionne en France dans des conditions nor-
males : « Peut-etre si nous vivions sous I'empiire de la loi de
1789 la prudence, ennemie des innovations et des essais, con-
seillerait-elle d'y-rester; mais le pas a ete franchi et la memo
prudence nous defend de renoncer a une amelioration fort che-
rement acquise (1). » — « Pjourquoi les Anglais en sont-ils
encore si jaloux (du jury)? II y a lieu de croire que c'est parce
que rien n'est plus terrible que de donner a quelques hommes
le droit perpetuel de vie et de mort sur tous les autres (2). »
— « Aujourd'hui que le legislateur peul suivre les eonseils de
la sagesse et retablir le jury dans toute sa purete, la nation
verrait peut-etre avec quelque surprise une institution aussi li-
berale effacee du Code de s-es lois , sous un chef qu'elle sait etre
fortement attache aux sentiments liberaux (3). » — « Ce qui
"attache la nation a I'institution du jury, c'est que, quoiqu'elle
ait pu §tre I'occasion de quelques absolutions scandaleuses , du
moins elle a I'avantage de ne jamais mettre I'accuse a la dis-
cretion des passions particulieres (4). » — « Tant que I'insti-
tution du jury n'a pas ete viciee , elle n'a eu que des resultats
avantageux(S). » — Le prince connetable declare « qu'il a tou-
jours entendu parler du jury comme d'un des'principaux avan-
tages que les Fran§ais aient tire de la Revolution , comme d'une
des plus silres garanties de la liberie (6). » — M. Regnaud de
Saint-Jean d'Angely affirme « qu'on tombea-ait dans des incon-
venients graves si on le supprimait... Depuis 1789 jusqu'en 3791,
on a essaye d'apporter a la forme de proceder, introduite par
^OI^donnance de 1670 , les seules modifications dont elle fut sus-
(1) M. Berlier, Locri, tome XXIV, p. 23.
(2) M. Cretet, ibid., p. 30.
(3)M. Treilhard , iiW., p. 33.
(4) M. Froehot , Locr6, tome XXIV, p. 44.
(5) M. Defermon , ibid., p. 37.
(6) Ibid., p. 44.
510 LE CODE
'ceptible. Cette epreuve n'a pas ete heureuse; alors on a etabli
le jury et cette institution a obtenu I'assentiment general (I). » *
Les defenseurs du jury triomphaient surtout quand ils de-
montraient que lui seul etait compatible avec cette theorie des
preuves morales , que tout le monde voulait respecter : « Nulle
loi n'enjoignait aux juges criminels de se depouiller de leur
conviction morale pour s'en rapporter aux preuves Ugales, ce-
pendant les preuves legales prevalurent souvent (2). » — « Ce
serait armer les juges de profession d'un pouvoir trop redou-
table que de les appeler a statuer sur le fait, et de leur per-
mettre de n'alleguer d'autres motifs de leur jugement que leur*
conviction intime, que leur conscience. On ne pent done leur
coofier le jugement du fait sans retablir la theorie des preuves
legales; mais puisqu'on reconnait que ce systeme est perni-
cieux, il en resulte qu'il ne faut pas constituer des jures per-
manents et qu'il faut en revenir an jury (3). » — « Ne peut-il
pas arriver que chaque tribunal se cree des principes et se fasse
un corps de doctrine sur le choix des circonstances qui doivent
entrainer 1 'absolution ou la condamnation (4)? «
D'ailleurs les partisans du jury acceptaient, soit comme me-
sure transitoire, soit comme institution permanente, les tribu-
naux speciaux pour les criminels les plus dangereux : « Si Ton
peut faire la part aux circonstances par des restrictions momen-
tanees, pourquoi detruire le principe et priver nos neveux du
benefice de I'institution (b)? » — « Le droit d'etre juge par des
jures est un droit de cite ; des lors les vagabonds et les gens
sans aveu ne peuvent le reclamer. Rien ne s'oppose a ce qu'on
etablisse pour eux une justice prevotale, pourvu qu'elle soit
mieux organisee et moins rapide que I'ancienne. Le crime de
faux devrait aussi etre renvoye a ces tribunaux (6). »
Cependant dans cette discussion importante, et qui en realite
(1) M. Defermon, Locri; tome XXIV, p. 38.
(2) M. Berlier, ibid., p. 25.
(3) M. Birenger, Locri , tome XXIV, p. 43.
(4)M. Cretet, i6W., p. 31.
(5) M. Berlier, ibid., p. 24.
(6) M. Regnaud, ibid., p. 39.
- d'instruction criminelle. 311
devait etre decisive bien qu'on la recommengat dans la suite,
tous les yeux etaient tournes vers le maitre qui la presidait. Na-
poleon etait intervenu plusieurs fois ; il parut vivement fraf)pe du
systeme expose par M. Simeon : « Sa Majeste dit qu'on n'a point
repondu a ce qu'a avanc6 M. Simeon, que les juges, n'etant
point forces de se prononcer d'apres les preuves'legales, ne sent
plus que des jures , mais ont cet avantage sur les jures ordi-
naires, qu'ils sont plus exerces et mieux choisis; que ce serait
de tels citoyens qu'il faudrait prendre pour jures, s'ils n'etaient
. point revgtus du caractere de juges (1). » Mais la discussion pre-
" nait de plus en plus une tournure favorable au maintien du jury;
M. Berlier en fit la remarque : « M. Berlier dit que plus la dis-
cussion avance, plus il se verifie que I'institution du jury est
bonne et susceptible seulement de quelques ameliorations (2). »
Alors I'Empereur trouva utile de clore les debats; mais il a
soin d'observer : « Qu'il ne regarde pas le Conseil comme engage
par la determination qui va etre prise , et que , si en organisant
le systeme on rencontre des obstacles imprevus , le Conseil
pourra revenir sur sa premiere opinion (3). » Cependant il tint a
donner son avis : « De part et d'autre on a allegue des raisons
tres-fortes pour et centre I'institution des jures , mais on ne peut
se dissimuler qu'un gouvernement tyrannique aurait beaucoup
plus d'avantages avec des jures qu'avec des juges qui sont moins
a sa disposition , et qui toujours lui opposeront plus de resis-
tance. Aussi les tribunaux les plus terribles avaient-ils des jures?
S'ils eussent ete composes de magistrats, les habitudes et les
formes auraient ete un rempart centre les condamnations injustes
et arbitraires. La durete que peiit donner I'exercice continued de
ces fonctions est peu a craindre , lorsque la procedure est publi-
que, qu'il y a des defenseurs et des debats. Cependant Sa Ma-
jeste admet le jury s'il est possible de parvenir a le bien com-
poser... II serait necessaire aussi d'organiser des tribunaux
d'exception pour connaitre des delits commis par des individus
{l)Locrt,XXIV, p. 33.
(2) Ibid., p. 45.
(3) Ibid., p. 46.
512 LE CODE
non domicilies ou reunis en bande (1). » Des lors, pour cette fois
du moins, la question etait tranches : « Le Conseil adopte en
principe que I'institution du jury sera conservee (2). » Immedia-
tement apres , la seconde question : « Y aura-t-il un jury d'acca-
sation et un jury de jugement? » fut resolue dans le seas de
I'affirmative, sur de tres-breves observations de MM. Treilhard
et Bigot- Preameneu (3).
On passa ensuite au choix des jur6s : ce point , quelque inte-
ressant qu'il soit , ne doit point nous preoccuper, mats incidem-
ment se presenta un debat qui ramena sur le tapis les anciennes
idees. Napoleon demanda si I'avis du Conseil etait de ne pas ad-
mettre pour defenseurs des hommes de loi (4,1 ; et des opinions
pen favorables a la liberte de la defense se firent jour. « M. Miot
dit qu'en Angleterre , les accuses n'ont pas de plein droit la fa-
culte de se choisir des defenseurs. Dans tous les cas on n'admet
pas a ce ministere les avocats, parce qu'on craint qu'ils n'obs-
curcissent les faits. Les conseils s'asseyent pres de I'accuse et
I'aident de leurs avis , mais ils ne plaident que lorsqu'ils en ont
obtenu la permission (5). » M. Regnaud de Saint-Jean d'Angely
alia plus loin : « Dans les tribunaux civils , le ministere des avo-
cats est toujours necessaire ; parce que \k les contestations pre-
sentent des questions de droit qui ne peuvent etre discutees que
par des hommes verses dans la connaissance des lois; mais il
n'en est pas de meme dans les tribunaux criminels, oii il ne s'agit
que de decouvrir la verite d'un fait. La , I'accuse pent, par les
eclaircissements qu'il donne, repousser lui-meme les inculpations ;
il n'est done pas necessaire qu'il ait un defenseur. A la verite ,
il est des hommes que Fignorance ou la timidite empechent de
s'expliquer, il faut faire pour eux une exception. Le president
du tribunal deciderait s'il y a lieu ou non d'admettre cette excep-
(1) tocrt, tomeXXrV, p. 47.
(2) Ibid., p. 48.
(3) Ibid., p. 48.
(4) Pen d'instants auparavant il avait dit : « II importe de n'admettre pour de-
fenseurs des accuses que des liommes strangers aux habitudes du barreau. »
Ibid, p. 52.
(5) Locr4 , tome XXIV, p. 52.
d'instruction criminelle. 813
tion et d'accorder un defenseur. » Ea realite on ne parkit pas
autrement autrefois quand on voulait justifier I'Ordonnance.
Mais cette proposition , que jadis Lamoignon avait vainement
combattue, souleva des protestations : « M. Berenger dit qu'on
ne parviendra jamais a trouver une organisation et des formes
assez parfaites pour qu'elles donnent au juge la certitude qu'ii
n'a jamais condamne un innocent. Quelquefois les apparences
sont centre I'accuse , et parce que le trouble et la crainte I'em-
pechent de les detruire, il parait coupable. II a done toujours be-
soin d'etre assiste d'un defenseur. On ne pourrait d'ailleurs refu-
ser ce secours sans rappeler une loi trop fameuse et avec laquelle
notre procedure criminelle ne doit avoir aucun rapport. M. Treil-
■ hard dit que I'accuse auquel on refuserait un defenseur se per-
suaderait qu'on veut le perdre. La regie que M. Miot a dit exister
en Angleterre est dans le droit, mais dans le fait on ne refuse
jamais a I'accuse la permission d'avoir un conseil (1). » On n'eut
pas de peine a montrer que la disposition qui exclurait les
hommes de loi serait illusoire et que , du reste , leur aide etait
legitime et souvent necessaire (2). « II est preferable de donner
au president un pouvoir discretionnaire , de I'autoriser a fermer
la bouche de tout avocat qui ne se renferme pas dans les bor-
nes d'une legitime defense , et meme d'interdire cet avocat avec
le concours du tribunal, lorsque les circonstances le demah-
dent (3). »
Dans la meme seance, le Conseil se prononca sur la question
de la procedure ecrite. A cet egard , les tendances reformatrices
semblerent triompher. Gambaceres developpa la proposition dont
nous avons parle plus haut : « Dans I'etat actuel des choses, I'ins-
truction est tout orale ; car ce qui a ete ecrit ne sert que de ren-
seignements pour diriger les debats... La premiere information
(1) Locri, lome XXIV, pp. 53, 54.
(2) « M. Simton dit que le rSglement qui exclurait les avocats serait elude; ce
serait eux qui composeraient le plaidoyer du defenseur (cela fait songer aux lo-
gographes i'Alhknes). D'ailleurs on verrait se r^unir pres des tribunaux criminels,
comme autrefois pres des consuls , des hommes non graduis qui exerceraient le
ministfere de defenseur et bient6t possederaient aussi bien que les gens de loi ,
I'art de circonscrire la justice. » P. 52.
(3) M. Berenger, Ibid., p. 54.
33
514 LE CODE
continuerait a etre faite par le magistral de surete... Cette pro-
cedure serait transmise au directeur du jury, lequel ferait le
recolement des temoins... Toutes ces procedures seraient ren-
voyees a la cour de justice criminelle avec I'accuse, auquel il
serait permis de faire venir un conseil dans sa prison. Les de-
bats s'ouvriraient par la lecture de la procedure faite tant par
le magistral de siirete que par le directeur du jury. Des te-
moins seraient appeles; I'accuse assiste d'un conseil assis pres
de lui pourrait proposer des reproches et refuter leurs deposi-
tions. Le proces- verbal ne contiendrait pas en detail les de-
bats , mais le procureur general et I'accuse auraient le droit de
faire constater les resultats. Le tout serait mis sous les yeux
du jury. — Sa Majeste adopte I'idee de mettre sous les yeux
des jures copie de I'information. Neanmoins EUe pense que celle
qui a ete faite par la police ne doit pas leur etre communiques ;
car la police instruit surtout dans la vue de decouvrir tous les
coupables et toutes les circonstances du crime; par cette raison
elle doit etre insidieuse. Le juge instructeur, au contraire , n'a
d'autre vue que d'arriver a la verite des faits. » — « Les proposi-
tions de S. A. S. le prince archichancelier sont adoptees avec
la modification de ne pas communiquer I'instruction faite par
la police (1). » C'etait la une decision tres-grave; c'etait faire
ce melange de la procedure ecrite et de la procedure par jures,
qu'avait repousse la sagesse de I'Assemblee constituante. C'eM
ete probablement ruiner I'institution dont on avait decide le main-
tien ; heureusement cette idee , on le sait , ne fut pas ramenee a
effet.
La discussion continua dans les seances des 23 et 30 prairial ;
on resolut les autres questions de principe, dont la plupart interes-
saient le droit penal proprement dit. L'institution des Priteurs,
centre laquelle s'etait prononcee la majorite des cours d'appel et
des tribunaux criminels , fut vivement combattue ; on decida
meme que les cours de justice criminelle seraient sedentaires (2).
Puis on passa a la discussion des articles que presentait la sec-
(1) Locri, tome XXIV, p. 56-57.
(2) locri, tome XXIV, p. 99.
D INSTRUCTION CRIMINELLE. 515
tion de Legislation (c'etait la partie concernant la procedure cri-
minelle qui venait la premiere), at cela occupa les seances des 17,
21, 24, 28 fructidor an XII; 3, 10, U, 17, 21, U vendemiaire
an XIII (1).
Tout paraissait aller sans encombre, quand tout a coup le jury
fut de nouveau mis en question. Dans la seance du 1'^'' brumaire
an XIII, presidee par Napoleon, M. Bigot-Preameneu rendit
compte d'une deliberation qui avait eu lieu dans la section de
Legislation « sur la reunion de la justice criminelle a la justice
civile. » L'idee de la Revolution avait ete au contraire de separer
completement les deux justices, et d'avoir des tribunaux repressifs
distincts des tribunaux civils. Mais la nouvelle proposition parais-
sait apporter une grande simplification et un accroissement de
dignite pour la magistrature. L'union avait ete d^ja realisee pour
la police correctionnelle par la loi du 27 ventose an IV; les juge-
ments etaient dorenavant rendus en cette matiere par les tribu-
naux de premiere instance : il devait bient6t en etre de "memo
pour les tribunaux de simple police , sauf une legere exception
qui a disparu de nos jours.
En matiere criminelle voici comment on voulait proceder (2) :
le prevenu devait etre traduit par le juge d'instruction devant le
tribunal de premiere instance, qui remplirait les fonctions de jury
d'accusation , jugeant au nombre de six juges, plus le juge d'ins-
truction. Les cours de justice criminelle etaient reunies aux
cours d'appel et porteraient le nom de cours imperiales. Dans ces
cours etait formee une section, renouvelee tons les ans com me la
Toumelle des anciens Parlements, et devant elle etaient portes
non-seulement les appels de police correctionnelle , mais encore
les proces criminels pour lesquels la mise en accusation aurait ete
decidee. Dans le projet, le jury etait conserve, art. 19 : « Les ju-
gements en matiSre criminelle seront rendus sur la declaration
d'un jury. »
C'etait une revolution considerable, qu'on apportait par la dans
le fonctionnement du jury. Jusque-la, la reunion des jures dans
(1) Locri, tome XXIV, pp. 108-419.
(2) Un projet fut presents en ce sens dans la seance du '6 brumaire an XIII
{Loeri, tome XXIV, p. 428, ssq.).
516 LE CODE
chaque departement avait toujours ete im principe , et elle etait
passee dans les mceurs. Vouloir porter au chef-lieu de la cour
toutes les affaires criminelles du ressort, c' etait rendre impossible
le service du jury , deja obtenu a grand'peine. C'etait aussi dans
un avenir prochain la substitution de la procedure ecrite a la pro-
cedure orale , le transport des temoins au chef-lieu de la cour
devenant trop difficile et trop couteux. C'etait par un moyen de-
tourne charger la pratique de retablir a elle seule I'ancienne pro-
cedure.
Tout cela on le vit bien des le premier moment; les adver-
saires comme les partisans du jury le reconnurent. « II est vrai,
dit M. Boulay , que la reunion des tribunaux criminels et civils
fera dans la suite tomber le jury. II est certain que quand le
public verra d'un cote des magistrals eclaires et de I'autre des
jures sans connaissance et sans experience , le parallele ne sera
pas avantageux a ces derniers ; il semble done qu'il conviendrait
si Ton prononce la reunion de prononcer en meme temps la
suppression du jury (1). » M. Treilhard avec une nouvelle ardeur
prit la defense de I'institution menacee. « Le jury, dit-il, marche
beaucoup mieux que par le passe ; il marchera encore mieux par
la suite... Comment transportera-t-on sans des frais enormes et
sans faire languir les affaires , les accuses , les temoins , les jures
de sept ou huit departements aux chefs-lieux des cours d'appel?...
Se dispensera-t-on d'entendre les temoins absents? Ce serait
egorger I'accuse. » Enfln , il adressa a I'Empereur un argument
personnel, qui contenait a la fois une flatterie et une ironie,
mais qui etait d'une verite profonde : « L'institution du jury , lui
dit-il, reussira, si Ton est bien persuade qu'elle est dans les
vues de Votre Majeste (2). » Napoleon voulut attenuer I'effet
produit par le projet et en masquer les consequences : « II ne
s'agit point, dit-il dans une interruption, de l'institution du
jury (3), » et plus loin il ajouta : « Que si Ton voulait revenirsur
la question du maintien du jury, on I'aborderait avec franchise,
(1) Locr6, tome XXIV, p. 416.
(2) J6id.,p. 420, 421, 422.
(3) lUd, p 420.
d'instruction criminelle. 317
mais cette question est decides et Sa Majeste a partage ropinion
de ceux qui pensent que le jury doit etre maintenu. Ce mode de
procedure parait 6tre le meilleur; et d'ailleurs il a suffi pour I'a-
dopter a Sa Majeste qu'il ne fut pas rejete par une opinion una-
nime (1). « Bient6t, dans un discours assez long, il s'efforcera
de refuter les objections de M. Treilhard. Mais la verite ne tarda
pas a ireparaitre. L'archichancelier fit cette declaration : « On
objectera que ce systeme est incompatible avec la procedure
par jures; S. A. S. ne tient pas a cette institution et elle '
pense que I'opinion publique ne lui est pas favorable (2). »
Dans la seance suivante, la question fut directement abordee.
On proposait de supprimer le jury d'accusation. M. Treilhard
montra que c'etait la une motion inconstitutionnelle ; la Cons-
titution de I'an VIII garantissait le double jury. On essaya de
subtiliser, disant que le jury d'accusation n'etait pas reellement
supprime, qu'on proposait seulement de « convertir les juges
en jures (3). » Mais Napoleon lui-meme declara que « la Cons-
titution decide trop imperativement que Taccusalion sera admise
par des jures pour qu'on puisse transporter ce pouvoir a des
juges sans un senatus-consulte (4). »
An fond , cette question n'avait pas une tres-grande impor-
tance. MM. Treilhard et Berlier ramenerent le debat sur le point
capital, c'est-a-dire le jury de jugement, dont le projet assu-
rait la destruction prochaine ; car « maintenir une institution
sur le papier, ce n'est rien faire quand on y place le germe de
son aneantissement (5). » lis demanderent avec instance que la
question fut definitivement videe, et ils eurent aisement gain
(1) Locri, tome XXIV, p. 422, 423.
(2} Ibid, p. 439. — Napol^oa emit aussi I'id^e qu'il voulait de grands corps
judiciaires, « parce qu'il faut que si le miaistere public neglige ses devoirs,
la cour criminelle puisse le mander et lui ordonner de poursuivre. » M. Treilhard
/rtpondit que « dans tous les temps on a distingue le ministere de celui qui pour-
suit du ministere de celui qui juge, parce qu'il serait centre la justice de rendre
le mtoe individu juge et partie. » — « Sa Majesty dit qu'il n'entre point dans
ses idees de permettre aux tribunaux de poursuivre directement les crimes , mais
qu'elle voudrait que les Iribunaux pussent en ordonner la poursuite. » P. 418, 419.
(3)M. Simeon, ibid., p. 437.
(4) Ibid., p. 439.
(b) Ibid., p. 443.
518 LE CODE
de cause. « Sa Majeste permet de discuter de nouveau la ques-
tion de savoir si le jury sera maintenu. » La discussion futcourte.
MM. Fourcroy et Montalivet parlerent pour le jury, et le « Con-
seil maintint la deliberation qu'il a prise dans la seance du 16
prairial pour la conservation du jury. » Presque sans lutte la
feinte avail ete dejouee. Mais la bataille n'etait pas encore defini-
tivement gagnee : I'organisation des cours criminelles etait tou-
jours menacante.
Alors M. Berlier eut una idee feconde. Adoptant le principe
de la reunion des deux justices, il trouva le moyen de le con-
cilier avec le fonctionnement normal du jury : « On commen-
cerait par reunir tous les juges de I'une et de I'autre juridic-
tion, ils ne formeraient qu'un corps dans lequel on prendrait
successivement les juges qui iraient tenir, pour les matieres
criminelles, des assises periodiques au chef-lieu de chaque de-
partement, et qui, rentres a la cour d'appel, y- prononceraient
sur les contestations civiles de leurs concitoyens (1). » C'etait,
on le voit , le systeme qui devait triompher et que I'experience
a consacre, systeme bien preferable , il faut le dire, a celui de la
Constituante , le president des assises devant etre un magistral
eleve en dignite etchoisi avec soin. Aussi M. Treilhard s'y rallia
franchement. Cette proposition, cependant, fut combattue par
rarchichancelier ; il declare « que s'il admet le jury c'est par
condescendance pour quelqaes bons esprits , mais il est per-
suade que ce sera en formant de grands corps, bien plus qu'a-
vec cette institution, qu'on arrivera a etablir une justice rigou-
reuse et imposante (2). » En definitive, le Conseil decide en
principe « que la justice civile et criminelle sera rendue par les
memes tribunaux; que ces tribunaux seront sedentaires; nean-
moins que , dans les cas de necessite , la section criminelle
pourra aller tenir ses assises hors du lieu ou siege le tribu-
nal (3). » On ne faisait a I'idee de M. Berlier qu'une concession
illusoire en apparence; mais le germe depose grandira et finira
par tout envahir.
(1) locTi, tome XXIV, p. 445.
(2) Ibid., p. 447.
^3) Ibid., p. 452.
d'instruction criminelle. si 9
DaQS la seance du 15 brumaire an XIII, les partisans du jury
remporterent un nouvel avantage, mais qui ne pouvait 6tre
durable : « le Conseil adopts en principe que la declaration qu'il
y a lieu ou non a accusation continuera d'etre donnee par des
jures (1). »
La discussion du projet de loi sur la reunion des deux justices
se poursuivit dans les seances des 22 et 29 brumaire ,.et 20 fri-
maire an XIII. Trois nouvelles redactions furent proposees et
discutees. Tout a coup un incident se produisit. On venait « ren-
dre compte a Sa Majeste des observations presentees par les
magistrats qui ont ete appeles au couronnement. » Le grand-juge
declare que, consultes sur la reunion des deux justices, « les
' pTesidents et procureurs generaux des cours criminelles n'ont
pas attaque le systeme en soi , mais on parait craindre genera-
lement qu'il ne puisse se concilier avec I'appel des jures et des
temoins. Cependant les magistrats assurent que I'instruction par
jures a pris depuis quelque temps une meilleure direction. Les
crimes sent beaucoup moins multiplies (2). » Le prince archi-
chancelier « a trouve plus de magistrats qu'il ne pensait dans
I'opinipn que I'instruction par jures pent etre conservee, mais
avec des modifications. Gette opinion est partagee, meme par
ceux qui s'etaient plaints le plus vivement de la direction que
le jury avait prise dans quelques circonstances particulieres ;
ils conviennent que les choses se sont ameliorees et qu'il y a
moins d'abus. A I'egard de la reunion le systeme leur parait
bon, mais d'une execution difficile en le considerant sous le
rapport du jury. » — « On est unanime, dit M. Treilhard, sur
I'impossibilite de conserver le jury, si la justice criminelle et
la justice civile sont reunies (3). » M. Berlier affirme que « se-
lon plusieurs magistrats avec lesquels il a eu I'occasion de par-
ler, I'abolition du jury sera la suite necessaire et tres-prochaine
(1) Locri, tome XXIV, p. 454.
(2) Ibid., p. 509 ; plus loin il ajoute « qu'avant d'avoir entendu les observations
des magistrats il etait persuade que I'institution du jury pouVait se concilier
avec la reunion des deux justices; maintenant il en oonfoit I'impossibilite. »
P. 516.
(3) Ibid., p. 510.
S20 LE CODE
du projet de reunion arrete dans les dernieres stances. Mais
ce n'est pas la le seul danger que ce projet nous fasse courir;
il compromet aussi Finstruction orale et le debat public. Or, si
les opinions sont divisees sur I'institution du jury, du moins
tout le monde s'accorde a penser que I'abolition de I'instruc-
tion orale et du debat serait una calamite publique; Dependant
cela ne tarderait pas a arriver si le projet etait maintenu...
Comme personne n'ose proposer qu'on se contente de I'envoi
de simples copies de depositions ainsi que cela se pratiquait
dans I'ancien regime, il faut maintenir les tribunaux actuels,
seule espece d'organisation a laquelle puisse s'adapter I'institu-
tion bienfaisante de la publicite des debats (1). » — « M. De-
fermon dit qu'on est generalement persuade que la reunion;
detruirait le jury, du moins par la suite. Mais ce qui est surtout
important, c'est de savoir si on pent abandonner cette insti-
tution sans abandonner en meme temps les debats publics, qui
sont la garantie de I'accuse (2). »
L'Empereur demanda alors si les tribunaux avaient « emis una
opinion positive sur I'institution du jury (3). » Las reponses
furent'tres-nettes : « La majorite, dit la grand-juga , sa prononce
contra toute institution avac laquelle le jury na pourrait pas se
concilier (4) ; » et I'archichanceliar « a trouve I'opinion des ma-
gistrats plus favorable qu'il ne pensait au jury. »
L'opinion publique etait clairament exprimee; aussi Napoleon,
decouvrant sa veritable pansee, declare que « l'opinion sur I'insti-
tution du jury parait trop doutause pour qu'an supprimant cette
institution on n'excite pas des regrets (5). » Le Conseil « arrete
que la justice civile et la justice criminelle continuaront d'etre
administrees par des tribunaux differents. » •
Des lors tout semblait tormina sur ca point ; il na restait plus
qu'a discutar les articles du projet du Code criminel. Effective^
ment cette discussion fut reprise, at dans les trois seances du
(1) Locri, tome XXIV, p. 510.
(2) Ibid., p. 512.
(3) Ibid., p. 516.
(4) Ibid., p. 517.
(5) Ibid., p. 519.
d'instruction criminelle. 521
22 , 27 et 29 frimaire an XIII on examina une nouvelle redaction
des quatre-vingt-dix premiers articles, puis brusquement on
s'arreta, et ce n'est qu'au bout de trois ans, en 1808, que les
travaux seront repris. Comment expliquer ce fait (1)? Ne serait-
ce pas que dans la pensee de I'Empereur la suppression du jury
etait decidee; mais le moment n'etait pas favorable, il fallait
attendre; peut-etre quelques annees suffiraient-elles pour effacer
les sympathies que cette institution conservait encore? L'ouvrage
restait done inacheve et la menace suspendue : Pendent opera
interrupta minseque !
II.
Aussi lorqu'en 1808 on reprend les travaux, le grand debat
s'engage-t-il de nouveau. La premiere seance (23 Janvier 1808)
s'ouvre par un rapport de M. Treilhard : « II rend compte de la
marche de la discussion qui a eu lieu en I'an XII, et ajoute qu'on
s'etait reduit a presenter diverses questions , dont la solution de-
vait fixer les bases du projet; que plusieurs ont ete decidees, que
d'autres sont demeurees indecises. m II fit la lecture de ces ques-
tions, dont la premiere etait : « L'institution dujury sera-t-elle
conservee? » Le gros probleme se posait encore, mele a celui
de la reunion des deux justices , a laquelle tenait surtout Napo-
leon. Dans cette premiere seance I'attaque et la defense de ins-
titution menacee se produisirent a peu pres dans les memes con-
ditions qu'en I'an XII et en I'an XIII. L'Empereur par trois fois
demanda comment le jury marchait depuis trois ans; le grand-
juge repondit en termes assez vagues » qu'en general , les jures
remplissent leurs fonctions avec beaucoup de faiblesse, qu'ils
encouragent le crime par I'impunite (2). » Mais M. Treilhard,
tout en reconnaissant qu'il ne peut pas parler d'une maniere per-
(1) Prec^demment, NapoUon arait d^cIarS qu'il fallait se hater, « il n'y a auoun
avantage a diff^rer la redaction du Code criminel ; on se trouverait I'annSe pro-
chaine dans le mdme 6tat qu'aujourd'hui. Le temps seul ne ramtaerait pas k I'u-
nit6 d'opinion, il ne Idverait pas les doutes et ne formerait pas les idSes. » LocrS,
tome XXIV, p. 440.
(2) Locri. t. XXIV, p. 579.
522 LE CODE
tinente sur la marche actuelle du jury, declare « qu'apres tout
le nombre des delits est diminue. A la verite, las tribunaux spe-
ciaux ont beaucoup contribue a faire cesser les desordres ; cepen-
dant beaucoup de crimes sont encore juges par jures (1). »
M. Berenger « remarque deux faits : I'uu qui est de notoriete ,
c'est que les delits diminuent ; I'autre que personne ne contests,
c'est qu'on n'a pas I'exemple d'une condamnation injuste (2). »
La conclusion etait forcee ; cependant la discussion se prolongea
encore assez longtemps. Cambaceres affirme de nouveau que le
jury « n'est pas dans le caractere de la nation (3), » et M. Jaubert
« que la plus grande partie de la France repousse I'institution
du jury. » Mais surtout Napoleon donna de sa personne avec une
grande energie; il y eut une sorte d'argumentation suivie entre
lui et M. Treilhard : « M. Treilhard dit que le projet a I'incon-
venient de ruiner au moins en fait la publicite des debats qui est
la plus grande des garanties et qu'une instruction par ecrit ne
saurait s uppleer : rien de plus desastreux que la procedure se-
crete. — Sa Majeste dit qu'il ne s'agit pas de retablir la proce-
dure secrete. — M. Treilhard observe qu'on y arrivera infailli-
blement et par la force des choses. — Sa Majeste demande si la
reunion des deux justices ne presente aucun avantage. — M.
Treilhard repond qu'elle formera de grands corps, mais qu'il ne
voit pas que ce soil la le moyen de concilier plus de respect a la
magistrature. — Sa Majeste dit qu'il en resultera encore la facilite
de convertir les proces civils en proces criminels, quand il y aura
lieu. — M. Treilhard represente que cette conversion est tres-
rare (4). — Sa Majeste dit qu'il serait fort bizarre que, pour le
plus mince inleret civil , un citoyen eAt la ressource d'etre juge
successivement par deux tribunaux, et que lorsqu'il s'agit de son
honneur et de sa vie on ne lui laissat qu'un seul degre de juri-
diction. — M. Treilhard dit qu'au criminel il y a aussi deux de-
gres, puisque le prevenu est examine par le jury d' accusation et
par le jury de jugement. — Sa Majeste dit que ce ne sont pas la
(1) Locri, tome XXIV, p. 581.
(2) Ibid., p. 591.
(3) Ibid., p. 591.
(4) Ibid., p. 587.
d'instruction criminelle. S23
deux degres (1). » Enfia le Conseil, encore une fois , ti decide ea
principe que le jury sera conserve, mais que la connaissance de
certains delits sera reservee a des tribunaux particuliers. »
On croirait que la question est irrevocablement resolue ; qu'elle
ne reparaitra plus. Erreur; elle est reprise dans la seance sui-
vante le 2 fevrier 1808. Le premier orateur est M. Jaubert, I'un
des adversaires les plus decides de la procedure par jures , et ses
premieres paroles eclairent la situation : « II ne se dissimule pas
que dans le Conseil Topinion parait formee , qu'ori est decide a
maintenir le jury et qu'il ne reste de contre-poids a ces suffrages
imposants que le ginie et la puissance de Sa MajesU (2). » Le re-
quisitoire violent de M. Jaubert, ou il soutient « que les anciennes
^ institutions avaient des avantages formels sur cette institution
moderne, » conclut « a la suppression du jury, a la formation
de grands corps qui exercent a la fois les deux sortes de justice;
a I'organisation d'une procedure , qui conserve la publicite des
debats et I'usage des defenseurs (3). »
La-dessus la discussion repart de plus belle. Le ministre des
cultes conleste la possibilite de separer le droit du fait, il af-
firme qu'en Angleterre le jury est regarde « comme une ins-
titution funeste (4.) , » et que « quoique I'Europe ait fait depuis
quelques siecles de grands progres dans la civilisation, aucune na-
tion n'a cependant adopte le jugement par le jury. » M. Berlier
vient une fois de plus defendre la noble cause qu'il a jusque-la si
energiquement soutenue, « I'institution du jury est tout essayee ;
telle qu'elle est elle a rendu de grands services a la societe , telle
qu'elle sera elle lui en rendra de plus grands encore (5). » L'Em-
pereur lui-meme parut cette fois decide : « Sa Majeste dit qu'elle
preferait I'ancienne legislation a un systeme ou les memos juges
prononceraient toujours comme jures; I'habitude les endurcirait,
et neanmoins I'accuse n'aurait plus les memos garanties qu'autre-
fois. II faut que les fonctions de jure ne soient remplies que rare-
(1) Locri, tome XXIV, p. 588.
- (2) Ibid., p. 603.
. (3)/6id., p. 607.
(4) Ibid., p. 613.
(5) Ibid., p. 618.
324 LE CODE
ment par la meme personne. » Le Conseil « adopte de nouveau
le jugement par jures. »
C'etait la quatrieme fois que cette decision etait prise ; desor-
mais on n'y reviendra plus. Cependant I'institution ne sortit pas
entiere de ces difficultes ; le jury d'accusation y perit. M. Jau-
bert declara « qu'avec le jury d'accusation la societe n'a plus
de garanties ; » et Napoleon , dans un expose tres-bien fait , de-
montra que ce jury etait forcement impropre a la t§,che qu'il
devait remplir. « Le Conseil decide que le jury d'accusation
sera supprime (1). »
Restait la grosse question de I'organisation des cours crimi-
nelles et de la reunion des deux justices. Un projet avait ete
apporte par Napoleon a la seance du 23 Janvier (2). Dans celle
du 2 fevrier, il en communiqua un nouveau (3). La section de
Legislation se mit a travailler sur ces donnees , et dans la seance
du 6 fevrier, Treilhard presenta une autre redaction (4) ; il de-
clara que la section avait fondu les deux projets en suivant sur-
tout le second : « au surplus elle ne presente que des bases , afin
que Sa Majesty et son conseil puissent fixer leurs idees. » Une
discussion s'engagea alors, et d'apres ses resultats, la section de
Legislation prepara sept nouveaux articles, qui furent discutes
dans la seance du 16 fevrier (5). Une cinquieme, sixieme et
septieme redaction furent successivement proposees. Enfin, apres
tous ces tatonnements, il fiit decide, ainsi que I'avait jadis propose
M. Berlier, que la justice criminelle serait reunie a la civile, mais
que pourtant les jures de chaque departement s'assembleraient
au chef-lieu du departement. On conciliait les deux principes en
substituant au tribunal criminel permanent des assises presidees
par des membres de la cour d'appel, siegeant avec des assesseurs
pris soit parmi les membres de la cour, soit parmi ceux des tri-
bunaux de premiere instance. La solution du probleme etait
trouvee.
(1) Locri, tome XXIV, p. 622.
(2) Ibid., p. 582.
(3) [bid., p. 591, ssq.
{i)Ibid., p. 601.
(5) Ibid., p. 624 , ssq.
d'instruction criminelle. S2S
Quant a la raise en accusation, il y eut aussi des hesitations :
« Le Conseil, dit M. Treilhard, a place d'abord Taccusation dansles
tribunaux de premiere instance ; ensuite on I'a deleguee aux cours
imperiales, et la section pour ecarter ce systeme, qu'elle croit dan-
gereux, a imagine de faire statuer par le procureur imperial et le
juge d'instruction (1). » Si ces deux magistrats etaient d'accord,
le prevenu devait etre traduit devant les assises ; s'ils etaient
d'avis opposes, on en referait a la cour. C'etait la quelque chose
d'anormal; aussi une nouvelle redaction, celle du 7 fevrier 1808,
vint ici encore donner la solution. Elle creait la chambre du con-
seil, composee de trois juges , dont le juge d'instruction , qui de-
vait statuer, sur les conclusions du ministere public, dans toutes
les affaires dont I'instruction etait complete. Une seule voix , s'il
s'agissait d'un crime , sufflsait pour que les pieces fussent ren-
voyees a la cour, dont la section criminelle decidait definitivement
la mise en accusation , sauf recoursa la Cour de cassation. L'acte
d'accusation alors seulement etait dresse par le procureur ge-
neral.
La chambre du conseil decidant , c'etait I'ancien reglement a
I' extraordinaire , avec cette modification, reclamee par les cahiers
de 1789, que trois juges intervenaient et non un seul : " Autre-
fois, dit M. Regnaud, le decret qui constituait en etat d'accusa-
tion etait rendu par un seul juge criminel : on pent se rappeler
les applaudissements qu'excita le decret de I'Assemblee Consti-
tuante, qui donna des assesseurs a ce juge jusque-la isole. C'est
parce que le conseil a compte sur le maintien de cet ordre de
choses, qu'il a vote la suppression du jury d'accusation (2). » La
chambre de la cour d'appel qui statuait.en dernier lieu, c'etait le
jury d'accusation , dont les fonctions etaient transportees a des
magistrats. Le systeme nouveau avait done reuni etfondu ensem-
ble les principes de I'ancienne jurisprudence et les regies des lois
recentes.
Pour sanctionner ces modifications profondes dans I'organisa-
tion de la procedure par jures , on pensa d'abord qu'un senatus-
(1) /.ocr^, tome XXIV, p. 656.
(2) Ibid., p. 666.
526 ' LE C0D3
consulte etait necessaire, et un projet de senatus-consulte fut
meme presente dans la seance du 5 mars 1808 (1). Mais M. Treil-
hard qui , jusque-la , avait vu dans toute atteinte portee au jury
une atteinte a la Constitution, maintenant que le jury de jugement
etait definitivement sauve, vint soutenir I'opinion contraire : « Las
constitutions , dit-il , ordonnent qu'il y aura un jury d'accusation,
mais elles ne defendent pas de le placer dans un tribunal (2) ; » et
Ton passa outre.
(1) Locr'i, tome XXIV, p. 667, ssq.
(2) Ibid., p. 692.
d'instruction criminelle. 527
CHAPITRE TROISIEME.
L'Ordonnance de 1670 et les lois de la Revolution dans le Code
d'instruction criminelle.
I. La division des pouvoirs entre le ministfere public et le juge d'instruction. —
II. Les actes et les formes de I'instruction prtparatoire. — III. La procedure
devant les juridictions de jugement : ce qui reste de la procedure 6crite ;
lespreuves morales. — IV. La chose jugee; la justice retenue; la rehabilitation
et la revision.
Dans la grande lutte qui durait depuis si longtemps entre la
procedure par jures et I'Ordonnance de 1670, la premiere venait
de remporter une victoire decisive. La posterite doit etre recon-
naissante aux hommes qui, dans le conseil d'Etat de I'Empire,
surent resister a la volonte peu deguisee de I'Empereur, et dont
les courageux efforts firent maintenir le jury dans nos lois. Mais
le systems de I'ancienne procedure, repousse defmitivement sur
ce point, laissa des traces profondes dans d'autres parties de la
loi , ou il parvint k dominer : I'instruction preparatoire fut sur-
tout marquee de sa dure empreinte.
I.
Lorsqu'en fructidor an XII et en vendemiaire an XIII les ar-
ticles du projet de Code criminel furent discutes devant le conseil
d'Etat pour la premiere fois (i), ils presentaient pour I'instruction
preparatoire un systeme assez curieux. Le projet maintenait dans
chaque arrondissement un magistrat de surete et un juge d'ins-
truction; mais leurs fonctions etaient fort differentes de ce qu'elles
furent en deflnitive. Les magistrats de siirete ne poursuivaient pas
seulement; ils instruisaient, et k cetegard on avaitrencheri sur la
(1) Locre, tome XXIV, pp. 408-409.
528 LE CODE
loi de I'an IX (1). lis recevaient les denonciations et les plaintes
(art. 39-42 ; 44-52) ; c'etaient eux qui normalement entendaient
les temoins; et les articles 64 a T9, places sous la rubrique de
I'audition des temoins et qui plus tard passerent presque integra-
lement dans le Code d'instruction criminelle[, etaient copies sur
rOrdonnance de 1670; dans la discussion on s'y refera d'ailleurs
avec empressement (2). C'etait le magistrat de surete qui faisait
les visites domiciliaires et operait les saisies (art. 80 a 86 : Des
preuves par dcrit et des pieces de conviction) ; lui enfin qui lancait
les mandats d'amener, de comparution et de depot, et interrogeait
I'inculpe (art. 87 a 95!). II faut remarquer que le mandat de dep6t
elait defmi I'ordre, d'apres lequel « le prfivenu etait maintenu
provisoirement en etat d'arrestation(3), » et que le magistrat de
sHrete devait « remettre dans les vingt-quatre heures , a compter
du jour, soit du mandat de depot, ou de comparution, soil de
tout autre dernier acte de son ministere, toutes les pieces au greffe
du tribunal correctioanel , apres les avoir cotees, et en avertir
le juge d'instruction. » Le juge d'instruction n'interVenait qu'a
ce moment (art. 103-106) (4) ; il completait, refaisait meme au be-
soin la procedure, la coramuniquant constamment au magistrat
de surete. II devait interroger a nouveau le prevenu, et confor-
mement a la loi de I'an IX, ce dernier alors avait connaissance
des charges (5), alors le juge d'instruction decernait, s'ily avait
(1) Projet primitif, art. 480 : « Les magistrals de siiretfi , considSrfe oomme
officiers de police judiciaire, soat charges 1" de recevoir les denonciations et les
plaintes..., 2» de constater par des procfes-verbaux les traces des delits; 3" de
recueillir les indices et les preuves qui existent contre les pr^venus ; 4" de les
traduire devant les propreteurs. »
(2) L'article 72 portait que les enfants au-dessous de quinze ans pourraienl
fitre entendus par forme de declaration et sans prestation de serment. L'archj-
chancelier demande « que pour ne laisser aucun doute sur I'usage que la justice
pourra faire des.d^clarations dont parle oet article, on ajoute ces mots, qui se trou-
vent dans les ordonnances, « sauf a y avoir tel ^gard que de raison. » M. Tar-
get dit que ces expressions de rOrdonnance ont paru trop vagues. » Locr6, tome
XXIV, p. 167-168.
(3) Arlicle 80.
(4) Art. 103 : « II est charge de completer I'instruction oommenc^e par le ma-
gistrat de stlrete , ou mgme de la refaire en tout ou en partie , quand il le jugera
convenable. »
(5) « Le juge d'instruction interrogera le prSvenu avant que celui-ci ait eu
d'instruction criminelle. S29
lieu , le mandat d'arr^t. II rendait enfin des ordonnances de ren-
voi ou de non-lieu, mais toutes les fois qu'il n'avait pas adopte les
requisitions du ministere public , « les questions tant de fait que
de droit etaient soumises a la Cour de justice criminelle dans la
chambre du conseil ; la decision prise pouvait etre dans les vingt-
quatre heures attaquee devant la Cour de cassation par le procu-
reur general. »
La premiere fois que les articles vinrent en discussion ils pas-
serent sans encombre ; mais lorsqu'ils revinrent dans les seances
des 22, 27, 29 frimaire an XIII, ily eut quelques protestations.
Dans la redaction nouvelle on proposait de donner aux procu-
reurs imperiaux, et, a leur defaut, a leurs substituts les fonctions
d'officier de surete (point sur lequel on ne s'entendit pas alors)
mais ces fonctions restaient telles que nous venons de les decrire.
L'archichancelier remarque « qu'on a transfere a la partie pu-
blique les fonctions qui appartenaient autrefois exclusivement au
juge. On rentre , il est vrai , dans le systeme actuel ou le magis-
tral de surete cumule la double fonction de partie publique et
d'instructeur; mais I'ancien systeme avait I'avantage de mettre
deux magistrals en mouvement , de maniere que I'inaction d'un
seul homme ne sufflsait point pour paralyser la justice. M. Defer-
mon dit que I'ancien systeme donnait aussi plus de garanties aux
prevenus : la partie publique requerait , le juge prononcait; ainsi
I'autorite n'etait pas concentree dans une seule main. On ne ver-
rait pas sans effroi le mSme magistral recevoir la plainte ou la
denoncialion , entendre les temoins et disposer de la liberie de la
personne inculpee (1). » Mais on objecta la necessite d'une pro-
cedure rapide , le caraclere provisoire des mesures prises par le
magistral de siirete ; la question d'ailleurs se perdit dans une autre
plus vaste posee par Napoleon : quels seraienl les rapports des
magistrals de surete el des prefets?
En 1808, quand la discussion fut reprise, la bataille s'engagea;
communication des charges. II en sera fait lecture au prfivenu aprfes son interro-
gatoire , et, s'il le demande, il sera de suite interrogS k nouveau. » Cette commu-
nication par une simple lecture rappelait assez les proc6d6s de I'Ordonnance.
(l)Locr^, tome XXIV, p. 552.
34
530 LE CODE
elle dura pendant les seances des 4, 7 et 11 juin 1808 (1). Cette
fois encore les partisans des anciennes formes se trouverent en"
face de ceux qui tenaient pour les precedes suivis dans les lois de
I'epoque intermediaire , mais ici ils avaient pleinement raison, et
ils obtinrent gain de cause. Le ministre des cultes et rarchichan-
celier furent tres-energiques : « Par son institution le ministere
public est partie;, a ce titre il lui appartient de poursuivre,
mais par cela meme il serait contre la justice de le laisser faire
des actes d'instruction (2). » — « Le procureur imperial serait un
petit tyran qui ferait trembler la cite... Tous les citoyens tremble-
raient s'ils voyaient dans le meme homme le pouvoir de les accu-
ser et celui de recueillir ce qui peut justifler son accusation (3). »
Et M. Jaubert ajoute « qu'on prenne garde que le projet ferme
pendant un temps bien considerable I'acces de la justice au mal-
heureux prevenu. Le procureur imperial redige le proces-verbal
et il le redige seul. . . il entend les temoins , il s'empare meme des
personnes , et tant qu'elles sont sous sa main il leur est impos-
sible d'implorer le secours d'aucune autorite. A qui propose-t-on
de confier un pouvoir aussi redoutable ? A un officier revocable et
aux ordres du procureur general. . . il s'en faut de beaucoup que
cette ancienne legislation, contre laquelle on a pousse tant de
clameurs, compromit a ce point la siirete des Francais {i). »
La tradition, on le voit, parlait contre le projet : « Quand on
lit le projet de Code , on s'apercoit que beaucoup de ses disposi-
tions sont empruntees a I'Ordonnance de 1670. Telle est entre
autre celle qui concerne le reglement a I'extraordinaire. II faut
done aussi se rappeler que, dans le systeme de cette Ordonnance,
les deux fonctions etaient separees, que toujours on a vu du
danger k les cumuler (S). » — « Autrefois le procureur general
avait , sous le rapport des poursuites , le pouvoir le plus etendu ;
les cours ne pouvaient I'empecher d'en user... mais les Ordon-
nances maintenaient constamment le procureur general dans I'at-
(1) Locri, tome XXV, p. 123, ssq
(2) Ibid., p. 124.
(3) Ibid., pp. 129-131.
(4) Ibid., p. 136.
(5) Cambaofirfes, ibid., p. 130.
D INSTRUCTION CRIMINELLE. S3l
titude de partie poursuivante. C'est la ce qu'il importe de con-
server (1). »
Cependant, MM. Treilhard, Merlin, Regnaud de Saint-Jean
d'Angely, soutenaient le projet : il fallait disaient-ils, que le pro-
cureur, pour poursuivre, pM 6tre instruit des fails; c'etait d'ail-
-leurs le systeme inaugure par la loi de pluvifise. lis soutenaient
que les anciens principes ne pouvaient plus gtre appliques au
jourd'hui; ils faisaient remarquer que, des qu'il avait procede
aux premieres constatations , le ministere public devait dans
les vingt-quatre heures remettre I'affaire au juge d'instruction.
Mais leur argument le plus specieux etait qu'il fallait aller vite ,
et que forcer le procureur a requerir le juge, entrainait une
lenteur dangereuse. L'archichancelier fit tomber cette objection ,
en lui faisant une juste part : il admit qu'en cas de flagrant delit,
s'il s'agissait d'un crime , le procureur imperial serait autorise a
faire les actes d'instruction urgents : « Dans le cas de flagrant
delit, peu importe par qui le fait est constate. II n'y a nul in-
convenient, par exemple , a ce que le procureur imperial constate
qu'on a trouve un cadavre, mais il serait tres-dangereux de lui
accorder le meme pouvoir hors le cas de flagrant delit... qui ne
tremblerait de voir tomber chez soi un seul homme revStu d'un
pouvoir aussi inquisitorial (2)? » Cela etait satisfaisant , et il fal-
lait reconnaitre « que la distinction entre les delits flagrants et
non flagrants parait avoir un fondement fort raisonnable , pour
differencier les attributions qu'on discute; en I'admettant, la
garantie publique n'en eprouve point un notable relachement (3). »
M. Berlier demanda aussi , si on ne pourrait pas , « sur la recla-
mation du maitre ou de chef de maison , admettre la meme forme
de poursuite ou d'instruction, que pour les flagrants delits. »
Ainsi la division des fonctions entre le juge et le procureur,
la distinction entre la poursuite et I'instruction , furent admises
avec ces temperaments. Voila comment il se fait que le flagrant
delit a repris dans le Code d'instruction criminelle une place
importante , qu'il n'occupe d'ordinaire que dans les legislations
(1) Cambacerds, Locri, tome XXV, p. 146.
(2) Locri, tome XXV, pp. 147-148.
(3) M. Berlier, ibid., pp. 130-131.
532 LE CODE
primitives. Voila aussi comment il se fait que la loi, a cote
du flagrant delit proprement dit , enumere un certain nombre
de cas, qui y sont assimiles. — Dans les seances des 18 et 21
juin 1808, on presenta une nouvelle redaction des chapitres IV
et V. L'audition des t^moins, la recherche des preuves par ecrit/
la delivrance des mandats , etaient rendus au juge d'instruction.
Cependant quelques traces de la redaction primitive ont subsiste.
C'est dans la section qui traite « du mode de proceder des pro-
cureurs dans I'exercice de leurs fonctions , » que se trouvent les
regies sur la confection des proces-verbaux d'instruction, et cela
a propos du flagrant delit. — Conformement a la logique et aux
traditions de I'ancien droit, les plaintes qui saisissent la justice,
doivent §tre en principe adressees au juge d'instruction (art. 63),
les denonciations etant adressees au procureur (art. 31) ; mais
les plaintes peuvent aussi etre adressees au procureur, qui les
transmet alors avec ses requisitions au juge d'instruction (art. 64).
Quant a la division des fonctions entre les deux magistrats ,
les principes traditionnels de I'ancien droit avaient done triom-
phe et Ton ne pent que s'en feliciter : mais en meme temps ils
allaient reparaitre sur d'autres points et donner a I'instruction
preparatoire ces formes rigoureuses et ces regies pen liberales,
qu'elle a pour la plupart conservees jusqu'a nos jours.
II.
L'instruction preparatoire, necessaire quand il s'agit d'un
crime, facultative quand il s'agit d'un delit, sera une proce-
dure secrete et ecrite; elle ne sera point contradictoire , et la
detention preventive y formera une regie susceptible d'un fort
petit nombre d'exceptions. L'instruction preparatoire du Code
d'instruction criminelle c'est la procedure de I'Ordonnance de
1670, jusqu'au reglement k I'extraordinaire.
D'abord, l'audition des temoins a lieu secretement ; le prevenu
ne peut y assister, fut-il detenu lorsqu'elle a lieu; chaque te-
moin depose separement en presence du juge seul et de son
greffier. Les articles 71 a 86, qui epuisent la matiere, repro-
duisent presque textuellement le titre vi de I'Ordonnance. Une
d'instruction criminelle. S33
difference assez importante est pourtant a signaler. L'Ordon^
nance (tit. vi, art. I) declarait que « les temoins sont admiais-
tres par nos procureurs ou ceux des seigneurs, comme aussi
par les parties civiles. » Cela interdisait absolument au jug6
d'entendre les temoins que I'inculpe voudrait produire ; le Code
d'instruction criminelle decide que « le juge d'instruction fera
citer devant lui les personnes qui auront ete indiquees par la
denonciation , par la plaints ou autrement. » L'addition de ce
dernier mot permet au juge d'entendre les temoins que le pre-
venu designerait, mais c'est pour lui purement une faculte;
I'inculpe ne saurait faire citer directetnent ses temoiiis et forcer
le juge a les entendre.
Ces articles furent adopt^s cependant presque sans discus-
sion (1) ; et sur ce point les observations de la commission du
Corps legislatif furent insignifiantes (2). La loi de pluviose avait
prepare les esprits a accepter ces principes. L'Expose des mo-
tifs, par M. Treilhard, est fort laconique : « Vous trouverez,
Messieurs, dans le chapitre des juges d'instruction, des regies
tres-detaillees sur les plaintes , sur la maniere de se rendre
partie civile , sur celle dont les temoins doivent etre entendus ,
sur le serment qu'ils doivent preter, sur I'obligation de com-
paraitre quand ils sont cit^s, sur les voies de coaction quand
ils font defaut et sur le transport du juge pour les entendre
quand ils sont hors d'etat de se presenter. J'indique seulement
ces dispositions qui ne peuvent gtre susceptibles d'aucune diffi-
culte, et qui d'ailleurs ne sont point nouvelles (3). »
Pour les perquisitions et les saisies, quelques garanties sont
inscrites dans la loi; elles devront atoir lieu en presence du
prevenu s'il a ete arrgte^ (art. 39 et 89), et celui-ci pourra four-
nir des explicatioiis , reconnaitra les objets saisis et paraphera
les scelles. Ces dispositions etaient empruntees , non a I'Ordon-
nance, mais au Code des d61its et des peines (art. 125-131).
Quant aux expertises medico-legales ou autres , aucune contra-
(1) Seances du 21 juin 1808, Locri, tome XXV, p. 168, ssq.; 26 aaflt, ihid.,
p. 192, ssq.; 4 octobre, ibid., p. 214.
(2) Locri, tome XXV, p. 215, ssq.
P) ibid., p. 243.
534 LE CODE
diction n'est ouverte au prevenu; I'article 46, sur ce point si
important, ne determine que le serment a preter par les experts.
La defense ne pent point contester le choix que le juge a fait
d'un expert; ni, a plus forte raison, faire proceder officiellement
a une contre-expertise. A cet egard , il faut le dire , le Code
des delits et des peines avait ete moins liberal encore que
rOrdonnance (Code de brumaire an I,V, art. 103; Ord. 1670,
tit. v).
Restent les points les plus graves peut-etre de I'instruction
preparatoire : la comparution du prevenu et son interrogatoire ,
la detention preventive et la possibilite d'une mise en liberte
^rovisoire. Ici , c'est I'ancien droit qui reparait , quoique la plu-
,-^art des termes soient empruates aux lois de I'epoque interm6-
diaire.
Les quatre mandats, crees successivement par les lois de 1791,
de Fan IV et de I'an IX, sont tous conserves et gardent en
general leur ancien caractere. Les mandats de comparution et
d'arret ne peuvent etre lances que par le juge d'instruction ; il
en est de meme en principe du mandat d'amener; cependant,
en cas de crime flagrant, il pent etre delivre par le procureur
(art. 40). En regie generale, la procedure s'ouvrait par le mandat
d'amener; au cas seulement oii I'inculpe etait domicilie et oti il
s'agissait d'un simple delit , le juge pouvait se contenter de lan-
cer d'abord un mandat de comparution (art. 91). Cette fonction
nouvelle du mandat de comparution fut introduite sur la de-
mande de la commission du Corps legislatif : « L'experience ,
disait-elle, a prouve qu'il pouvait y avoir de graves inconve-
nients a faire arreter et conduire scandaleusement par la gen-
darmerie un domicilie, prevenu d 'avoir commis dans une rixe
des exces, qui, s'ils sont prouves, n'entrainent que quinze jours
ou un mois de prison... Ces reflexions conduisent a regarder
comme avantageux de laisser a la prudence du juge d'instruc-
tion de decerner centre I'inculpe de delits de police correction-
nelle de simples mandats de comparution. On ferait renaitre
ainsi la sagesse de I'article du titre x de I'Ordonnance de 1670,
oil il est dit : « Selon la qualite des crimes , des preuves et des
personnes , il sera ordonne que la partie sera assignee pour etre
d'instruction criminelle. "53S
ouie, ajournee a comparoir ou prise de corps (1). » Le mandat
d'arret etait celui qui devait etablir la detention preventive ; il
exigeait les conclusions prealables du ministere public, et enon-
gait le fait, objet de la poursuite, et la loi qui le qualifiait
comme crime ou comme delit (art. 96). Le mandat de dep6t
etait maintenu, mais avec son caractere provisoire; il etait de-
livre par le procureur imperial, lorsqu'un mandat d'amener
etant lance, le prevenu etait trouve, a plus de deux jours de
sadate, hors de I'arrondissement de rofficier qui avait decerne
ce mandat et a plus de cinq myriametres du domicile de cet
officier (art. 100) (2). Le mandat de depot n'avait, dans le Code
de 1808, que deux autres cas d'application , se referant a des
hypotheses exceptionnelles (3).
Le Code d'instruction criminelle ne s'occupe des interroga-
toires que pour fixer le delai , dans lequel le premier interroga-
toire doit avoir lieu (art. 93) ; mais par la meme, robservation de
ce delai est la seule garantie qu'il assure en cette 'matiere au
preVenu. L'interrogatoire aura lieu en secret, cela a toujours ete
la regie ; le prevenu , seul en face du juge , ne connattra de ce
qui a ete fait jusque-la contre lui, que ce que le juge voudra
bien lui communiquer. Toutes les garanties quedepuis 1789 on
avait donnees a la defense ont disparu peu a peu. En 1789, on
faisait lire a I'inculpe , avant de I'interroger, la plainte et tons
les documents qu'avait deja recueillis le juge; il avait des lors
un conseil avec lequel on voulait qu'il put conferer avant de
repondre. La loi de 1791 voulait que, si I'inculpe avait ete ar-
(1) Locr6, tome XXV, p. 228-229. Le rapport de M. Dhaubersart indique aussl
le mandat de comparutioii comme une resurrection du decret d'assign^ pour 6tre
ou'i. Ibid., p. 255.
(2) Dans cette hypothfese, le Code de brumaire an IV d^cidait {art. 74) que le
prevenu pouvait se « falre garder 4 vue ou mettre en arrestation provisoire. »
(3) l" Art. 193 : il s'agissait d'une poursuite intentSe a faux en police correc-
tionnelle, le fait etant de nature a entratner'une peine afflictive ou infamante;
alors « le tribunal pourra d^cemer de suite le mandat de d^pfit ou d'arrSt, et il
renverra le prSvenu devant le juge d'instruction competent. » Z" En cas d'appel
d'un jugement de police correctionnelle (art. 214) : « Si le jugement est annuW
parce que le d61it est de nature a m^riter une peine afflictive ou infamante, la
cour ou le tribunal d^oernera, s'il y a lieu, le mandat de d6p6t ou m6me le man-
dat d'arret. »
536 LE CODE
rete, il fut present a I'auditioa des temoins (tit. v, art. 15). Le
Code des delits et des peines contenait la meme disposition
(art. 115), et il decidait encore que, si Ton avail entendu des
temoins avant la comparution du prevenu ou son arrestation,
leurs declarations devaient tout d'abord lui etre lues , sans que
toutefois il put en obtenir copie (art. 116). La loi de I'an IX
avait ete moins liberale; elle voulait que I'inculpe Mt entendu
et interroge sans avoir communication des charges , mais on de-
vait ensuite les lui faire connattre et il pouvait y repondre. Cette
ressource n'existe meme plus sous I'empire du nouveau Code.
Pendant toute la duree de I'instruction , le prevenu pourra rester
dans I'ignorance complete de la procedure; aucun acte ne lui
sera notifie, car le Code de 1808 ne lui ouvre le droit d'opposi-
tion centre la decision du juge que dans un seul cas, lorsqu'il a
conteste la competence d^ juge d'instruction et que celui-ci n'a
pas admis son declinatoire (art. 539). Sans doute le juge peut
communiquer oralement les charges aux prevenus , confronter
ceux-ci entre eux ou avec les temoins, mais ce n'est pour lui
qu'une simple faculte. On est revenu aux regies de I'Ordonnance
de 1670. Avec quelques formaliles en moins dans les ecrilures
un lieutenant criminel de I'ancien regime retrouverait les choses
telles qu'il les pratiquait jadis.
La mise en liberie sous caution etait une des conquetes de la
Revolution. L'ancien droit ne la connaissait pour ainsi dire
plus , car il ne I'admettait pas toutes les fois qu'il s'agissait d'une
afTaire reglee a I'extraordinaire. Le Code de brumaire aa IV
avait etabli un systeme tres-simple , excluant tout arbitraire. II
ne connaissait que deux situations : ou la liberie provisoire etait
un droit pour le prevenu , ou elle ne pouvait etre accordee ; on
se trouvait dans le premier cas lorsque la peine eventuelle etait
correctionnelle ou simplement infamante; dans le second, lors-
qu'elle etait afflictive (art. 222). Le projet de Code criminel
reproduisait cette distinction , mais en y attachant d'autres con-
sequences; il declarail la mise en liberie impossible lorsqu'il
pouvait echoir peine afflictive , mais elle etait simplement facul-
tative pour le juge si la peine n'etait qu'infamante ou correc-
tionnelle ; c'etait une modification profonde de la legislation an-
d'instruction criminelle. S37
terieure. II semble qu'on eM perdu le souvenir des lois en
vigueur, car M. Treilhard declara que « la section avait suivi le
systeme de I'Assemblee constituante (1). » On trouva mSme que
le projet etait trop indulgent, et MM. Cambaceres , Jaubert, Re-
gnaud de Saint-Jean d'Angely ainsi que le grand-juge , deman-
derent qu'on restreignit la liberte facultative au cas d'un proces
en police correctionnelle (2); ils obtinrent gain de cause. M. Ber-
lier tenta au moias dans cette mesure de faire reconnaitre un
droit absolu pour la defense, observant que « puisque la mise
en liberte sous caution ne s'applique plus qu'a des debts de
police correctionnelle, les juges ne peuvent avoir de bonnes
raisons pour refuser ce benefice aux prevenus qui remplissent les
conditions de la loi... — S. A. S. I'archichancMier de V Empire
dit que les delits de police correctionnelle pouvant entratner
I'emprisonnement, on ne peut pas relacber indistinctement sans
caution ceux qui sont pr6venus ; il suffit de laisser cette faculte
au juge (3). »
Le Code d'instruction criminelle ne cousidera done jamais la
mise en liberte provisoire comme un droit du prevenu; il la
prohibait absolument lorsqu'il s'agissait d'un crime (art 113) et
en matiere correctionnelle lorsque le prevenu 6tait un vagabond
ou repris de justice (art. liS) : toujours un cautionnement d'au
moins 500 fr. etait exige. C'etait la chambre du conseil qui sta-
tuait sur les demandes de mise en liberte , et ses decisions, pou-
vaient etre attaquees par le procureur imperial et la partie ci-
vile, mais non par le prevenu (art. 135).
Toutes les dispositions que nous venons d'analyser, sauf celles
sur la liberte provisoire, passerent au Conseil d'Etat presque
sans discussion. Le texte qui occupa le plus longtemps I'attea-
tion fut I'article 10, qui confere au prefet des attributions de
police judiciaire et que Napoleon soutint en personne (4).
(1) LoorS, tome XXV, p. 184.
(2) L'institution fut m6me radioalement attaqu6e : « M. Regnaud, dit que I'As-
semblee constituante n'a Stabli le systeme de la liberty provisoire que par imita-
tion des Anglais, qui reUchent sous caution, meme lorsqu'il s'agit des peines les
plus graves. Mais c'est une question que de savoir si cette th^orie convient k nos
moeurs. » Ibid., p. 186.
(3) Locri, torn. XXV, p. 191. - (4) Ibid., p. 205, ssq. .
338 LE CODE
Ainsi se deroulait I'instruction dont le juge allait soumettre
les resultats a la chambre du conseil, pour que celle-ci decidHt
quelle suite serait donnee a I'affaire. En matiere criminelle, ce
controle etait plut6t nominal que reel , car il suffisait d'une seule
voix, celle du juge d'instruction, pour que les pieces fussent
transmises au procureur general et que la chambre des mises
en accusation fut saisie (1).
La procedure devant la chambre des mises en accusation est
secrete, comme la premiere information : « les juges ne voienl
ni le prevenu , ni la partie civile , ni les temoins de I'un et de
I'autre. Aussitot apres la lecture des pieces, le procureur general
se retire en laissant sur le bureau sa declaration ecrite et signee.
— Le plus grand secret doit presider aux deliberations de la
Cour imperiale dans toutes les affaires criminelles qui lui sont
soumises (2). » Depuis la loi du 7 pluviose an IX, il en etait de
mgme devant le jury d'accusation. La loi nouvelle ne faisait en
general que transferer a la chambre d'accusation les pouvoirs
du jury, et une portion des articles qui reglent ses fonctions
out ete copies dans le Code de brumaire an IV; parfois tn&me
I'adaptation a ete hative et le raccord mal fait (3). Cependant
sur un point la nouvelle juridiction acquit un pouvoir qui man-
quait a I'ancienne. Le jury d'accusation n'avait pas le droit
" d'examiner si le fait porte dans Facte d'accusation merite peine
afflictive ou infamante » (Code de brumaire, art. 241). La
chambre d'accusation examine au contraire la qualification a don^
ner au fait (Inst, cr., art. 231); cela est logique, les juges con- ,
naissent de la question de droit, interdite aux jures.
Si la chambre d'accusation rend un arret de renvoi devant la
cour d'assises , il y a lieu pour le procureur general de dresser
I'acte d'accusation , qui precedait jadis la mise en accusation et
{l)Exposi des motifs, par Treilhard. Locri, tome XXV, pp. 246-247.
(2) Exposi des motifs, parM. Faure. Ibid., p. 566.
(3) Par exemple, art. 225 : « Les juges dSlibSreront entre eux sans d^semparer
et sans communiquer avec personne. » C'fetait le dernier alin^a de I'article 238
du Code de brumaire; mais trfes-bien fait pour des jur^s, il n'avait guere de
port^e appliquS a des magistrals; on en fit I'observation au Conseil d'fitat (Loori.
torn. XXV, pp. 431-432).
D'INSTRUCTION CEIMINELLE. S39
dont il etait la base (1). Dans I'Expose des motifs par M. Faure,
dans le Rapport de M. Riboud (2), on se felicite vivement de ce
changement; mais en realite.par la meme, I'acte d'accusation
ne fait que reproduire , avec quelques details en plus , I'arret de
renvoi; sans doute 11 doit, ainsi que ce dernier, etre lu aux
jures , mais il n'y a la qu'une pure formalite. C'est dans la pra-
tique une lecture rapide, a laquelle le jury ne prete qu'une
oreille distraite : il va entendre les temoins et I'accuse; il va voir
le drame vivant se derouler sous ses yeux.
III.
Si , apres la procedure devant les juridictions d'instruction, on
considere les debats devant les juridictions de jugement, le con-
traste est complet. On passe de I'obscurite au plein jour. La pro-
cedure etait secrete, ecrite, tournee tout entiere du cote de I'ac-
cusation et ne laissant meme pas a la defense le droit de contra-
diction : ici tout est publicite, debats oraux, libre defense et
pleine discussion. D'un c6te, ce sent les traditions de I'Ordon-
nance de 1670; d'autre part, les principes proclames par I'As-
semblee constituante et mis en ceuvre dans les lois de I'epoque
intermediaire (3). Quel que soit le tribunal devant lequel on com-
paraisse, I'instruction est publique a peine de nullite (art. 153,
190, 309); partout les droits de la defense spnt les memes que
(1) Locri, tome XXIV, p. 507.
(2) Ibid., p. 589.
. (3) Reoemment cette verite 6tait reconnue dans un document officiel : « Les
r^dacteurs du Code de 1808 adopterent un systfeme de conciliation : ils s'efforcferent
de satisfaij-e les deux int^rfits en presence et de combiner les divers elements que
leur offraient les diff^rentes periodes de notre histoire. A I'epoque feodale (?) ils
empruntferent la publicity des audiences , le jury, les ^preuves orales , le droit
d'appel; au regime monarchique ils prirent I'institution du ministfere public, la
permanence des juges, I'usage des procedures r6dig6es par eorit. lis se flattaient
d'avoir assez fait pour le pr^venu en lui assurant des juges impartiaux , I'assis-
tauce d'uQ dfifenseur, et la publicity des debats, au moment oi, I'instruction ^tant
fmie, il va pouvoir faire eclater son innocence, si elle a 61A m^connue. i> Projet
de lot tendant d reformer le Code d'instruction criminelle, presents au nom de
M. Jules Grevy, president de la R^publique franjaise. Journal off. du 14 Janvier
1880, p. 302, col. 2 et 3.
S40 LE CODE
ceux de I'accusation ; elle peut produire ses temoins , et ce sont
meme les derniers entendus , comme le defenseur et I'accuse ont
la parole en dernier lieu. Toujours le prevenu peut etre assiste
d'un defenseur; la loi d'office en donne aux accuses.
Mais entre ces deux etats extremes et opposes , n'y a-t-il point
une periode intermediaire , dans laquelle la defense puisse com-
mencer i s'organiser et prenne connaissance de la procedure
ecrite, ou jusqu'a present toutes les preuves ont ete concentrees ,
et ou I'accusation, a qui elle a ete constamment ouverte, puise
les armes qu'elle prepare?
En matiere criminelle , oii une instruction preparatoire force-
ment a eu lieu , le legislateur a etabli cette phase intermediaire ,
cette periode de transition. D'abord quand I'arret de renvoi a
ete rendu et I'acte d'accusation dresse , ces pieces ont ete signi-
flees a I'accuse (art. 242), qui, dans les vingt-quatre heures, a
dll etre transfere dans la maison de justice. Vingt-quatre heures
encore apres son arrivee dans ce lieu, I'accuse doit etre interroge
par le president de la cour d'assises ou par le magistrat qui le
remplace (art. 294). Par la meme il a Toccasion de faire enten-
dre ses plaintes a un magistrat d'un rang eleve; ce n'est paS
tout , le president doit I'avertir qu'il a le droit d'attaquer I'arret
de renvoi devant la Cour de cassation , lui demander s'il a fait
choix d'un defenseur, et , au besoin , lui en nommer un d'office
(art. 294). C'est la une des plus nobles dispositions de la loi
frangaise ; les reformateurs de la Revolution la puiserent dans la
generosite du caractere national; ce ne fut pas un emprunt fait a
I'Angleterre , qui ne connaissait pas cette loi genereuse.
Des lors le conseil peut librement communiquer avec I'accuse,
prendre connaissance de toutes les pieces de la procedure (art.
302), et en faire prendre copie (art. 305). Une copie des proc^s-
verbaux et des declarations ecrites des temoins est meme deli-
vree gratuitement a I'accuse. Cette disposition etait contenue
dans le Code des delits et des peines (art. 320); c'etait meme
alors la copie de toutes les "pieces de la procedure qui etait deli-
vree , tandis que la formule employee par le Code d'instructioii
criminelle exclut de la copie gratuite les interrogatoires de I'ac-
cuse. Mais ces dispositions equitables ne sont edictees que pour
DINSTRUCTION CRIMINELLE. S41
les matieres eriminelles; la loi ne s'est pas occupee du cas oh
rinstruction preparatoire etait faite en vue d'un delit correc-
tionnel. Mors il n'y a point d'avocat nomme d'office, point de
communication de pieces. La communication a I'avocat a souvent
lieu dans la pratique , mais ce n'est qu'une concession gracieuse
de la part des parquets. Pour les proces importants en police cor-
rectionnelle , il y a la une lacune regrettable.
On devine que les testes reglant la procedure devant les juri-
dictions de jugement, furent empruntes au Code des delits et des
peines , qu'il s'agit du tribunal de simple police ou de police cor-
rectionnelle , ou de la cour d'assises. Pour s'en assurer, il sufflt
de Jeter un coup d'oeil sur I'un et I'autre Code. On avait apporte
au fonctionnement du jury les retouches , dont I'experience avait
demontre la necessite. La composition des listes de jures etait
profondement modifiee. L'article 382 indiquait limitativement les
categories de personnes qui devaient les fournir. C'etaient d'a-
bord les membres des colleges electoraux, tels que les composait
le senatus-consulte du 16 thermidor an X (art.' 14, 15, 18, 19),
c'est-a-dire des electeurs du second degre (1), et les trois cents
plus imposes : puis venaient quatre alineas, qui realisaient pour
le jury ce qu'on appellera plus tard I'adjonction des capacites.
EnQn, l'article 387 permettait aux personnes qui n'appartenaient
a aucune de ces classes, de solliciter « I'honneur d'etre admis
aux fonctions de jure ; » le prefet pouvait les comprendre dans
la liste s'il avait obtenu sur elles « des renseignements avanta-
geux , » et si le ministre de I'interieur accordait son autorisation.
Les prefets dressaient les listes de session « composees de
soixante citoyens. » Art. 387 : « Les prefets formeront sous leur
responsabilite une liste de jures, toutes les fois qu'ils en seront
requis par les presidents des cours d'assises. Cette requisition
sera faite quinze jours au moins avant I'ouverture de la session. »
On le voit , le choix des jures , si mal fait pendant la periode
(1) lis 6taient nommSs par I'assembl^e de canton « compos^e de tous les ci-
toyens domicili^s dans le canton et qui y sont inscrits sur la liste communale
d'arrondissement. » lis 6taient deux cents au plus el cent vingt au moins pour le
college electoral d'arrondissement; trois cents au plus et deux cents au moins
pour le college Electoral de d^partement. lis etaient nommSs a vie.
542 LE CODE
revolutionnaire , etait restreint dans d'6troites limites. On avait
meme reagi a I'exces centre le relachement des regies anciennes.
La composition du jury etait entierement aux mains des prefets,
puisqu'ils choisissaient a leur gre les listes de session et a cela a
une epoque tres-rapprochee de rouverture des sessions d'assises.
Le tirage au sort ne jouait un r61e que dans la composition du
jury de jugement. La recusation en presence etait organisee , 11 ne
pouvait plus y avoir de recusations motivees (art. 399) (1).
Le systeme des questions posees au jury etait simplifie. Ici
meme on avait ete trop loin, et d'un exces on etait tombe dans un
autre. Une seule question, dont la formule tres-simple visait a la
fois I'element materiel et ^'element moral du delit , comprenait
tout le contenu de Facte d'accusation ; c'est-a-dire non-seulement
le fait principal, mais aussi les circonstances aggravantes qui
pouvaient y etre relevees (art. 338). C'etait obliger eventuelle-
ment les jures a operer des distinctions, et a poursuivre une ana-
lyse (art. 365), queleslois anterieures avaient sagement voululeur
6viter. On n'avait point encore trouve la solution du probleme.
Sur un autre point on avait ete mieux inspire. L'article 387 de-
clarait « que la decision du jury se formera pour ou contre I'ac-
cuse a la majorite, a peine de nullite. En cas d'egalite de voix,
I'avis favorable a I'accuse prevaudra. » Repoussant le principe
anglais de I'unanimite et les titonnements de I'epoque interme-
diaire, le Code d'instruction criminelle adoptait cette loi si logique
et si raisonnable de la simple majorite, qu'on devait pourtant
repousser encore dans la suite, pour y revenir enfin de nos jours.
Mais le legislateur de 1808 n'avait pas ose proclamer ce prin-
cipe d'une maniere absolue ; il I'avait accompagne d'une restric-
tion illusoire en realite. Organisant un systeme bizarre et com-
plique, il voulait que, si la decision avait ete prise contre I'accuse
a la simple majorite d'une voix, les jures en fissent la declaration
(1) On avait cru nScessaire d'fidicter les moyens de conlrainte ^nergiques pour
obliger les citoyens d^signfes au service du jury. Non-seulement des amendes
itaient prononofies, comme aujourd'hui, centre les defaillants, mais de plus l'ar-
ticle 392 dfeclarait inadmissibles aux places judiciaires et administratives ceux qui
nigligeaient, sans juste cause, de satisfaire aux requisitions a eux adressSes pour
le service du jury.
d'instruction ceiminelle. 343
(art. 341). On appelait alors la cour elle-mgme, compqsee de
cinq membres, a delib^rer sur la question de culpabilite; et voici
comment on combinait ce vote avec celui des jures : art. 3S1
« si I'avis de la minority des jures est adopte par la majorite des
juges , de telle sorte qu'en reunissant le nombre de voix ce nom-
bre excede celui de la majority des jures et de la minorite des
juges , I'avis favorable a I'accuse prevaudra. »
Comment le Code tranchait-il deux points importants , sur les-
quels differaientprofondement I'ancienne jurisprudence et le droit
de la Revolution : le proces ecrit ou le debat oral, et la theorie
des preuves? D'abord le caraclere oral du debat est maintenu ;
mais le Code d'instruction criminelle se defle moins de I'ecriture
que ne I'avaient fait les lois anterieures. Dans la procedure devant
le jury, le Code de brumaire avait indique d'une facon fort etroite
- I'usage qui^pouvait etre fait de I'information , et aucune trace des
debats n'etait fixee par I'ecriture. « Art. 365 : II ne peut 6tre lu aux
jures aucune deposition ecrite de temoins non presents a I'audi-
toire. — Art. 366 : Quant aux declarations ecrites que les temoins
■ presents ont faites et aux notes, ecrites des interrogatoires que
I'accuse a subis devant I'offlcier de police , le directeur du jury
et le president du tribunal criminel , il n*en peut gtre lu dans le
cours des debats que ce qui est necessaire pour faire observer
soit aux temoins, soit a I'accuse les variations, les contradictions
et les differences qui peuvent se trouver entre ce qu'ils disent
devant les jures et ce qu'ils ont dit precedemment. — Art. 382 :
II (le President) remet aussi aux jures , toutes les pieces du pro-
ces , a I'exception des declarations ecrites des temoins et des in-
terrogatoires ecrits de I'accuse. » De ces trois articles, le premier
a disparu ; et c'est un fait important , car, bien que les redacteurs
du Code n'aient point eu I'idee de deroger sur ce point au droit
■ anterieur (1) , nous verrons quel parti la jurisprudence a tire de
(1) Cela risulte d'un article du titre des Contumaces; I'article ill prfivoyant le
d^bat contradictoire qui intervient quand una contumace est purg^e , s'exprime
ainsi : « Dans le cas prevu par I'article pric^dent, si pour quelque cause que ce
soit , des temoins ne peuvent fitre produits aux debats , leurs depositions 6crites
et les r^poDses Ecrites des autres accuses du mSme d^lit seront lues a I'audience ;
il en sera de m£me de toutes les autres pieces, qui seront jug^es par le president
54 i LE CODE
cette lacune. Quant aux deux autres- dispositions , elles fureat
reprises, mais sous une forme qui elargissait quelque peu la
fonction des pieces ecrites. Art. 318 (Inst, crim.) : « Le president
fera tenir note par le greffier des additions, changements , ou va-
riations qui pourraient exister entre la deposition d'un temoin et
ses precedentes declarations. Le procureur general et I'accuse
pourront requerir le president de faire tenir les notes de ces
changements, additions et variations (1). — Art. 341 : Le president
remet les questions ecrites aux jures en la personne du chef du
jury ; il y joint Facte d'accusation , les proces-verbaux qui cons-
tatent les delits et les pieces du proces autres que les depositions
ecrites des temoins. » Dorenavant les pieces remises contiennent
les interrogatoires des accuses.
Sur un point, la procedure ecrite fit nettement un pas en avant.
En cas de contumace , le Code de brumaire voulait que le jury
intervint, comme dans la procedure contradictoire (art. 462 a
482). Le Code d'instruction criminelle decida au contraire quele
jury n'interviendrait point; la cour statuerait elle-meme sur le
fond, apres avoir constate la regularite de la procedure (art. 470).
Cela etait logique , en effet , et cette reforme etait utile , comme
le montre fort bien I'Expose des motifs fait par M. Berlier :
« Puisque tout se reduit a la lecture des pieces, a I'examen
d'une procedure ecrite, et a une froide analyse de circonstances
plus ou moins bien etablies au proces , c'etait deplacer toutes les
ideas que de ne pas laisser aux juges le soin d'y statuer. Les re-
tablir dans ce droit, c'est d'ailleurs degager I'instruction de la
contumace d'elements qui la compliquent sans utilite et sans in-
teret pour le contumax (2). » Dans un pareil proces , il n'y a
point de defense , pas de debat oral ; c'est I'affaire des magistrata
plut6t que des jures. Les regies de la procedure par contumace ,
etre de nature a r^pandre de la lumiSre sur le d^lit et les coupables. » Si cela
edt 6tS possible d'aprfes le droit commun , I'article ne se comprendrait pas.
(1) Cf. art. 372 : « Le grefSer dressera un proofs-verbal de la stance afin de
constater que les formalit^s prescrites ont &i& observ^es. II ne sera fait mention
au procSs-verbal ni des rSponses des accuses, ni du contenu aux depositions,
sans prejudice toutefois de I'application de I'article 318. »
(2) Locr^, tome XXVII, p. 159; cf. Rapport de M. ChoU, ibid., p. 72.
D INSTRUCTION CRIMINELLE. 545
que les lois pr6cedeijtes avaient empruntees en grande partie a
I'ancien droit francais, furent d'ailleurs maintenues dans le Code
d'instruction criminelle.
En police correctionnelle, il ne pouvait etre question d'interdire
aux juges de consulter I'information , quand il en avait ete faite
une; et necessairement elle influera sur leur decision, bien que
le debat oral et public doive toujours etre leur principal element
d'appreciation. Devant les tribunaux de police correctionnelle,
comme en simple police, le Code d'instruction criminelle, apres
celui de Brumaire , veut que , sinon le debat entier, au moins ses
principaux points soient fixes par I'ecriture (1). Pour les tribu-
naux de police, I'article 155 (que I'article 189 rend applicable aux
tribunaux de police correctionnelle) declare « que les teraoins
feront a I'audience serment de dire toute la verite , rien que la
verite , et le greffier en tiendra note ainsi que de leurs nom , pre-
noms , Elge , profession et demeure et de leurs principales Mda-
rations. » On voulait rendre par la moins couteuse la procedure
en appel; c'est un germe qui se developpera dans la suite.
Lelegislateur nouveau maintenait le systeme des preuves mo-
rales , I'une des reformes pour lesquelles avait combattu le plus
ardemment le xviii^ siecle , et qui constituait une conquete defi-
nitive. Devant le jury cette theorie conservait son empire absolu ;
quelle que soit la preuve fournie, les jures peuvent toujours
acquitter, de meme qu'un verdict affirmatif peut gtre rendu,
quelle que soit la faiblesse des preuves. Comme le Code de bru-
maire, le Code d'instruction criminelle met sous les yeux des
jures un long avertissement oii cette tlieorie est rappelee : « Art.
342 : La loi ne demande pas compte aux jures des moyens par
lesquels ils se sont convaincus. Elle ne leur prescrit point de
regies, desquelles ils doivent faire particulierement dependre la
plenitude et la suffisance d'une preuve. Elle leur prescrit de s'in-
terroger eux-memes dans le silence et le'recueillement, et de
chercher dans la sincerite de leur conscience quelle impression
ont faite, sur leur raison les preuves rapportees centre I'accuse
(1) Code de brumaire, art. 135 : « Leurs nom (des t^moins), Sge et profession
sont inserts dans le jugement; — le greffier tient note sommaire de leurs prin-
cipales declarations ainsi que des principaux moyens de defense des prSvenus. »
35
546 LE CODE
et les moyens de sa defense. La loi ne leur dit point : « Vous
tiendrez pour vrai tel fait atteste par tel ou tel nombre de te-
moins; » elle ne leur dit pas non plus : « Vous ne regarderez
pas com me suffisamment etablie toute preuve qui ne sera pas
formee de tel proces-verbal , de telle piece , de tant d'indices ; »
elle ne leur fait que cette seule question qui renferme toute la
mesure de leurs devoirs : « Avez-vous une intime conviction? »
Devant les autres juridictions, le mSme principe prevaut en-
core; mais il admet quelques restrictions. Parfois, bien que tres-
rarement, le juge ne pent pas se determiner d'apres toute
preuve ; la loi en a choisi specialement quelques-unes. II en est
ainsi pour le delit d'adultere (art. 338, G. P.); de meme cer-
taines contraventions, fugitives et difficilement saisissables , ne
peuvent etre prouvees que par un proces-verbal regulier; c'est
du moins ainsi que la jurisprudence interprete les lois du 17
brumaire an VI sur les matieres d'or et d'argent , et du 9 flo-
real an VII sur les douanes, et le decret du i" germinal an
XII sur les douanes (art. 34). En sens inverse, dans certains
cas la decision, quelle que soit la conviction du juge, sera em-
portee par la production d'une certaine preuve ; cela est vrai des
proces-verbaux , quant aux faits materiels qu'ils constatent (art.
134, Inst, crim.) : les uns font foi jusqu'a inscription de faux,
et tant que I'inscription de faux n'a pas ete intentee avec succes,
ils lient le juge ; les autres ne font foi que jusqu'a preuve con-
traire, mais il faut offrir et administrer cette preuve pour les
depouiller de leur autorite.
Le Code d'instruction criminelle introduisit peu de modifica-
tions dans le systeme des voies de recours. L'appel etait main-
tenu et toujours admis en matiere correctionnelle ; pour les ma-
tieres de simple police il etait ouvert dans une mesure sufflsante.
Le pourvoi en cassation , sauf des modifications de detail etait
regie comme dans les Codes de I'epoque intermediaire.
D INSTRUCTION CRIMlJitELLE . 347
IV.
Mais ce n'etait la que la procedure de droit commun; il y avait
aussi uue procedure d'exception en matiere criminelle. Elle se
deroulait devaut les Cours speeiales (art. 583-599. Inst. crim.).
Cescours etaient les heritieres, mais a titre definitif, des tribu-
naux speeiaux organises par les lois du 18 pluviose an IX et du
22 Horeal an X. EUes se composaient des cinq magistrats qui
siegeaient a la cour d'assises, et de trois militaires ayant au
moins le grade de capitaine (art. 556). EUes connaissaient de
tons les crimes commis par des vagabonds ou gens sans aveu
ou par des condamnes a des peines afflictives ou infamantes,
ainsi que des crimes de rebellion a la force armee , de contre-
bande armee , de fausse monnaie et d'assassinat prepare par des
attroupements armes (art. 553, 554). Toute I'instruction prepara-
toire 6tait la memo que pour une affajre portee devant le jury,
et elle etait soumise a la chambre d'accusation , qui ordonnait,
s'il y avait lieu , le renvoi devant la cour specials (art. 566 , 567).
Get arret 'de renvoi, determinant la competence, etait d'office
soumis a la chambre criminelle de la Cour de cassation (art.
568, 570). Devant la cour speciale le debat etait oral et public,
et la defense libre , comme devant la cour d'assises (art. 573 ,
579). Le jugement etait rendu a la majorite des voix, le partage
seul profitant a I'accuse (art. 582) ; il etait en dernier ressort et
ne pouvait Stre attaque par le pourvoi en cassation (art. 597).
Ces article^, compares a la loi du 18 pluvidse, presentaient des
adoucissements assez sensibles ; les affaires soustraites au jury
etaient moins nombreuses , on le fit ressortir dans la discussion
au Conseil d'Etat (1). En realite, il y avait aggravation, en ce
sens que le systeme devenait definitif; on n'avait plus devant soi
une mesure de circonstance , mais une institution reguliere et
durable. L'esprit qui regnait ici etait celui qui , dans I'ancien
droit , avait cree et developpe les juridictions prevdtales , et sur
(1) Stance du 9 aoflt 1808, Locri, t. XXVII, p. 19.
S48 LE CODE ,
ce point I'Ordonnance de 1670 triomphait. On le reconnaissait
ouvertement; nous avons plus haul cite des passages tres-expli-
cites de I'Expose des motifs fait par M. Real. On repudiait
seulement la procedure secrete de I'ancien regime. « Jadis c'e-
tait I'instruction deja bien severe de I'Ordonnance de 1670
confiee au prev6t at a son assesseur. Ainsi le juge extraordirr
naire, le juge militaire seul saisissait d'abord le. prevenu et ne
le quittait point pendant I'instruction; I'assesseur etait le rap-
porteur du proces... Qu'on ajoute a cette procedure tout extraor-
dinaire la severite des formes , les deux questions , le perpetual
secret qu'elle empruntait a la procedure ordinaire de 1670...
Dans la loi que nous vous presentons , le juge ordinaire instruit
dans les formes ordinaires contre le crime on le prevenu qui
seront de la competence de la cour speciale , parce que cette pre-
miere instruction secrete et rapide suffit dans les deux cas... II
faut ajouter que le jugement de competence n'est plus prononce
par un tribunal inferieur, comme dans le systeme de 1670, ni
par le directeur du jury, comme le permettait une loi poste-
rieure , ni par le tribunal special lui-meme , comme le veut la loi
de pluviSse an IX, mais par la cour imperiale composee des
magistrals les plus experimentes , les plus eclaires (1). » On
declarait aussi que I'inslruction etait « sous tous les rapports
superieure aux juridictions prevdtales de I'ancien regime; »
mais c'etait bien la vieille tradition qu'on reprenait. A cet egard,
le tres-habile Expose des motifs par M. Real est des plus curieux.
II contient une histoire rapide des cours prevotales. II com-
mence par rappeler que cette institution « fut reconnue, reclamee
par les Etats-generaux » du xvi° siecle , et que « I'Ordonnance
de i&lQ ne fit que recueillir et rapprocher les dispositions an-
ciennes eparses dans les ordonnances. » II rappelle ensuite
que ces tribunaux ne furent point touches par les premieres re-
formes de 1789, et que les prevSts des marechaux continuerent
d'exister jusqu'aux premiers mois de 1790. « Mais le 6 mars
dans une seance du soir, a I'occasion d'une plainte rendue a la
barre de I'Assemblee par la municipalite de Paris contre un
(1) Locr4, t. XXVII, pp. 68 , 70.
D INSTRUCTION CRIMINELLE. 549
prev6t de la marechaussee du Limousin , un membre de I'As-
semblee, par une motion incidents , demanda que les juridlctions
prevdtales fussent des a present supprimees. II est vrai que cette
suppression fut ajournee, mais il fut a I'instant decrete provisoi-
rement que toutes les procedures commencees par les prevfits
seraient suspendues. Ce singulier decret provisoire decidait la
question du fond , et equivalait par ses resultats a la suppression
definitive des juridictions prevotales , dont on n'a plus entendu
parler... Chose etrange! il semblait que les vagabonds fussent
alors moins a craindre que les prevots; il semblait que les juri-
dictions prev6tales fussent au nombre de ces privileges aneantis
dans la nuit memorable du 4 aoM 1789, et que la nation entiere
dut en consequence renoncer a Vhonorable privilege , qui la sepa-
rait des mechants (1). » II n'est pas moins curieux de voir com-
ment I'orateur explique qu'on n'ait point fait place aux juridic-
tions d'exception dans les Codes de I'epoque intermediaire : « Au
moment oil s'elaborait le nouveau Code criminel , les idees de ce
style severe et simple , que les grands talents avaient introduit
dans les Beaux-Arts , s'etaient emparees de tous les esprits ; au
memo moment les principes de I'egalite marchaient avec quelque
rapidite vers I'exageration ; les legislateurs ne purent entierement
se soustraire a I'influence de cette double impulsion , et dans la
construction du systeme criminel ils sacrifierent quelquefois la
solidite a la r^gularite. Dans la reparation de cet ancien edifice,
la colonne qui en soutenait une partie essentielle, cette juridiction
speciale, dont on ne devinait ni la force ni I'importance , fut sup-
primee, parce qu'elle contrariait j^eut-etre un pen la symetrie des
details et I'unite du plan (2). » II semble vraiment que David et
son ecole etaient cause que Merlin n'avait pas admis les cours
prevotales dans le Code des delits et des peines I
M. Real, il est vrai, presentait de plus serieux arguments. II
rappelait I'ardeur inconsideree , le besoin de changement , la de-
fiance a regard du pouvoir qui caracterisaient I'epoque revolu-
tionnaire, mettant en regard la tradition constante, qui privait
(1) Locri, tome XXVIII, pp. 48, 49.
(2) LocrS, tome XXVIII, p. 49.
5S0 LE CODE
les repris de justice du benefice du droit commun. « Eh! c'etait
precisement au moment oi un Code plus approprie aux mceurs ,
aux besoins, aux opinions de la nation et du siecle, et par conse-
quent plus doux, plus humain, allait remplacer le Code de 1670,
qu'il fallait surtout conserver une juridiction exceptionnelle quelle
qu'elle fut, qui devait comprimer les brigands. Comment, en
eflfet, ne venait-il pas a la pensee de ces legislateurs , que ce qui
aurait ete simplement utile sous le regime de 1670, devenait de
necessite absolue , indispensable , sous le regime plus doux , plus
humain qui allait* le remplacer (1)? » L'orateur rappelait enfin le
brigandage qui avait devaste ia France, la loi de I'an IX et
ses heureux effets : « II a ete bientot reconnu que la loi devait
etre permanente et universelle..., les lois de circonstance, les bis
provisoires ne conviennent plus a la nation; elles conviennent
encore moins a ce genie qui n'enfante que des projets seculaires,
au heros qui fonde des empires et des dynasties, qui, apres avoir
longtemps muri ses vastes conceptions , les grave sur le bronze
et leur donne ce caractere determine, que les fondateurs de Rome
avaient seuls jusqu'a ce jour imprime a leurs lois comme a leurs
imperissables constructions (2). » Le rapport de M. Louvet,
beaucoup plus pale, ne fait que repeter quelques-unes de ces
considerations ; l'orateur n'etait peut-etre pas completement pe-
netre de ce qu'il donnait comme des verites sures , car il declare
« qu'il faut laisser au temps le soin de modifier ou memo de faire
cesser cette institution, si les ameliorations qui pourront survenir
dans I'etat des mceurs de la nation en font un jour sentir la ne-
cessite (3). »
Au Conseil d'Etat il n'y avait ea aucune resistance centre le
projet de loi; il est meme interessant de constater avec quelle
simplicite certains orateurs relevent les consequences exorbi-
tantes de quelques dispositions (4). Dans la discussion du projet
(1) Locri, tome XXVIII, p. 51.
(2) Ibid., pp. 55, 56.
(3) Ibid., p. 78.
(4) On discute I'article 372 du projet ainsi coDga : Le jugement de la cour se
formera a la majority a peine de nuUit§. « M. le comte Muraire dit que la nullit6
.serait illusoire , puisque le jugement n'est pas sujet h recoups. II sufflt done de
D INSTRUCTION CRIMINELLE. SSI
primitif de Code criminel, en Tan XII, il s'etait encore ma-
nifeste quelques scrupules , vite apaises , il faut le dire. No-
tons ces paroles de M. Treilhard dans la seance du 30 prairial
an XII : « M. Treilhard dit que la section s'est preoccupee de
I'organisation des tribunaux d'exception ; qu'en soi cette institu-
tion M a paru dangereuse en ce qu'on trouvait toujours quelques
circonstances dont on pourrait abuser pour rendre indistincte-
ment tous les citoyens justiciables des tribunaux d'exception. On
n'evitera cet abus qu'en donnant juridiction a ces tribunaux non
a raison de la nature du crime , mais a' raison de la qualite de la
personne : on pourrait par exemple leur renvoyer les individus
. coupables de recidive. Au reste cette institution existe deja dans les
tribunaux speciaux, qui jugent des crimes qu'on ne propose pas
de soumettre aux tribunaux d'exception. — Les tribunaux speciaux
doivent subsister jusque deux ans apres la paix. La section a done
pense que si d'ici a ce terme le jury remplissait les esperances
qu'on a congues , on pourrait se passer de ces tribunaux ; que si
au contraire la nouvelle epreuve qu'on va faire du jury n'etait
pas satisfaisante , on pourrait les proroger (1). » Mais cela ne re-
pondait point a la pensee de Napoleon : « Sa Majeste dit que la
plupart de ceux qui ont vote le maintien du jury, n'ont ete de-
termines que par la certitude qu'il existerait des tribunaux d'ex-
ception... Sa Majeste voudrait qu'on fit juger par eux les atten-
tats centre la gendarmerie , les delits des individus en recidive
et aussi les crimes commis par des malfaiteurs en bande (2). »
Cambaceres appuya ces observations par un raisonnement assez
singiilier : « II ne faut pas croire que I'etablissemeiit des tribu-
naux d'exception ne doive pas atUnuer le jury, mais il s'agit de
ne renvoyer devant ces tribunaux que les hommes qui n'ont pas
poser le principe que le jugement se formera k la majority. — M. le comte Ber-
Uer dit que, comme I'a observe M. Muraire, la loi qui n'admet pas de recours,
ne doit pas parler de naUites dont on ne saurait obtenir le redressement. Ainsi
les derniers mots de I'artiole sont i retrancher ; mais si la rfegle de la majority
des voix n'etait pas suivie dans I'arrfit (hypotWse presque Imaginaire I) une faute
si grave, si elle 6tait biea constat^e, ne saurait manquer de donner lieu a la prise
k partie. »
H) LocrS. tome XXIV, p. 106.
(2) /6id., p. 106-107.
552 LE CODE
le droit de reclamer le jugement par jures. En effet, etre juge
par les jures c'est etre juge par ses pairs; done si on accordait
ce privilege aux vagabonds et aux brigands , on devrait les faire
juger par d'autres vagabonds ou d'autres brigands (1). » De-
sormais , c'etait une chose decidee ; la question reviendra plu-
sieurs fois devaot le Conseil , mais elle ne soulevera plus aucune
objection (2). Si i'on rapproche ces diverses deliberations , dans
leurs degradations successives , de la grande discussion qui pr6-
ceda le vote de la loi du 18 pluvidse an IX, on verra quels chan-
gements s'etaient fails dans les esprits.
Encore quelques observations sur deux points importants, et
nous en aurons fini avec la redaction du Code d'Instruction cri-
minelle.
V.
On se rappelle le peu de respect que I'ancienne jurisprudence
avait pour la chose jugee. Alors que le jugement etait favorable a
I'accuse, bien rarement I'absolution etait prononcee, et, lorsque
les preuves manquaient, le plus amplement informe etait la regie.
C'est un des points contre lesquels protesta le plus hautement la
conscience publique , et I'effet liberatoire et definitif de I'acquitte-
ment par le jury fut inscrit dans la Constitution de 1791. Le
Code de brumaire an IV en faisait deux fois I'application : lors-
qu'il s'agissait du jury d'accusation et lorsqu'il s'agissait du jury
de jugement. Deux systemes bien opposes s'etaient done encore
ici trouves en presence.
Allait-on revenir en arriere et repreadre la tradition de I'an-
cien droit? Pendant un instant "on put le craindre. Dans la
seance du Conseil d'Etat du 30 prairial an XII , I'archichancelier
de I'Empire prononga ces paroles : « Aujourd'hui le chef d'une
(1) Locre, p. 107. M. Treilhard ayant demand^ si avant de r^diger un projet
dans ce sens il ne fallait pas attendre « I'arriv^e des observations qu'on a de-
maad^es aux tribunaux... SaMajeste dit que la section peut, en attendant, s'oc-
cnper de ce travail et qu'on pesera les observations des tribunaux lors de la dis-
cussion. »
(2) Voyez spAcialement les stances du 23 Janvier 1808 {Locri, t. XXIV, p. S91)
et du 6 Kvrier {Ibid., p. 613).
D INSTRUCTION CRIMINELLE. SS3
cour criminelle n'est pas arme de moyens suffisants pour conte-
nir les accuses, les defenseurs, le public. II n'a pas meme le
' droit d'envoyer a I'instant dans les prisons ceux qui troublent
raudience. Veut-on qu'il agisse avee la fermete convenable?
qu'on I'investisse d'un pouvoir discr^tionnaire ; que le tribunal
puisse casser le jure qui prevarique , qu'il ne soit point reduit a
prononcer I'absolution pure et simple de I'accuse k qui la decla-
ration du jury est favorable , mais qu'il puisse le mettre dans les
liens d'un plus amplement inform^, et sous la surveillance de la
police (1). » Precedemment, dans la seance du 9 prairial , il avait
dit deja : « II est encore une modification non moins importante :
que rabsolution d'un accuse ne soit pas toujours pour lui un
triomphe complet, mais que les juges trouvent dans la loi le pou-
voir de le mettre sous un plus ample informe , et de le placer
sous la surveillance de la police (2). » Mais cette opinion ne
trouva aucune faveur, et dans le cours de la discussion, il n'en
fut plus question : les articles du Code d'instruction criminelle
qui reproduisent les deux textes du Code de brumaire an IV,
dont nous avons parle plus haut, passerent sans discussion toutes
les fois qu'ils vinrent sous les yeux du Conseil. L'effet liberatoire
de I'acquittement fut meme renforce encore. Desormais le pour-
voi en cassation ne peut etre forme que dans I'interet de la loi
centre un acquittement prononce en cour d'assises , et centre la
procedure qui I'a precede. La cour d'assises a bien aussi, dans un
cas, le pouvoir de paralyser la decision du jury, mais e'est
quand le verdict etant affirmatif , elle pense que la bonne foi des
jures a ete surprise ou egaree et que la condamnation serait in-
Juste.
On n'a point oublie quel r61e important jouaient dans I'an-
cienne procedure criminelle les lettres de justice et de grace. Ces
lettres disparurent meme avant la royaute. C'etaient des appli-
cations de la justice retenue, et des 1789 on admet que toute
justice emane non du roi , mais de la nation. Pour quelques-unes
de ces lettres, celles qui tendaient a entraver le cours de lajus-
(1) Locri, tome XXIV, p.
(2) Ibid., p. 28.
5S4 LB CODE
tice, arretant les poursuiles ou imposant aux juges une absolution
commandee , la suppression devait etre definitive. Si le chef de
I'Etat, lorsque la forme de gouvernement etait la Monarchic ou
I'Empire , a regu depuis lors le droit d'accorder des amnisties , ce
n'etait en aucune fagon un retour aux anciennes lettres, tout
individuelles. Quant aux lettres de remission et de pardon qui
servaient jadis a innocenter les homicides commis en vertu de la
legitime defense , elles constituaient un systeme bizarre qui n'a-
vait plus de raison d'etre (1). Mais il en etait d'autres qui repon-
daient a des besoins reels : les lettres de gr§,ce, de rehabilitation,
de revision. Pendant I'epoque intermediaire , parfois on chercha
a donner satisfaction a ces besoins au moyen d'institutions nou-
velles ; parfois on jne trouva pas qu'ils fussent legitimes et meri-
tassent d'occuper le legislateur.
Pour ce qui est d'abord du droit de gr^ce, I'Assembiee consti-
tuante I'avait juge incompatible avec les principes nouveaux (2).
Ony voyait une sorte d'attentat centre les decisions de la justice,
et jadis Montesquieu avait proclame que ce droit n'etait admis-
sible que dans le pur etat monarchique. D 'autre part les sentences
rendues sur le verdict d'un jury paraissaient presenter une telle
surete que toute retouche etait inutile. Cependant la grace repond
a un besoin qui est le meme sous tous les gouvernements et dans
tous les pays : adoucir les condamnations trop severes, reparer
les erreurs judiciaires , recompenser les efforts des condamnes
vers le bien. Aussi le droit de grace reparut sous le Consulat : le
senatus-consulte organique du 16 messidor anXl'accorda au Pre-
mier consul (3). Sous I'Empire le droit d'accorder des lettres de
grdce , droit absolu aux mains de I'Empereur, pouvait s'expliquer
par un retour aux anciens principes : d'apres le senatus-consulte
du 28 floreal an XII la justice se rendait ?iu nom de I'Empereur.
La rehabilitation n'avait point ete , comme la grice , effaces de
(1) Voyez I'Exposi des motifs da titre VII, livre II du Code d'instruction crimi-
nelle {Locr6, tome XXVIII, p. 164).
(2) Voyez Code penal de 1791 , I'o partie, tit. vii, art. 13.
(3) Art. 86 : « Le Premier consul a droit de faire grflce. II exerce ce droit
aprfes avoir entendu dans un conseil prive le grand-juge, deux ministres, deux
senateurs , deux conseillers d'Etat et deux juges du tribunal de cassation. »
d'instruction criminelle. 855
DOS lois pendant la Revolution. Elle etait meme devenue un droit
pour ceux des condamnes qui , apres avoir subi leur peine , reve-
liaient au bien ; mais conformement aux idees nouvelles , elle ne
pouvait emaner du pouvoir executif. L'esprit du temps se recon-
nait et dans le choix de I'autorite charges d'apprecier I'amende-
ment du condamne, et dans les formes theMrales dont on entoura
la rehabilitation (1). L'autorite qui statue, c'est le conseil general
,de la commune (art. 3-5) (2). Si le vote, qui a lieu apres une
attente d'un mois , est favorable, « deux o'fficiers municipaux re-
yetus de leur echarpe... conduiront le condamne devant le tribu-
nal criminel du departement dans le territoire auquel il est actuel-
lement domicilie... ils y paraltront avec lui dans I'auditoire en
presence des juges et du public. Apres avoir fait lecture du juge-
ment prononce contre le condamne, ils diront a haute voix : « Un
tel a expie son crime en faisaat sa peine , maintenant sa conduite
est irreprochable ; nous demandons au nom de son pays que la
tache de son crime soit effacee (art. 6). » Le president du tribunal
intervient alors, mais seulement pour enregistrer la decision et
prononcer une formule (art. 7). « Le president du tribunal, sans
deliberation prononcera ces mots : « Sur 1' attestation et la de-
mande de votre pays, la loi et le tribunal effacent la tache de votre
crime. »
La rehabilitation etait chose peu pratique, sous cette forme
qui mettait dans une vive lumiere le crime, dont on voulait effa-
cer les traces. L'institution etait fort peu populaire , au moment
oil Ton discuta le projet de Code criminel (3). La question de
savoir si on la maintiendrait fut un des points qu'on detacha au
debut comme devant 6tre prealablement resolus. L 'opinion qui
domina fut que l'institution ne devait pas etre rayee de nos lois ,
mais on penchait a revenir purement et simplement aux lettres
(l)Voyez Code ptoal de 1791 (!'= partie, tit. vii).
(2) 11 faut qu'il se soit 6coul^ dix ans depuis I'expiation de la peine et que le
lib&6 ait r6sid6 pendant deux ans de suite dans la m«me commune (art. 1 et 2.)
(3) Stance du 30 prairial an XII : « M. Regnaud dit que dans I'anoienne legis-
lation la rehabilitation s'opfirait par lettres du roi; que I'Assemblte constituante a
«dopt6 un mode diffirent, mais que les circonstances n'ont pas permis de 1 em-
ployer. Ce mode au surplus avait I'inoonvfement de remettre indistmotement dans
la soci6t6 ceux qui avaient subi leur peine. » [Locri, tome XXIV, p. 104.)
556 LE CODE
de rehabilitation de I'ancien regime. « L'archichancelier observe
que TAssemblee constituante a decrete la rehabilitation dans des
circonstances beaucoup moins favorables que celles" ou Ton se
trouve : alors les lettres de grice etaient supprimees , et le sou-
verain ne pouvait plus intervenir pour dispenser la rehabilitation
ou la modifier, on I'a accordee 4 tons les condamnes et on I'a fait
prononcer par les administrations locales indistinctement et sans
examen. Maintenant on pent adopter un mode different, et qui
fera de la rehabilitation une institution utile. II faut ne la confier
ni aux conseils generaux, ni aux administrations locales, mais
ne I'accorder que par lettres du prince qui seront delivrees en
connaissance de cause et avec les modifications convenables (1). »
Cependant cette idee , qui etait le retour pur et simple aux
traditions de I'ancien regime, ne fut pas suivie. On adopta un
systeme mixte, portant I'einpreinte des legislations qui avaient
regne tour a tour. Le condamne non recidiviste, au bout du
temps d'epreuve fixe par la loi , devra adresser sa demande a la
cour d'appel avec les attestations des conseils municipaux des
communes ou il aura successivement habite. La cour pourra
arr^ter la demande ou au contraire I'admettre : si elle I'ad-
met tout n'est pas fini; la rehabilitation ne resultera que des
lettres du chef du pouvoir executif , que celui-ci est libre de re-
fuser. « La rehabilitation, dit I'archichancelier, ne doit etre
operee que par arret de la cour rendu en connaissance de cause ,
sur la demande du condamne, appuyee de I'attestation de la
municipalite et sur les conclusions du ministere public. La cour
doit avoir le droit d'ajourner et I'arret ne devenir executoire
qu'en vertu des lettres du prince (2). » Ge systeme composite ne
passa pas sans etre combattu en faveur de I'ancienne theorie.
M. Regnaud declare « qu'il prefererait qu'on obtint d'abord des
lettres du prince et qu'ensuite on les fit enteriner (3). » Mais
M. Berlier repondit que « Facte du souverain se trouverait &insi'
a la merci des cours , et que sans doute on ne voudra pas res-
(1) Locrt, tome XXIV, p. 105.
(2) Locr6, tome XXVIII, p. 123.
(3) Ibid., p. 124.
D INSTRUCTION CRIMINELLE. 557
susciter cette ancienne et dangereuse prerogative des Parle-
ments. » En realite , il y avait dans la combinaison nouvelle plus
qu'une interversion dans I'ordre des operations anciennement
suivies. M. Real le fit ressortir dans VExposg des motifs : « Puis-
que, dit-il, il n'est plus question du droit de grace et de son
application pure et simple , puisqu'il s'agissait de la reconnais-
sance d'un droit acquis , les tribunaux ne pouvaient rester etran-
gers a I'instruction qui doit preceder le jugement : il a done
fallu, dans cette matiere mixte, admettre le concours des tribu-
naux en ouvrant le recours au prince (1). »
La revision a toujours eu pour but de reparer les erreurs judi-
ciaires. L'Assemblee constituante ne I'avait pas admise, pensant
que c'etait assez faire que d'octroyer aux accuses la libre defense
et le jugement par le pays : c'etait la encore une reaction centre
les pratiques de I'ancien regime ou les lettres de revision etaient
frequentes. La Convention cependant introduisit la revision, mais
dans une seule hypothese , celle de deux condamnations inconci-
liables , et elle en fit une voie de recours devant la Cour supreme.
Le Code d'instruction criminelle I'admit avec le meme caractere,
et il I'ouvrit dans trois cas en faveur des condamnes a des peines
criminelles. Sur ce point, le systeme de I'Ordonnance ne repa-
raissait point.
Des lettres de cachet, en droit du moins, il ne pouvait etre
question. Cependant dans la discussion au Conseil d'Etat, il y fuf
fait allusion. Le projet de Code criminel contenait une etrange
institution. C'etait un jury de famille : il devait juger les simples
delits ou contraventions commis « par un fils de famille non marie
ou non etabli , ou par une femme mariee non separee de corps de
son mari , » lorsqu'il n'y avait point de complices etrangers , et
que des etrangers ne pouvaient elever aucune reclamation a fin
de reparations civiles. La decision de ce jury, qui statuait sur la
culpabilite et sur la peine sous la presidence du juge de paix,
ne devenait executoire que par la confirmation du president de la
cour d'appel, qui pouvait moderer la peine. Ce projet, qui repon-
dait assez bien aux idees sentimentales du xviii^ siecle, fut d'abord
(1) Locri, tome XXVIII , p. 165.
S58 LE CODE
favorablement accueilli ; quelques tribunaux criminels Texalterent
m6me dans leurs observations (1). Mais quand il fut discute en
1808, 1'esprit pratique avait pris le dessus, et la proposition fut
repoussee au Conseil d'Etat. Cependant il y eut encore une discus-
sion assez serieuse, car on se rappelait que les lettres de cachet
avaient jadis rempli souvent une fonction analogue a celle qu'on
avait voulu attribuer a ce jury de famille. « M. le comte Re-
gnaud de Saint-Jean d'Angely craint que cette institution n'in-
troduise I'arbitraire. II avoue qu'autrefois , et lorsque les lettres
de cachet etaient en usage , il y en avait encore plus ; mais on
delivrait peu de lettres de cachet (2). » Dans la seance du 23
aout 1808, M. Treilhard soutenait encore le jury de famille :
« II dit qu'il ne pretend pas que cette institution soit necessaire,
mais qu'il est persuade qu'elle aura de bons effets, n'eut-elle que
celui d'empecher le retour des lettres de cachet : les hommes
puissants et en credit ne manqueraient pas d'invoquer I'autorite
du souverain , si la loi ne leur donne pas un moyen de reprimer
les desordres interieurs de leur famille (3). » Mais I'institution
n'etait pas viable; on ne la laissa pas venir au jour, et les lettres
de cachet n'ont pas reparu.
(1) Tribunal de Loir-et-Cher, p. 36 (06s., torn. Ill) ; tribunal de I'H^rault, p. 66
[Ibid.).
(2) Locrd, tome XXVIII, p. 107.
(3) Ibid., p. 142.
D INSTRUCTION CRIMINELLE. 559
CHAPITRE QUATRlftME.
La proc6dure criminelle depuis le Code de 1808.
I. La legislation et la jurisprudence. — II. Modifications apport^es k la proce-
dure devant les juridictions de jugement. — III. Modifications apport^es a
^'instruction pr^paratoire : loi de 1856, 1863, 1863. — IV. Projets der^forme;
le projet de 1879.
I.
Notre teiche semble terminee. Nous avons commence notre
etude en nous plagant a I'epoque ou les premieres traces de la
procedure inquisitoire et secrete se montrent dans nos lois. Puis ,
suivant le cours des temps , nous avons vu cette procedure
grandir, s'imposer, se preciser et se fixer enfin dans les lignes
inflexibles de la grande Ordonnance. Dans la seconde moitie du
xviii' siecle, un esprit nouveau remet en question la procedure
criminelle, comme toutes les institutions de la vieille societe
francaise; et bientot un grand souffle de liberty passe sur la
France. Les lois de la Revolution , copiees sur des lois anglaises,
etablissent parmi nous le jury, la procedure orale et publique ,
la libre defense des accuses. Mais on a sacrifie sans necessite
quelques-unes des plus sages institutions de I'ancien droit : au
milieu des circonstances terribles qui I'enserrent , la nouvelle
procedure se montre inefficace; peu s'en faut qu'un puissant
mouvement de reaction ne fasse revivre I'Ordonnance de 1670.
Cependant I'institution du jury est sauvee apres bien des discus-
sions et des luttes , et nous avons assiste a I'elaboration penible
du Code d'instruction criminelle, oeuvre composite et de tran-
saction , qui emprunte aux lois de la Revolution presque toutes
les regies des debats et des jugements, a I'Ordonnance de 1670
presque toutes celles de I'iastruction preparatoire. II semble que
560 LE CODE
notre exposition soit terminee, car le Code d'instruction crimi-
nelle nous regit encore aujourd'hui. 11 nous reste cependant un
dernier chapitre a ecrire. Le Code d'instruction criminelle est
aujourd'hui deja une loi ancienne; il est plus que septuagenaire ,
et depuis sa promulgation il a subi de nombreuses modifications,
quelques-unes tres-profondes bien que portant sur des points de
detail. La lutte a continue entre les deux tendances , entre les-
quelles les l^gislateurs de 1808 avaient voulu etablir une tran-
saction durable et un equilibre definitif. Si pour la procedure du
passe il ne pouvait etre question de nouvelles conquetes, si le
terrain cede par elle etait definitivement perdu , I'esprit de libre
defense devait tendre a envahir les points oil il n'avait pas pu
penetrer en 1808. Le debat a continue en effet, dans la presse et
au Parlement , dans les livres et dans -les discours. Cette fois ,
contrairement a ce qui se passa au xvni" siecle , souvent ce sent
les criminalistes qui ont conduit I'attaque ; c'est leur voix qui a
parle le plus haut en faveur de I'humanite et de la liberte sage.
II suffit de citer les noms celebres et respectes de Faustin Helie et
d'Ortolan.
Cependant il faut le dire, sauf certaines reformesintimement
unies au souvenir des causes celebres, telles que la rehabilitation
en faveur des morts, ces reclamations n'ont point passionne
I'opinion publique. Les gouvernements qui ont fait proposer et
adopter des adoucissements et des reform es se sont inclines de-
vant les conclusions de la science plutot qu'ils n'ont cede aux
exigences de I'opinion. II est facile, croyons-nous , d'expliquer ce
calme des esprits, qui n'est point de I'indifTerence. Nous avons le
jugement par jures pour les infractions les plus graves; pour
toutes, la procedure est publique et orale et la defense comple-
tement libre : en droit et en fait devant les juridictions de juge-
ment on est done certain qu'en fm de compte I'innocence pourra
aisement triompher. Quelle que soit la rigueur de I'instruction,
elle ne peut faire disparaitre le sentiment de securite que donne
la procedure definitive.
Nous ne decrirons point le mouvement des esprits tel qu'il
apparait dans les discussions parlementaires , dans la presse* et
dans les livres; c'est le milieu meme dans lequel nous vivons;
d'insteuction criminelle. 561
mais nous indiquerons d'une facon rapide ce qu'a fait le legisla-
teur depuis 1808 jusqu'a nos jours. Nous noterons aussi les ten-
dances et les resultats de la jurisprudence, la ou lis auront 6te
inspires par une vue d'ensemble plutot que par rinterpretation
minutieuse des testes ; la jurisprudence est partout et toujours
I'un des agents les plus puissants parmi ceux qui coutribuent
au d6veloppement du droit chez un peuple.
II.
Deux parties bien distinctes composent, nous I'avons vu, le
Code d'instruction criminelle : les regies qui concernent le juge-
ment et celles qui regissent I'instruction. Les premieres devaient
§tre plus stables que les secondes; elles avaient repris peu de
chose aux institutions du passe.
Cependant , un emprunt avait ete fait aux plus funestes inspi-
rations de I'ancien regime. Les cours speciales , heritieres des
anciennes juridictions prev6tales, marquaient d'une tache sinistre
le Code d'instruction criminelle. Elles ne disparurent point avec
I'Empire. La charte constitutionnelle du il juin 1814 les main-
tenait comma institution normale. Art. 62 : « Nul ne peut etre
distrait de ses juges naturels. » Art. 63 : « II ne pourra en con-
sequence etre cree de commissions et de tribunaux extraordi-
naires. Ne sont pas comprises sous cette denomination les juri-
dictions prev6tales si leur retablissement est juge necessaire. »
Effectivement , une loi du 20 decembre 1815 organisa des
cours pr^votales composees d'un president et de quatre juges,
choisis parmi les membres du tribunal d'arrondissement , et d'un
prevot pris parmi les officiers de terre ou de mer ayant le grade
de colonel et ages de trente ans (art. 2,3,4). Elles connaissaient
de tous les crimes deferes par le Code aux cours speciales ; mais
de plus , leur competence embrassait un grand nombre de delits
politiques (art. 8 a 14), et cette competence nouvelle etait la
veritable raison d'etre de I'institution (1). Les jugements rendus
par ces cours prev6taies n'etaient susceptibles d'aucun recours ;
(1) Sirey, Lois annoUes, I, p. 931.
36
562 LE CODE
la question de competence etait soumise a la chambre des mises
ea accusation qui statuait definitivement sans qu'un pourvoi en
cassation fut possible (art. 45 et 39). Par la meme les cours spe-
ciales du Code d'instruction criminelle cessaient d'exister, et les
nouvelles cours prevotales ne devaient pas avoir une longue exis-
tence. L'article 55 et dernier de la loi de 1815 decidait « que la
presente loi cesserait d'avoir son effet, si elle ;n'a ete renouvelee
dans le courant de ladite session. » Or, elle ne fut pas renouvelee :
a I'ouverture meme de la session, le 5 novembre 1817, Louis
XVIII avait annonce qu'il ne considerait pas comme necessaire
la conservation des cours prevotales pendant un temps plus long.
La charte de 1830 prohiba a tout jamais leur retablissement.
Art. 53 : « Nul ne pourra etre distrait de ses juges naturels. »
Art. 54 : « II ne pourra etre cree de commissions extraordinaires
ou de tribunaux d' exception a quelque titre et sous quelque de-
nomination que ce puisse 6tre. » Sur ce point encore , I'Ordon-
nance de 1670 rentrait definitivement dans le passe; dorenavant,
les juridictions prevotales n'appartiennent plus qu'a I'histoire.
Restaient les juridictions de droit commun : cours d'assises,
tribunal de police correctionnelle , tribunal de simple police.
Pour la procedure devant la cour d'assises, en 1808, pas plus
qu'en 1791 et qu'en I'an IV, on n'avait atteint la perfection. Les
modifications apportees plus tard ne devaient etre, il est vrai,
que des perfectionnements dans les details ; mais plusieurs points
tres-importants furent retouches. Les regies ; sur la position des
questions au jury furent changees : sans revenir aux simplifica-
tions si compliquees du Code des delits et des peines, on a decide
que Ton decomposerait en ses elements necessaires la question
unique qui, d'apres le Code d'instruction criminelle, devait pur-
ger I'acte d'accusation (1). Ici la pratique des presidents de cours
d'assises preceda la loi et inspira le legislateur.
Une autre reforme assura dans leurs votes I'independance
des jures. Nous avons dit plus haut comment, d'apres la loi de
1791 et le Code de brumaire, les jures venaient un a un enon-
\l) Loi du 9 septembre 1835 (nouvel article 343 da Code d'instruction crimi-
nelle) ; loi du 13 mai 1836.
D INSTRUCTION CRIMINELLE. 563
cer de vive voix leur opinion. Le Code d'instruction criminelle
n'avait point conserve ces formes un peu theMrales, mais il
maintenait le principe de la declaration orale; il n'isolait meme
point, comme on le faisait precedemment , les jures les uns des
autres. Lorsqu'ils etaient retires dans leur salie des deliberations
et que la discussion etait close , le chef du jury les interrogeait
les uns aprfes les autres et enregistrait leur reponse (art. 345).
Cette methode devait souvent genet les esprits timides et fausser
Men des votes. Elle fut changee par la loi du 9 septembre 1835
qui etablit le vote au scrutin secret. « On s'est demande , disait
le garde-des-sceaux dans I'Expose des motifs , pourquoi , lorsque
tout se fait chez nous au scrutin secret , on n'admettait pas pour
les cours d'assises, c'est-a-dire pour exprimer ce que la cons-
cience a de plus intime , le procede mis en usage pour les elec^
tions a tous les degres et pour la confection des lois. » Ce nou-
veau mode de scrutin fut confirm^ et precise par la loi du 13
mai 1836.
En 1832, le jury acquit un pouvoir nouveau, celui de recon-
naitre des circonstances attenuantes en faveur des accuses (art.
341). Cette reforme d'une importance capitate touche plus au
droit penal qu'a la procedure criminelle. Cependant nous devons
remarquer que c' etait abaisser en partie cette barriere qu'on avait
voulu elever entre le fait, abandonne au jury, et la question de la
peine reservee aux magistrats. Pour accorder les circonstances
attenuantes le jury devait souvent se determiner par la rigueur de
la peine : c'est une tendance qu'on ne pouvait empecher d'abou-
tir; d'ailleurs, le garde-des-sceaux presentant I'Expose des motifs
reconnaissait dans une certaine mesure la legitimite de sembla-
bles verdicts. « Sans doute, disait-il, I'opinion du jury se trou-
vera entrainee quelquefois par la consideration de la rigueur de la
peine ; mais I'influence de cette consideration ne saurait etre abso-
lument evitee ; il faut mieux lui faire une. juste part que d'exposer
k I'impunite et que de laisser accrediter la doctrine dangereuse
de I'omnipotence (1). ». La force des choses dejouait les idees
preconcues inscrites d'abord dans la loi.
(1) Sirey, Lois annoUes, 11, p. 126.
364 LE CODE
Sur deux points, des changements multiples se sont produits,
le legislateur oscillant entre des teudances opposees. II s'agit de
la composition du jury et de la majorite a laquelle il doit rendre
son verdict de condamnation.
Chaquefois, pour ainsi dire, qu'un changement notable s'est
produit dans le gouvernement , une loi nouvelle est venue mo-
difier la composition du jury. Ainsi se sont succede la loi du
2 mai 1827, le decret du 7 aout 1848, la loi du i juin 1833, le
decret du ii octobre 1870 (1) et la loi du 21 novembre 1872. Cos
modifications frequentes , contre-coups des courants politiques et
des revolutions, ne sont point faites pour nous etonner. L'histoire
romaine presente le meme spectacle au temps des qusestiones per-
petuse : les senateurs et les chevaliers se disputent le droit de
sieger au jury criminel; les changements apportes dans le choix
des jures sont un triomphe pour I'un des partis , et les lois se
succedent a court intervalle toutes empreintes d'un caractere
politique (2). Nous n'entrerons point ici dans les details. Disons
seulement que depuis la loi de 1827 il y a un terme de plus dans
les operations qui doivent donner comme resultante le jury de
jugement. Cette loi , en effet , a cree une liste annuelle du jury,
sur laquelle les listes de session sont , non plus choisies , mais ti-
rees au sort , quinze jours avant I'ouverture des assises. C'etait
la une heureuse creation , qui a to uj ours subsiste depuis lors , et
qui meme , dans les lois les plus recentes , a fait mettre de c6te
la liste generale, desormais inutile; ce qui a varie , ce qui variera
sans doute encore , c'est le choix des autorites chargees tous les
ans de dresser cette liste.
Le legislateur de 1808 avait adopte pour les decisions du jury
le principe de la simple majorite, mais il ne I'avait point franche-
ment proclame, et avait constitue un systeme illogique et com-
plique, qui ne pouvait durer. La loi du 4 mars 1831 fit disparai-
tre cette anomalie ; elle ne voulait plus « que les juges du droit
participassent a la declaration du fait ; » mais elle decida que la
(1) II abrogeait la loi de 1853 et remettait en vigueur le decret de 1848.
(2) Voy. : Geib, Geschichte des romischen Crminalprocesses , p. 195, ssq. —
Zumpt : Das criminalrecht der romischen Republik; Zweiter Band : Die Schww-
gerichte.
d'instruction criminelle. 865
decision du jury ne se formerait centre I'accuse qu'a la majorite
de plus de sept voix. C'etait revenir, en partie, aux principes des
lois de 1791 et de I'an IV; c'etait accorder aux accuses une fa-
^veur dangereuse. Aussi bientot une reaction se produisit, et la
loi du 9 mars 1835 retablit la regie de la simple majorite : « On
s'est demande, disait le garde-des-sceaux , pourquoi, dans un
gouvernement de majorite , c'etait k la minorite qu'on laissait le
droit de decider de I'honneur, de la vie et de la fortune des ci-
toyens (1). » En 1848 une nouvelle oscillation se produit en sens
contraire ; il y a meme deux lois rendues sur ce point dans la
meme annee. Un premier decret du 6 mars 1848, destine a abro-
ger les fameuses lois de septembre 1835, decida dans son arti-
cle 4 : « La condamnation aura lieu a la majorite de neuf voix ;
la decision du jury portera ces mots : Oui, I'accuse est coupable
a la majorite de plus de huit voix, a peine de nullite. » Le pream-
bule declarait « que la condamnation par le jury a la simple ma-
jorite est une disposition que reprouvent a la fois la philosophie
et I'humanite, et qui est en opposition complete avec tous les
principes proclames par nos diverses Assemblees nationales. »
Mais le 18 octobre un autre decret, vote par I'Assemblee consti-
tuante sur le rapport de M. Cremieux, reduisit a huit voix la ma-
jorite necessaire pour la condamnation. Enfin, la loi dulO juin
1853 , modifiant encore I'article 347 du Code d'instruction crimi-
nelle , retablit le principe de la simple majorite , pernlettant a la
cour, dans I'article 352, « de renvoyer a des assises subsequentes
une affaire ou elle aurait la conviction d'une erreur judiciaire
commise par le jury (2). » II n'est pas probable qu'on abandonne
(1) Cependant la loi de 1835 apportait encore una restriction , bien faible il est
vrai. Modifiant I'arl. 352, Inst, crim., qui, en cas de verdict affirmatif, permettait
aux juges, s'ils 6taient unanimement convaincus que les jur^s se sont trompes sur
le fond, de renvoyer I'affaire a une autre session, elle ajoutait : « Lorsque I'ao-
cas6 n'aura et6 declare coupable qu'a la simple majorite (ce que les jurfis devaient
dMarer) , il suffira que la majority des juges soil d'avis de surseoir au jugement
et de renvoyer I'aEEaire a la session suivante , pour que cette mesure soit ordon-
n^e par la cour. »
(2) L'Expose des motifs, disait : « Cette innovation n'en est pas une en rSaliti'
Depuis soixante ans que le jury existe dans notre pays, il n'a fonctionne avec
des majoritSs exagSr^es pour les declarations de culpability que pendant quatorze
ans ; il a fonctionnS pendant quarante-six ans avec la simple majority. » Sirey,
Lois annoUes, 1853, p. 67.
566 LE CODE
dorenavant une regie si sage, qui maintient la balance egale
entre I'accuse et la societe qui I'accuse ; une longue experience
I'a maintenant consacree , et Ton peut dire qu'elle a passe dans
les moeurs.
Pour en finir avec les modifications legislatives qu'a subies I'or-
ganisation du jury, disons qu'une loi recente du 19 juin 1881 (1)
a supprime le resumS que le president de la cour d'assises de-
vait prononcer apres avoir clos les debats. C'est une r^forme en
faveur de laquelle il s'etait forme depuis longtemps un courant
puissant dans I'opinion publique. Ce resume, qui devait presenter
un tableau fidele des debats , ne reftetait pas toujours egalement
I'accusation et la defense. Par inconscient esprit de corps , par ce
sentiment professionnel qui rendait jadis les juges de la Tour-
nelle peu favorables a la defense , le president , quel que fut son
desir de se montrer impartial, devenait trop souvent I'auxiliaire
de I'avocat general. Quant au requisitoire du ministere public, le
resume etait parfois une amplification. Peut-Stre entre I'accusa-
tion et la defense la partie n'etait plus vraiment egale, quand, au
moment ou dans I'esprit des jures se produisent ces oscillations
qui precedent les decisions difflciles , le president jetait dans la
balance le poids de sa haute autorite. En sens inverse, d'ailleurs,
on peut dire que souvent les jures, maintenant rompus a leurs
fonctions , avaient leur opinion faite a la cloture des debats , et
qu'ils ecoutaient avec impatience un resume, qui prolongeait leur
seance et retardait le moment decisif oil le verdict allait etre
rendu et proclame.
Si maintenant on se demande comment la jurisprudence a
applique les regies de la procedure devant les cours d'assises ,
on trouve d'abord qu'elle a maintenu avec la plus grande ri-
gueur le formalisme necessaire dans la procedure par jures : les
formes sent ici une des principales garanties. La cour supreme,
elargissant dans un esprit de justice le cadre des nulliteSi declare
irritante remission de toute formalite qui est vraiment substan-
tielle pour la defense , alors m§me que la loi ne I'aurait pas
(1) Nouvel article 346. Inst. crim. : « Le president, aprfes la cl6ture des debats,
ne pourra , a peine de nuUitS , rtsumer les moyens de I'accusation et de la de-
fense. » En Belgique, ce r6sum6 avait 6t6 suppriin6 par un dficret du 4 juillet 1831.
D INSTRUCTION CEIMINELLE. 567
prescrite a peine de nullity. Mais d'autre part, la jurisprudence a
introduit dans une assez large mesure I'usage des depositions
ecrites devant les cours d'assises.
Nous avons vu avea quel soin le legislateur de 1791 et de I'an
IV avail eloigne des yeux des jures les depositions, ecrites
recues dans I'instruction preparatoire ; non-seulement -il etait
defendu de leur remettre ces pieces , mais encore , sauf quel-
ques exceptions, de leur en donner lecture. Le Code de 1808,
tout en etant moins net et moins strict , n'avait pas repudie cette
tradition, nous I'avons montre plus haut. La jurisprudence a
decide au contraire , que le president , en vertu de son pouvoir
discretionnaire , pent toujours faire donner lecture aux jures des
depositions ecrites. Cette jurisprudence, qui s'est etablie de bonne
heure (1), s'est maintenue d'une facon constante. D'abord les
termes des arrets semblaient la restreindre au cas oii le temoin
n'avait pu etre cite ou comparaitre par suite d'une force majeure,
mais on en arriva a appliquer le meme principe au cas ou le
temoin aurait peut-etre cite et ne I'avait pas ete : que le temoin
soit present ou absent, le president pent faire lire sa deposi-
tion (2). C'est la une pratique aujourd'hui bien etablie et qui ne
souleve point de protestations : elle fournit des ressources a la
defense comme a I'accusation. D'ailleurs, si jadis I'emploi des
pieces ecrites avait ete prohibe avec tant de soin devant le jury,
c'etait dans la crainte que par la la theorie des preuves legales
ne se reformat d'elle-meme. On s'est apercu bien vite que cette
crainte etait vaine. Le systeme des preuves morales est impose
par I'esprit public plus encore que par la loi.
Dans la procedure devant les juridictions de police correction-
nelle , I'ecriture a gagne beaucoup plus de terrain , et cela mgme
en vertu d'une loi formelle. L'organisation de la juridiction d'ap-
pel en matiere correctionnelle avait ete en 1808 Jllogique et
(1) Voy. Cass., 10 jaavier 1817 ; Cass., 9 avril 1818 (Sirey : Collect, fiouv., Ve
vol. I, p. 463).
(2) Cependant la jurisprudence maintient le principe d'aprfes lequel I'oralitfi est
le caractere dominant; ainsi lorsqu'un tfemoin comparatt et depose devant les
jurfe , on ne saurait faire pricider sa deposition orale de la lecture de sa depo-
sition 6crite. Cass., 12 septembre 1867 (Sir. 68, 1, 319).
S68 LE CODE
bizarre; elle ne pouvait se justifier que par la difficulte des com-
munications a cette epoque. Quelques appels seulement (ceux du
departement oil la cour avait son siege) etaient portes devant la
cour d'appel ; les autres etaient portes devant le tribunal du chef-
lieu du departement; quelques-uns au tribunal du chef-lieu d'un
departement voisin. II n'y avait ni harmonie, ni hierarchie veri-
table, et en histoire comme en bonne logique une hierarchie
sagement construite apparait comme I'une des conditions natu-
relles de I'appel. La loi du 13 juin 1856 vint faire disparaitre ces
anomalies. D'apres le nouvel article 201 du Code d'instruction
criminelle, toujours I'appel doit etre porte k la cour. Mais, malgre
le grand developpement qu'avaient pris les voies de communica-
tion , c'etait rendre assez difficile et tres-couteuse la comparution
des temoins devant la juridictipn d'appel. Deja dans I'ancien etat
de choses , le plus souvent ils ne comparaissaient qu'en itremiere
.instance, et les juges d'appel statuaient d'apres les notes d'au-
dience, prises par le greffier conformement aux articles 156 et
189 du Code d'instruction criminelle. En 1856, ce fait fut cons-
tate au Corps legislatif par le rapporteur de la loi, M. Nogent
Saint-Laurent : « En premiere instance, les temoins sont tou-
jours entendus; devant les magistrals charges de I'appel leur
audition est toujours une exception dans la .pratique (1). » Dore-
navant cette pratique ne pouvait que s'affirmer davantage. Que
fallait-il faire? accepter la necessite et le fait accompli, et puis-
que les conseillers jugeraient le plus souvent sur les notes d'au-
dience , faire en sorte qu'elles fussent completes et fideles. Cela
etait assez difficile a obtenir, la tache etant penible pour les
grefflers. « Comment feraient-ils pour avoir des notes suffisantes
et completes? II n'y a que la stenographic qui puisse courir avec
la parole sans rester honteusement en arriere. Entrez a I'au-
dience, voyez le greffier; il est attentif, absorbe; son ceH va du
temoin qui depose au papier etale sur son pupitre. A peine la pa-
role a-t-elle louche son oreille, qu'il ecrit vite , tres-vite.., Ce-
pendant le debat marche , nul ne se preoccupe du greffier, nul
ne lui vient en aide. II a beau faire... quand I'audience est finie
(I) Sirey, Lois annoties, 1856, p. 58.
d'instruction criminelle. S69
les notes sommaires sont sillonDees par des lacunes, des solu-
tions de continuite, des raccourcissements. Les notes sommaires
devraient au moins presenter lous les cotes saillants des deposi-
tions orales , rarement elles arrivent a ce resultat. Et cependant
avec le projet les depositions Ijrales , deja si rares devant la
cour, vont devenir plus rares encore. La consequence de ceci est
evidente ; les notes d'audience vont acquerir une importance plus
grande; il faut les ameliorer (1). » Voici ce qu'on fit pour cela.
L'article 189 modifie conlient les depositions suivantes : « Le
greffier tiendra note des declarations des temoins et des reponses
du prevenu. Les notes du greffier seront visees par le president
dans les trois jours de la prononciation du jugement. » Ce n'e-
taient done plus seulement les principales declarations (art. 135),
mais toutes les declarations des temoins, et de plus celles du
prevenu , que le greffier devait noter, et le visa du president ga-
rantit la fidelite de ces notes. Un amendement fut presente par
M. Picard, demandant que les notes fussent communiquees a la
defense et que celle-ci put les controler et elever au besoin des
reclamations , mais il ne fut pas pris en consideration par le
Conseil d'fitat.
Une loi anterieure, celle du 30 Janvier 1851 sur I'assistance
judiciaire, avait rendu la defense devant le tribunal de police
correctionnelle plus facile aux prevenus. D'apres l'article 29, « les
presidents des tribunaux correctionnels designeront un defen-
seur d'office aux prevenus poursuivis a la requete du minister e
public, ou detenus preventivement , lorsqu'ils en feront la de-
mande , et que leur indigence sera constatee soit par les pieces
designees dans l'article 10, soit par tons autres documents. »
Cette memo loi dans l'article suivant donnait aussi la possibilite
aux accuses et prevenus indigents de faire citer des temoins a
decharge, bien qu'ils ne pussent pas faire les frais de la citation.
Jusque-la I'accuse indigent n'avait qu'une ressource, c'etait de
demander au ministere public de vouloir bien faire citer a sa
requete les temoins qu'il lui designerait (art. 321) (2).
(1) Rapport de M. Nogent Saint-Laurent; Sirey, Lois amotiu, 1856, p. 59.
(2) « Les presidents des cours d'assises et les presidents des tribunaux cor-
570 LE CODE
Deux voies de recours en matiere criminelle et correctionnelle
ont ete elargies ou rendues plus faciles. La loi du 29 juin 1868 ,
modifiant les articles 443 et suivants du Code d'instruction crimi-
nelle, a decide que le pourvoi eu revision, dans les trois cas ou le
Code I'admet, pourrait etre intente apres le deces du condamne,
et pour rehabiliter sa memoire ; elle ouvre aux condamnes a des
peines correctionnelles cette voie de recours , lorsque la peine est
« remprisonnemenl ou la privation totale ou partielle des droits
civiques, civils et de famille. » Tout recemment, une loi des 28 et
30 juin 1877, modifiant les articles 420 et 421 du Code d'instruc-
tion criminelle, dispense de Za mise en 6tat le condamne a une
peine privative de liberte qui forme un pourvoi en cassation,
lorsque la duree de la peine ne depasse pas six mois ; elle dis-
pense egalement , dans la meme hypothese , de la consignation
de I'amende tout « condamne a une peine correctionnelle ou de
police emportant privation de la liberte. » Cette necessite toujours
imposee (1) de la mise en etat etait une tradition de I'ancien
droit.
Nous avons vu plus haul que le Code de 1808 avail maintenu
de la facon la plus nette le principe de la chose jugee et I'effet li-
beratoire de I'acquittement prononce en cour d'assises; il est
utile d'indiquer comment la jurisprudence a interprete I'article
360 du Code d'instruction criminelle. Sous I'empire du Code de
rectionnels pourront , mfime avant le jour fix6 , pour I'audience , ordonner I'assi-
gnation des t^moins qui leur seront indiques par Taccusfe ou le pr6venu indigent,
dans le cas ou la declaration de ces t^moins serait jugSe utile pour la d^couverte
de la v6rit6; pourront 6tre Egalement ordonnees d'offioes toutes productions et
verifications de pieces. »
(!) Toutes les fois au moins que la peine emporlait privation de la liberty pour
quelque laps de temps que ce ftlt (ancien article 421). — A c6te de ces lois libe-
rales on pourrait en citer une qui paratt dure : c'est celle du 9 septembre 1835,
qui permet d'expulser de I'audience les pr^venus ou accuses qui , « par des cla-
meurs ou tout autre moyen propre h causer du tumulte , mettraient obstacle au
libre cours de la justice , » et cependant declare qu'ils seront jugSs contradictoi-
rement ainsi que ceux qui refuseraient de comparattre. Cela fait songer tout d'a-
bord aux proc6s faits dans I'ancien droit aux muets volontaires , mais I'esprit re-
pousse vite cette comparaison. La loi de 1835 ne s'applique qu'aux accuses ou
pr^venus qui sont en Stat de rebellion ouverte et violente centre la justice et elle
multiplie les notifications et les precautions pour les mettre k mgme de suivre de
loin le procfes.
d'instruction criminelle. S71
brumaire , on decidait que par I'effet de I'acquittement etaient
purgees d'un seul coup toutes les qualifications penales dont le
faitetait susceptible, meme celles qui I'auraient transforme en
un simple delit, par I'elimination ou la modification de quelques-
uns de ses elements. II est vrai que , d'autre part , le Code des
delits et des peines ordonnait au president de poser aux jures les
questions resultant des debats qui pouvaient modifier la gravite
de I'incrimination (1). Allait-on sous I'empire du Code d'instruc-
tion criminelle suivre cette tradition, ou decider au contraire
qu'aprds I'acquittement en cour d'assises on pourrait poursuivre
I'accuse devant le tribunal de police correctionnelle pour le meme
fait, autrement qualifie et transforme en delit? La question ne
tarda pas a se poser devant la cour supreme. Le 27 aoM 1812, la
cour de Toulouse rendit un arret qui maintenait la jurisprudence
anterieure « considerant que le nouveau Code d'instruction crimi-
nelle n'a fait a cet egard aucun changement sur la maxime : Non
bis in idem; il n'a fait que substituer une chambre d'accusation
au jury d'accusation, et rien n'empeche que le president des
assises ne pose des questions qui naissent des debats (2). » Mais
cette doctrine fut vivement combattue par Merlin , dans la seance
de la Chambre criminelle du 29 octobre 1812 , et conformement
a ses conclusions la theorie contraire fut adoptee par I'arret du
29 octobre 1812 ; « attendu que d'apres les articles 374 et 379 du
Code des delits et des peines, les questions qui etaient sou-
mises au jury de jugement devaient necessairement porter non-
seulement sur le fait qui etait I'objet de I'acte d'accusation , mais
encore sur toutes les circonstances qui , d'apres les debats ou la
defense de I'accuse , pouvaient modifier la gravite du fait , quand
meme elles en auraient change le caractere ; qu'ainsi sous I'em-
pire de cette legislation I'acquittement prononce en faveur d'un
accuse devait sans doute I'affranchir de toutes les poursuites tant
sur le fait de I'accusation que sur toutes les modifications et d'a-
pres tous les caracteres de criminalite dpnt il pouvait Stre sus-
ceptible ; mais que le Code d'instruction criminelle, en etablissaut
(1) Voyez Cass., 5 f^vrier 1808 ; Sirey, Collect, nam., II, p. 484.
(2) Merlin , Ripertoire, additions. V" Nobis in idem, n" V bis.
572 LE CODE
d'autres regies , a necessairement restreint ce principe (1). » Get
arret a fixe la jurisprudence, qui depuis n'a pas varie. Cette
solution est peut-etre regrettable et difficilement conciliable avec
les termes larges et absolus de I'article 360 ; mais il faut recon-
naitre qu'elle repose sur un raisonnement juridique tres-fort (2) ;
et si jamais une loi vient I'ecarter (3), pour faire une oeuvre logi-
que , elle devra en meme temps imposer au president 1' obligation
de poser aux jures les questions subsidiaires resultant des debats.
III.
L'instruction preparatoire etait la partie la plus critiquable du
Code d'instruction criminelle ; aussi d'importantes reformes ont-
elles ete deja realisees en cette matiere et il s'en prepare de plus
importantes encore. Mais avant d'aborder le recit de ces re-
formes et I'examen de ces plans, voyons si la jurisprudence avait
modifie quelque peu le regime etabli par le legislateur de 1808.
La jurisprudence n'aurait pu faire qu'une seule chose : ouvrir
au prevenu le recours devant la chambre d'accusation centre les
ordonnances de la chambre du conseil ou centre celles du juge
d'instruction, dans le cas oi\ la loi ne le lui accordait pas for-
mellement, mais ne lui refusait pas non plus. En effet, elle fit
quelque chose de semblable en faveur de la partie publique. Le
Code n'avait ouvert au ministere public et a la partie civile
I'opposition centre I'ordonnance de la chambre du conseil que
dans un seul cas : lorsque cette ordonnance mettait le prevenu en
liberie (4). Mais la jurisprudence n'hesita pas a elargir cette dis-
position, et a donner toujours au ministere public le droit d'op-
(1) Merlin, Rijpert., loc. cit.
(2) « Si le president de la cour d'assises , disait Merlin , n'a pas dd interroger
le jury sur ce point , 11 est bien clair que I'accusi ne peat pas Ure cens6 avoir &i&
mis en jugement sur ce point devant le jury. «
(3) Un projet de loi dans ce sens a 6te soumis a la Chambre des deputes
dans la derniSre legislature.
(4) Ancien article 135 : « Lorsque la mise en liberty des prfivenus sera ordonnSe
conformSment aux articles 128, 129 et 131 ci-dessus , le procureur imperial ou la
partie civile pourra s'opposer a son elargissement. »
d'instruction criminelle. , S73
position (1) ; elle s'appuya sur ce principe qu'en matiere crimi-
nelle, I'appel est de droit. « Faut-il, disait Merlin dans ses
conclusions , que cette ordonnance soit expressement rangee par
le Code d'instruction criminelle dans la classe de celles qui sont
susceptibles d'opposition? Non sans doute, il suffit qu'elle n'en
soit pas exceptee , et pourquoi ? Parce que cette faculte d'atta-
quer tons les actes de la chambre du conseil du tribunal de prer
miere instance est de droit commun. » II avait dit plus haut :
« Ce n'est pas une opposition proprement dite, c'est une voie in-
troduite aux memes fins que I'appel (2). » Mais s'il en etait
ainsi, ne devait-on pas donner le meme droit d'opposition au
prevenu? « On pent dire pour 1' affirmative , declarait Merlin
dans une autre affaire oii cette question se presenta , que s'il n'y
a aucun article du Code d'instruction criminelle qui permette au
prevenu de reclamer aupres du juge contre une ordonnance de
cette nature, il n'y en a pas non plus aucun qui lui defende, qui
lui interdise cette voie , tandis qu'elle est ouverte a ses adver-
saires, que c'est rompre tout equilibre entre ses adversaires et
lui... que d'ailleurs le recours au juge superieur Contre les or-
donnances des premiers juges est de droit commun , et c'est sur
ce principe que vous vous 6tes fondes dans I'arret que vous avez
rendu le 29 octobre dernier pour juger, nonobstant le silence de
I'article 135, que les ordonnances qui renvoient a la police cor-
rectionnelle dans le cas prevu par I'article 130 sont passibles
d'opposition. » Cependant I'eminent jurisconsulte trouve une
raison , pour refuser au prevenu le droit de former opposition :
« Le droit commun, continue-t-il , est que les jugements prepara-
toires ne sont pas susceptibles d'appel. C'est done se conformer
au droit commun , que de refuser au prevenu la faculte de re-
clamer contre I'ordonnance qui le renvoie a la police correc-
tionnelle (3). » Peut-etre en bonne logique eut-on pu par le
(1) Voyez Cass., 25 octobre 1811 (Saey, Collect, nouv., lli.,i, p. iii); Cass.,
20 juin 1812 [Collect, nouv., IV, i, p. 128); Cass., 19 mars 1813 [Collect, nouv.,
IV, I, p. 308); Cass., 29 octobre 1813 {Collect, mm., IV, i, p. 454).
(2) Merlin : Rifert. addit. V" Opposition a une Ordonnance de la chambre du
conseil , n» II.
(3) Merlin : Ripert. addit. V" Opposition k une Ordonnance de la chambre du
conseil, n" IX.
374 ■ LE CODE
meme raisonnement arreter le recours du ministere public; mais
quoi qu'il en soil, 1' argumentation de Merlin triompha at la Cour
supreme decida que « la voie de I'opposition n'est pas ouverte
au prevenu centre I'ordonnance qui le renvoie devant le tribunal
correctionnel , que ce droit n'appartient qu'au ministere public
et a la partie civile (1). » A plus forte raison jugea-t-on que les
ordonnances du juge d'instruction n'etaient pas susceptibles , si
ce n'est pour cause d'incompetence , d'etre attaquees par la voie
de I'appel de la part des prevenus (2).
La revision de nos codes criminels en 1832, si feconde sur
d'autres points, ne produisit rien de nouveau en ces matieres.
Mais sous le second Empire, nous trouvons una seria de reformes
tres-importantes, bien que portant toutes sur des points isoles.
La loi du 17 juillet 1856 supprima I'une des institutions qui
paraissaient les plus heureuses aux redacteurs du Gode d'ins-
truction crirainella, cella de lachambre duconseil. Elle an trans-
ferait les attributions au juge d'instruction seul; c'etait lui qui
dorenavant devait randre I'ordonnance definitive, qui clot I'ins-
truction et decide quelle suite lui sera donnee (art. 127, ssq.).
Aux yeux des legislataurs de 1808, cela eM paru tres-grava; cela
leur cut rappele le reglement a I'extraordinaire prononce par un
seul juge, abus contra lequel las Cahiersde 1789 avaient energi-
quament proteste. Mais la pratique avait montre qua le juge d'ins-
truction avait dans la Chambre du conseil une influence prepon-
derante. En droit , s'il s'agissait d'un crime , an fait dans tous las
cas, il lui etait facile d'obtenir une ordonnance de renvoi ; lui seul ■
connaissait a fond la procedure et pouvait la presenter sous das
coulaurs favorables a son opinion. En lui donnant la droit da
statuar seul , on simplifiait la procedure dont la mardhe devenait
plus rapide; on imposait aux yeux de tous la rasponsabilite de
la decision a celui qui la dictait d'ordinaire. VoilJi ce qu'on dit en
1856 pour justifier la loi nouvelle, at il faut raconnaitre qua cas
observations etaient justes. II faut ramarquer, d'autre part, que
(1) Cassat.,- 20 d6c. 1813 (Sirey, Colled, nouv., IV, i, p. 497) ; — Cass., 7 no-
vembre 1816 (Sir., Coifed, nouv., V, i, p. 244); — Grenoble, 29 mars 1834 (Sir.,
34, 2, 441); —Lyon, 31 Janvier 1834 (Sir., 34, 2, 381).
(2) Paris, 17 avril 1833 (Sir., 33, 2, 289).
d'instruction criminklle. S7S
les nations qui nous ont emprunte notre Code d'instruction cri-
minelle, la Belgique et I'ltalie par exemple, ont conserve la
chambre du conseil; et en lui donnant des attributions npuvelles
elles ont fait un rouage des plus utiles dans le mecanisme ge-
neral; nous verrons aussi qu'on propose de la reconstituer chez
nous sur ce modele. La loi du 17 juillet 1856 reglait encore cette
question de I'opposition aux ordonnances d'instruction , que nous
avons tout a I'heure vu trancher par la jurisprudence; et elle
adoptait la plupart des solutions admises par la Cour supreme.
Le nouvel article 135 declare, en effet, que « le procureur im-
perial pourra former opposition dans tons les cas aux ordon-
nances du juge d'instruction. La partie civile pourra former op-
position aux ordonnances rendues dans les cas prevus dans les
articles 114i, 128, 129, 131 et 539 du present Code, et a toute
ordonnance faisant grief a ses interets civils. » Quant au pre-
venu , on allait un peu plus loin dans son interet que n'etait allee
la jurisprudence. II pourra former opposition, non-seulement
« dans le cas de I'article 539, »' c'est-a-dire lorsqu'il a decline la
competence du juge et que celui-ci s'est declare competent (ce
qui n'avait jamais ete conteste), mais encore « aux ordonnances
rendues en vertu de I'article 114. » L'article 114 vise I'ordon-
nance du juge qui statue sur la demande de mise en liberte pro-
visoire. Mais en meme temps I'article 135 , par sa redaction tres-
nette, autant que par suite des explications qui furent fournies
devant le Corps legislatif , arretait d'avance toute jurisprudence
qui vQudrait elai-gir le droit d'opposition du prevenu.
Cette question de la detention preventive , et de la liberte pro-
visoire, que nous venous de rencontrer dans les articles 135 et
114, fut en matiere d'instruction preparatoire laprincipale preoc-
cupation des legislateurs du second Empire. En 1855, ils y tou-
cherent une premiere fois. D'apres I'ancien article 94, le juge
d'instruction , apres I'interrogatoire , decernait un mandat d'arret
lorsque le fait emportait peine afflictive ou infamante ou empri-
sonnement correctionnel ; mais par la meme il engageait I'avenir
et aucun texte ne I'autorisait dans la, suite a donner spontanement
main-levee de ce mandat. La loi du 4 avrill855, modiflant I'ar-
ticle 94, decida qu'apres I'interrogatoire le juge pourrait ne de-
S76 LE CODE
cerner qu'un mandat de depot , et que « dans le cours de I'ins-
truction il pourrait, sur les conclusions conformes du procureur
imperial, et quelle que fut la nature de I'inculpation, donner main-
levee de tout mandat de dep6t, a la charge par I'inculpe de se re-
presenter a tons les actes de la procedure , et pour 1' execution de
jugement aussitot qu'il en serait requis. » C'etait conserver au
mandat de depot le caractere de mesure provisoire qui I'avait
toujours distingue , et bien qu'ici la mesure provisoire put tres-
aisement devenir defmitive , cette extension pr^sentait plus d'a-
vantages que d'inconvenients ; elle permettait meme de tourner
la regie que defendait la mise en liberte provisoire toutes les fois
qu'il s'agissait d'un crime. Mais ce fut le point de depart d'un
abus assez grave. Plus tard une loi du 14 juillet 1865 , modifiant
de nouveau I'article 94 , vint permettre au juge de donner main-
levee du mandat d'arret , comme du mandat de dep6t ; mais eUe
ne lui permit pas moins de decerner a son choix , apres I'inter-
rogatoire, ou un mandat de dep6t ou un mandat d'arret; elle au-
torisa par la la pratique , aujourd'hui bien etablie, qui considere
les deux mandats comme identiques dans leurs fonctions ainsi
que dans leurs effets, quoique le mandat de dep6t soit loin de
presenter pour le prevenu les memes garanties que le mandat
d'arret (1).
La loi du 14 juillet 1865 remania completement la matiere de
I'arrestation de la detention preventive et de la mise en liberte
provisoire. Concue dans un esprit vraiment liberal, elle permet-
tait au juge , quelle que ftlt la gravite du fait , de ne delivrer en
premier lieu centre I'inculpe qu'un simple mandat de comparu-
tion ; d'apres I'ancien article 91 , le mandat d'amener etait de regie
quand il s'agissait d'un crime. Puis , levant toutes les barrieres
et prohibitions precedemment existantes, elle decide (art. 113
nouveau) qu' « en toute matiere, le juge d'instruction pourra, sur
la demande de I'inculpe et sur les conclusions du procureur impe-
rial, ordonner que I'inculp^ sera mis provisoirement en liberty, a
charge pour lui de prendre I'engagement de se representer a tons
les actes de la procedure et pour I'execution du jugement aussi-
(1) Voy. art. 61 et96, Inst. crim.
d'instruction criminelle. S77
tcit qu'il en sera requis. » C'etait la premiere fois depuis 1789
qu'en matiere criminelle la liberie provisoire etait admise. D'au-tre
part, le juge pent toujour^ dispeager I'inoulpe de fournir un cau-
tionnement (art. 11-4); cetle disposition avait^ il est vrai, molns
d'importance qu'on le pourrait croire : UQ decret des 23^24 mars
4848 avail supprime le minimum du eautionnement k fournir. Ces
articles permellent au juge de faiife beaucoup pour la liberie ;. ils
lui donnent de grands pouvoirs, mais ne robli'gentpas ^ en user.
Cependant la loi de 1865 est allee plus loin; die decide que
dans certains cas la mise en liberie provisoire sera de droit , sans
elre aussi large a eel ©gard' que la loi de 1791 el le Code des de-
lits el des peines. Art. 113 (nouveau) : « En matiere correction-
nelle la mise en liberti sera de droit, cinq jours apres I'interro-
gatoire , en faveur du domicilie , quand le maximum de la peine
pjFononcee par la loi sera inferieur a deux ans d'emprisonnemenl.
La disposition qui precede ne s'appliquera ni aux detenus deja
condamnes pour crime , ni ii ceux deji condamnes k un empri-
sonnement de plus d'une annee. « Par une derniere faveur, dans
ce cas le juge ne pent pas exiger un eautionnement du prevenu.
Art. 114 : « La nlise en liberie provisoire pourra, dans tons les cas
oil elle n'est pas de droit, elre subordonnee' a ] 'obligation de four-
nir un eautionnement (1). jjmNous savons que le prevenu pent sou-
mettre a la chambre des mises en accusation I'ordonnance par la-
quelle le juge d'inslruction statue sur sa demande (art. 135, 115,
117; cf. art. 119).
La loi du 14 juillet 1865 s'est occupee de la' detelition preven-
tive a un autre point de vue ; elle a limite ou plutot reglemente
la faculte qu'a le juge d'instruction de prononcer la mise au secret
ou interdiction de corfimuniquer centre I'inculpe. tJn certain nom-
bre de fails graves avaient altire sur I'abus de cetle pratique I'at-
('l)'tes arfides de U3 a 126; redigSs a nouveau par la loi du 14 juillet 1865,
contiennent sur la mise en libertd provisoire et sqr le eautionnement beaucoup de
details interessants que nous devons passer. Disons seulement que ce n'est pas
seulement pendant I'instruction prtparatoire que la liberty provisoire peut fitre
demandfee. Art. 116 : « La mise en liberty provisoire pent gtre demand^e en tout
cas de cause. » Cependant la jurisprudence dominante , par une interpretation
peut-etre un peu 6troite de I'article 126, dficide.que la liberty ne peut pas 6tre de-
mandSe devapt la cour d'assises.
37
578 ,LE CODE
tention du public. L'article 613, redige a nouveau en 1865, decide
que « lorsque le juge d'instruction croira devoir prescrire a re-
gard d'un inculpe une interdiction de communiquer, il ne pourra.
le faire que par une ordonnance qui sera transcrite sur le registre
de la prison. Cette interdiction ne pourra s'etendre au dela de
dix jours, elle pourra toutefois etre renouvelee. II sera rendu
compte au procureur general (1). »
La loi du ii juillet 1865, quelle que soil d'ailleurs son impor-
tance , n'avait touche qu'a un point de I'instruction preparatoire,
telle que le Code I'avait organisee. Une autre loi, un pen ante-
rieure, celle des 20 mai-l"juin 1863, avait supprime cette ins-
truction pour toute une classe d'infractions. II s'agit des flagrants
Mlits correctionnels. Cette loi , dans quelques-unes de ses dispo-
sitions , touchait , elle aussi , a la question de la detention pre-
ventive. Jusque-la, la detention preventive et I'instruction pre-
paratoire etaient deux choses indissolublement unies , le juge
d'instruction pouvant seul decerner les mandats de depot on
d'arret (2). Cela presentait parfois de grands inconvenients. Lors-
qu'un individu etait pris sur le fait, commettant une infraction,
punie seulement de peines correctionnelles (chose tres-frequente ,
surtout dans les grandes villes) et amene par les agents qui I'a-
vaient arrete devant le procureur imperial, celui-ci n'avait que
deux partis a prendre, tons les deux pen satisfaisants. S'il ne
voulait pas laisser le coupable en liberte et le faire citer directe-;
ment devant le tribunal de police correctionnelle (art. 182, 184,
I. crim.), ce qui eut ete absurde, — pour le faire incarcerer re-
gulierement, il devait requerir le juge d'instruction de lancer le
mandat de dep6t ou d'arret; — mais par lameme s'ouvrait une
instruction qui necessitait forcement un certain nombre d'actes
et entramait d'inevitables lenteurs. Cette instruction , que la loi
n'imposait pas d'ailleurs , etait completement inutile pour un
fait aussi simple. Les preuves etaient toutes reunies; les temoins
etaient connus, et la plupart du temps c'etaient les agents qui
(1) Depuis 1873 , I'iaterdictioa de communiquer ne peut plus avoir pour but
que . d'empficher les communications avec le dehors, les detenus prSventivement
devant 6tre soumis au regime de la separation individuelle.
(2) Nous laissons de c6t6, bien entendu, Vhypothfese tout exceptionnelle de
l'article 100 (Inst. crim.).
d'insteuction criminelle. 579
avaient opere Tarrestatioii. Aussi I'article premier de la nouvelle
loi , pour 6viter ces difficultes , donne-t-il dans cette hypothese
au procureur imperial le droit de decerner le mandat de depot :
« Tout inculpe arrete en etat de flagrant delit , pour un fait puni
de peines correctionnelles , est immediatement conduit devant le
procureur imperial qui I'interroge... Dans ce cas,le procureur
imperial peut mettre I'inculpe sous mandat de depot. » Ce man-
dat a d'ailleurs ici un caractere essentiellement provisoire.
La loi de 1863, en effet, ne s'etait pas contentee de supprimer
I'instruction preparatoire pour les delits flagrants; elle a singu-
lierement acceler6 et simplifie le jugement. Si le jour meme de
I'arrestation il y a audience du tribunal de police correctionnelle,
le procureur imperial y traduit sur-le-champ le prevenu (art. 1).
Les temoins sont alors « verbalement requis par tout officier de
police judiciaire ou agent de la force publique. lis sont teuus de
comparaitre sous les peines portees par I'article 157 du Code
d'instruction criminelle (art. 3). » Ce proces si simple est ainsi
vide sans delai et presque sans formalites. Cette procedure etait
imitee par le legislateur de 1863 de celle qui se pratiquait devant
les cours de police etablies a Londres, etdont le succes avait ete si
grand. — Si le jour meme de I'arrestation il n'y a pas audience du
tribunal correctionnel , « le procureur imperial est tenu de faire
citerle prevenu pour I'audience du lendemaia. Le tribunal est, au
besoin, specialement convoque (art. 2). » D'autrepart, le prevenu
peut repousser ou plutot retarder cette procedure expeditive.
Art. -4 : « Si I'inculpe le demande , le tribunal lui accorde un de-
lai de trois jours au moins pour preparer sa defense. » La loi de
1^63 a produit d'excellents effets , bien que dans la pratique ses
dispositions ne soient completement observees que dans les gran-
des villes, resultat que, du reste, prevoyait le rapporteur devant
le Corps legislatif. Dans les petits tribunaux, une seule audience
par semaine est consacree aux affaires de police correctionnelle,
et Ton ne convoque point specialement le tribunal le lendemain
de I'arrestation, comme le voudrait I'article 2 : I'individu surpris
en etat de flagrant delit peut done rester pendant une semaine
presque entiere sous le coup du mandat de depot delivre par le
procureur.
880 I-E CODE
IV.
Toutes les reformes que nous venons de passer en revue n'a-
vaient porte que sur des points speciaux de I'instruction prepara-
toire; mais on sent que le jour approche ou le systeme entier sera
revise. C'est ce qu'ont fait deja plusieurs legi^ations etrangeres
imitees de la notre. « On a compare les dispositions du Code de
1808 avec celles qui , chez la plupart de nos voisins , regissent la
procedure preparatoire , et Ton s'est apercu qu'apres avoir im-
prime, vers le debut de ce siecle, a toutes les lois de I'Europe
une direction liberale, qui sera I'eternel honneur de la Revolution
frangaise, nous nous etions laisse peu a pen depasser par les pro-
gres successifs des nations etrangeres , et que notre Code ne re-
pondait plus aux principes admis et formules par les crimina-
listes les plus sages et les plus eclaires de I'Europe contempo-
raine.
« Le gouvernement ne pouvait rester indifferent en presence
d'une pareille constatation.' Deja en 1870, une commission extraT
parlementaire avait ete chargee d'examiner les reformes a intro-
duire dans I'ceuvre de 1808. Les funesfes evenements qui survin-
rent bientot ne lui permirent pas d'accomplir sa mission. Mais
au mois d'octobre 1878, sur I'initiative de I'honorable M. Du-
faure, garde-des-sceaux , une commission composee de juriscon-
sultes et de criminalistes eminents, auxquels ont ^te adjoint?
plusieurs membres du Parlement, fut reunie sous la presidence
du ministre de la justice dans le, but d'etudier et d'introduire
dans nos lois les ameliorations reclamees par la theorie etl'expe-
rience. Gri,ce a I'activite deployee par ses membres, cette com-
mission a pu , dans I'espace de quelques mois,. preparer un pre-
mier projet de loi contenant les matieres du premier liVre du
Code d'instruction criminelle (1). » Ce projet a ete presente au
Senat, dans la seance du 27 novembre 1879, et il est fort impor-
tant. II remanie tout le premier livre du Code et comprend un
(1) Projet de loi tendant a reformer le Code d'instruction criminelle. Escposi des
Motifs. Journal o/ficiel du 14 Janvier 1880, p. 301, col. 3; 302, col. 1.
d'instruction criminelle. 581
graiod nombfe d'articles (art. 8 It 221), introduisant un ordre
methodique \A ou il n'en existai't pas ; mais ce que nous devons
rel«ver, ce sont les modifications profbDdes qu'il apporte dans
I'instruction prepairatoire. C'est un esprit tout nouveau qui pe-
netre dans la loi, e-Mrainant un changement de systeme; YExpos^
des motifs le fait ressortir a chaque page.
On indique d'abord d'ou vieat cette instruction preparatoire
organisee en 1808 : « Le systeme du Code d'instruction crimi-
nelle n'est autre que celui de I'Ordonnance de 1670 avec des for-
mes moins dures (1); » et il doit faire place a des eombinaisons
nouvelles. Cependant on ne songe point a supprimer I'instruction
pri¶toire , pour etablir un systeme parement accusatoire imite
de la procedufe anglaise. L'institution du ministere public est
louee hautement, et Ton signale avec energie les dangers que
presents Y accusation populaire (2). Non-seulement on conserve
I'instruction preparatoire, mais elle continuera a etre secrete ;
« Notre esprit ne rfepugne pas moins au regime de la publicite;
sans parler des difficultes qui peuvent en resulter pour la recher-
che des coupables et notamment des complices restfe en liberty,
informes par les progres de instruction du moment oii il faut
fuir ou faire disparaitre le corps du d^lit, croit-on qu'il serait
facile de recueillir des dedaralions positives des temoins, exposes
aux questions caplieuses qui ont rendu cdlebre I'habilete des avo-
cats anglais dans leur cross-examination?
» En France , ce n'est pas sans peine que Ton obtient des te-
moins a I'audience la reproduction de leurs depositions ecrites.
Croit-on que les habitants de nos oampagnes , si craintifs quand
il s'agit d'accuser un voisin , dont ils redoutent la rancune ,
©seraient parler en toute sincerite devant I'inculpe, devant ses
parents et ses amis , quand ils seraient en outre exposes a la cri-
tique plus ou moins malveillante de I'avocat?
» Ajoutons qu'avec la nature de notre esprit, I'instruction,
ainsi poursuivie publiquement , aurait le plus souvent pour effet
de fixer I'opinion dans un sens favorable ou contraire a I'accuse
[1) Journal officiel du 14 Janvier 1880, p. 302, col. 3.
(2) Jottrnal oficiel du 14 Janvier, p. 303, col. 1.
582 LE CODE
et de dieter a I'avance le jugement du tribunal ou du jury (1). »
Mais ce qu'on veut et qu'on croit pouvoir realiser, c'est rendre
la procedure contradictoire dans cette premiere phase du proces ,
c'est organiser largement la defense : « Tout en ecartant le sys-
teme anglais comme impraticable , il est permis de se demander
s'il n'est pas possible d'en degager et d'en retenir un element im-
portant, celui de la contradiction organisee antra la poursuite et
la defense (2). »
Les mesures que le projet nouveau combine en vue de ce resul-
tat, nous paraissent se grouper logiquement autour des trois
points suivants : 1° Le prevenu aura a cote de lui un defenseur,
et il recevra communication de tous les actas de la procedure.
2° La defense n'aura pas un r61e purement passif , elle pourra
provoquer de la part du juge ou faire operer directement les
actes qui lui paraissent importants pour la decouverte de la ve-
rite. 30 Une serie de voies de recours est ouverte a la defense
contre les principales decisions du juge d'instruction.
L « II devient necessaire de placer a cote de I'inculpe, souvent
ignorant et illettre , des les premiers pas de I'information , le se-
cours d'un defenseur, qui n'est admis dans le systeme actuel
qu'a la veille des debats publics (3). » (Voy. article 127 du pro-
jet) (4). En principe, le conseil doit etre present aux interroga-
toires. « Art. U9 : Hors le cas d'urgence, si I'inculpe est pourvu
d'un conseil , le juge ne pent I'interroger qu'en presence du de-
fenseur ou celui-ci dument appele. » Aussi le premier interroga-
toire de I'inculpe se borne-t-il a fort peu de chose; « le juge
d'instruction constate I'identite de I'inculpe , lui fait connaitre les
faits qui lui sont imputes, et regoit ses declarations, apres I'avoir
averti qu'il est libre de ne pas repondre aux questions qui lui
sont posees (5). » — « Le juge d'instruction donne avis a I'inculpe
qu'il a le droit de choisir un conseil, et a defaut de choix, le
juge, s'il le demande, lui en designe un. » Cette disposition
(1) Journal nfficul da 14 Janvier 1880, p. 303, col. 1.
(2) nUem.
(3). lUi., col. 2.
(4) Journ. off. du 15 Janvier 1880, p. 333.
(5) Art. 85. On croit eatendre ici parler la loi anglaise.
d'instruction CRIMINELLE. f)83
rappelle , on I'a sans doute dejii remarque , les prescriptions de la
loi de 1789. II est vrai que I'article suivant ajoute : « Neanmoins
le juge d'instruction peut proceder a un interrogatoire immediat
et a des confrontations si I'urgence resulte soit de I'etat d'un te-
moin en danger de mort, soit de I'existence d'indices sur le
point de disparattre (1). »
Des que I'inculpe a declare soit au juge, soit a son greffier,
soit au gardien-chef de la maison d'arret (art. 127), qu'il a choisi
un defenseur, « sauf le cas d'urgence , chaque fois que I'inculpe
doit etre interroge ou confronte , le juge d'instruction est tenu de
convoquer en meme temps le conseil, vingt-quatre heures a
I'avance, par lettre chargee ou par toute autre forme d'avertisse-
ment qui sera fixes par un reglement d'administration publi-
que (2). » — « Le conseil peut entrer dans le cabinet du juge
d'instruction avec I'inculpe detenu ou libre chaque fois que celui-
ci y est appele. II lui est interdit de prendre la parole, sans
I'avoir obtenue du juge d'instruction. Si le juge lui refuse la
parole , mention de I'incident est faite au proces-verbal (3). » —
« Le procureur de la Republique et le conseil de la partie civile
ont egalement le droit d'assister aux interrogatoires (4). » — « Le
ministere public doit assister a I'instruction au meme litre et dans
les memos circonstances que le defenseur. Entre eux, le juge
d'instruction decide (5). »
Quant a la libre communication entre I'inculpe detenu et son
conseil, voici comment elle est organisee : « Art. 130. Si I'inculpe
est detenu, il peut, aussitot apres la premiere comparution, com-
muniquer librement avec son conseil. » — a Art. 131. Neanmoins,
le juge peut, s'il le croit necessaire, inlerdire la communication
de I'inculpe avec son conseil... I'interdiction ne peut s'etendre
au dela du dixieme jour a partir de la premiere comparution. —
Toutefois, lorsque les necessites de I'information le comman-
dent, la chambre du conseil peut, sur le rapport du juge d'ins-
(1) Art. 86,
(2) Art. 128.
(3) Art. 129.
(4) Art. 119.
(5) ExpOsi des motifs.
§84 LB CODE
truction, prolonger I'interdiction pendant une seconde periode
qui ne s'etend pas au dela du Vingtieme jour a partir de la pre-
miere comparution. » L'avocat dorenavant va intervenir a chaque
instant dans la procedure. C'est par lui que la d^feaase aura con-
naissance des actes las plus importants.
Les temoins sont entendus en secret , nous le savons ; il n'est
mSme pas ordonne que I'inculpe ou le conseil soient presents a
cette audition. Le juge peut seulement les y admetlre ainsi que le
representant du ministere public; mais il n'y a la qu'une faculte
dont les juges d'instruction ne feraint probablement pas grand
usage; aussi le prpjet ordonne-t-il de commuaiquer les depositions
ecrites a I'inculpe ou au conseil. « Art. 64. Les temoins peuvent
etre entendus soit en presence du ministere public , de la partie
civile , de I'inculp^ , et de leurs conseils , soit en dehors de leur
presence. Dans ce dernier cas, le jUge doit, aussitot que pos-
sible , et au plus tard avant la fin de I'instruction , donner a I'in-
culpe ou au conseil communication des depositions recues en leur
absence. » De plus, d'apres I'article 133, pendant le cours de
I'instruction , « le conseil de I'inculpe peiit prendre connaissance
(de la procedure) si le juge d'instruction estime que cette com-
munication est compatible avec les necessites de Tinstruction (1).
^^ En tons cas , il doit lui etre immediatement donn§ communi-
cation, s'il le reclame, de toute ordonnance du juge susceptible
de recours. » Enfln, en cas de constat, le conseil est averti
et peut asSister a la visite. Art. il : « Dans tous les cas ou le
transport lui parait necessaire , le juge d'instruction se rend sur
les lieux , apres en avoir donne avis au procureur de la Republic
que et au conseil, pour dresser les proces-verbaux a I'effet de
constater le corps du delit , I'etat des lieux , et pour recevoir les
declarations des temoins. »
II. La defense, avons-aous dit, ne joue pas un r6le purement
passif, et elle peut parfois prendre I'initiative. A cet egard, le
projet contient une disposition generale. Art. 37 ; « Le ministere
public, la partie civile et V inculp^ penvent requerir le juge d'ins-
truction de prendre toutes les mesures qu'ils croient utiles a la
(1) Le ministfere public lui peut requirir communication de la procedure k
toutes les fipoques de rinformation. Art. 132.
d'instruction criminelle. S85
decouverte de la verite. » Ce texte , pour la premiere fois , donne
d'une fagon nette a I'inculpe le droit de faiire eEteadre des temoins.
Plusieurs articles contiennent I'application de ce prineipe. Les
articles 124 et suivants s'occupent de la confrontation, et voici ce
qu'ils decident. Art. 124 : « L'inculpe peut requerir qu'ii soil pro-
cede ^ une confrontation entre lai et les temoins eintendus par le
juge d'instruction hors de sa presence. Le juge peut, suivant les
cas , ordonner on refuser la confrontation. » — Art. 125 : « Si la
confrontation requise a 6te refusee , il n'est feit , a peine de nul-
lity, aucun usage de la deposition reeue a moins que rinculpe ne
la requiere par une declaration expresse. La presente prohibition
n'a pas lieu si le temoin est decede. » — Art. 126 : « Dans tous
les cas, avant la cl&ture de I'instructi'on, Kneulpe, s'il le requiert,
doit #tre confronte avec ses co4neulpes. » Oes dispositions sont
bien curieuses ; elles reprennent de vieilles dis^positions de I'Or-
donnance de 1670. L'ancienne confrontation formaliste etait
tombee en meme temps que s'etait introduit le debat oral et
public devant les juridictions de jugement. Aujourd'hui on pro-
pose de revenir aux regies oubliees; le temoin non confronte,
comme jadis, pourra bien etre invoque par I'accuse, mais ne
fera pas charge contre lui. C'est un signe certain que, comme
nous I'avons dit , la procedure ecrite regagne du terrain : puisque
souvent on utilise les depositions ecrites devant les juridictions
de jugement , on veut les entourer de nouveau des garanties qui
autrefois leur permettaient de faire preuve.
Dans une hypothese particuliere , la defense peut meme direc-
tement faire executer un certain acte. II s'agit des expertises. Le
juge d'instruction choisit I'expert sur une liste « dressee eliaque
annee pour I'annee suivante par les cours d'appel , sur I'avis des
Facultes, corps savants, tribunaux, chambres de commerce (1). »
Mais, d'apres I'article 49, « le ministere public, la partie civile
et l'inculpe peuvent choisir sur ladite liste un expert, qui a le
droit d'assister a toutes les operations, d'adresser toutes requisi-
tions aux experts designes par le juge d'instruction, el qui est
(1) Art. 54 : « Toutefois, ajoute Tarticle, la chambre du conseil peut, lorsque
les circonstancesl'exigent, autoriser la designation d'experts qui ne Hgurent pas
sur les listes annuelles. »
586 LE CODE
tenu de consigner ses observations soit au pied du proees-verbal,,
soit a la suite du rapport. » — Art. 51 : « Le juge d'instruction
statue , sauf recours a la ciiambre du conseil , sur tous les inci-
dents qui s'elevent au cours de I'expertise. » Et « les rapports
d'experts doivent etre tenus a la disposition des parties quarante-
huit heures apres leur depot (1). » Ce n'est pas tout : « Si
I'expertise a ete achevee avant la mise en cause ou I'arrestation de
rinculp6 , celui-ci a le droit , apres la communication du rapport,
de choisir sur la liste annuelle un expert, qui examine le travail
de I'expert commis et presente ses observations. »
III. Le juge d'instruction conserve, d'apres le projet, de tres-
larges pouvoirs ; s'il pent accorder beaucoup a la defense , il peut
aussi beaucoup lui refuser. II etait necessaire de ne point lui per-
mettre de trancher en dernier ressorttoutes ces delicates questions,
et de placer au-dessus de lui une juridiction a qui I'inculpe put
en appeler. C'est ce que fait le projet et dans ce but il ressuscite
la chambre du conseil. Art. 136 : « La chambre du conseil d'ins-
truction est composee de trois juges et du greffler. Le juge qui a
instruit Vaffaire ne peut jamais prendre part a la deliberation. »
EUe n'a point pour fonction , comme jadis , de staluer sur la suite
a donner a I'instruction, lorsque celle-ci est close; le juge d'ins-
truction conserve le droit de rendre I'ordonnance de clSture. EUe
est chargee de statuer sur les principales decisions prises par le
juge au cours de I'information, lorsqu'elles sont contestees par les
parties. « Des I'instant qu'il a des decisions contentieuses a pren-
dre, il ne peut rester juge en dernier ressort des questions soule-
vees devant lui ; il est done necessaire de placer au-dessus de lui
une juridiction superieure chargee de decider souverainement la
marche S, suivre dans tous les cas oil un desaccord s'elevera , et
de statuer sur certaines questions qui engageraient d'une ma-
niere trop grave la responsabilite du juge d'instruction. C'est
dans ce but que le projet retablit la chambre du conseil , suppri-
mee par la loi de 1856 comme un rouage inutile , et qui trouvera
dans I'organisation actuelle un r61e different et necessaire (2). »
L'article 137 indique par qui et dans quels cas la chambre du
(1) Art. 52.
(2) Exposfi des motifs. Journ. Officiel du 14 Janvier 1880 , p. 303 , col. 3.
d'instruction criminelle. 58'7
conseil peut etre saisie (1) ; mais ce qui nous interesse surtout, ce
sont les recours ouverts a I'inculpe. L'article 37 lui ouvre I'oppo-
sition dans une ires-large mesure. Ce texte, nous ravens dit,
donne a I'inculpe comme aux autres parties en cause le droit « de
requerir le juge d'instruction de prendre toutes mesures qu'il
croit utiles a la decouverte de la verite ; » et , « sur son refus
il a le droit de saisir la chambre du conseil dans les cas prevus
par la loi. » Divers articles font I'application de ce principe :
lorsque I'inculpe demande a etre confronte avec des temoins,
I'ordonnance portant refus de la confrontation est motivee ; elle
est susceptible de recours devant la chambre du conseil (2). « Le
juge d'instruction statue, sauf recours a la chambre du conseil,
sur tons les incidents qui s'elevent au cours de I'expertise (3). »
C'est, nous le savons , la chambre du conseil qui statue sur I'in-
terdiction de communiquer avec le defenseur, lorsqu'elle s'etend
au dela de dix jours (art. 133) ; et I'interdiction de communiquer
avec les autres personnes, que le juge ne peut prononcer que^
pour dix jours , peut etre attaquee meme dans cette mesure de-
vant la chambre du conseil (art. 104). Enfin, « dans le cas ou le
juge d'instruction n'a pas accorde la mise ea liberie provisoire
elle peut etre accordee sur requete adressee a la chambre du con-
seil (art. 107). » En principe, les ordonnances de la chambre du
conseil sont inattaquables. Art. 142 : « Aucun jugement de la
chambre du conseil n'est susceptible d'appel , sauf en ce qui con-
. cerne la demande en liberie provisoire ; il ne peut etre forme de
recours en cassation centre aucu'n de ces jugements. »
S'il s'agit maintenant des ordonnances par lesquelles le juge
clot I'instruction , I'appel est ouvert a I'inculpe. dans un certain
nombre de cas devant la chambre des mises en accusation : « Art.
(1) Art. 137 : « La chambre du conseil est saisie au cours de Tinformatioa dans
les cas prevus par la loi, soil par le juge d'instruction (art. 99, 104, 131), soit
par le ministfere public (54, 107), soit par la partie civile ou I'inculpi (104, 107,
124, 153). Elle peut I'Stre par toute personne dans le cas prevu par l'article 44
(ir s'agit des reclamations form^es en cas de saisie par les personnes qui preten-
dent des droits sur les objets) et par les temoins condamn^s a I'amende dans le
cas prfivu par l'article 56. »
(2) Art. 124.
(3) Art. 51.
S88 LB CODE
152. L'inculpe peut interjeter appel des ordonnances prevues-
par I'article 539 ancien et dans les cas suivants : 1° pour cause
d'incompetence ; S" si le fait n'est pas prevu et puni par la M ;
3° si Faction publique est eteinte; i° si une nullite a ete commise
au cours d'instruction. »
Le projet contieat aussi d'importantes dispositions sar la de-
tention preveative. Quant a la mise en liberte provisoire, il con-
serve en general les regies stabiles en 1865 (1) ; mais il modifie
pEofond^ment le systeme ,des mandats. II remplace le mandat de
comparution par une assignation a comparaitre (Art. 73 a 75);
qmant aux trois autres , qu'il maintient , il les munit d'mne garan-
tie que jusque-la le mandat d'arrSt presenta/it seul : « Art. 77. Tout
mandat contient I'enoinciation du fait et la citation de la loi qui
declare que ce fait est un crime ou un delit. » Le mandat.de depQt
reprend son veritable caractere ; et les traiits qui le distinguent
justifient bien I'epithete Aq provisoire , x{xik.l\ii est donnee : « Art.
93. Le mandat de dep6t provisoire est I'ordne en vertu duquel
le juge d'instruction peut , apres la premiere comparution , faire
detenir l'inculpe dans une maison d'arret pendant cinq jours. —
Art. 94. Le mandat de dep6t ne peut etre renouvele. — Art. 95.
Vingt-quatre heures avant I'expiration du mandat de depot le
gardien chef est tenu d'avertir le magistral signataire du jour ou
le detenu doit etre mis en liberte. L'inculpe sera mis en liberte
au commencement du sixieme jour. »
Le projet a pris soin egalensient de limiter la duree du mandat
d'arret qui pent succeder au mandat de dep6t. Sans doute ici il
sera encore possible a I'expiration du delai de prolonger la de-
tention preventive , il le faut bien ; mais pour cela une decision
de la chambre du conseil sera necessaire : « Art. 96. Le mandat
d'arret 'est i'ordre en vertu duquel le juge d'instruction peut faire
detenir l'inculpe dans une maison d'arret pendant trente jours. —
II ne peut etre delivre contre l'inculpe present qu'a I'expiratioii
du mandat de depot. — Le mandat d'arret peut etre egalement
decerne contre un inculpe en fuite... • — Art. 99. Si le juge estime
que le delai de trente jours prevu par I'article 96 doit Stre pro-
(1) L'article 107 permet formellement a la cour d'assises d'accorder la mise en
liberty provisoire.
d'instruction oriminellk. S89
longe , il saisit la chambre du conseil qui peut ordonner, sur son
rapport, que le mandat sera maintenu en vigueur pendant une
nouvelle periode de trente jours. — Cette decision peut etre re-
nouvelee dans la meme forme. »
Quel sera le sort de ees propositions? On ne saurait le pre'-
dire. Mais on peut croire que, dans un temps qui n'est pas
eloigne , ce projet , ou tout autre anime du meme esprit , prendra
sa place parmi nos lois (1). Ge jour-la la paix sera defmitivement
etablie entce les deux temdances, dont nous suivons la lutte
depuis tant de siecles., chacune d'elles ayant recu une legitime
satisfaction ; les deux courants rivaux s'uniront en un cours pai-
sible et bienfaisant , et nous dirons alors , comme jadis Muyart
de Vouglans, mais avec plus de raison que lui : « Qn peut
dire a I'honneur de noire France , que la jurisprudence y a ete
portee a un degre de perfection qui lui fait tenir un rang dis-
tingue parmi les nations policees. »
(1) Pendant la durSe de la dernifere legislature , une commission nommSe par le
Senat a consacr6 de nombreuses stances k I'examen de oe projet de loi.
FIN.
ADDITIONS ET CORRECTIONS.
1. Aux textes cites a la page 53, pour montrer que i'enquete
ne pouvait proceder que si elle etait acceptee par I'inculpe, il
faut ajouter le suivant : Coutume de Bourgogne (1270-1360), Art.
135 : « Enqueste faicte centre aucun, en cas de crime, ne vault,
se il ne sest mis en enqueste. » (Gh. Giraud : Essai sur I'histoire
du droit frariQais auMoyen-dge, II, p. 291.)
2. A la page 96 , nous disons que le Livre de Jostice et de Plet
ne reproduit aucune disposition du titre du Digeste de quxstio-
nibus dans son livre XIX (1). Cela est vrai, mais au livre XVIII,
tit. 24, § 1, nous trouvons une sage maxime qui paralt bien
s'appliquer a la question : « Gil juige qui martirent aucun a tort,
li martyres de celui qui est livrez a martyre est tost passez ; mes
li martyres de celui qui le martyre dure tozjorz. »
3. Ala page 133, nous disons que « I'accusation de partie for-
mee s'eteint au xvi^ siecle, sans qu' aucune loi I'ait supprimee. »
Nous devons enregistrer divers articles de coutumes qui la regle-
mentent, mais en constatant son declin. Ge sont d'abord les An-
dennes coutumes de Bourges, commentees par Boyer (2) : Rubri-
que II, des coustumes concernant les juges et leur juridiction , Art.
13 : « Par la coustume ung chascun pent et doit estre receu par
mondit seigneur le bailly de Berry ou prevost de Bourges, ou
par leurs lieutenans , a soy faire et constituer partie formee pour
injure reelle a lui faicte, s'il y a grande effusion de sang ou
enorme macheure (contusion), ou pour autre cas de crime qui
requiere detention de personne, contre celluy^qui luy a faicte la
dicte injure ou le diet cas de crime. » — Art. 14 : « Et a cause de
ladicte partie formee , tant celluy qui la faict que celluy contre
qui elle est faicte , doivent estre constitues prisonniers et mis en
seure garde, s'ils ne baillent prestement bonne et suffisante cau-
tion de payer le juge , si caution y echet arbitrio judicis , jusques
a ce qu'ilz ayant bailie ladicte caution. »
(1) A cette m6me page 96, ligae 17, au lieu de.livre.XX, il faut lire livre XIX.
(2) Sur ces coutumes et sur le commentalre de Boyer, qui parut au commen-
cement du xvio sifecle, voyez La ThaumassiSre : Coutume de Berrj/^vertissement.
ADDITIONS ET CORRECTIONS. S91
Mais Boerius fait la remarque suivante sur I'article 13 : « Hsec
est consuetudo generalis in toto regno Franciee, tamen debent
fieri informationes secundum formam juris at ordiiiationes regias,
nisi timeretur de fuga... vel etiam si esset in flagranti crimine. o
D'autre part, I'article 1 6 montre que les consequences de la partie
forniee ne sont plus aussi graves que jadis : « Pour raison de
ladicte partie formee , se celluy qui I'a faicte succombe et enchet
de sa cause , il doit seulement soixante sols parisis pour I'amende
de justice ; et se celluy contre qui elle est faicte succombe , il est
amendable au roy arbitrairement. »
La Coustume du pays de Bordeaux et Bourdeloys, redig6e en
1S20, dans son chapitre vi, de jurisdiction , contient une disposi-
tion curieuse. Art. 79 : « Par la coustume aucun ne sera receu
a faire partie formee, sinon que soit 'pour crime ou delit, et
qu'i] y eust crainte de la fuite du delinquant. Aussi , en matiere
civile, quand il y auroit oblige portant soubzmission expresse a
prinse de corps, ou bien s'il estoit estranger hors de la senes-
chaussee de Guyenne , au dit cas s'il n'a biens immeubles valans
la dette, sera tenu bailler pleges ou bien tenir prison, et si autre-
ment est fait, celuy contre'qui sera faicte ladite partie formee sera
relaxe des prisons avec despens, dommages et interests et repara-
tion de I'injure... Et es cas esquels estpermis faire partie formee,
sera necessaire avoir permission de juge et bailler caution, excepte
en crainte de fuite (1). »
4. A la page 227, note 2, une faute d'lmpression nous fait citer
r « Idee de la justice et de I'humanite. » — C'est : « Prix de la
justice et de I'humanite, » qu'il faut lire.
5. Aux pages 272 et suivantes, il est traite de I'aveu et de sa
force decroissante comme moyen de preuve. A cet egard , voici
quelques passages interessants de la Pratique de Masuer : « Celuy
qui volontairement confesse le crime est tenu pour condamne , et
partant Ton ne prononce jamais sentence en cas de mort ou mu-
tilation de membre en pays coustumier. Toutesfois il est requis
que le prisonnier persiste a sa confession a tout le moins judiciai-
rement (2). » — « Que s'il advenpit que I'accus^ volontairement
et sans etre mis a la question confessat avoir commis le delit,
{i) Bourdot de Richebourg , IV, 2, p. 898.
(2) La pratique de Masuer, mise en franfois par Antoine Fontanon. Nouvelle
Edition par Pierre Guenois. Paris 1606, tit. xxi, p. 305.
592 ADDITIONS ET CORRECTIONS.
il ne le faut pour cela incontinent condamner, mesmement si le
crime n'estoit de soy notoire et qu'on cogneut en luy une pusil-
lanimite et simplicite : ains faut , s'il est possible , s'enquerir au
vray par qui le crime a este commis et des circonstances d'iceluy
eti voir si elles s'accordent avec sa confession. Et pourra derechef
estre interroge , afin qu'il apparoisse s'il persiste en sa confess-ion
ou s'il y veut changer quelque chose. Et finablement sera amene
en jugement , et la devant le jugs et les assistans luy doit estre
faicte lecture de sa confession , en laquelle il faut qu'U persisite
et qu'il confesse icelle estre veritable , et ce faict doit estre ra-
mene en prison. Et finablement le juge;, par I'advis et conseil des
assistans le delivre ou faict delivrer a I'executeur de la haute
justice , luy declarant ce qu'il a a faire de luy, sans autrement
prononcer aucune sentence (1). » Mais voici ce que note sur ces
passages le traducteur Fontanon : « Quant a ce que I'auteur dit
que celuy qui a confesse I'homicide doit estre publiquement
delivre a I'executeur de la haute justice, sans aucune forme de
sentence, cela est aujourd'hui abroge et hors d'usage, car en
toutes peines de mort et mutilation de membres et autres peines
corporelles, il faut qu'il y ait sentence du juge, qui soit prononcee
k I'accuse , afin d'en appeler si bon luy semble (2). » Cela nous
parait un document curieux et qui confirme iieu le developpe-
ment de la theorie, tel que nous I'avons presente. En terminant,
citons un autre passage de Masuer, qui montre combien il se
defie de la torture : « Finablement en toutes ces considerations et
autres il y faut bien prendre garde ; pour ce que plusieurs sent
contraints par la force et violence des tourmens dire et confesser
quelque chose faulse et contre verite. Et doit le juge assembler le
conseil et proceder selon I'advis et opinion d'iceluy (3). »
(1) La pratique de Masuer, tit. xxxvi, p. 388, 589.
(2) Ibid., p. 592.
(3) Pratique, p. 588.
TABLE DES MATl£lRES.
PREMIERE PARTIE.
La Procedure criminelle en France du Xllle
au XVIIe siecle.
TITRE PREMIER.
Les juridiclions p. 3 a 42
CHAPITRE I.
Les juridictions rSpressives au XIII° siecle p. 3
I. Juridictions seigneuriales ; — les gentilshommes et le jugement par les pairs;
les hommes de poeste et les serfs , p. 3. — II. Juridictions royales : les pre-
v6ts, les baillis, le parlement, p. 9. — III. Juridictions municipales ; villes
de commune et d'Schevinage ; les villes du Midi , p. IS. — IV. Juridictions
ecclesiastiques , p. 18.
CHAPITRE II.
Frogres des juridictions royales; leur etat anx XVII" ot XVIIIo sie-
cles p. 21
I. Comment les juridictions royales etendirent leur competence : — les cas
royaux; — la prevention; — 1' appal; — le flagrant delit; — les cas privi-
16gi6s, p. 22. — Composition des sieges royaux, prev6ts, baillis, lieutenants
criminels, conseillers; les parlements. Les tribunaux extraordinaires. p. 33
TITRE DEUXIEME.
La procedure p. 43 a 174
CHAPITRE I.
La procedure accusatoire des cours feodales p. 43
I. L'accusation , p. 43. — 11. La tWorie des preuves, p. 46. — III. Le flagrant
d61it, p. 49. — IV. La prise pour soupfon , p. 51. — V. L'enqufite du pays,
p. 52. — VI. La prison preventive et la mise en liberie provisoire, p. 55. —
VII. La procedure par contumace, p. 60.
38
394 TABLE DES MATIERES.
CHAPITRE II.
Origine et progres de la procedure inquisitoire du XIII" au XV" sie-
cle P- 66
I. La procedure criminelle de I'Eglise, p. 67. — II. L'aprise ou enquSte d'of-
fice , son apparition au xrii^ siecle; resistance des nobles; — la dtaonciation
et I'accusation apres la suppression da duel judiciaire, p. 78. — III. Intro-
duction de la torture, p. 93. — IV. Le ministfere public, p. 100. — V. La
procedure criminelle aux xiv» et xv^ siecles ; procedure ordinaire et extraor-
dinaire; derniferes transformations, p. 108.
CHAPITRE III.
La procedure criminelle d'apres les Ordonnances des XV» et XVI" sie-
cles p. 135
I. Les Ordonnances de 1498 etde 1539; le proofs criminel au xvi" siecle, p. 138.
— II. Protestations centre I'Ordonnance de 1539 : Constantin, Dumoulia,
Pierre Ayrault, p. 158. — III. La procedure criminelle et les Etats-G6neraux
du xvio sifecle, p. 168.
DEUXIEME PARTIE.
L'Ordonnance de 1670.
TITRE PREMIER.
L'Ordonnance de 1670 p. 177 a 328
CHAPITRE I.
La redaction de I'Ordonnance p. 177
I. L'idee d'une codification se produit : Colbert , Pussort et Louis XIV, p. 177.
— II. JVI^moires demand^s par le roi a divers membres du Conseil d'Etat,
p. 180. — III. Plan de Colbert; le Conseil de Justice et ses premiers travaux,
p. 192. — IV. Entree en scfine des Parlementaires , p. 202. — V. Discussion
de I'Ordonnance de 1670 : Lamoignon et Pussort, p. 206.
CHAPITRE II.
La procedure d'apres I'Ordonnance de 1670 p. 212
I. Les regies de competence, p. 212. — II. La procedure, p. 221. — III. La
justice retenue etles lettres royaux, p. 253.
CHAPITRE III.
La theorie des preuves legales p. 260
I. Les preuves du vieux droit coutumier; les prfeomptions ; changement dans
la theorie : le droit romain et les docteurs, p. 261. — II. La theorie des
preuves legales ; le corps du delit ; la culpability. La preuve complete : te-
moins, Ventures, aveu, presomptions. Les indices prochains ou « semi-
preuves; » la torture, p. 266.
CHAPITRE IV.
La procedure criminelle a I'etranger p. 28
I. L'ltalie, p. 285. — H. L'Espagne , p. 293. — III. L'AUemagne, les Pays-
Bas , p. 300. — IV. L'Angleterre, p. 315.
TABLE DES MATI^RES. 595
TITRE DEUXifiME.
L'Ordonnance de 1670 appliqu6e p. 329 a 396
CHAPITRE I.
Influence de I'Ordonnance de 1670 sur I'adniinistration de la jus-
tice p. 329
I. La procedure rSgularis6e et precisfie par rOrdonnance , p. 330. — II. Com-
ment rOrdonnance 6tait observee, p. 333. —III. Vices persistants dans I'ad-
ministration de la justice : la question d'argent ; la procedure Scrite, p. 338.
— IV. Le credit et I'argent faisant cider les dispositions rigoureuses de I'Or-
donnance, p. 341. — V. L'Ordonnance et ses commentateurs , p. 346.
CHAPITRE II.
La procedure criminelle et I'esprit public aux XVII« et XVIHo sie-
cles p. 348
I. Comment la procedure criminelle est appriciie au xviio siftcle : La Bruyere,
Augustin Nicolas , Despeisses , p. 348. — II. Le mouvement philosophique
du xviiio sifecle, p. 357. — III. Montesquieu et Beccaria. La legislation cri-
minelle dans les ceuvres de Voltaire, p. 362. — IV. La procedure criminelle
apprScite par les juristes du xviii" sifecle, p. 371, — V. Les riformes de
d'Aguesseau, p. 384. — VI. Progrfes de I'esprit de reforme : les discours de
rentree des magistrals; Servan; — les concours ouverts par les societes
savantes ; Brissot de Warville ; — m6moires pour d'innooents condamnis ;
le barreau et la magistrature , p. 386.
TROISIEME PARTIE.
Les lois de repoc[ue iutermediaire et le Code
d'mstruction criminelle.
TITRE PREMIER.
Les lois de la Revolution p. 399 a 480
CHAPITRE I.
L'Ordonnance de 1670 reformee p. 399
I. L'edit de 1788 , p. 399. —II. Les cahiers de 1789 et la procedure criminelle,
p. 404. — III. Premieres riformes operSes par 1' Assemble Constituante , le
decret des 8-9 octobre-3 novembre 1789 , p. 410.
CHAPITRE II.
Les codes de I'gpoque iutermediaire p. 417
I. La procedure par jures : loi des 16-29 septembre 1791; systSme qu'elle or-
ganise , p. 417. — II. Discussion du projet de loi a I'AssembWe Constituante;
lutte entre les anciens et les nouveaux principes , p. 431. — III. Le Code des
dilits et des peines du 3 brumaire an IV, p. 439.
596 TABLE DES MATIBRES.
CHAPITRE III.
Les loisde I'an IX P- 451
I. Loi du 7 pluvi6se an IX; les magistrals de sflretfi; reconstitution du minis-
t6re public; modifications dans I'instruction , p. 451. — II. Le jury compro-
mis : les passions politiques et le brigandage, p. 461. — III. La loi du 18 plu-
vi6se, les tribunaux spteiaux : resurrection des juridictions prev6tales, p. 470.
TITRE DEUXIEME.
Le Code d'lnstruction criminelle p. 481 a 589
CHAPITRE I.
Le projet de Code critninel . p. 481
I. Le projet de Code criminel : le jury et I'Ordonnance de 1670, p. 481. —
II. Les observations de la Cour supreme et des Cours d'appel , p. 485. —
III. Les observations des tribunaux criminels , p. 493. — IV. Le jury et les
publicistes , p. 499.
CHAPITRE II.
La question du jury devant le Couseil d'Stat p. SOS
I. Premiere discussion du projet de Code criminel devant le Conseil d'Etat en
I'an XII et en I'an XIII ; projets sur la reunion de la justice civile et de la
justice criminelle; interruption des travaux, p. 505. — II. Reprise des tra-
vaux en 1808 ; encore la question du jury ; suppression du jury d' accusation ,
maintien du jury de jugement , p. 521.
CHAPITRE III.
L'Ordonnance de 1670 et les lois de la Revolution dans le Code d'lns-
truction criminelle p. 527
I. La division des pouvoirs entre le ministfere public et le juge d'instruction,
p. 527. — II. Les actes et les formes de I'instruction pr^paratoire, p. 532. —
III. La procedure devant les juridictions de jugement; ce qui reste de la
procedure icrite; les preuves morales , p. 539. — IV. Les Cours spfeciales ,
p. 547. — V. La chose jug6e; la justice retenue; la rehabilitation et la re-
vision, p. S52.
CHAPITRE IV.
La procedure criminelle depuis le Code de 1808 p. 559
I. La legislation et la jurisprudence, p. 559. — II. Modifications apport^es a la
procedure devant les juridictions de jugement, p. 561. — III. Modifications
apportees a I'instruction preparatoire : lois de 1856 , 1863 , 1865 , p. 572. —
IV. Projets de reforme ; le projet de 1879, p. 580.
Additions et corrections •. p. 590
FIN DE LA TABLE DES MATIERES.
BAR-LE-DUC, IMPRIMERIE CONTANT-LAGOERRE
y^^ii
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